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09/04/2025 | MONACO | N°TS/2024-10

Monaco | Tribunal Suprême, 9 avril 2025, SARL K c/ État de Monaco, TS/2024-10


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LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par la SARL K, en abrégé « K », enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 21 mars 2024 sous le numéro TS 2024-10, tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 4 août 2023 du Ministre d'État portant retrait de la décision du 30 juin 2023 par laquelle il avait initialement accepté sa demande de modification de l'activité qu'elle était autorisée à exercer à Monaco, ensemble de la décision implicite de r

ejet de son recours gracieux contre la décision du 4 août 2023 et, d'autre part, à la condamnatio...

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LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par la SARL K, en abrégé « K », enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 21 mars 2024 sous le numéro TS 2024-10, tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 4 août 2023 du Ministre d'État portant retrait de la décision du 30 juin 2023 par laquelle il avait initialement accepté sa demande de modification de l'activité qu'elle était autorisée à exercer à Monaco, ensemble de la décision implicite de rejet de son recours gracieux contre la décision du 4 août 2023 et, d'autre part, à la condamnation de l'État de Monaco à lui verser la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi ainsi qu'aux entiers dépens ;

CE FAIRE :

Attendu que la société requérante expose que, par décision du 22 janvier 2022, ses deux associés ont été autorisés à exercer une activité économique à Monaco ; que, le 25 avril 2023, elle a souhaité modifier son objet social ; que, par lettre du 5 juin 2023, la Direction du Développement Économique lui indiquait que sa demande risquait d'être rejetée et lui demandait si elle entendait la maintenir, ce qu'elle a fait par lettre du 20 juin 2023 ; que, par décision du 30 juin 2023, elle a été autorisée à modifier son objet social ; que, par suite, la décision du 4 août 2023, qui lui refuse une telle modification, s'analyse en un retrait de celle du 30 juin 2023 ;

Attendu qu'à l'appui de sa requête, la société requérante soutient, en premier lieu, que la décision du 4 août 2023 est insuffisamment motivée en droit et en fait ; qu'en particulier, elle ne mentionne pas la décision d'autorisation qui a été rendue le 30 juin 2023 ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'elle fait valoir que l'Administration a commis une erreur de droit en instruisant une demande d'autorisation de modification d'objet social alors qu'elle a rendu une décision de retrait d'autorisation de modification d'objet social ;

Attendu, en troisième lieu, qu'elle soutient que la décision du 4 août 2023 n'a pas été prise dans le respect de la procédure spécifique prévue par les articles 9 et 10 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 ; qu'en effet, un tel retrait exigeait que le bénéficiaire de l'autorisation soit entendu en ses explications et qu'une commission soit réunie ; que cette situation contrevient au principe de sécurité juridique qui doit trouver sa place dans tout État de droit ;

Attendu, en quatrième lieu, qu'elle ajoute que la décision du 4 août 2023 est entachée d'une erreur de fait dès lors qu'elle fait uniquement référence à la demande d'autorisation de modification d'objet social et refuse celle-ci pour des motifs d'intérêt général et de sur-représentation de l'activité de plomberie alors que l'autorisation avait déjà été accordée ;

Attendu, en dernier lieu, qu'elle soutient que le refus de modification de son objet social est disproportionné par rapport aux faits dès lors que cette modification lui est indispensable pour le développement de son activité ; qu'en effet, l'installation des boîtiers Acquaprocess implique la modification, la restructuration des installations existantes par le remplacement de matériel adapté à ces nouvelles technologies innovantes et écologiques ; que la modification statutaire avait pour objet de lever toute ambiguïté et non de créer une nouvelle activité de plomberie et d'entrer en concurrence avec les entreprises monégasques existantes ;

Vu la contre-requête enregistrée au Greffe Général le 15 mai 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Attendu, en premier lieu, que le Ministre d'État soutient que la décision attaquée du 4 août 2023 est suffisamment motivée en ce qu'elle rappelle tout d'abord qu'en vertu de l'article 5 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991, l'exercice de certaines activités économiques et juridiques par des personnes physiques de nationalité étrangère est subordonné à l'obtention d'une autorisation administrative ; que, dans ce cadre, l'autorité administrative a la faculté, au titre de son pouvoir d'appréciation, de décider s'il convient ou non d'accorder l'autorisation sollicitée, en considération de motifs d'intérêt général ; qu'en l'espèce, la décision précise que l'activité de plomberie est considérée comme suffisamment représentée sur le territoire de la Principauté, dans la mesure où vingt-trois entités sont d'ores et déjà autorisées à l'exercer ; que la circonstance que la décision ne fait pas référence à la décision d'autorisation précédemment accordée le 30 juin 2023 est inopérante, une décision administrative pouvant retirer implicitement une autorisation antérieure ;

Attendu, en deuxième lieu, que le Ministre d'État fait valoir que l'Administration a la possibilité de procéder au retrait d'une décision administrative au moyen de l'adoption d'une nouvelle décision, contraire à la précédente, avant l'expiration du délai de recours contentieux ; que l'Administration n'a donc commis aucune erreur de droit en procédant à une nouvelle instruction de la demande d'autorisation et en la rejetant, par une nouvelle décision, le 4 août 2023, soit avant l'expiration du délai de recours contentieux contre l'autorisation accordée le 30 juin 2023 ;

Attendu, en troisième lieu, que le Ministre d'État soutient que l'hypothèse visée par les articles 9 et 10 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 est celle de l'abrogation pour l'avenir d'une autorisation antérieurement accordée, au vu d'une modification des circonstances ayant permis la délivrance de cette autorisation, et non du retrait d'une autorisation dans le délai de recours contentieux ; qu'en outre, le principe de sécurité juridique n'a pas été méconnu, le retrait de l'autorisation administrative du 30 juin 2023 étant intervenu avant l'expiration du délai de recours contentieux, soit avant que cette autorisation soit devenue définitive ;

Attendu, en quatrième lieu, que le Ministre d'État expose que, si la décision du 4 août 2023 emporte retrait de l'autorisation du 30 juin 2023, elle le fait par voie de conséquence, l'Administration s'étant, par cette décision, à nouveau prononcée sur la demande d'autorisation présentée par la SARL K le 25 avril 2023 ;

Attendu, en cinquième lieu, que le Ministre d'État soutient que la décision attaquée n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que la modification demandée allait au-delà de l'installation des boîtiers Acquaprocess et lui permettait de créer une activité de plomberie et ainsi d'entrer en concurrence avec les entreprises monégasques de plomberie existantes ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 13 juin 2024, par laquelle la SARL K conclut aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu, en outre, que la requérante fait valoir, en premier lieu, que la décision du 4 août 2023 n'a pas retiré une décision implicite d'autorisation mais une décision expresse de l'Administration, laquelle aurait donc dû être mentionnée dans la décision attaquée ;

Attendu, en deuxième lieu, que la requérante soutient qu'une décision créatrice de droits ne peut être retirée par l'Administration que si elle est illégale ; que le retrait d'une telle décision ne saurait être décidé de manière discrétionnaire par l'Administration ; qu'en l'espèce, la décision d'autorisation du 30 juin 2023 n'était pas illégale ; qu'il n'a d'ailleurs jamais été démontré ni même évoqué que la décision d'autorisation du 30 juin 2023 était illégale ;

Attendu, en troisième lieu, que la requérante maintient que la décision du 4 août 2023 emporte expressément révocation de l'autorisation délivrée le 30 juin 2023 ;

Attendu, en dernier lieu, que la requérante maintient qu'il n'était pas question pour elle d'être autorisée à exercer une activité de plomberie mais d'être autorisée à réaliser des prestations d'installations sanitaires en lien avec les technologies innovantes et l'installation des boîtiers Acquaprocess ; que l'Administration a dès lors interprété de manière erronée sa demande et a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 8 juillet 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu, en premier lieu, que le Ministre d'État fait valoir que, si la société requérante soutient que l'exercice de son activité n'était pas susceptible de porter atteinte à l'ordre public économique de la Principauté, elle ne l'établit pas ; qu'au contraire, des motifs d'intérêt général s'opposaient à la délivrance de l'autorisation qu'elle sollicitait dès lors que l'activité de plomberie est suffisamment représentée sur le territoire monégasque, avec vingt-trois entités autorisées à l'exercer, de sorte que la délivrance d'une nouvelle autorisation d'exercice de cette activité était de nature à nuire à l'ordre public économique propre à la Principauté ;

Attendu, en second lieu, que le Ministre d'État maintient qu'une décision administrative créatrice de droits peut être retirée avant l'expiration du délai de recours contentieux si elle est entachée d'illégalité et ajoute que, lorsque ces deux conditions sont remplies, le retrait de la décision en cause ne porte pas atteinte à une situation légalement acquise ou à des effets qui peuvent légitimement en être attendus ;

SUR CE,

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques ;

Vu l'Ordonnance du 3 avril 2024 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Régis FRAISSE, Membre suppléant, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 17 juillet 2024 ;

Vu l'Ordonnance du 7 février 2025 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 24 mars 2025 ;

Ouï Monsieur Régis FRAISSE, Membre suppléant du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Philippe-Bernard FLAMANT, avocat au barreau de Nice, pour la SARL K ;

Ouï Maître François MOLINIE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Monsieur le Premier Substitut du Procureur Général en ses conclusions ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Motifs

Après en avoir délibéré

Sur les conclusions à fin d'annulation :

1. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques : « Les activités artisanales, commerciales, industrielles et professionnelles peuvent être exercées, à titre indépendant, dans les conditions prévues par la présente loi, à l'exception des activités ou des professions dont l'accès est déjà soumis à autorisation » ; qu'aux termes de son article 5 : « L'exercice des activités visées à l'article premier par des personnes physiques de nationalité étrangère est subordonné à l'obtention d'une autorisation administrative. (…) / (…) L'autorisation, délivrée par décision du Ministre d'État, détermine limitativement les activités qui peuvent être exercées, les locaux où elles seront déployées et mentionne, s'il y a lieu, les conditions de leur exercice. / L'autorisation est personnelle et incessible. / Toute modification des activités exercées ou tout changement de titulaire de l'autorisation initiale ou tout changement de locaux doit faire l'objet d'une nouvelle autorisation délivrée dans les formes et conditions prévues aux deux alinéas précédents » ;

2. Considérant que, par arrêté du 12 janvier 2022, le Ministre d'État a autorisé d.C et f.D à exercer, en qualité de gérant associé et d'associée de la SARL K, l'activité correspondant alors aux statuts de cette société ; qu'à la suite d'une modification de ces statuts par l'assemblée générale extraordinaire des associés du 25 avril 2023, il les a autorisés, par arrêté du 30 juin 2023, à exercer l'activité résultant de cette modification ; que, toutefois, par un nouvel arrêté du 4 août 2023, il leur a refusé l'autorisation d'exercer cette nouvelle activité ; que l'arrêté du 4 août 2023 doit donc être regardé comme ayant retiré l'autorisation accordée le 30 juin 2023 ;

3. Considérant que, sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires contraires et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l'administration ne peut retirer une décision individuelle créatrice de droits que si elle est illégale et dans le délai de recours contentieux ;

4. Considérant que le Ministre d'État soutient que la décision du 30 juin 2023 était entachée d'illégalité au motif que la modification de ses statuts par la société permettait à ses associés de créer une activité de plomberie, laquelle est suffisamment représentée sur le territoire monégasque dans la mesure où vingt-trois entités ont déjà été autorisées à l'exercer, et ainsi d'entrer en concurrence avec les entreprises monégasques de plomberie existantes ;

5. Considérant toutefois qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'autorisation délivrée le 30 juin 2023 aux associés de la société requérante était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; que, par suite, la décision du 4 août 2023 qui retire cette décision créatrice de droits est entachée d'illégalité ; qu'il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, la société requérante est fondée à demander son annulation ainsi que celle de la décision implicite rejetant son recours gracieux ;

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

* 6. Considérant qu'ayant obtenu l'annulation pour excès de pouvoir des décisions qu'elle contestait, la société requérante est recevable, sur le fondement du 1° du B de l'article 90 de la Constitution, à demander l'indemnisation du préjudice qu'elle a subi ; que, dans les circonstances de l'espèce, elle est fondée à demander à ce que l'État de Monaco lui verse la somme d'un euro symbolique en réparation de son préjudice moral ;

Dispositif

Décide :

Article 1er

La décision du 4 août 2023 par laquelle le Ministre d'État a retiré sa décision du 30 juin 2023 par laquelle il avait autorisé les associés de la SARL K en abrégé K, à exercer l'activité résultant des statuts modifiés de cette société, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre la décision du 4 août 2023 sont annulées.

Article 2

L'État de Monaco est condamné à verser à la SARL K en abrégé K, la somme d'un euro.

Article 3

Les dépens sont mis à la charge de l'État, avec distraction au profit de Maître Christophe BALLERIO,. avocat-défenseur, sous sa due affirmation et seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Article 4

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Stéphane BRACONNIER, Président, José MARTINEZ, Vice-Président, Pierre de MONTALIVET, Philippe BLACHÉR, Membres titulaires, Régis FRAISSE, rapporteur, Membre suppléant ;

et prononcé le neuf avril deux mille vingt-cinq en présence du Ministère public, par Monsieur Stéphane BRACONNIER, assisté de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef.

Le Greffier en Chef,

Le Président,

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2024-10
Date de la décision : 09/04/2025

Analyses

Limitation légale d'activité professionnelle


Parties
Demandeurs : SARL K
Défendeurs : État de Monaco

Références :

articles 9 et 10 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991
article 90 de la Constitution
Vu la Constitution
article 5 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991
loi n° 1.144 du 26 juillet 1991
article 1er de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991
Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2025-04-09;ts.2024.10 ?

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