Cour Commune de Justice et d’Arbitrage - Avis N° 01/2009/EP, Séance du 15 avril 2009.- Recueil de Jurisprudence n° 13, Janvier–Juin 2009, p. 167.
La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA, réunie en formation plénière à son siège ;
Vu le Traité de Port-Louis du 17 octobre 1993 relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique, notamment en ses articles 10 et 14 ;
Vu le Règlement de Procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), notamment en ses articles 9, 53, 54, 55 et 58 ;
Vu la demande d’Avis consultatif de la République de COTE D’IVOIRE formulée par lettre n° 03/MJDH/CAB-3 en date du 19 juin 2007 de Monsieur le Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, enregistrée au Greffe de la Cour le 21 juin 2007 et ainsi libellée :
« Objet : Requête pour avis : questions à poser à la CCJA en vue d’obtenir un avis consultatif sur certaines dispositions relatives à l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif.
Par maints courriers parvenus à la chancellerie, plusieurs banques et établissements financiers ont manifesté au Garde des Sceaux, leur inquiétude quant aux suites réservées par quelques juridictions du fond à la procédure de règlement préventif instituée par Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif.
Cette situation procède du non-respect des délais de la procédure de règlement préventif qui, loin de durer trois ou quatre mois au maximum selon ledit Acte uniforme, excèdent largement les délais légaux, mettant ainsi en péril, les intérêts des créanciers.
Par ailleurs, en l’absence de sanctions expressément prévues dans les textes de l’OHADA, les débiteurs ont eu tendance à soutenir, devant les juridictions compétentes, que la suspension des poursuites individuelles s’impose aux créanciers, tant que la juridiction saisie n’a pas rendu de décision d’homologation ou de rejet du concordat de règlement préventif.
Afin de lever ces incertitudes résultant du dépassement des délais prescrits pour la procédure de règlement préventif qui, de surcroît, n’est pas sanctionné, il importe de s’en remettre à l’interprétation de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), conformément aux articles 14 du Traité et 53 et suivants du Règlement de Procédure de la CCJA. Ainsi, en application des dispositions visées ci-dessus, ai-je l’honneur de soumettre à la Cour, pour avis, au nom de l’Etat de COTE D’IVOIRE, les trois séries de questions suivantes :
1) Questions relatives aux délais de la procédure de règlement préventif :
Quelle est la nature des délais de la procédure de règlement préventif ? En d’autres termes, les délais de la procédure de règlement préventif sont-ils impératifs et d’ordre public ou sont-ils simplement indicatifs ?
Les délais de la procédure de règlement préventif peuvent-ils être prorogés en fonction de circonstances propres à la situation de la société admise dans la procédure ?
Quelle est la sanction du non-respect des délais de la procédure de règlement préventif ? Est-ce la nullité de la procédure ? Qui peut invoquer une telle nullité, en dehors des parties à la procédure ? Faut-il faire uniquement application de l’article 15.3 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, c’est-à-dire laisser le soin à la juridiction saisie, d’annuler la décision présidentielle de suspension des poursuites individuelles ?
2) Questions relatives aux pouvoirs des juges dans la procédure de règlement préventif :
L’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif donne-t-il aux juges du fond (Président du tribunal et tribunal) un pouvoir d’appréciation souveraine des délais de la procédure de règlement préventif ? Si la réponse est positive, qui du Président du tribunal ou du tribunal serait alors compétent pour modifier les délais de procédure ? Ainsi, le juge peut-il proroger le délai de trois (03) mois pour le dépôt du rapport d’expertise (article 13 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives) ?
Le juge peut-il proroger le délai de huit (8) jours prescrit pour la saisine du tribunal (article 14 de l’Acte uniforme sur les procédures collectives) ?
Le juge peut-il proroger le délai de trente (30) jours prescrit pour statuer sur le règlement préventif et l’homologation du concordat (article 15 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives) ?
De quels pouvoirs disposent les juges du fond pour faire respecter les délais de la procédure de règlement préventif ?
Quelles sont les conséquences du non-respect par la société admise dans la procédure de règlement préventif, de mesures éventuellement prescrites par 1es juges du fond impliquant des modifications des délais de la procédure ?
3) Questions relatives aux droits des créanciers dans la procédure de règlement préventif :
La suspension individuelle des poursuites peut-elle être étendue à l’égard des créanciers, au-delà des délais prescrits par les articles 7, 8, 9, 13, 14 et 15 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif ?
Les créanciers peuvent-ils d’office exercer leurs droits de poursuites individuelles, en cas de non-respect des délais prescrits par l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif ? Doivent-ils attendre que le tribunal statue sur le sort de la procédure ? A défaut de décision, sont-ils en droit de demander au tribunal de statuer sur le sort de la procédure ?
Quelles mesures peuvent être prises par les créanciers, à l’effet d’éviter un détournement de procédure par les sociétés requérant le bénéfice de l’ouverture de la procédure de règlement préventif ? » ;
Sur le rapport de Monsieur le Juge Maïnassara MAIDAGI :
EMET L’AVIS CI-APRES :
A la lecture des dispositions de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif et relatives au règlement préventif, la Cour a dénombré treize articles qui traitent des délais qui tous doivent être respectés sous peine de sanctions
spécifiques prévues par l’Acte uniforme lui-même ou de sanctions pécuniaires, disciplinaires et même pénales prévues par les législations nationales des Etats parties. Ces délais doivent être observés tantôt par les parties à la procédure collective de règlement préventif, que sont le débiteur, le demandeur à la procédure et les créanciers, tantôt par les organes de la procédure, que sont le Président de la juridiction compétente, la juridiction compétente, la juridiction d’appel, l’expert, le juge-commissaire, le greffier et le syndic.
1- Sur la première question
1.1. Sur le premier tiret
Les délais prévus dans la procédure de règlement préventif sont de deux ordres. Le premier groupe est composé de délais dont le non-respect est assorti de sanctions prévues par l’Acte uniforme lui-même, tandis que le second groupe est constitué de délais dont le non-respect n’est pas assorti de sanctions spécifiques.
Les délais assortis de sanctions spécifiques en cas de non-respect sont ceux prévus à :
- l’article 5, alinéa 3 aux termes duquel « aucune requête en règlement préventif ne peut être présentée par le débiteur avant l’expiration d’un délai de cinq ans suivant une précédente requête ayant abouti à une décision de règlement préventif. » ;
- l’article 7, alinéa 1er qui impose au débiteur, à peine d’irrecevabilité de sa requête, de déposer dans les trente jours suivant le dépôt de la requête, une offre de concordat préventif ;
- l’article 13 qui fait obligation à l’expert désigné, de déposer son rapport dans le délai de deux mois de sa saisine, lequel délai ne peut être prorogé que d’un mois sur autorisation motivée du président de la juridiction compétente. En cas de non-respect dudit délai, l’expert peut engager sa responsabilité auprès du débiteur ou des créanciers ;
- l’article 20, alinéa 2 qui énonce que le débiteur, averti par le syndic tous les trois mois du déroulement des opérations, dispose d’un délai de quinze jours pour formuler, s’il y a lieu, des observations et contestations ;
- l’article 23, alinéa 1er qui retient que les décisions de la juridiction compétente relatives au règlement préventif (...) ne peuvent être attaquées que par la voie de l’appel, qui doit être interjeté dans le délai de quinze jours à compter de leur prononcé ;
- l’article 24, alinéa 1er qui dispose que les décisions du Président de la juridiction compétente visées à l’article 11 ne peuvent faire l’objet que d’une opposition devant ladite juridiction, dans le délai de huit jours.
Les délais qui ne sont pas assortis de sanctions spécifiques en cas de non-respect sont ceux prévus à :
- l’article 8 qui énonce, d’une part, que la proposition de concordat est transmise, sans délai, au Président de la juridiction compétente et, d’autre part, que l’expert désigné est informé de sa mission dans le délai de huit jours suivant la décision de suspension des poursuites individuelles ;
- l’article 14 aux termes duquel « dans les huit jours du dépôt du rapport, le Président saisit la juridiction compétente et convoque le débiteur à comparaître devant cette juridiction pour y être entendu en audience non publique. Il doit également convoquer à cette audience, l’expert rapporteur ainsi que tout créancier qu’il juge utile d’entendre.
Le débiteur et, éventuellement, le ou les créanciers sont convoqués par lettre recommandée ou par tout moyen laissant trace écrite, trois jours au moins à l’avance. » ;
- l’article 15.4 qui dispose que la juridiction compétente doit se prononcer dans le mois de sa saisine ;
- l’article 19, alinéa 1 qui fait obligation à l’expert désigné en application de l’article 8, de rendre compte de sa mission au Président de la juridiction compétente, dans le délai d’un mois à compter de la décision admettant le concordat préventif ;
- l’article 20, alinéa 2 qui fait obligation au syndic désigné en application de l’article 16, de rendre compte, tous les trois mois, au juge commissaire, du déroulement des opérations et d’en avertir le débiteur ;
- l’article 20, alinéa 3 qui enjoint au syndic cessant ses fonctions, de déposer ses comptes au greffe dans le mois suivant la cessation de ses fonctions ;
- l’article 23, alinéa 2 qui dispose que la juridiction d’appel doit statuer dans le mois de sa saisine ;
- l’article 23, alinéa 5 qui énonce que dans les trois jours de la décision de la juridiction d’appel, le greffier de cette juridiction en adresse un extrait au greffier de la juridiction du premier ressort, qui procède à la publicité prescrite par l’article 17 ;
- l’article 24, alinéa 2 qui fait obligation de déposer les décisions du Président de la juridiction compétente au greffe, le jour où elles sont rendues ;
- l’article 24, alinéa 3 qui fait obligation à la juridiction compétente, saisie sur opposition, de statuer dans le délai de huit jours à compter du jour où l’opposition est formée.
Le même alinéa fait obligation au greffier, de convoquer l’opposant à la plus prochaine audience, pour y être entendu en chambre du conseil ;
- l’article 36 qui fait obligation au greffier :
• de mentionner toute décision d’ouverture de procédure collective, sans délai, au registre du commerce et du crédit mobilier ;
• d’insérer, par extrait, la même décision dans les mêmes conditions, dans un journal habilité à recevoir les annonces légales au lieu du siège de la juridiction compétente. Une deuxième insertion devant être faite, dans les mêmes conditions, quinze jours plus tard ;
- l’article 37, alinéa 1 qui fait obligation au greffier ou, à défaut au syndic, d’adresser, pour insertion au journal officiel, dans les quinze jours du prononcé de la décision, les mentions faites au registre du commerce et du crédit mobilier.
1.2. Sur le deuxième tiret
Les délais de la procédure de règlement préventif sont spécifiques à la procédure de règlement elle-même et non liés aux parties en présence (dont la société admise à ladite procédure) ou aux organes chargés de l’animer. Ainsi, les circonstances propres à la situation de la société admise à la procédure de règlement préventif ne peuvent justifier une quelconque prorogation de délai.
1.3. Sur le troisième tiret
Relativement aux délais des articles 5, 7, 13, 20 alinéa 3, 23 alinéa 1 et 24 alinéa 1, chaque article prévoit le type de sanction en cas de non-respect du délai imparti.
Quant aux délais prévus aux articles 8, 14, 15.4, 19 alinéa 1, 20 alinéa 1, 20 alinéa 3, 23 alinéa 5, 24 alinéa 2, 24 alinéa 3, 36 et 37 alinéa 1, ils ne sont pas assortis de sanctions spécifiques.
Aucun de ces articles ne prévoit la nullité de la procédure.
Compte tenu de la réponse donnée ci-dessus, la question « qui peut invoquer une telle nullité en dehors des parties à la procédure » est sans objet.
La décision prévue à l’article 15.3 ne découle pas du non-respect de délai de procédure, mais plutôt du constat fait par la juridiction compétente, de la situation du débiteur. Par conséquent, la question est sans rapport avec le respect des délais de procédure.
2- Sur la deuxième question
2.1. Sur le premier tiret
Lorsqu’il s’agit de délais dont le non-respect est assorti de sanctions, les juges compétents n’ont aucun pouvoir souverain d’appréciation. Ils ne peuvent pas modifier lesdits délais. En cas de non-respect, ils doivent prononcer la sanction prévue à cet effet.
Cependant, il y a lieu de relever que la sanction du non-respect du délai de trois mois pour le dépôt du rapport de l’expert prévu à l’article 13 de l’Acte uniforme porte plutôt sur l’éventuelle responsabilité de l’expert désigné. Par conséquent, ledit délai de trois mois peut être modifié si les juges compétents estiment que des circonstances impérieuses le commandent.
Quant aux délais non assortis de sanctions spécifiques, dont ceux prévus aux articles 14 et 15 de l’Acte uniforme, ils sont laissés à l’appréciation du Président de la juridiction compétente ou de la juridiction d’appel, selon que c’est l’un ou l’autre qui est saisi. Toutefois, ils ne peuvent les modifier que si des circonstances impérieuses l’exigent.
2.2. Sur le deuxième tiret
Les pouvoirs dont disposent les juges pour faire respecter les délais de procédure, et plus spécialement ceux assortis de sanctions spécifiques, sont l’application desdites sanctions en cas de non-respect. Par contre, pour les délais non assortis de sanctions spécifiques, il s’agit d’une question d’appréciation des juges compétents, lesquels doivent effectuer un suivi attentif du déroulement de la procédure et, le cas échéant, rappeler à l’ordre l’agent cause du retard et au besoin, lui faire des injonctions.
2.3. Sur le troisième tiret
En cas de non-respect par la société admise dans la procédure de règlement préventif, de mesures éventuellement prescrites par le juge, impliquant des modifications des délais de procédure, il appartient audit juge d’apprécier et de décider de la suite à donner.
3. Sur la troisième question
3.1. Sur le premier tiret
Aux termes de l’article 15.3 de l’Acte uniforme, « si la juridiction compétente estime que la situation du débiteur ne relève d’aucune procédure collective ou si elle rejette le concordat préventif proposé par le débiteur, elle annule la décision prévue à l’article 8 ci-dessus. Cette
annulation remet les parties en l’état antérieur à cette décision ». De l’analyse des dispositions dudit article 15.3, seule la décision annulant celle de suspension des poursuites individuelles peut remettre les créanciers en l’état où ils étaient avant ladite décision de suspension.
En conséquence, la prorogation éventuelle des délais prescrits par les articles 8, 9, 13, 14 et 15.4 proroge d’autant les effets de la décision de suspension des poursuites individuelles. Les créanciers doivent s’y conformer pendant les périodes de prorogation des délais.
Par contre, la sanction du non-respect du délai prévu à l’article 7 étant l’irrecevabilité de la requête, il n’y a même pas lieu à décision sur la suspension des poursuites individuelles.
3.2. Sur le deuxième tiret
Compte tenu de la réponse donnée au point 3.1 ci-dessus, les créanciers ne peuvent pas exercer leurs droits de poursuites individuelles, en cas de non-respect des délais prescrits par l’Acte uniforme.
Ils doivent, par conséquent, attendre que la juridiction compétente statue sur le sort de la procédure.
Toute personne intéressée à une procédure pendante devant une juridiction, qui constate une certaine lenteur dans le traitement de l’affaire par la juridiction saisie, est en droit de se rapprocher de cette dernière en vue de l’inviter à accélérer la procédure.
3.3. Sur le troisième tiret
Cette question n’impliquant l’interprétation d’aucune disposition précise de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, la Cour de céans estime n’avoir pas d’avis à émettre sur ce point.
Le présent Avis a été émis par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA en sa séance du 15 avril 2009, à laquelle étaient présents :
Messieurs Ndongo FALL Président Jacques M’BOSSO Premier vice-Président Antoine Joachim OLIVEIRA Second vice-Président Doumssinrinmbaye BAHDJE Juge Maïnassara MAIDAGI Juge, rapporteur Boubacar DICKO Juge Biquezil NAMBAK Juge
et Maître Paul LENDONGO Greffier en chef
Le présent avis a été signé par le Président et le Greffier en chef :
Le Président Le Greffier en chef
Ndongo FALL Paul LENDONGO __________