Visa
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière
Vu la requête présentée par la société J, enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 5 août 2024 sous le numéro TS 2024-19, tendant, en premier lieu, à l'annulation de l'arrêté ministériel n° 2024-427 du 23 juillet 2024 publié le 2 août 2024 en toutes ses dispositions, en deuxième lieu, à ordonner la publication du jugement à intervenir et sa transmission aux services du répertoire du commerce et de l'industrie et, en dernier lieu, à la condamnation de l'État de Monaco aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu que la société requérante expose qu'elle exploite l'activité de AC telle qu'elle est prévue et réglementée par la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016, dont l'Ordonnance Souveraine n° 6.271 du 13 février 2017 fixe les conditions d'application ; qu'elle y a été autorisée par arrêté ministériel n° 2017-719 en date du 28 septembre 2017 « portant autorisation et approbation des statuts de la société Anonyme Monégasque : J » ; que par courrier en date du 22 mai 2024, elle a fait l'objet d'une convocation en vue d'une réunion le 12 juin suivant devant la commission spéciale instituée par l'article 2 de la loi n° 767 du 8 juillet 1964 relative à la révocation des autorisations de constitution des sociétés anonymes et en commandite par actions ; que cette convocation était motivée par les deux griefs suivants : « d'une part, qu'elle exercerait des activités non autorisées au titre de son objet social et, dans ce cadre, qu'elle ne se livrerait donc pas à une activité conforme à ses statuts (article 4° de l'article 1er de la loi n° 767) et, d'autre part, que cette société aurait méconnu les dispositions légales ou règlementaires lui étant applicables en ne formulant pas, au moment opportun, les demandes ministérielles d'agrément, pourtant requises préalablement à toute cession d'actions réalisée par un AC, et ce, conformément à l'article 3 de la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016 portant création de l'activité de AC (6°de l'article 1er de la loi n° 767) » ; que la société après consultation de son dossier auprès des services de la Direction du Développement Économique a rédigé une note d'observation expliquant qu'aucun de ces deux griefs n'était caractérisé et ne justifiait en tout état de cause pas la sanction de révocation encourue ; que, pourtant, par arrêté ministériel du 23 juillet 2024, le Ministre d'État a prononcé la révocation de l'autorisation de constitution de la société J ;
Attendu qu'à l'appui de sa requête, la société J invoque, en premier lieu, l'erreur manifeste d'appréciation quant aux deux griefs retenus par la commission spéciale ; que l'avis rendu par la commission spéciale le 12 juin 2024 et sur la base duquel l'arrêté litigieux a été pris n'a pas été communiqué à la société ; que néanmoins il semble que les motifs retenus pour prendre l'arrêté sont ceux pour lesquels la société requérante a été convoquée par devant cette commission ; qu'aucun de ces deux griefs retenus comme motifs par le Ministre d'État n'est caractérisé, de sorte que la mesure de révocation relève d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Attendu que, d'une part, sur le motif relatif à l'exploitation non conforme à son activité par la société J, la société requérante fait valoir que la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016 dispose en son article 1er : « L'activité de AC au sens de la présente loi consiste à fournir, à titre de profession habituelle, des conseils et des services de nature patrimoniale et financière à des personnes physiques, à des familles ou à des entités juridiques appartenant à des personnes physiques ou à des familles ou dont elles sont fondatrices ou bénéficiaires » ; que le point a) précise ce qu'il faut entendre par « conseils et service de nature patrimoniale » : « - les conseils en matière patrimoniale, portant notamment sur la planification et l'organisation patrimoniale, le suivi administratif et financier d'un patrimoine ; - la coordination des prestataires de services extérieurs au AC intervenant en relation avec un patrimoine, le suivi ou l'évaluation de leurs performances » ; que le c) de l'article 1 définit « l'entité juridique » : «Toute société, toute personne morale ou toute construction juridique telle que notamment les fondations, les fiducies, les trusts, qui appartient directement ou indirectement à une ou plusieurs personnes physiques ou à une famille ou dont elles sont fondatrices ou bénéficiaires. Ne sont pas visées par la présente loi les activités de family office entre membres d'une seule famille à titre privé » ; que, conformément à cette règlementation, l'objet social de société énoncé à l'article 4 de ses statuts est : « La fourniture de conseils et de services de nature patrimoniale à des personnes physiques à des familles ou à des entités juridiques appartenant à des personnes physiques ou à des familles ou dont elles sont fondatrices ou bénéficiaires. Et plus généralement, toutes opérations commerciales, immobilières et financières se rattachant directement au présent objet social » ; que l'activité exercée par la société est conforme à cet objet social ; que, par ailleurs, l'activité de AC est obligatoirement constituée sous forme de Société Anonyme Monégasque la soumettant de fait annuellement au contrôle de la conformité de son objet social sur l'ensemble de la comptabilité, de ses données financières et sa documentation juridique par deux commissaires aux comptes nommés, tenus d'établir, selon l'article 35 de la loi n° 408 du 20 janvier 1945 complétant l'ordonnance sur les sociétés anonymes et en commandite par actions, du 5 mars 1895, notamment en ce qui concerne la nomination, les attributions et la responsabilité des commissaires, sous leur responsabilité, une attestation en double exemplaire, dans laquelle, entre autres, sont mentionnés : « l'approbation ou le rejet, par l'assemblée générale, du bilan et du compte pertes et profits », mais également « l'indication que l'activité de la société est conforme à celle pour l'exercice de laquelle sa constitution a été autorisée » ; que la société a ainsi clôturé pas moins de cinq exercices comptables au cours desquels les experts-comptables ont systématiquement établi annuellement ladite attestation qui indique que l'activité de la société est conforme à son objet social ; que la consultation du dossier au sein de la Direction du Développement Économique, en vue de l'audition devant la commission spéciale prévue le 12 juin 2024, révéla qu'il comportait certaines informations erronées sur la base desquelles l'administration et la commission spéciale ont conclu que la société aurait eu une activité étrangère à son objet ; que, pourtant, les services de la Direction Économique ont également contrôlé, à six reprises, l'activité de la société et aucun des contrôles n'a donné lieu, après la réception des éléments demandés, à une demande de régularisation ou un constat d'infraction ; qu'enfin la société requérante dans sa note d'observation versée aux débats et communiquée à la commission spéciale démontre le caractère erroné de ce premier motif ;
Attendu que, d'autre part, sur le motif relatif au respect des formalités imposées par la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016, la société requérante fait valoir que le contrôle opéré par la Direction du Développement Économique ayant justifié sa convocation devant la commission spéciale a conclu à un grief d'irrégularité de formalités dans le cadre des dossiers de modifications en cours de vie sociale déposés par la société requérante ; que, cependant, la Direction du Développement Économique elle-même est en charge de recevoir les éléments permettant le respect de sa règlementation, des autorisations, de l'instruction et du suivi administratif des dossiers de demande de création et de modifications d'activités économiques ; que par ailleurs, en cours d'exercice, le contrôle des modifications apportées à une SAM valablement constituée est assuré par le Répertoire du Commerce et de l'Industrie, administration d'État, qui s'assure que toutes les formalités légales de création, d'autorisation d'exercer et de publicité ont été réalisées ; qu'en l'occurrence, toutes les formalités ont été accomplies et ce nécessairement au vu et au su de la Direction du Développement Économique qui a, à chaque modification, certifié, modifié et enregistré l'extrait EBIS ; que l'activité de AC est soumise aux règles régissant les sociétés anonymes, mais y déroge sur deux points, touchant au renforcement des conditions d'accès des actionnaires et des personnes physiques ayant le pouvoir de diriger ou d'administrer à des conditions d'honorabilité et de compétences et à la condition d'agrément délivré par décision du Ministre d'État à tout changement d'actionnaire, de dirigeant ou d'administrateur ; que tout administrateur devant être actionnaire, il est prévu entre autres formalités l'établissement d'un acte de cession de parts remis à la Direction du Développement Économique si la cession de parts donne lieu à un agrément du Ministre d'État ou à une déclaration, l'obligation, en l'absence de dispositions légales, d'être nommé conformément aux dispositions statutaires et d'accepter expressément le mandat accordé par l'organe délibérant ; qu'au cours de l'exercice social, sont intervenus uniquement deux changements ; que la société anonyme monégasque est une société de capitaux, composée au minimum de deux actionnaires ; qu'elle est administrée par des administrateurs pris parmi les actionnaires et propriétaires d'un nombre d'actions déterminé par les statuts ; que la règlementation applicable au multi family rappelle en son article 3 de la loi n° 1.439 : « … les actionnaires et les personnes physiques ayant le pouvoir de diriger ou d'administrer la société, doivent satisfaire à des conditions de compétence professionnelle et de moralité définies par ordonnance souveraine. Tout changement d'actionnaire, de dirigeant ou d'administrateur est, à peine de révocation de l'autorisation de constitution de la société dans les conditions fixées par la loi n° 767 du 8 juillet 1964, modifiée, subordonné à l'obtention d'un agrément préalable délivré par décision du Ministre d'État. Nonobstant les dispositions particulières des précédents alinéas, la société de AC demeure soumise aux règles régissant les sociétés anonymes » ; que pour le premier changement d'administrateur et actionnaire en la personne de s.AG, la société a fait appel à un cabinet d'expertise comptable, qui a confirmé que les formalités telles qu'elles sont réalisées permettent de remplir les obligations, et notamment celles de l'article 3 de la loi n°1.439 ; que s.AG répond aux conditions d'honorabilité et de compétences prévues à l'Ordonnance Souveraine n°6.271 du 13 février 2017 susvisée ; que le 28 septembre 2020, une demande d'inscription modificative, accompagnée des pièces nécessaires et conformes aux formalités relatives à l'agrément du Ministre d'État, à savoir le formulaire S2, a été déposée auprès de la Direction de l'Expansion Économique par le cabinet AD ; que le 30 septembre 2020, la demande d'inscription a été contresignée par la Direction de l'Expansion Économique avec la mention idoine : « le directeur de l'expansion économique atteste la conformité des déclarations ci-dessus avec les pièces justificatives produites et procède à l'inscription de la mention demandée » ; que le 2 octobre 2020, la société obtenait l'établissement d'un nouveau EBIS, opposable aux tiers, avec la mention, déclarée conforme, du changement d'administrateur et donc d'actionnaire ; que le second changement d'administrateur et actionnaire a concerné la société civile particulière AB ; que le 14 septembre 2023, une demande d'inscription modificative a été déposée auprès de la Direction du Développement Économique, accompagnée comme précédemment de l'ensemble des documents déposés conformément aux formalités relatives à l'agrément du Ministre d'État ; que le 18 septembre 2023, la demande d'inscription a été contresignée par la Direction du Développement Économique avec la même mention que lors du précédent changement quant à l'attestation de conformité des déclarations ; que cette modification a fait l'objet de l'établissement d'un nouveau EBIS ; que les formalités et modifications réalisées par la société ont été effectuées en avisant la Direction du Développement Économique de l'ensemble des informations et justificatifs afférents soumis à agrément du Ministre d'État ; qu'aussi, l'objet de l'agrément ministériel, à savoir la vérification des conditions d'honorabilité et de compétence, a nécessairement été vérifié, l'ensemble des pièces en justifiant faisant partie du dossier de demande d'autorisation déposé à la Direction du Développement Économique ; que l'ensemble des formalités imposées par les textes a donc toujours été respecté par la société requérante ;
Attendu que, en deuxième lieu, la société requérante relève que l'arrêté contesté a été rendu au visa de l'avis de la commission spéciale du 12 juin 2024 mais que cet avis ne lui a jamais été communiqué ; qu'elle est donc en difficulté dans le cadre du présent recours pour faire valoir ses droits et contester une décision dont la motivation se résume au visa d'un avis dont elle ignore les termes ; que le principe du contradictoire n'a donc pas été respecté tandis que l'arrêté n° 2024-427 du 23 juillet 2024 ne repose sur aucune motivation connue ;
Attendu que, en troisième lieu, la société requérante soutient que l'arrêté litigieux méconnaît le principe de sécurité juridique ; qu'en effet, depuis 2019, l'activité de la société a donné lieu à plusieurs contrôles de l'activité et sur pièces ; que jamais aucune alerte, demande d'explication ou mise en demeure des autorités de contrôle ne lui a été adressée sur les griefs tels qu'ils ont été visés lors de la commission spéciale et tels qu'ils permettent de fonder l'arrêté contesté ; que l'ensemble des dossiers portant sur les changements d'actionnaire et d'administrateur visés dans la présente procédure ont été valablement communiqués et enregistrés comme précédemment indiqué auprès des services compétents ; que les dossiers déposés auprès de la Direction du Développement Économique comme préalable à l'agrément ministériel, ont pu, sur contrôle de conformité de ladite administration, faire l'objet d'une modification d'EBIS, déclarée conforme par le Répertoire du Commerce et de l'Industrie ; que ces divers constats interrogent principalement à l'égard du principe de sécurité juridique consacré par la décision du Tribunal Suprême du 29 novembre 2018, qui implique qu'il ne soit pas porté une atteinte excessive aux situations contractuelles en cours et protège la confiance légitimement placée dans la non mutabilité de certains actes juridiques de l'État ; qu'il a pour corollaire le principe de confiance légitime, qui implique qu'une personne publique, dont les actes ou paroles sont contradictoires, puisse assumer les conséquences de ces contradictions sans que cela ne soit au détriment des citoyens ou acteurs économiques en cause ; que la société J pouvait légitimement attacher toute sa confiance en les différents organes de contrôles et en leur aval ; que l'arrêté litigieux encourt l'annulation compte tenu du fait que le motif ayant permis de prendre une telle décision de révocation est le résultat de la violation du principe de sécurité juridique ;
Attendu que, en quatrième lieu, la société requérante soutient que l'arrêté ministériel contesté viole le principe de proportionnalité de la sanction administrative ; que si l'article 1er de la loi n° 767 du 8 juillet 1964 prévoit les cas de révocation par arrêté des autorisations ministérielles de constitution, l'application des textes se veut aussi conforme à la règle de proportionnalité de la sanction notifiée à l'ampleur et la gravité des manquements allégués ; qu'en l'espèce, les deux griefs dont il est expliqué qu'ils ne sont pas caractérisés ne permettent pas de justifier de l'application légale et proportionnelle d'une sanction de révocation d'autorisation de constitution ;
Vu la contre-requête enregistrée au Greffe Général le 7 octobre 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la condamnation de la société requérante aux entiers dépens ;
Attendu que, en premier lieu, le Ministre d'État soutient que l'autorité administrative n'a commis ni d'erreur de fait ni d'erreur manifeste d'appréciation en retenant que la société requérante ne se livrerait pas à une activité conforme à ses statuts ; que les éléments invoqués quant aux contrôles obligatoires, des commissaires aux comptes, de la Direction du Développement Économique et leurs absences de suite, ou encore la note d'observation explicative déposée devant la commission spéciale n'établissent pas l'absence de fondement du grief quant à une activité non conforme à ses statuts ; qu'il ressort, au contraire, du procès-verbal de la commission spéciale du 12 juin 2024 que dix-sept des factures et lettres de mission transmises par la société à l'administration ont fait apparaître que cette société exerçait les activités suivantes : l'assistance personnelle, la tenue de rendez-vous bancaires, l'assistance comptable, des prestations afférentes aux sociétés civiles, notamment la constitution et plus généralement l'élaboration d'actes administratifs et juridiques, la gérance de sociétés ; que la société ne conteste pas les exercer ; qu'aucune ne relève de l'objet social d'un AC ; qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016, la mission principale des AC est de structurer le patrimoine et de gérer les actifs de leurs clients ; qu'ils exercent donc une activité entièrement consacrée à la gestion du patrimoine ; que d'ailleurs l'objet social de la société J énonce « La fourniture de conseils et de services de nature patrimoniale à des personnes physiques à des familles ou à des entités juridiques appartenant à des personnes physiques ou à des familles ou dont elles sont fondatrices ou bénéficiaires. Et plus généralement, toutes opérations commerciales, immobilières et financières se rattachant directement au présent objet social » ; qu'il résulte de la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016 que l'activité autorisée à la requérante se limite au conseil et à la coordination avec les prestataires de services, et ne s'étend pas à la fourniture de telles prestations de service ; qu'ainsi les activités listées dans les dix-sept factures n'entrent pas dans l'objet social de la société J ainsi défini, contrairement à ce qu'elle soutient ;
Attendu que, en second lieu, le Ministre d'État soutient qu'il n'a commis ni d'erreur de fait ni d'erreur manifeste d'appréciation quant au motif tiré de la méconnaissance par la société, dans l'exercice de son activité autorisée, des dispositions législatives ou réglementaires qui lui sont applicables ; que l'affirmation de la société selon laquelle l'ensemble des formalités de constitution et de modification réalisées ont donné lieu à une information diffusée au notaire et à l'administration est inopérante au regard des prescriptions fixées par l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016 ; que la société fait certes valoir que les deux changements d'administrateurs et d'actionnaires ont été portés à la connaissance de la Direction du Développement Économique qui a été rendue destinataire des demandes d'inscription modificatives et que le directeur du Développement Économique a attesté « la conformité des déclarations avec les pièces justificatives produites » et procédé « à l'inscription de la mention demandée » et avoir été destinataire de deux nouveaux EBIS ; que, selon la société, ces éléments établiraient que la vérification des conditions d'honorabilité et de compétences des nouveaux actionnaires et administrateurs, qui constituerait l'objet de l'agrément du Ministre d'État prévu par l'article 3 précité de la loi n° 1.439 susvisée, aurait été nécessairement effectué ; qu'au contraire, cette argumentation établit que les deux changements n'ont pas respecté la règle posée par le texte tenant à ce que tout changement d'actionnaire, de dirigeant ou d'administrateur soit précédé de la délivrance d'un agrément par décision du Ministre d'État « à peine de révocation de l'autorisation de constitution de la société » ; qu'au surplus, la commission spéciale a proposé de révoquer l'autorisation accordée à la société requérante, non seulement sur la base des 4° et 6° de l'article 1er de la loi n°767 susvisée, mais également, alors même qu'un cumul de motifs n'est pas requis, en raison de l'existence d'une suspicion légitime quant à la moralité professionnelle de cette société, alors que l'activité qu'elle exerce est soumise à des conditions d'honorabilité et est assujettie à la loi n° 1.362 du 3 août 2009 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive et la corruption ;
Attendu que, en troisième lieu, le Ministre d'État soutient que ne sont pas fondés les moyens tirés du défaut de motivation de l'arrêté attaqué et de méconnaissance du principe du contradictoire soulevés par la société dans la mesure où l'avis de la commission spéciale ne lui a pas été communiqué ; que l'arrêté attaqué a été notifié à la société requérante par lettre recommandée du 1er août 2024 ; que celle-ci indiquait la teneur des irrégularités relevées par la commission spéciale et précisait que ces irrégularités constituaient des cas de révocation de son autorisation d'exercice en application du 4° et du 6° de l'article 1er de la loi n° 767 susvisée ; qu'elle l'informait qu'en conséquence « il a été considéré que le non-respect des dispositions susmentionnées constitue un cas de révocation de l'autorisation de constitution de la société » ; qu'ainsi la société a bien été informée des motifs de la révocation de son autorisation de constitution ; qu'en outre, selon l'article 4 alinéa 2 de la loi n° 767, « L'avis [que la commission spéciale] doit émettre est pris à la majorité des voix des membres présents, la voix du président étant prépondérante en cas de partage. Cet avis doit être expressément visé dans l'arrêté ministériel révoquant l'autorisation ; il sera communiqué aux représentants de la société sur leur demande » ; que la société pouvait donc solliciter la communication de cet avis et qu'il suffisait de la demander ; que, cependant, la société s'en est abstenue ; qu'elle ne peut donc affirmer qu'elle n'aurait pas connaissance des griefs qui lui sont reprochés et que le principe du contradictoire aurait été méconnu ; qu'en toute hypothèse, le procès-verbal de la séance de la commission spéciale du 12 juin 2024, qui a déjà été produit dans le cadre des procédures de référé et de sursis à exécution précitées, est versé aux débats ;
Attendu que, en quatrième lieu, le Ministre d'État soutient que c'est à tort que la société affirme que l'arrêté ministériel attaqué méconnaîtrait le principe de sécurité juridique et le principe de confiance légitime dans la mesure où l'administration n'a pas attiré son attention sur les irrégularités relevées par la commission spéciale avant d'adopter cet arrêté ; que selon la jurisprudence du Conseil d'État français, le principe de sécurité juridique et son corollaire le principe de protection de la confiance légitime ne sauraient avoir été méconnus si l'administration n'a porté à la connaissance de l'administré aucune information ayant pu lui laisser supposer qu'elle avait décidé de renoncer à adopter une mesure qu'elle est en droit de prendre ; qu'il n'y a violation du principe de confiance légitime que si l'administration a fourni des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, conformes aux normes applicables et de nature à faire naître une attente légitime ; que la violation du principe de confiance légitime ne peut être invoquée lorsque la position envisagée par l'administration est illégale ; qu'en toute hypothèse, l'administration ne pouvait légalement renoncer à faire application de la loi n° 767 précitée, de sorte que l'espérance dont se prévaut la société requérante ne présentait pas un caractère légitime ; qu'elle ne peut ainsi utilement soutenir qu'en adoptant l'arrêté attaqué, le Ministre d'État aurait violé le principe de sécurité juridique ;
Attendu que, en cinquième lieu, le Ministre d'État soutient que doit être écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des sanctions administratives dès lors que les griefs reprochés ne justifieraient pas la révocation de l'autorisation de constitution ; qu'en effet, l'arrêté ministériel n° 2024-427 de révocation de l'autorisation de constitution accordée à la société J ne constitue pas une sanction, mais une mesure de police administrative destinée à faire obstacle à ce qu'une société anonyme ou une société en commandite par actions puisse demeurer en activité alors qu'elle ne remplit plus les conditions légales et règlementaires en vigueur ; qu'en toute hypothèse, si l'arrêté devait être considéré comme prononçant une sanction, il ne pourrait méconnaître le principe de proportionnalité des sanctions administratives, l'article 1er de la loi n° 767 ne prévoyant pas, dans les situations visées, d'autres mesures que la révocation d'autorisation de constitution de société ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 7 novembre 2024, par laquelle la société J conclut aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;
Attendu que, en premier lieu, la société requérante maintient qu'aucun des deux griefs retenus par la commission spéciale n'est caractérisé et que l'arrêté de révocation est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Attendu que, tout d'abord, elle soutient qu' aucune explication ne permet d'exclure les missions réalisées par la société requérante de son objet social tel que défini par la loi n° 1.439 en son article 1er ; que la loi n'a pas défini de façon limitative ou exhaustive l'objet sur lequel peut porter le ou les « conseils et services de nature patrimoniale » ; qu'aussi il peut s'agir tantôt de la fourniture de conseils, tantôt de la coordination de prestataires de services extérieurs au AC ; que la première mission n'est pas exclusive de l'autre, et inversement ; que l'activité de la société J s'est toujours limitée à une prestation de conseil et/ou de service de nature patrimoniale telle qu'elle est définie par le texte susvisé ; qu'il est avancé à tort que la société requérante, en conseillant et accompagnant ses clients dans leurs démarches aurait outrepassé son rôle et se serait substituée à ces prestataires; que le grief de non-conformité de l'activité de la requérante se cristallise autour de cinq missions ; qu'ainsi dans le cadre de sa mission d'assistance personnelle, l'activité de la société consiste à fournir des conseils et des services de nature patrimoniale à des familles et que lorsque la société assiste à un rendez-vous auprès d'un professionnel, elle assure son rôle de conseil et/ou dans le cadre du suivi et/ou en lien avec la coordination des professionnels impliqués ; que, concernant la tenue des rendez-vous bancaires, la présence à un tel rendez-vous avec un professionnel répond au rôle défini par la loi de conseil, de suivi administratif et de coordination conforme à l'objet du AC ; qu'au sujet de l'assistance comptable, il n'a jamais été question pour la requérante de réaliser des missions comptables, la société J mettant en relation et assurant la coordination avec le professionnel désigné par la famille ; qu'au sujet des prestations afférentes aux sociétés civiles, c'est dans le cadre de son objet social défini par la loi n° 1.439 susvisée que la société requérante délivre un conseil en matière patrimoniale, notamment lorsqu'il s'agit d'identifier la société civile comme la structure la plus adaptée aux objectifs et souhaits de la famille ; que la constitution de la société identifiée nécessitera un conseil adapté dans sa structuration, puis un suivi administratif au quotidien durant son existence, outre la coordination des professionnels intervenants sur le patrimoine détenu ; que lorsque la société J est désignée comme adresse de domiciliation, il s'agit de faciliter le suivi qu'elle offre à ses familles et à leurs structures, conformément à l'activité qui résulte de son objet social ; qu'en ce qui concerne la gérance de sociétés, les articles 1670 et suivants du Code civil rappellent que la gérance de la société civile peut être assurée par une personne physique ou morale, qu'a contrario la gérance de société de nature commerciale est impossible pour une société ;
Attendu qu'ensuite, la société requérante fait valoir que, concernant les formalités et modifications réalisées durant la vie de la société J, rien n'a été fait ou acté sans aviser la Direction du Développement Économique de l'ensemble des informations et justificatifs afférents et réclamés, soumis à agrément du Ministre d'État ; que par ailleurs, selon le dispositif de l'article 35 de la loi n° 408 du 20 janvier 1945, le Ministre d'État est informé annuellement, par l'attestation adressée par les administrateurs ou les gérants, de la composition de l'actionnariat et de l'administration de la société ; qu'ainsi, depuis la constitution de la société J, bien qu'avisé, le Ministre d'État n'a jamais soulevé ou interpellé la société requérante quant à la moindre difficulté de procédure ou de formalité ; que, pourtant, il en avait la capacité et le pouvoir, en vertu de l'article 51-7 du Code de commerce ;
Attendu que, en deuxième lieu, la société requérante ajoute qu'au cours de la procédure un nouveau grief est apparu au soutien de l'arrêté dont l'annulation est sollicitée et que la violation du contradictoire est donc manifestement établie ; qu'en effet, la règle du contradictoire s'applique à toute procédure, qu'elle soit civile, pénale ou administrative, y compris devant un organe administratif et en l'espèce la commission spéciale constituait la seule instance auprès de laquelle la société aurait pu faire valoir sa position préalablement à la décision de retrait de son autorisation d'exercer ; que c'est seulement à la lecture de la contre-requête produite par l'État, le 10 septembre 2024, soit plus d'un mois après la publication de l'arrêté contesté, dans le cadre de la procédure de référé suspension introduite par la société requérante, qu'elle a observé qu'un motif d'annulation était évoqué alors même qu'il avait été ignoré de la société tout au long de la procédure de révocation ; que ce motif visé comme étant une « suspicion légitime quant à la moralité professionnelle de la société » n'avait jamais été exposé jusqu'alors, ni dans le cadre de la convocation devant la commission spéciale tenue le 12 juin 2024 ni dans la notification en date du 1er août 2024 de l'arrêté de révocation ; qu'ainsi, à l'issue de la réunion, la commission spéciale a invoqué, alors que les représentants de la société J n'étaient plus présents, un nouveau motif, mentionné dans le procès-verbal de réunion du 12 juin 2024 et fondant également la décision de révocation, puisque l'État de Monaco s'en saisit dans le cadre de sa contre-requête sur le fond ; que ce motif semble en lien avec le respect des dispositions de la loi n°1.362 du 3 août 2009 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive et la corruption (dite « loi LCB/FTC ») ; que la société s'est conformée à l'ensemble de cette règlementation durant sa vie sociale ; qu'elle a été le premier AC à adhérer à l'AE ; que la société d'expertise comptable BFM Experts, dans le cadre de son audit sur les procédures issues de la loi n° 1.362 précitée en vigueur dans la société J, a attesté que les procédures et le dispositif « LCB-FT-P-C mis en place par la société sont complets » ; que, dès lors, si tant est que le Tribunal Suprême retienne ce motif comme valablement opposé à la société et régulièrement invoqué au soutien de l'arrêté contesté, ledit motif n'est ni caractérisé ni matériellement établi ;
Attendu que, en troisième lieu, la société requérante soutient que l'administration a méconnu le principe du contradictoire et les dispositions de l'article 4 alinéa 2 de la loi n° 767 du 8 juillet 1964 précitée selon lesquelles l'avis de la commission spéciale doit être communiqué aux représentants de la société sur leur demande ; que, dès le 5 août 2024, une demande écrite de communication de l'avis était déposée par la société requérante auprès des services du Ministre d'État ; que cet avis n'avait pas, et n'est toujours pas, à la date de la réplique, communiqué à la société requérante alors que la loi l'exige ce qui constitue à l'évidence une violation du principe du contradictoire ;
Attendu que, en quatrième lieu, la société requérante fait valoir le principe de sécurité juridique qui exige que les règles de droit appliquées et applicables soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu'elles peuvent avoir des conséquences défavorables sur les individus et les entreprises ; que ceux-ci peuvent se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime lorsqu'ils se trouvent dans une situation de laquelle il ressort que l'autorité compétente, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître des espérances fondées ; que d'une part, les divers contrôles dont la requérante a fait l'objet, sans générer la moindre observation, ont pu créer au bénéfice de la société J l'espérance légitime que son activité et ses modalités d'exercice étaient valablement contrôlées et surveillées, confiance légitimement attachée en les différents organes de contrôle représentant l'État ; que d'autre part, la situation faisant grief a reçu l'aval notamment des services des administrations, émanations de l'État de Monaco ; que les dossiers de formalités critiqués ont été déposés auprès de la Direction du Développement Économique comme préalable à l'agrément ministériel, et ont pu, sur contrôle de conformité de ladite administration, à l'issue, faire l'objet d'une modification d'EBIS, déclaré conforme par le répertoire du Commerce et de l'industrie de Monaco ; que la mesure de révocation a donc violé le principe de sécurité juridique ;
Attendu que, en cinquième lieu, la société requérante soutient que la mesure de révocation méconnaît le principe de proportionnalité de la sanction administrative ; qu'en admettant que l'arrêté de révocation contesté ne soit pas une sanction comme le prétend l'État de Monaco, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une décision administrative faisant grief ; que la requérante est recevable à exposer qu'à une telle décision elle aurait pu voir s'y substituer une mesure de mise en demeure ou une demande de régularisation, si tant est qu'un motif d'irrégularité avéré et matériellement établi eût été caractérisé par l'État ; que le Ministre d'État dispose d'une telle possibilité en vertu de l'article 51-7 du Code de commerce ; qu'il est disproportionné de prononcer une mesure de révocation d'autorisation de constitution ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 10 décembre 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;
Attendu que, en premier lieu, le Ministre d'État soutient que la décision n'est pas entachée d'erreur de fait ni d'erreur manifeste d'appréciation s'agissant du motif relatif à l'exercice d'une activité non conforme à l'objet social ; que tout d'abord, les activités de la société ne relèvent pas de l'activité de conseil, puisqu'elles se traduisent par la réalisation d'actes exécutifs, et ne relèvent pas davantage de la coordination de prestataires extérieurs au AC, puisque réalisées par la société J elle-même ; qu'ensuite, si la société affirme veiller à ne pas se substituer aux différents prestataires de services qui interviennent, elle n'en justifie pas ; que, concernant les prestations afférentes aux sociétés civiles, l'activité d'élaboration d'actes administratifs et juridiques au profit de sociétés civiles ne relève ni de l'activité de conseil ni de celle de coordination de prestataire de services ; que l'argument selon lequel l'activité de gérance de sociétés serait ouverte à une société de AC selon les dispositions des articles 1670 et suivants du Code civil est infondé car cette activité de gérance ne relève pas de celles que la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016 assigne de manière limitative aux entreprise de AC ; qu'enfin, l'absence de relevés d'irrégularités par l'administration pendant une période ne faisait pas obstacle à ce qu'elle tirât des conséquences des irrégularités mises en évidence ;
Attendu que, en deuxième lieu, le Ministre d'État soutient qu'il n'a commis ni erreur de fait ni erreur manifeste d'appréciation quant au motif tiré de la méconnaissance des dispositions législatives ou règlementaires qui lui sont applicables ; que la réaffirmation de la société requérante selon laquelle les formalités de constitution et de modification qu'elle a réalisées ont donné lieu à une information auprès de l'administration est inopérante ; que les contrôles exercés par les services administratifs sur la société requérante depuis le début de son activité se sont limités à la régularité des formalités administratives qu'elle a réalisées, notamment à la vérification de l'adéquation entre ses déclarations et les pièces justificatives qu'elle y a annexées et n'ont pas porté sur le respect de l'obligation de solliciter l'agrément ministériel prévu à l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi n° 1.439 précitée ; que selon la société, la non mise en oeuvre par le Ministre d'État des dispositions de l'article 51-7 du Code de commerce imposerait de considérer qu'il aurait été procédé à la vérification des conditions d'honorabilité et de compétence des nouveaux actionnaires et administrateurs, laquelle constituerait l'objet de l'agrément prévu par l'article 3 de la loi n° 1.439 susvisée ; que cette affirmation manque par le fait qui lui sert de base ; que les alinéas 1er et 2 de l'article 51-7 ne régissent pas la situation d'une société qui exerce l'activité de AC et qui a procédé à un changement d'actionnaire, de dirigeant ou d'administrateur sans avoir préalablement sollicité l'agrément du Ministre d'État que prévoit l'alinéa 2 de l'article 3 de la loi n° 1.439 susvisée ;
Attendu que, en troisième lieu, le Ministre d'État fait valoir, à propos de l'apparition d'un nouveau motif d'annulation en cours de procédure et la méconnaissance du principe du contradictoire, que ce moyen est inopérant ; que si la commission spéciale a proposé d'ajouter comme motif de révocation de l'autorisation accordée à la société J « la suspicion légitime de l'Administration quant à la moralité professionnelle de l'intéressée… », l'arrêté ministériel contesté ne retient que les deux premiers motifs constitués par, d'une part, le chiffre 4 de l'article 1er de la loi n° 767 du 8 juillet 1964, sur l'« activité non conforme à ses statuts » et, d'autre part, le chiffre 6 du même article, sur la méconnaissance « des dispositions législatives ou réglementaires qui lui sont applicables dans l'exercice de son activité autorisée » ;
Attendu que, en quatrième lieu, le Ministre d'État soutient que doit être écarté le moyen tiré du défaut de motivation et de la violation du principe du contradictoire ; que l'avis de la commission spéciale du 12 juin 2024 a été communiqué à la société requérante à deux reprises, d'une part, le 9 septembre 2024 à l'appui de la contre-requête déposée dans le cadre de la procédure de sursis à exécution introduite devant le Président du Tribunal Suprême à l'encontre de l'arrêté n° 2024-427 et, d'autre part, le 7 octobre 2024 à l'appui de la contre-requête dans le cadre de la présente procédure au fond ; qu'elle le détenait déjà le 7 novembre 2024, date du dépôt de sa réplique ; qu'au surplus la lettre de notification de l'arrêté du 23 juillet 2024 en date du 1er août 2024 indique les motifs sur lesquels se fonde cet arrêté ; que la société ne saurait sérieusement affirmer qu'elle n'aurait pas été mise en mesure de faire valoir ses droits ;
Attendu que, en cinquième lieu, le Ministre d'État soutient que doit être écarté le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique ; qu'il a été établi que la société J ne peut se prévaloir d'aucune assurance émanant de l'administration qui manifesterait sa volonté de renoncer à tirer les conséquences des irrégularités constatées ; qu'une telle renonciation aurait été en toute hypothèse irrégulière ; que, pour ce qui concerne le grief tiré de sa méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires qui lui sont applicables dans le cadre de l'exercice de son activité autorisée, les contrôles exercés par tous les services administratifs sur les formalités accomplies se limitaient à un examen de recevabilité, et le cas échéant de régularité formelle, acté par les publications effectuées au Journal de Monaco et par les inscriptions modificatives opérées au répertoire du commerce et de l'industrie, lesquelles ne valent pas constat de conformité règlementaire des formalités concernées ;
Attendu que, en dernier lieu, le Ministre d'État précise que c'est à tort que la société requérante soutient que, s'il devait être admis que l'arrêté contesté est une mesure de police administrative, l'article 51-7 du Code de commerce permettait au Ministre d'État de se borner à la mettre en mesure de régulariser sa situation ; que ce texte ne régit que le dépôt au service du répertoire du commerce et de l'industrie, par les sociétés commerciales autres que les sociétés par actions, de certains documents comptables ; qu'au cas présent, ce texte n'est donc pas applicable ;
SUR CE,
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu la loi n° 408 du 20 janvier 1945 complétant l'ordonnance sur les sociétés anonymes et en commandite par actions, du 5 mars 1895, notamment en ce qui concerne la nomination, les attributions et la responsabilité des commissaires ;
Vu la loi n° 767 du 8 juillet 1964 relative à la révocation des autorisations de constitution des sociétés anonymes et en commandite par actions ;
Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;
Vu la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016 portant création de l'activité de AC ;
Vu l'Ordonnance Souveraine du 5 mars 1895 sur les sociétés anonymes et en commandite par actions ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 6.271 du 13 février 2017 fixant les conditions d'application de la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016 portant création de l'activité de AC ;
Vu l'Arrêté Ministériel n°2017-719 du 28 septembre 2017 portant autorisation et approbation des statuts de la société anonyme monégasque dénommée « J » ;
Vu l'Ordonnance du 13 août 2024 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Didier GUIGNARD, membre titulaire, comme rapporteur ;
Vu l'Ordonnance de référé rejetant la requête rendue le 25 septembre 2024 (TS2024-20) ;
Vu l'Ordonnance ordonnant le sursis à exécution de l'arrêté ministériel n°2024-427 du 23 juillet 2024 publié le 2 août 2024 rendue le 1er octobre 2024 (TS2024-21) ;
Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en chef en date du 13 janvier 2025 ;
Vu l'Ordonnance du 7 février 2025 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal le 25 mars 2025 ;
Ouï Monsieur Didier GUIGNARD, membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;
Ouï Maître s.AG, avocat au barreau de Nice pour la société J ;
Ouï Maître Jacques MOLINIÉ, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;
Ouï le Procureur Général en ses conclusions ;
La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;
Motifs
Après en avoir délibéré
1. Considérant que la société J demande l'annulation de l'arrêté ministériel n° 2024-427 du 23 juillet 2024, publié le 2 août 2024, prononçant la révocation de l'autorisation de constitution qui lui avait été accordée par arrêté ministériel n° 2017‑719 du 28 septembre 2017 ;
Sur le cadre juridique applicable au litige
* 2. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016 portant création de l'activité de AC : « L'activité de AC est subordonnée à l'obtention préalable d'une autorisation administrative, laquelle, délivrée par arrêté ministériel, ne peut être consentie, à l'exclusion des établissements de crédit, qu'à des sociétés anonymes monégasques dans les conditions prévues, selon les cas, aux articles 3 ou 4. L'autorisation de constitution de la société anonyme porte alors la mention « AC » laquelle est également intégrée dans la dénomination de la société » ;
* 3. Considérant que l'exigence d'une autorisation comporte nécessairement, pour l'autorité qui accorde cette autorisation, le pouvoir de l'abroger ou la retirer lorsque le titulaire cesse de remplir les conditions mises à son octroi ou à son exercice ; que si l'article 1er de la loi n° 767 du 8 juillet 1964 relative à la révocation des autorisations de constitution des sociétés anonymes et en commandite par actions ne qualifie pas la nature de l'arrêté ministériel de révocation de l'autorisation de constitution de société anonyme et en commandite par actions, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que l'autorité compétente pour délivrer une autorisation de constitution de société anonyme et en commandite par actions, puisse, dans un but préventif, afin de préserver l'ordre public économique, retirer cette autorisation dans les cas où les conditions requises pour sa délivrance ne sont plus remplies ; que les mesures de révocation prises sur le fondement de l'article 1er de la loi n° 767 du 8 juillet 1964, lesquelles visent à abroger l'autorisation de constitution des sociétés anonymes et en commandite par actions précédemment accordée, peuvent ainsi légalement revêtir le caractère soit d'une mesure de police administrative, soit d'une sanction administrative infligée dans un but répressif ; que, dès lors, contrairement à ce que soutient la société requérante, la révocation de l'autorisation de constitution dont elle fait l'objet ne revêt pas, en l'espèce, eu égard à ses motifs et sa finalité, le caractère d'une sanction ayant le caractère de punition mais doit être regardée comme une mesure de police administrative ;
Sur les conclusions à fin d'annulation
En ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée
* 4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs : « Doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives à caractère individuel qui : 1° - restreignent l'exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police ; (…) 3° - refusent une autorisation ou un agrément ; (…) 5° - retirent ou abrogent une décision créatrice de droits (…) » ; que le premier alinéa de l'article 2 de la même loi précise que « la motivation doit être écrite et comporter, dans le corps de la décision, l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement » ; que, si l'arrêté litigieux se borne à viser l'avis motivé donné par la commission spéciale au cours de sa séance du 12 juin 2024, la lettre du 1er août 2024 par laquelle le Ministre d'État notifie cette décision à la société requérante rappelle les textes applicables et lui fait connaître les deux motifs sur lesquels repose la décision de révocation ; que, par suite, le moyen tiré de ce que cette décision serait entachée de défaut de motivation doit être écarté ;
* 5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 2 de la loi n° 767 du 8 juillet 1964 : « L'autorisation de constitution ne peut être révoquée qu'après avis motivé d'une commission spéciale qui est composée et procède ainsi qu'il est dit aux articles 3 et 4 » ; que l'article 4 de la même loi précise : « Cet avis doit être expressément visé dans l'arrêté ministériel révoquant l'autorisation ; il sera communiqué aux représentants de la société sur leur demande » ; que, si cette dernière disposition prévoit la communication à la société intéressée de l'avis de cette commission spéciale, elle n'exige pas que cette communication se fasse avant la prise de la décision en cause ; que, par suite, le défaut de communication de cet avis, lequel peut au demeurant être contesté dans le cadre de la procédure contentieuse, comme l'a d'ailleurs fait la société requérante, n'entache pas la décision attaquée d'irrégularité ;
* 6. Considérant, en troisième lieu, que si la commission spéciale prévue par la loi n° 767 du 8 juillet 1964 a proposé un troisième motif pour fonder la révocation de l'autorisation de constitution alors que la convocation devant elle ne portait que sur deux motifs, le Ministre d'État ne l'a pas retenu ; que, par suite, la décision n'est pas entachée d'irrégularité sur ce point ;
En ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée
* 7. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 3 de la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016 portant création de l'activité de AC : « Lorsque l'objet de la société de AC exclut les activités relevant des chiffres 3° et 4° de l'article premier de la loi n° 1.338 du 7 septembre 2007, modifiée, les actionnaires et les personnes physiques ayant le pouvoir de diriger ou d'administrer la société, doivent satisfaire à des conditions de compétence professionnelle et de moralité définies par ordonnance souveraine./ Tout changement d'actionnaire, de dirigeant ou d'administrateur est, à peine de révocation de l'autorisation de constitution de la société dans les conditions fixées par la loi n° 767 du 8 juillet 1964, modifiée, subordonné à l'obtention d'un agrément préalable délivré par décision du Ministre d'État./ Nonobstant les dispositions particulières des précédents alinéas, la société de AC demeure soumise aux règles régissant les sociétés anonymes » ; qu'il résulte de ces dispositions que l'autorisation d'exercer l'activité de AC est accordée intuitu personae et ne peut être étendue à une tierce personne sans que l'administration ait préalablement délivré un agrément reconnaissant la compétence professionnelle et la moralité de cette tierce personne ;
* 8. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 767 du 8 juillet 1964 : « Sans préjudice des dispositions légales en vigueur, les autorisations de constitution des sociétés anonymes et en commandite par actions, accordées en vertu de l'ordonnance du 5 mars 1895, peuvent être révoquées par arrêté ministériel, lorsque : (…) 4° la société ne se livre pas à une activité conforme à ses statuts ; (…) 6° dans l'exercice de son activité autorisée, la société a méconnu les dispositions législatives ou réglementaires qui lui sont applicables » ;
* 9. Considérant, en premier lieu, que la société requérante n'a été autorisée qu'à fournir des conseils et services de nature patrimoniale, à savoir comme le précise l'article 1er de la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016, des « conseils en matière patrimoniale, portant notamment sur la planification et l'organisation patrimoniale, le suivi administratif et financier d'un patrimoine » et « la coordination des prestataires de services extérieurs au AC intervenant en relation avec un patrimoine, le suivi ou l'évaluation de leurs performances » ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle propose des activités d'assistance personnelle des clients et d'assistance comptable ou de gérance de sociétés ainsi que des prestations de constitution, de domiciliation ou d'élaboration d'actes administratifs et juridiques, qui vont au-delà des conseils en patrimoine et de la coordination d'autres prestataires de services intervenant en relation avec un patrimoine ; qu'il s'ensuit que le premier motif retenu par la décision attaquée n'est pas entaché d'illégalité ;
* 10. Considérant, en deuxième lieu, que l'arrêté ministériel n° 2017‑719 du 28 septembre 2017 a autorisé la société requérante à se constituer et a approuvé ses statuts tels que résultant de l'acte en brevet en date du 20 juillet 2017 en prévoyant, à son article 4, que « toute modification aux statuts susvisés devra être soumise à l'approbation du Gouvernement » ; que cet acte du 20 juillet 2017 mentionne les trois membres fondateurs, à savoir e.F, c.D et j.H ; que, lors de l'assemblée générale constitutive du 16 février 2018, deux nouveaux actionnaires ont été intégrés, la SARL AF et a.A, laquelle est devenue administratrice à l'instar des trois membres fondateurs ; que, le 6 avril 2018, e.F a cédé ses parts à a.A ; que, le 3 janvier 2019, j.H a également cédé ses parts à a.A ; que, le 25 septembre 2020, s.AG a acquis 150 actions ; que, le 30 août 2023, a.A a cédé 150 actions à la SCP AB qu'elle détient à 99,99 % ; qu'ainsi, à la date de la décision attaquée, le capital de la société appartenait à a.A à hauteur de 99,98 %, à s.AG à hauteur de 0,1 % et à la SCP AB à hauteur de 0,1 % ;
* 11. Considérant que, si le Ministre d'État indique que la société requérante n'a jamais sollicité d'agrément préalablement aux changements d'actionnaires, de dirigeants ou d'administrateurs mentionnés au point précédent, et en particulier a.A, s.AG et la SCP AB, la société requérante fait valoir qu'elle a systématiquement informé l'administration de ces changements en procédant aux formalités requises par le répertoire du commerce et d'industrie et qu'elle dispose donc des agréments exigés par la loi ; que, toutefois, l'enregistrement d'une société au répertoire du commerce et d'industrie ainsi que des modifications de certaines informations la concernant a pour principal objet de rendre l'existence de cette société ainsi que ces modifications opposables aux tiers et ne saurait se substituer aux formalités relevant de législations ou de réglementations indépendantes ; qu'à supposer même que l'accomplissement de telles formalités puisse être assimilé à une demande d'agrément, celle-ci ne présenterait pas un caractère préalable comme exigé par l'article 3 de la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016 et n'aurait pu donner lieu, en l'absence de décision expresse, qu'à une décision implicite de rejet en application de l'article 14 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 ; qu'il s'ensuit que le second motif retenu par la décision attaquée n'est pas entaché d'une erreur de fait ;
* 12. Considérant, en troisième lieu, que la société requérante soutient que l'arrêté contesté contreviendrait au principe de sécurité juridique tel que consacré par la jurisprudence du Tribunal Suprême ; que, toutefois, les textes législatifs applicables en l'espèce ne souffrent d'aucune ambiguïté et n'ont fait l'objet d'aucune modification depuis l'autorisation accordée en 2017 ; que, si l'administration a procédé à certains contrôles sans relever d'irrégularités, il ne lui appartenait pas de renoncer à en tirer les conséquences à la suite de l'avis de la commission spéciale qui a confirmé leur existence ; que, par suite, le moyen susmentionné ne peut qu'être écarté ;
* 13. Considérant, en quatrième lieu, qu'eu égard au caractère intuitu personae de l'autorisation accordée et à son champ d'application limité, la société requérante n'est pas fondée, en tout état de cause, à soutenir que la mesure prononcée contre elle et qui découle de l'application de la loi serait disproportionnée ;
* 14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté ministériel n° 2024-427 du 23 juillet 2024 prononçant la révocation de son autorisation de constitution ;
Sur les conclusions à fin d'injonction
* 15. Considérant qu'à supposer même que la société requérante ait entendu que le Tribunal Suprême fasse état de sa décision directement auprès des services du répertoire du commerce et de l'industrie en vue de son exécution, il n'appartient pas au Tribunal Suprême d'adresser des injonctions à l'administration ; que dès lors, ces conclusions ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
La requête de la société anonyme monégasque J est rejetée.
Article 2
Les dépens sont mis à la charge de la société anonyme monégasque J, avec distraction au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur, sous sa due affirmation et seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.
Article 3
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Composition
Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs José MARTINEZ, Vice-Président, Philippe BLACHÈR, Pierre de MONTALIVET, Didier GUIGNARD, rapporteur, Membres titulaires, Monsieur Régis FRAISSE, Membre suppléant,
Et prononcé le neuf avril deux mille vingt-cinq en présence du Ministère public, par Monsieur Stéphane BRACONNIER, Président, assisté de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en chef.
Le Greffier en Chef,
Le Vice-Président
^