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LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière
Vu la requête présentée par d.B, m B et c.B, ci-après les Hoirs B, enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 28 juin 2024, sous le numéro TS 2024-14, par laquelle les requérants demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du Ministre d'État du 13 février 2024 leur infligeant une amende de 20.000 euros en application de l'article 37 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée, ensemble la décision du Ministre d'État du 30 avril 2024 portant rejet de leur recours gracieux ainsi que la condamnation de l'État de Monaco aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu que les requérants soutiennent, en premier lieu, que la décision du 13 février 2024 prononçant l'amende, qui doit être motivée dès lors qu'elle inflige une sanction, est entachée d'une insuffisance de motivation au regard des prescriptions de l'article 2 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ; qu'elle se borne, en effet, à énoncer la règle prévue par l'article 4 de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 portant création de l'allocation compensatoire de loyer pour les locaux régis par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, modifiée, et à affirmer que les deux appartements en cause devaient faire l'objet d'une déclaration de vacance ; que, ce faisant, l'autorité administrative n'indique pas les raisons pour lesquelles ces deux appartements, qui de surcroît ne sont pas dans une situation identique, devaient faire l'objet d'une telle déclaration alors même que les requérants avaient, dans leurs observations formulées dans le cadre de la procédure contradictoire et reprises à l'appui de leur recours gracieux, fait état des raisons pour lesquelles les dispositions invoquées par l'administration n'étaient pas applicables à leur situation ; que la décision du 13 février 2024 est ainsi entachée d'une insuffisance de motivation ainsi que la décision du 30 avril 2024 portant rejet du recours gracieux ;
Attendu que les requérants soutiennent, en deuxième lieu, que l'administration a commis une double erreur de droit ; que, d'abord, elle a estimé que leurs locaux relevaient du champ d'application des dispositions précitées de l'article 4 de la loi du 5 juillet 2021 au seul motif que ces locaux étaient vacants à la date d'entrée en vigueur de cette loi alors que celles-ci s'appliquent seulement aux locaux qui étaient vacants au moment de l'entrée en vigueur de la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004 et échappaient ainsi à l'obligation de déclaration de vacance prévue à l'article 35 de la loi n° 1.235 modifiée ; que tel n'est pas le cas des locaux en litige, lesquels ont été libérés postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004, en l'occurrence en avril 2009 s'agissant de l'appartement du premier étage et en janvier 2005 s'agissant de l'appartement du deuxième étage (côté gauche) ; qu'en effet, en contrepartie de l'allocation compensatoire de loyers créée au profit des petits propriétaires, le législateur a entendu contraindre les propriétaires de locaux vacants préalablement à l'entrée en vigueur de la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004, lesquels n'étaient alors pas soumis à l'obligation de location, à procéder à une déclaration de vacance préalable à la mise en location du local ; que cet objectif ressort sans ambiguïté de l'exposé des motifs de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 ;
Attendu que les requérants soutiennent, ensuite, que ces dispositions ne pouvaient a fortiori pas s'appliquer à un local ayant déjà fait l'objet d'une déclaration de vacance le 10 février 2006 conformément à l'article 35 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 ; que la circonstance que cet appartement n'ait toujours pas été effectivement loué au moment de l'entrée en vigueur de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 ne pouvait donc justifier l'application de l'article 4 de cette loi ; qu'au demeurant, après cette déclaration de vacance, d'importants travaux ont été effectués à la suite d'une visite de contrôle par un organisme vérificateur et conformément à ses préconisations et ont été achevés en septembre 2009 ; que cependant il n'a pas été procédé à la publication d'une offre de location en raison de la position de l'administration qui a estimé que le local ne pouvait être considéré comme un appartement de deux pièces mais seulement comme un appartement d'une seule pièce ;
Attendu que les requérants soutiennent, en troisième lieu, que l'amende d'un montant de 10.000 euros par logement, soit un total de 20.000 euros, est disproportionnée au manquement constaté ou à tout le moins manifestement disproportionnée ; qu'en l'espèce, le contrôle de proportionnalité, que doit exercer le juge de l'excès de pouvoir, amènera à constater cette disproportion au regard des critères retenus par la jurisprudence du Tribunal Suprême ; qu'en particulier, les requérants n'ont perçu aucune allocation indue, ont toujours été soucieux de fournir à leurs locataires des logements convenables, ont également toujours coopéré avec l'administration et n'ont ainsi dans le passé pas fait l'objet de sanctions pour avoir méconnu leurs obligations déclaratives ; que la disproportion est d'autant plus manifeste que les sanctions prononcées sont identiques alors que la situation des deux appartements n'est pas la même, l'un deux ayant été déclaré vacant ;
Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 26 août 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation des requérants aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en premier lieu, que la décision de sanction du 13 février 2024 respecte les exigences de motivation de la loi du 29 juin 2006 dès lors qu'elle rappelle l'obligation de déclaration de vacance prévue à l'article 4 précité et le fait que les hoirs B se sont abstenus de faire ces déclarations malgré les demandes faites en ce sens par l'administration ; qu'elle comporte ainsi les considérations de droit et de fait au vu desquelles la décision initiale de sanction a été prise et n'avait pas à prendre parti sur les éléments invoqués par les intéressés dans leur « mémoire » du 9 janvier 2024 ; que la décision du 30 avril 2024 portant rejet du recours gracieux n'est pas davantage entachée d'une insuffisance de motivation car elle fait état de l'argumentation développée par les intéressés à l'appui de leur recours gracieux et rectifie en outre l'erreur matérielle figurant dans la décision du 13 février 2024 ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en deuxième lieu, d'abord, que c'est à tort que les requérants estiment que l'article 4 de la loi du 5 juillet 2021 qui prévoit un délai d'un an pour procéder à la déclaration de vacance d'un local loué en secteur protégé ne s'appliquerait qu'aux locaux vacants à la date d'entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2004 ; qu' au contraire, l'article 35 de la loi de 2000 imposant l'obligation de déclaration de vacance dans sa nouvelle rédaction issue de la loi de 2021 étend cette obligation non seulement aux locaux qui étaient vacants à la date d'entrée en vigueur de la loi de 2004 mais également ceux qui sont devenus vacants postérieurement à cette date mais antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 2021 ; que partant, les locaux vacants au sens du nouvel article 35 de la loi de 2000, ainsi modifiée, doivent s'entendre de l'ensemble des locaux vacants à la date d'entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 2021 ; que par conséquent c'est sans commettre d'erreur de droit que l'autorité administrative a considéré que les deux locaux détenus par les hoirs B, qui étaient vacants à la date d'entrée en vigueur de la loi de 2021, étaient soumis à l'obligation d'une déclaration de vacance dans le délai d'un an ; que, par ailleurs, la circonstance que l'un des appartement a fait l'objet d'une précédente déclaration de vacance en février 2006 est à cet égard inopérante ; qu'en vertu de l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000 dans sa version alors applicable, cet appartement après les travaux de remise aux normes qui ont été effectués en septembre 2005 aurait dû être donné en location ; qu'il est constant qu'il n'a pas été offert à la location et qu'il est toujours vacant à la date d'entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 2021 ; qu'il devait donc à ce titre faire l'objet d'une nouvelle déclaration de vacance ;
Attendu que le Ministre d'État soutient, en troisième lieu, que la mesure de sanction n'est entachée d'aucune erreur manifeste d'appréciation et a été infligée conformément aux critères fixés par la jurisprudence du Tribunal Suprême dans sa décision du 31 mai 2022 ; que la circonstance que les requérants n'auraient pas perçu d'allocation compensatoire, à la supposer établie, est inopérante car elle n'est que la conséquence de l'importance de leur patrimoine immobilier composé de locaux d'habitation de plus de 500 m2 ; que, par ailleurs, les intéressés n'ont pas satisfait à toutes leurs obligations légales faute d'avoir fait les déclarations de vacance requises ; qu'ils ne sauraient à cet égard utilement faire valoir avoir rencontré des difficultés en matière de location du fait du différend avec l'administration dès lors que ce différend ne porte que sur le nombre de pièces composant l'appartement du 2ème étage présenté comme un appartement deux pièces alors qu'il ne s'agit que d'un studio, l'une des deux « pièces » étant un local de 4,79 m2 insusceptible d'être qualifié de pièces habitable ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 25 septembre 2024, par laquelle les requérants concluent aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens et demandent la condamnation de l'État de Monaco aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Patricia REY, avocat-défenseur, sous sa due confirmation ;
Attendu que les requérants soutiennent, en outre, en premier lieu, que la décision du 13 février 2024 est entachée d'une insuffisance de motivation ainsi que la décision du 30 avril 2024 portant rejet du recours gracieux dans la mesure où elles n'indiquent pas la portée de la règle que l'administration a entendu appliquer en l'occurrence l'article 4 de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 et ne donnent aucune réponse aux arguments développés dans leur mémoire du 9 janvier 2024 dans le cadre de la procédure contradictoire préalable au prononcé de la sanction ; que la décision du 30 avril 2024 ne donne pas non plus de réponse à l'argumentation soulevée par les requérants à l'appui de leur recours gracieux selon laquelle les biens litigieux ne sont pas soumis aux dispositions particulières de l'article 4 précité mais aux dispositions générales de l'article 35 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée ; que le montant de l'amende retenu ne fait pas l'objet d'une motivation précise alors que les deux appartements en cause n'étaient pas dans une situation identique ; qu'enfin, la décision du 13 février 2024 comporte une erreur sur les modalités de règlement de l'amende, ce qui a affecté l'exercice du recours gracieux et les droits de la défense des requérants, la rectification a posteriori de cette erreur n'ayant pas corrigé ces effets préjudiciables ;
Attendu qu'ils soutiennent, en deuxième lieu, que les décisions attaquées sont entachées de plusieurs erreurs de droit ; que, d'abord, c'est à tort que l'administration a estimé que les locaux litigieux relevaient du régime de déclaration de vacance particulier et transitoire prévu à l'article 4 précité de la loi du 5 juillet 2021 alors que ces biens relèvent du régime général prévu à l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000 ; qu'en effet, comme l'atteste l'exposé des motifs de la loi du 5 juillet 2021, l'article 4 susmentionné vise uniquement les propriétaires de locaux vacants antérieurement à la parution de la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004, lesquels n'étaient pas soumis à l'obligation de mise en location ; que l'interprétation faite par le Ministre d'État des articles 4 et 35 susvisés ne trouve ainsi aucune justification dans la lettre ou l'esprit de ces textes ; qu'en toute hypothèse, dans la mesure où l'appartement du 2ème étage gauche avait déjà fait l'objet d'une déclaration de vacance le 10 février 2006 et de travaux de mise aux normes, c'est à tort que l'administration exige le dépôt d'une nouvelle déclaration de vacance au seul motif que cet appartement était toujours vacant et n'avait toujours pas été loué à la date d'entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 2021 ;
Attendu que les requérants soulignent, en troisième lieu, que la sanction prononcée est disproportionnée ou à tout le moins manifestement disproportionnée ; que le Ministre d'État ne conteste pas que la décision attaquée ne comporte aucun élément propre aux circonstances de l'espèce permettant de justifier le montant de l'amende alors notamment que la situation des appartements en cause n'est pas la même ; que l'absence de perception de l'allocation de compensation par les intéressés, certes liée à l'importance de leur patrimoine, démontre l'absence de préjudice causé à l'État, ce qui est une circonstance atténuante ; qu'à l'exception des deux appartements litigieux, qui du reste n'ont jamais été loués en dehors du cadre fixé par la loi, les requérants n'ont jamais fait l'objet de sanction pour avoir manqué aux obligations légales ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 22 octobre 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;
Attendu que le Ministre d'État maintient, en premier lieu, que les décisions attaquées sont suffisamment motivées en droit et en fait dès lors que conformément aux exigences de l'article 2 de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs elles indiquent, de façon non stéréotypée, la règle de droit appliquée et les circonstances de fait sur lesquelles elles s'appuient ; qu'en outre, la décision du 13 février 2024, qui est une décision de sanction initiale et non pas une décision portant rejet d'une demande présentée par les intéressés, n'avait pas à prendre parti sur les éléments que les requérants avaient fait valoir dans leur mémoire du 9 janvier 2024 produit dans le cadre de la procédure contradictoire préalable à la mesure de sanction ; que pour sa part la décision du 30 avril 2024 rejetant le recours gracieux des intéressés a bien précisé les motifs pour lesquels elle a rejeté ce recours administratif en indiquant que les appartements en cause sont soumis à l'article 4 de la loi du 5 juillet 2021 ; qu'en outre, les décisions attaquées n'étaient pas tenues de préciser les raisons ayant présidé à la détermination du montant de l'amende, dont la proportionnalité est contrôlé par le Tribunal Suprême ; qu'enfin, c'est vainement que les requérants entendent se prévaloir de l'erreur matérielle figurant dans la décision du 13 février 2024 à propos du délai de règlement de l'amende, cette erreur ayant été rectifiée par la décision du 30 avril suivant et n'ayant pas modifié les délais de recours gracieux et contentieux ;
Attendu que le Ministre d'État fait valoir, en deuxième lieu, que l'interprétation de l'article 4 de la loi du 5 juillet 2021 par les requérants ne saurait convaincre car le texte ne peut s'interpréter autrement que comme soumettant à une obligation de vacance l'ensemble des locaux vacants au jour de l'entrée en vigueur de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021, ce qui concerne non seulement les biens vacants au moment de l'entrée en vigueur de la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004 mais également ceux qui sont devenus vacants postérieurement à cette date, comme l'indique le rapport sur le projet de loi concerné ; que les requérants ne sauraient par ailleurs pour échapper aux obligations légales se prévaloir de la circonstance qu'ils ont fait le 10 février 2006, soit presque seize ans avant l'entrée en vigueur de la loi n° 1.507 et avant la réalisation de travaux de rénovation, une déclaration de vacance pour un des appartements alors que cet appartement n'a d'ailleurs toujours pas donné lieu à une offre de mise en location malgré les relances adressées en ce sens à plusieurs reprises aux consorts B ;
Attendu que le Ministre d'État expose, enfin, que l'amende d'un montant de 20.000 euros n'est pas disproportionnée car contrairement à ce que prétendent les requérants les appartements en cause se trouvent dans une situation identique, c'est-à-dire dans une situation de vacance, le 1er janvier 2022, date d'entrée en vigueur de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021, et justifiaient ainsi l'infliction d'une amende similaire pour chacun des manquements liés à l'absence d'une déclaration de vacance ; qu'à cet égard, si les requérants soulignent n'avoir jamais été jusqu'à présent sanctionnés pour avoir manqué à leurs obligations légales en la matière, l'administration a dû mettre en œuvre de nombreuses démarches envers eux pour qu'ils se mettent conformité avec lesdites obligations ;
SUR CE,
Vu les décisions attaquées ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la Constitution du 17 décembre 1962, notamment le B de son article 90 ;
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947, modifiée ;
Vu la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 portant création de l'allocation compensatoire de loyer pour les locaux régis par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, modifiée ;
Vu l'Ordonnance du 9 juillet 2024 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur José MARTINEZ, Vice-Président du Tribunal Suprême, en qualité de rapporteur dans l'affaire TS 2024-14 ;
Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date 12 novembre 2024 ;
Vu l'Ordonnance du 7 mai 2025 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal le 12 juin 2025 ;
Ouï Monsieur José MARTINEZ, Vice-Président du Tribunal Suprême, en son rapport ;
Ouï Maître Clyde BILLAUD, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substituant Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la même Cour pour les Hoirs B ;
Ouï Maître François MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;
Ouï Monsieur le Procureur général en ses conclusions ;
La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;
Motifs
Après en avoir délibéré
1. Considérant que d.B, m B et c.B, ci-après les Hoirs B, qui sont propriétaires de biens immobiliers situés dans le « secteur protégé » de Monaco et notamment de deux appartements situés respectivement au premier et au deuxième étage d'un immeuble sis 20 rue Plati, ont fait l'objet d'une amende d'un montant de 10.000 euros par appartement, soit un montant total de 20.000 euros, prononcée par une décision du Ministre d'État du 13 février 2024 sur le fondement de l'article 37 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée ; que les intéressés ont formé le 13 mars 2024 un recours gracieux contre cette décision, lequel a été rejeté par le Ministre d'État par une décision du 30 avril 2024 ; que les Hoirs B demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de sanction du Ministre d'État du 13 février 2024, ensemble la décision du 30 avril 2024 portant rejet de leur recours gracieux ;
Sur la légalité externe :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs : « Doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives à caractère individuel qui : 2°- infligent une sanction (…) » ; que le premier alinéa de l'article 2 de la même loi précise que « La motivation doit être écrite et comporter, dans le corps de la décision, l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement » ;
3. Considérant, en premier lieu, que la décision attaquée du 13 février 2024, qui est une sanction administrative à caractère pécuniaire, est au nombre des décisions visées au chiffre 2° de l'article 1er de la loi du 29 juin 2006 qui doivent être motivées ; qu'à cet effet, cette décision rappelle d'abord que la Direction de l'Habitat avait, par des courriers en date du 9 mai 2022 et des 30 mars, 25 août et 11 octobre 2023, informé les Hoirs B des dispositions de l'article 4 de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 prévoyant que les personnes propriétaires d'un local relevant de la loi n° 1.235 modifiée, vacant au jour de l'entrée en vigueur de la loi n° 1.507, disposaient d'un délai d'un an pour effectuer la déclaration de vacance requise et, en outre, leur avait demandé de déclarer la vacance de l'appartement de deux pièces situé au premier étage et de celui d'une pièce situé au deuxième étage de l'immeuble sis rue Plati sous peine de s'exposer aux sanctions prévues par l'article 37 de la loi n° 1.235 modifiée ; qu'après avoir mentionné que les Hoirs B avaient expressément refusé le 9 janvier 2024 d'être entendus en leurs explications préférant adresser à l'administration un mémoire écrit, la décision précise ensuite qu'il leur est infligé une amende de 10.000 euros par logement en application de l'article 4 susvisé ; que, par ailleurs, elle comporte des indications sur les modalités de règlement et de recouvrement de la somme ; qu'ainsi, au regard de la règle de droit énoncée et des éléments de fait rapportés, la décision comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, sans que les requérants puissent utilement faire valoir que l'autorité administrative aurait dû prendre parti sur les éléments indiqués dans leur mémoire du 9 janvier 2024 produit durant la procédure contradictoire préalable à la mesure de sanction ; que, par ailleurs, l'autorité administrative n'était pas tenue de mentionner les éléments explicatifs sur la portée des dispositions mises en œuvre ou les raisons ayant présidé à la détermination du montant de l'amende ; qu'enfin, à l'appui du moyen tiré de l'insuffisance de motivation, les requérants soutiennent que la décision du 13 février 2024 comporte une erreur sur les modalités de règlement de l'amende dès lors qu'elle indique à tort l'obligation de payer dans un délai d'un mois au lieu du délai légal de trois mois ; que, cependant, et à supposer même qu'elle ait pu affecter les conditions dans lesquelles les intéressés ont formé le recours gracieux, cette erreur matérielle, d'ailleurs rectifiée par la décision portant rejet du recours gracieux, est sans incidence sur la régularité de la motivation de la décision attaquée ;
4. Considérant, en second lieu, que les requérants entendent, à l'appui de leurs conclusions en annulation dirigées contre la décision du Ministre d'État du 30 avril 2024 portant rejet de leur recours gracieux, soulever le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision, faute pour l'autorité administrative d'avoir répondu à leur argumentation soulevée à l'appui de leur recours administratif selon laquelle les biens litigieux ne sont pas soumis aux dispositions particulières de l'article 4 précité mais aux dispositions générales de l'article 35 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 modifiée ; que, cependant, lorsque le Ministre d'État rejette le recours gracieux qui lui est présenté contre sa décision de sanction initiale, la décision de rejet du recours administratif ne se substitue pas à cette décision initiale ; que, par suite, s'il appartient au juge, saisi d'un recours en annulation pour excès de pouvoir contre ces deux décisions, d'annuler, le cas échéant, la décision de rejet du recours gracieux par voie de conséquence de l'annulation de la décision initiale, des moyens critiquant les vices propres dont serait entachée la décision de rejet du recours gracieux ne peuvent être utilement invoqués, au soutien des conclusions dirigées contre cette décision ; qu'ainsi, le moyen susmentionné doit, en tout état de cause, être écarté comme inopérant ;
Sur la légalité interne :
5. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 35 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947, modifiée par l'article 2 de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 portant création de l'allocation compensatoire de loyer pour les locaux régis par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, modifiée : « Tout local régi par la présente loi, vacant ou qui devient vacant, doit faire l'objet, par le propriétaire ou son représentant, d'une déclaration de vacance auprès de la Direction de l'habitat dans le délai d'un mois, dans les conditions fixées par arrêté ministériel. (…) » ; que la modification ainsi introduite par l'article 2 de la loi n° 1.507 a pour objet d'étendre à tout local vacant ou qui devient vacant à la date d'entrée en vigueur de cette loi, soit le 1er janvier 2022, l'obligation de déclaration de vacance instituée par la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004 ; que, d'autre part, aux termes de l'article 4 de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 : « Les personnes propriétaires ou usufruitières d'un local soumis aux dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre1947, modifiée, vacant au jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, disposent d'un délai d'un an pour effectuer la déclaration de vacance prévue par les dispositions de l'article 35 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, modifiée, précitée, à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi. La Direction de l'habitat dispose d'un délai de six mois à compter de ladite entrée en vigueur pour informer les personnes visées à l'alinéa précédent de leur obligation d'effectuer une déclaration de vacance et de présenter une offre de location. »
6. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées que le dispositif transitoire de régularisation prévu à l'article 4 susmentionné permettant aux propriétaires concernés de satisfaire à l'obligation de déclaration de vacance dans un délai d'un an doit nécessairement, compte tenu des termes de cet article, être regardé comme s'appliquant à l'ensemble des locaux à usage d'habitation vacants au 1er janvier 2022, date d'entrée en vigueur de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 ; que ce dispositif inclut donc non seulement les locaux vacants à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004 et qui, en raison de la rédaction alors applicable de l'article 35, n'étaient pas soumis au régime de déclaration de vacance, mais également les autres locaux devenus vacants postérieurement à cette date ; qu'il s'ensuit que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les appartements litigieux, libérés respectivement en avril 2009 pour l'appartement du premier étage droite et en janvier 2005 pour le local situé au deuxième étage gauche, sont soustraits à l'application de l'article 4 précité au seul motif qu'ils ont été libérés postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004 ;
7. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 37 de la loi n°1.235 du 28 décembre 2000 modifiée par l'article 3 de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 : « En cas de méconnaissance des dispositions de l'article 35 par le propriétaire, et après que celui-ci ait été entendu en ses explications ou dûment appelé à les fournir dans un délai de quinze jours à compter du manquement constaté, le Ministre d'État peut exiger que le bien vacant soit proposé à la location. Le propriétaire est tenu de proposer le bien à la location dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision du Ministre d'État. (…). La méconnaissance des dispositions de l'article 35 par le propriétaire est en outre passible d'une sanction administrative, prononcée par le Ministre d'État, dont le montant ne peut excéder 50.000 euros. (…) Les sanctions administratives prévues aux deux alinéas précédents sont à régler à la Trésorerie Générale des Finances de la Principauté dans un délai de trois mois suivant la date de leur notification et portent intérêt au taux légal à l'expiration de ce délai. (…) »
8. Considérant que les requérants font valoir que l'appartement du deuxième étage gauche ayant déjà fait l'objet d'une déclaration de vacance le 10 février 2006, il ne saurait donner lieu à une nouvelle déclaration de vacance en application de l'article 4 précité ; que, toutefois, il est constant que le dit local, qui, en dépit de travaux de remise aux normes achevés en septembre 2009, n' a pas été offert à la location, était encore et toujours vacant au 1er janvier 2022 ; que, dans ces conditions, la circonstance invoquée ne saurait faire obstacle à l'application des dispositions combinées des articles 35 et 4 précités en vue d'exiger une nouvelle déclaration de vacance sous l'empire des dispositions désormais applicables ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le Ministre d'État s'est fondé sur l'article 4 de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 pour prononcer une amende administrative en vertu de l'article 37 susmentionné à raison de la méconnaissance de l'obligation de déclaration de vacance fixée par l'article 35 précité ;
10. Considérant, en second lieu, que pour infliger aux requérants une amende d'un montant de 10.000 euros par appartement soit un montant total de 20.000 euros, le Ministre d'État a relevé que, s'agissant des deux locaux susvisés situés dans l'immeuble sis rue Plati, les intéressés n'avaient pas satisfait à l'obligation de déclaration de vacance prévue à l'article 4 de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 alors qu'ils avaient été invités à le faire par la Direction de l'Habitat par des courriers en date du 9 mai 2022 et des 30 mars, 25 août et 11 octobre 2023 ;
11. Considérant que les sanctions instaurées par le législateur et prévues à l'article 37 de ladite loi ne sont pas manifestement disproportionnées mais il appartient néanmoins au Ministre d'État, lorsqu'il est appelé à sanctionner la méconnaissance par un propriétaire d'une des obligations énoncées à l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000, de tenir compte de l'ensemble des circonstances pertinentes, notamment du comportement du propriétaire, de la gravité du manquement, appréciée au regard de sa durée, de sa répétitivité et, le cas échéant, du montant de l'allocation compensatoire de loyer indûment perçue ainsi que, si ces éléments sont portés à sa connaissance, de la situation financière du propriétaire ; que les sanctions ainsi prononcées sur le fondement des dispositions précitées sont soumises au contrôle du juge de l'excès de pouvoir lequel vérifie la matérialité des faits reprochés, exerce un contrôle normal sur leur qualification juridique, vérifie le caractère proportionné de la sanction prononcée et, le cas échéant, peut l'annuler en tout ou partie ;
12. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les deux locaux litigieux qui étaient toujours vacants à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 n'ont pas fait l'objet d'une déclaration de vacance sous l'empire de la nouvelle législation applicable, les requérants ne pouvant, comme il a été dit plus haut, utilement se prévaloir de la déclaration de vacance faite le 10 février 2006, au demeurant pour un seul des logements en cause ; que cette méconnaissance des obligations fixées par l'article 35 était, au titre de chacun de ces logements, de nature à justifier l'application du régime de sanction prévu à l'article 37 de ladite loi à l'encontre des Hoirs B ; qu'alors que le montant légal maximum est fixé à 50.000 euros par manquement, l'autorité administrative a limité le montant de l'amende à 10.000 euros par logement ; qu'eu égard à l'ensemble des éléments de faits relevés par l'administration et compte tenu des circonstances de l'affaire ci-dessus rappelées, et alors même que les requérants n'auraient pas perçu d'allocation compensatoire et n'avaient pas fait l'objet jusqu'à présent de sanctions sur le fondement de l'article 37 précité, la sanction pécuniaire prononcée le 13 février 2024 à l'encontre des Hoirs B par le Ministre d'État ne revêt pas, en l'espèce, un caractère disproportionné ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que d.B, m B et c.B ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision du Ministre d'État du 13 février 2024 prononçant à leur encontre une amende de 20.000 euros et de la décision du Ministre d'État du 30 avril 2024 portant rejet de leur recours gracieux ;
Dispositif
Décide
Article 1er
La requête présentée par d.B, m B et c.B est rejetée.
Article 2
Les dépens sont mis à la charge de d.B, m B et c.B dont distraction au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation et seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.
Article 3
Les dépens sont mis à la charge de d.B, m B et c.B dont distraction au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation et seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.
Composition
Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Stéphane BRACONNIER, Président, José MARTINEZ, Vice-Président, rapporteur, Pierre de MONTALIVET, Philippe BLACHER et Didier GUIGNARD, membres titulaires ;
et prononcé le vingt-sept juin deux mille vingt-cinq en présence du Ministère public, par Monsieur Stéphane BRACONNIER, Président, assisté de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en chef.
Le Greffier en Chef, Le Président.
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