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09/04/2025 | MONACO | N°TS/2024-09

Monaco | Tribunal Suprême, 9 avril 2025, m H c/ État de Monaco, TS/2024-09


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LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par m H, enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 11 mars 2024 sous le numéro TS 2024-09, tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 27 avril 2022 du Ministre d'État prononçant la suspension de m H de ses fonctions de Directeur-Adjoint au sein de la Direction de l'Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports ; d'autre part, de la décision implicite née du silence gardé par le Ministre d'État sur sa

demande du 18 septembre 2023 tendant à mettre fin à cette mesure ; en dernière part, à ce ...

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LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par m H, enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 11 mars 2024 sous le numéro TS 2024-09, tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 27 avril 2022 du Ministre d'État prononçant la suspension de m H de ses fonctions de Directeur-Adjoint au sein de la Direction de l'Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports ; d'autre part, de la décision implicite née du silence gardé par le Ministre d'État sur sa demande du 18 septembre 2023 tendant à mettre fin à cette mesure ; en dernière part, à ce qu'il soit enjoint au Ministre d'État de réintégrer m H ainsi qu'à sa condamnation aux entiers dépens ;

CE FAIRE :

Attendu que m H expose qu'elle occupe les fonctions de Directeur-Adjoint au sein de la Direction de l'Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports, depuis le 2 janvier 2014 ; que, par lettres recommandées avec avis de réception des 22 mars et 8 avril 2022, le Ministre d'État l'a informée avoir saisi l'Inspection Générale de l'Administration (IGA) aux fins d'instruction de plusieurs signalements déposés à son encontre conformément à la Circulaire n°2021-001 du 17 juin 2021 relative à la procédure de signalement dans le cadre de la lutte contre le harcèlement et la violence au travail ; que le 14 avril 2022, le Chef de l'IGA a recommandé l'adoption des mesures conservatoires nécessaires eu égard, d'une part, au nombre de personnes ayant procédé à un signalement et à la teneur des éléments portés à sa connaissance s'agissant des agissements reprochés à m H et, d'autre part, à la nécessité de préserver le bon fonctionnement de la Direction de l'Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports ; que, par une décision du 27 avril 2022, notifiée à m H, le Ministre d'État l'a suspendue de ses fonctions de Directeur-Adjoint, à compter de la fin de son congé de maladie, intervenue le 2 août 2022 ; que, par courrier du 18 septembre 2023, m H a demandé au Ministre d'État de lever la suspension de fonctions dont elle faisait l'objet ; que m H a formé un recours en annulation devant le Tribunal Suprême contre la décision implicite de rejet de cette demande, née du silence gardé par le Ministre d'État pendant un délai de quatre mois, ensemble contre la décision du 27 avril 2022 de suspension de ses fonctions de Directeur-Adjoint ;

Attendu qu'à l'appui de sa requête, m H soutient que la décision de refus est entachée d'illégalité en ce qu'elle laisse perdurer une décision de suspension infondée, en l'absence d'urgence, d'utilité et de faute grave ; que, en premier lieu, simple mesure conservatoire, une décision de suspension d'un fonctionnaire constitue une mesure provisoire qui ne peut être prononcée qu'en cas de faute grave ; qu'elle doit être nécessaire et répondre à une situation d'urgence ; qu'alors que m H était en arrêt maladie au moment où la décision a été prise, cette dernière était inutile, dépourvue d'urgence et d'utilité ; qu'en outre, aucune faute grave ne pouvait être reprochée à m H à cette date, car, d'abord, les faits reprochés ne sont pas précisés, ensuite, cette suspension se fonde sur des faits qui ressortent d'une note blanche anonyme et, enfin, les plaintes ont été sollicitées par Madame A, supérieure hiérarchique de m H, à l'origine de l'alerte ;

Attendu, en deuxième lieu, toujours selon m H, que la décision attaquée serait entachée d'erreur de droit, en ce qu'elle ne lèverait pas une mesure fondée sur l'article 43 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État qui méconnaîtrait lui-même, d'une part, le principe d'intelligibilité et de prévisibilité de la loi, ainsi que le droit à un procès équitable qui résultent de l'article 6, § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée et familiale qui résulte de l'article 8 de la même Convention ; que cette méconnaissance résulterait, d'abord, de l'absence de la limitation de la durée de la suspension qui peut être prononcée, ce qui priverait m H de visibilité quant à cette durée et, également, de la possibilité de contester la mesure de suspension, en raison de sa durée excessive, ce qui la priverait de son droit d'accès à un tribunal pour contester la mesure et la placerait dans une situation de soumission totale à l'arbitraire du Ministre de tutelle ; que le délai de deux mois dans lequel la mesure de suspension peut être contestée ne permet pas de la considérer comme excessive, d'autant moins qu'elle ne comporte aucune indication quant à sa durée ; que cette méconnaissance résulterait, ensuite, de ce que la mesure de suspension de fonctions dont elle a fait l'objet l'aurait indéfiniment privée de l'exercice de sa profession et de tout lien social, ce qui caractériserait une violation des stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la Cour européenne des droits de l'homme retenant que la notion de « vie privée » n'exclut pas, par principe, les activités de nature professionnelle ; que le refus de réintégration porte une atteinte manifestement excessive aux conditions d'existence de l'intéressée qui se trouve depuis plus de 19 mois, de façon parfaitement illégale, dans une situation d'isolement relationnel et intellectuel, privée de ses relations professionnelles et de l'exercice de sa profession, ce qu'attesterait un certificat médical du Docteur AA ;

Attendu, en troisième lieu, encore selon m H, que la première décision attaquée serait entachée d'illégalité en ce qu'elle ne mettrait pas fin à un détournement de procédure ou de pouvoir, résultant de la seconde décision attaquée, laquelle, du fait de sa durée, doit s'analyser en une sanction déguisée ; que l'exclusion temporaire de plus de 19 mois ne figure pas parmi les sanctions disciplinaires prévues par l'article 41 de la loi du 12 juillet 1975, alors que la durée excessive de la suspension lui retirerait tout caractère provisoire et manifeste l'existence d'une sanction déguisée, laquelle a été adoptée en méconnaissance des règles relatives au droit disciplinaire, m H n'ayant pas eu accès à son dossier, le principe du contradictoire n'ayant pas été respecté et le conseil de discipline n'ayant pas été saisi préalablement à la décision du Ministre d'État ;

Vu la contre-requête enregistrée au Greffe Général le 13 mai 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la condamnation de la requérante aux entiers dépens ;

Attendu, en premier lieu, que le Ministre d'État soutient que la requête, en ce qu'elle est dirigée contre la décision du 27 avril 2022, est irrecevable, faute d'avoir été introduite dans le délai de deux mois prévu par l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême et qu'elle est donc tardive ;

Attendu, en deuxième lieu, que le Ministre d'État soutient que l'article 43 de la loi du 12 juillet 1975 n'impose pas, pour qu'une suspension puisse légalement être prononcée, que la faute grave imputée au fonctionnaire en cause soit établie, mais qu'il suffit que les faits qui lui sont imputés apparaissent vraisemblables et graves et qu'elle soit destinée à éviter un risque de trouble dans le fonctionnement du service ; qu'ainsi, une telle décision peut être prise lorsqu'un fonctionnaire est soupçonné de harcèlement au vu de signalements émanant d'autre agents car les faits de harcèlement moral sont susceptibles d'affecter la santé morale et physique des agents concernés et de mettre en cause gravement le fonctionnement du service, à la condition que ces faits présentent un degré suffisant de vraisemblance ; que tel était le cas en l'espèce, dès lors que les faits imputés à la requérante ont fait l'objet de cinq signalements émanant d'agents du service dont elle est le Directeur-Adjoint et que, compte tenu du nombre de signalements et de leur convergence, une enquête administrative a été confiée à l'IGA, conformément à la Circulaire n° 2021-001 du 17 juin 2021 relative à la procédure de signalement dans le cadre de la lutte contre le harcèlement et la violence au travail ;

Attendu, en troisième lieu, que le Ministre d'État fait valoir, d'une part, que l'article 43 de la loi du 12 juillet 1975 pose le principe selon lequel le fonctionnaire soupçonné d'avoir commis une faute grave peut être immédiatement suspendu « avant la consultation du conseil de discipline » et que c'est donc dans le cadre d'une procédure visant à infliger une sanction disciplinaire au fonctionnaire concerné que peut être adoptée une décision de suspension provisoire, qui produit effet jusqu'à la date à laquelle elle est révoquée ou jusqu'à celle à laquelle une décision est prise par l'autorité chargée du pouvoir disciplinaire ; que le fonctionnaire dispose ainsi d'une visibilité suffisante, étant précisé qu'il continue à bénéficier de son traitement et, que, si les conditions pour qu'une suspension soit prononcée sont remplies, c'est-à-dire si le fonctionnaire est soupçonné d'avoir commis une faute grave et s'il existe un risque de trouble dans le fonctionnement du service, il n'est pas anormal que la suspension produise effet jusqu'à l'expiration de la procédure disciplinaire ; que le droit à un procès équitable n'est pas méconnu, dès lors que le fonctionnaire suspendu a la possibilité de demander à l'administration d'abroger la décision de suspension s'il considère que cette mesure n'est plus justifiée et de déférer à la censure du Tribunal Suprême la décision de refus qui lui est éventuellement opposée, ce que fait m H dans le cadre de la présente procédure ; que, d'autre part, pour que la Cour européenne des droits de l'homme considère qu'il y a eu atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale dans le cadre d'activités professionnelles, le requérant doit établir de manière convaincante que le seuil de gravité a été atteint et doit définir et expliciter les répercussions concrètes de la mesure dénoncée sur sa vie privée, ainsi que la nature et l'étendue du préjudice subi par lui, et étayer adéquatement ses allégations, l'appréciation de l'atteinte à ce droit dépendant de l'ensemble des données de la cause, notamment de l'intensité et de la durée des nuisances ainsi que de leurs effets physiques ou mentaux ; qu'au cas présent, la décision de suspension prise à l'égard de m H le 27 avril 2022 présente un caractère temporaire, cette décision ne produisant effet qu'à compter de la date à laquelle son congé maladie a pris fin (le 3 août 2022) et jusqu'à l'issue de la procédure disciplinaire qui a été mise en oeuvre ; que les conditions pour que l'atteinte au droit au respect de la vie privée soit caractérisée ne sont pas remplies ;

Attendu, en quatrième lieu, que le Ministre d'État soutient que l'article 43 de la loi du 12 juillet 1975 n'impose pas, à peine d'irrégularité de la procédure disciplinaire, qu'une décision soit prise par l'autorité disciplinaire dans le délai de quatre mois suivant la prise d'effet de la suspension de l'agent concerné ; que la mesure de suspension peut donc continuer de produire effet tant que la procédure disciplinaire est en cours, sans perdre son caractère conservatoire et provisoire ; qu'il est constant que la procédure disciplinaire est en cours, le conseil de discipline s'étant réuni le 3 mai 2024 et que le détournement de procédure ou le détournement de pouvoir allégué n'est pas fondé ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 6 juin 2024, par laquelle m H tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu, en premier lieu, que la requérante ajoute que sa requête dirigée contre la décision du 27 avril 2022 est parfaitement recevable, en raison de l'inconventionnalité de l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963, qui méconnaîtrait le droit au recours effectif ; que l'article 6, § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique que le droit d'accès à un tribunal doit être concret et effectif et que, si ce droit souffre de limitations, telles que les délais légaux de péremption ou de prescription, ces dernières ne doivent pas restreindre son accès d'une manière ou à un point que ce droit se trouve atteint dans sa substance même, ces limitations devant être entourées de garanties pour le justiciable ; que l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963 n'impose pas à l'administration de mentionner les voies et délais de recours, ce qui empêche nécessairement le justiciable de se prévaloir d'une voie de recours en l'absence d'accessibilité, de clarté et de prévisibilité de la norme, ce qui est le cas de m H, laquelle n'était pas, à l'époque de la suspension, assistée par un avocat et n'a donc pas été mise en mesure par l'administration de connaître son droit d'exercer un recours contre cette décision devant un tribunal dans le délai relativement court dans lequel elle pouvait l'exercer, la privant ainsi de son droit à un recours effectif devant un tribunal ;

Attendu, en deuxième lieu, que la requérante ajoute, en ce qui concerne l'illégalité de la décision de refus tenant à ce qu'elle laisserait perdurer une décision de suspension infondée, en l'absence d'urgence, d'utilité et de faute grave, que la référente-harcèlement a méconnu les dispositions de l'article 5 de la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017 relative au harcèlement et à la violence au travail en ce qu'elle n'aurait pas consigné par écrit les faits qui lui étaient rapportés oralement par les plaignants, ce qui fragiliserait nécessairement l'authenticité et la sincérité des faits rapportés ;

Attendu, en troisième lieu, que la requérante invoque l'irrégularité de la recommandation de l'IGA, sur le fondement de laquelle le Ministre d'État s'est fondé pour prononcer la mesure de suspension, alors que l'IGA serait incompétente pour réaliser des missions d'enquête administrative portant sur un fonctionnaire, l'article 3 de l'Ordonnance Souveraine n° 3.410 du 16 août 2011 portant création de l'Inspection Générale de l'Administration ne prévoyant pas expressément cette compétence ;

Attendu, en quatrième lieu, que la requérante ajoute que la décision de refus de réintégration serait illégale en ce que la décision de suspension devait automatiquement prendre fin au terme d'un délai de quatre mois ; que l'article 43 de la loi du 12 juillet 1975, dans sa version en vigueur au moment où la décision de suspension de fonctions a été édictée, prévoyait, en son troisième alinéa, que « La situation du fonctionnaire suspendu doit être définitivement réglée dans un délai de quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet ; lorsqu'aucune décision n'est intervenue à l'échéance de ces quatre mois, l'intéressé reçoit à nouveau l'intégralité de son traitement, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales » ; que par la loi n° 1.527 du 7 juillet 2022, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, ce troisième alinéa a été modifié et prévoit désormais que « L'administration dispose d'un délai de quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet pour régler définitivement la situation du fonctionnaire suspendu ; lorsqu'aucune décision réglant cette situation n'est intervenue à l'échéance de ces quatre mois, l'intéressé, qui demeure suspendu, reçoit à nouveau l'intégralité de son traitement, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, et a droit en outre au remboursement des retenues opérées sur son traitement » ; que l'ajout exprès de la précision que, si la situation n'était pas réglée au terme d'un délai de quatre mois, le fonctionnaire concerné demeurait suspendu signifierait que la situation antérieure était différente et que, par conséquent, l'échéance du délai de quatre mois laissé à l'administration pour régler la situation impliquait la réintégration du fonctionnaire suspendu ;

Attendu, en cinquième lieu, que la requérante ajoute que la décision attaquée serait illégale en ce qu'elle méconnaîtrait le principe constitutionnel de sécurité juridique, également préservé par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que ce principe, qui découle de l'article 2 de la Constitution de Monaco, participe de la confiance légitime et s'applique aux actes administratifs unilatéraux ; que l'article 43 de la loi du 12 juillet 1975 lui serait contraire en ce qu'il ne prévoit pas de limitation maximale de la durée de la mesure de suspension, soumettant ainsi m H à l'arbitraire de l'autorité nationale, qui est le seul maître de la date à laquelle elle souhaite saisir l'IGA (qui ne dispose d'aucun délai pour rendre son rapport), ainsi que le Conseil de discipline (qui ne dispose pas non plus de délai pour statuer) et, après réception de son avis, pour prendre une décision (aucun délai ne s'imposant au Ministre d'État), ce qui permettrait de prolonger dans le temps la mesure de suspension de façon excessive ; que les décisions attaquées portent ainsi atteinte au principe de sécurité juridique et à la confiance légitime et sont donc inconstitutionnelles et inconventionnelles ;

Attendu, en sixième lieu, enfin, que la requérante ajoute, concernant le détournement de procédure ou de pouvoir constitué par le caractère de sanction déguisée que revêt la mesure de suspension de fonctions, qu'il résulterait de l'article 43 de la loi du 12 juillet 1975 qu'il est fait obligation au Ministre d'État de saisir le conseil de discipline dans un délai de quatre mois à compter de la prise d'effet de la suspension puisque, en principe, la situation du fonctionnaire doit être réglée dans ce délai ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 8 juillet 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu, en premier lieu, que le Ministre d'État ajoute, sur l'irrecevabilité du recours en ce qu'il est dirigé contre la décision du 27 avril 2022, que le Tribunal Suprême a déjà eu à se prononcer sur la compatibilité de l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963 avec l'article 6, § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en jugeant que le défaut d'obligation de mentionner dans les décisions administratives les voies de recours ne privait pas les requérants de leur droit de saisir le Tribunal Suprême dans les délais prévus, ce qui était conforme aux stipulations de l'article 6, § 1er ;

Attendu, en deuxième lieu, que le Ministre d'État ajoute que l'omission, par le référent-harcèlement, de certaines des règles procédurales prévues par les textes ne remet pas en cause la vraisemblance et la gravité des faits en cause, seule condition pour qu'une mesure de suspension de fonctions puisse être prononcée ;

Attendu, en troisième lieu, que le Ministre d'État indique qu'il ressort expressément de l'article 3 de l'Ordonnance Souveraine du 16 août 2011 que l'IGA peut être chargée de réaliser toute « enquête ponctuelle », ce qui la rend compétente pour procéder à l'instruction de signalements permettant de suspecter des faits de harcèlement, auprès des services de l'État ;

Attendu, en quatrième lieu, que le Ministre d'État ajoute que la modification de l'article 43 de la loi du 12 juillet 1975 par la loi du 7 juillet 2022 ne peut être interprétée comme instituant une nouvelle règle, mais seulement comme précisant celle posée par l'article 43 dans sa version en vigueur au moment où la décision de suspension a été prise ;

Attendu, en cinquième lieu, que le Ministre d'État ajoute, concernant la violation alléguée du principe de sécurité juridique, que la mesure de suspension dont un fonctionnaire peut faire l'objet présente un caractère conservatoire et n'est pas une sanction, son but étant d'éviter un risque de trouble dans le fonctionnement du service ; qu'elle peut être adoptée dès lors que les faits imputés au fonctionnaire en cause apparaissent vraisemblables et graves et sont susceptibles de constituer une faute grave, sans remettre en cause la situation du fonctionnaire suspendu, dès lors qu'elle est destinée à prendre fin lorsque la situation de ce dernier se trouve définitivement réglée ; qu'elle ne saurait donc méconnaître le principe de sécurité juridique ;

Attendu, en sixième lieu, que le Ministre d'État ajoute, concernant l'obligation qui lui serait faite de saisir le conseil de discipline dans un délai de quatre mois, que, dans l'hypothèse où une enquête doit être réalisée afin de permettre au conseil de discipline de disposer des éléments lui permettant de se prononcer sur le caractère fautif des faits reprochés à un fonctionnaire, ce conseil ne peut être saisi tant que l'enquête n'est pas achevée et, s'il était saisi avant l'établissement des conclusions de l'enquête, il ne pourrait se prononcer utilement sur la situation du fonctionnaire concerné ; qu'au demeurant, l'article 43 de la loi du 12 juillet 1975 ne prévoit pas que le conseil de discipline doit être saisi dans le délai de quatre mois qu'il fixe, mais uniquement que, si la situation de l'intéressé n'est pas réglée définitivement dans ce délai, ce dernier « reçoit à nouveau l'intégralité de son traitement, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales », ce délai étant ainsi destiné à préserver les intérêts financiers du fonctionnaire suspendu, sans lien avec les modalités de saisine du conseil de discipline ; que la requête devra être rejetée ;

SUR CE,

Vu les décisions attaquées ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 975 du 12 juillet 1975 modifiée portant statut des fonctionnaires de l'État ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'Ordonnance du 15 mars 2024 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Jean-Philippe DEROSIER, Membre suppléant, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 16 juillet 2024 ;

Vu l'Ordonnance du 7 février 2025 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 24 mars 2025 ;

Ouï Monsieur Jean-Philippe DEROSIER, Membre suppléant du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Marie LHÉRITIER, avocat au barreau de Paris, pour m H ;

Ouï Maître François MOLINIÉ, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Monsieur le Premier Substitut du Procureur Général en ses conclusions ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Motifs

Après en avoir délibéré

1. Considérant que m H demande au Tribunal Suprême l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, de la décision du Ministre d'État du 27 avril 2022 prononçant sa suspension de ses fonctions de Directeur-Adjoint au sein de la Direction de l'Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports ; d'autre part, de la décision implicite née du silence gardé par le Ministre d'État sur sa demande du 18 septembre 2023 tendant à mettre fin à cette mesure ; en dernière part, à ce qu'il soit enjoint au Ministre d'État de la réintégrer ;

Sur la recevabilité de la requête

* 2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 13 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême : « Sous réserve des dispositions de l'alinéa suivant, le délai du recours devant le Tribunal Suprême est, à peine d'irrecevabilité, de deux mois à compter, selon le cas, de la notification de la signification ou de la publication de l'acte ou de la décision attaquée » ; qu'il est constant que le recours contre la décision du 27 avril 2022 susvisée, enregistré au Greffe Général du Tribunal Suprême le 11 mars 2024, est tardif ; que, toutefois, m H soutient que ces dispositions méconnaissent le droit d'accès au juge garanti par l'article 6, § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

* 3. Considérant que l'article 13 alinéa 1er de l'Ordonnance n° 2.984 précité a notamment pour objet de concilier les exigences de la sécurité juridique avec celles d'une bonne administration de la justice ; qu'il respecte ainsi les prescriptions de l'article 6, § 1er susvisé ; que ni les dispositions de l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963, ni aucune autre disposition n'imposent qu'une décision administrative individuelle ou sa notification mentionne les voies et délais de recours contre cette décision ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient m H, l'absence de mention des délais de recours n'est pas de nature à rendre ces délais inopposables ; que la circonstance que la décision administrative produise des effets pendant plusieurs mois après son édiction est également sans incidence sur le point de départ du délai de recours contentieux ou son opposabilité ;

* 4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête, en ce qu'elle est dirigée contre la décision du Ministre d'État du 27 avril 2022, doit être déclarée irrecevable ;

Sur les conclusions à fin d'annulation

* 5. Considérant qu'aux termes de l'article 43 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État, dans sa version en vigueur au moment où la décision de suspension a été prise : « En cas de faute grave, qu'il s'agisse d'un manquement aux obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, le fonctionnaire peut, avant la consultation du conseil de discipline, être immédiatement suspendu par décision du Ministre d'État. / La décision prononçant la suspension doit, soit préciser que le fonctionnaire conserve, pendant le temps où il est suspendu, le bénéfice de son traitement, soit déterminer la quotité de la retenue qu'il subit, laquelle ne peut être supérieure à la moitié du traitement. / La situation du fonctionnaire suspendu doit être définitivement réglée dans un délai de quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet ; lorsqu'aucune décision n'est intervenue à l'échéance de ces quatre mois, l'intéressé reçoit à nouveau l'intégralité de son traitement, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales. / Si le fonctionnaire n'a subi aucune sanction ou n'a été l'objet que d'un avertissement ou d'un blâme ou si, à l'expiration du délai de quatre mois, l'administration n'a pu statuer sur son cas, l'intéressé a droit au remboursement des retenues opérées sur son traitement. / Toutefois, lorsque le fonctionnaire est l'objet de poursuites pénales, sa situation n'est définitivement réglée qu'après que la décision rendue par la juridiction saisie est devenue définitive » ;

* 6. Considérant qu'une mesure de suspension prise en application de ces dispositions est une mesure provisoire et conservatoire ayant pour but d'éviter un risque de trouble dans le fonctionnement du service auquel est affectée la personne ayant fait l'objet de cette mesure ; qu'elle peut être prononcée lorsque les faits imputés à cette personne présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité ; qu'en l'absence de poursuites pénales, son caractère provisoire implique qu'elle ne puisse produire ses effets que pendant un délai raisonnable ;

* 7. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle m H a été suspendue comme à la date à laquelle sa demande de levée de cette suspension a été implicitement rejetée, les faits qui lui étaient imputés présentaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité pour justifier une telle mesure ; que, par suite, m H n'est pas fondée à soutenir que le Ministre d'État, lequel pouvait légalement se fonder sur une recommandation du Chef de l'Inspection Générale de l'Administration, aurait fait une inexacte application des dispositions de l'article 43 de la loi du 12 juillet 1975 et qu'il aurait dû faire droit à sa demande de levée de la mesure de suspension ;

* 8. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions du troisième alinéa de l'article 43 de la loi du 12 juillet 1975 précité se bornent à prévoir les modalités de rémunération pendant la durée de la procédure disciplinaire de l'agent ayant fait l'objet d'une mesure de suspension ; qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi n° 1.527 du 7 juillet 2022, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, que les modifications de pure forme apportées à cet article n'en changent pas la signification ; qu'ainsi l'expiration du délai de quatre mois prévu par le troisième alinéa de l'article 43 de la loi du 12 juillet 1975 précité n'a ni pour objet ni pour effet d'impliquer la réintégration automatique du fonctionnaire ;

* 9. Considérant, en troisième lieu, que le troisième alinéa de l'article 43 de la loi du 12 juillet 1975 précité ne s'oppose ni à ce qu'un recours gracieux ou un recours en annulation soit introduit contre la décision prononçant la suspension, ni à ce que le fonctionnaire concerné puisse demander à l'autorité administrative, s'il s'y croit fondé, de mettre fin à cette mesure ; qu'en revanche, la mesure de suspension dont m H a fait l'objet, qui revêt un caractère provisoire et conservatoire, ne saurait s'appliquer au-delà d'un délai raisonnable ; qu'il ressort des pièces du dossier que cette mesure, édictée le 27 avril 2022 et appliquée à compter du 3 août 2022, produisait encore des effets dix-sept mois après sa mise en application ; qu'un tel délai excède le caractère raisonnable d'une mesure de suspension provisoire ;

* 10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que m H est fondée à demander l'annulation de la décision implicite qu'elle attaque ;

Sur les conclusions à fin d'injonction

* 11. Considérant qu'il n'appartient pas au Tribunal Suprême d'adresser des injonctions à l'administration ; que les conclusions à fin d'injonction présentées par m H sont, en tout état de cause, irrecevables ;

Dispositif

Décide :

Article 1er

La décision née du silence gardé par le Ministre d'État sur la demande de m H du 18 septembre 2023 tendant à mettre fin à la mesure de suspension de ses fonctions de Directeur-Adjoint au sein de la Direction de l'Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports est annulée.

Article 2

Le surplus de la requête est rejeté.

Article 3

Les dépens sont mis à la charge de l'État, avec distraction au profit de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur, sous sa due affirmation et seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Article 4

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Stéphane BRACONNIER, Président, José MARTINEZ, Vice-Président, Pierre de MONTALIVET, Membre titulaire, Régis FRAISSE, Jean-Philippe DEROSIER, rapporteur, Membres suppléants ;

et prononcé le neuf avril deux mille vingt-cinq en présence du Ministère public, par Monsieur Stéphane BRACONNIER, assisté de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef.

Le Greffier en Chef,

Le Président,

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2024-09
Date de la décision : 09/04/2025

Analyses

Pouvoir disciplinaire ; Conditions de travail


Parties
Demandeurs : m H
Défendeurs : État de Monaco

Références :

article 41 de la loi du 12 juillet 1975
Vu la Constitution
loi n° 975 du 12 juillet 1975
article 43 de la loi du 12 juillet 1975
Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
article 5 de la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017
article 13 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
article 6, § 1er de la Convention européenne
article 2 de la Constitution
article 3 de l'Ordonnance Souveraine n° 3.410 du 16 août 2011
loi n° 1.527 du 7 juillet 2022
article 43 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975
'article 8
Convention européenne


Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2025-04-09;ts.2024.09 ?

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