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LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière
Vu 1°, la requête présentée par m.X, enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 13 novembre 2023 sous le numéro TS 2024-01, tendant :
* – à l'annulation pour excès de pouvoir des articles 2 et 4 de l'Ordonnance Souveraine n° 9.820 du 9 mars 2023 modifiant l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 relative à la réglementation des taxis, des véhicules de remise, des véhicules de service de ville et des motos à la demande ;
* – à l'annulation de la décision implicite résultant du silence gardé sur sa demande de retrait de ces articles, adressée au Ministre d'État le 16 mai 2023 ;
* – à la condamnation de l'État de Monaco à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice moral ;
* – à la condamnation de l'État de Monaco aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu qu'à l'appui de sa requête, m.X fait valoir que, dans le cadre d'un marché passé avec l'État, la s.AF assure en Principauté de Monaco un service de centralisation téléphonique et une plateforme technologique pour la gestion des demandes de courses de taxis et de leur distribution, au profit des professionnels habilités à l'exercice de la profession de taxi ; que les artisans taxis ont été « vivement » invités à adhérer aux conditions générales d'utilisation de ce service ; que les dispositions contestées de l'Ordonnance Souveraine n° 9.820 du 9 mars 2023 ont ensuite édicté l'obligation pour les taxis de « disposer et accepter le règlement via le terminal de paiement électronique (T. P. E.) » et de « disposer et accepter le règlement via le système de paiement électronique de l'application mobile mise à disposition par l'autorité administrative compétente auprès des usagers » ; que la s.AF a informé les artisans taxis que le système de paiement en ligne mis en place était opéré par l'application AD, gérée par la société AB, qui agit en tant qu'agent A.R ; qu'estimant que ces dispositions portaient atteinte à des principes constitutionnels, il a formé un recours gracieux auprès du Ministre d'État le 16 mai 2023 en sollicitant leur retrait ; que le silence gardé sur ce recours pendant quatre mois a fait naître une décision implicite de rejet ; qu'il a sollicité le 9 octobre 2023 la communication des motifs de cette décision, laquelle n'a pas été réalisée dans le délai d'un mois ;
Attendu, en premier lieu, que le requérant fait valoir que l'AC Indépendants de Monaco n'a jamais été consultée alors que, de façon habituelle, les représentants de la profession sont toujours consultés chaque fois que les mesures à prendre impactent la profession ; qu'il en est notamment ainsi avant délivrance d'une autorisation administrative de mise en exploitation de taxis, avant modification des modalités d'installation et d'utilisation de l'appareillage de communication des taxis et avant édiction d'une sanction administrative ;
Attendu, en deuxième lieu, que le requérant soutient que les dispositions qu'il conteste sont contraires aux principes de clarté de la loi et de sécurité juridique ; qu'en effet, elles n'indiquent pas quel est le système de paiement électronique en cause, ni quelle est l'application mobile mise à disposition, ni quelle est l'autorité administrative compétente ; qu'elles ne précisent pas non plus quelles sont les sanctions encourues dans l'hypothèse où l'artisan taxi ne disposerait pas d'un système de paiement électronique via une application mobile avant le 5 mai 2023 ; qu'en outre, aucune parution au Journal de Monaco ne fait mention d'une application qui aurait été mise à disposition des artisans taxis par une autorité administrative en Principauté de Monaco ;
Attendu, en troisième lieu, que le requérant fait valoir que les dispositions contestées sont contraires au principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 17 de la Constitution ; qu'en effet, les artisans et commerçants des autres professions, exerçant en Principauté, monégasques ou étrangers, ne sont pas soumis à l'obligation d'adhérer à une application de paiement en ligne ; qu'au surplus, les conditions tarifaires proposées aux taxis ne sont pas les mêmes que celles qui sont proposées aux commerçants des autres professions ; qu'ainsi, les conditions tarifaires qui concernent les taxis sont plus onéreuses alors que les frais de l'application à la charge des commerçants sont pris en charge par l'État de Monaco par l'intermédiaire du Fonds Rouge et Blanc ;
Attendu, en quatrième lieu, que le requérant soutient que les dispositions contestées sont contraires à la liberté du travail, garantie par l'article 25 de la Constitution ; qu'il doit avoir le choix d'adhérer ou non à une application et à un paiement en ligne via cette application ; que, dans la mesure où les clients ont la possibilité de régler en espèces, en chèque ou en carte bancaire, il ne saurait être contraint de proposer un quatrième moyen de paiement à ses clients ; qu'en outre, le coût du service et la rétention de la rémunération qui n'est versée que deux fois par mois portent atteinte à sa liberté du travail ainsi qu'à sa liberté individuelle de pouvoir disposer de ses gains professionnels ;
Attendu, en cinquième lieu, que le requérant ajoute que la décision implicite du 16 septembre 2023 doit être également annulée du fait qu'elle n'a pas été suivie d'une communication des motifs en méconnaissance de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;
Attendu, en dernier lieu, que le requérant justifie sa demande d'indemnité pour préjudice moral par l'illégalité des dispositions contestées et par le fait que celles-ci ont été adoptées sans recueillir l'avis de la profession des artisans taxis, de ses représentants ou de l'AC Indépendants de Monaco à laquelle il appartient ;
Vu la contre-requête enregistrée au Greffe Général le 15 janvier 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;
Attendu, en premier lieu, que le Ministre d'État fait valoir qu'au mois d'avril 2019, la Principauté de Monaco a lancé le programme « Extending Monaco : l'ambition de la Principauté à l'ère du digital », afin d'assurer sa transformation numérique ; que, dans ce cadre, le Gouvernement a financé le développement d'une application mobile comportant un système de paiement électronique à la destination des clients des taxis monégasques à l'effet d'accroître l'attractivité de Monaco ;
Attendu, en deuxième lieu, que le Ministre d'État soutient, en ce qui concerne la légalité externe, que la décision implicite de rejet du 16 septembre 2023 n'avait pas à être motivée ; que l'Administration n'était donc pas tenue de répondre à la demande de communication des motifs ; que ni l'article 45 de la Constitution de Monaco ni aucun autre texte ne soumettait l'adoption de l'Ordonnance Souveraine contestée à une procédure consultative ; que, toutefois, l'AC Indépendants de Monaco, informée du projet, l'a accueilli favorablement dans l'intérêt général de la profession ;
Attendu, en troisième lieu, que le Ministre d'État soutient, en ce qui concerne la légalité interne, que l'Ordonnance souveraine attaquée ne méconnaît pas le principe de clarté de la norme du fait qu'elle ne désigne pas l'application mobile en cause ; qu'elle mentionne l'autorité administrative chargée de mettre à la disposition du public cette application mobile, qui ne peut être que l'État ; qu'elle n'avait pas à instituer des sanctions dès lors que l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008, qu'elle modifie, prévoit déjà les sanctions encourues en cas de non-respect des règles s'appliquant aux taxis monégasques ; qu'elle ne méconnaît pas le principe d'égalité dès lors que les artisans taxis ne se trouvent pas dans la même situation que les autres artisans et commerçants de la Principauté, en ce qu'ils offrent des services exclusivement liés aux déplacements, en particulier à destination d'une clientèle internationale ; que, si l'article 25 de la Constitution prévoit que « la liberté du travail est garantie », « son exercice est réglementé par la loi » ; que les artisans taxis ne règlent que 20 centimes sur les 50 centimes que coûte chaque virement et que la part variable de 2 % sur chaque paiement est destinée à permettre à la société AD.E d'assumer les frais de virement ;
Attendu, en dernier lieu, que le Ministre d'État conclut que la demande indemnitaire présentée par m.X ne pourra qu'être rejetée, par voie de conséquence du rejet de ses demandes d'annulation ; qu'en tout état de cause, il n'établit pas la réalité de son préjudice ainsi que le lien de causalité entre ce préjudice et les décisions qu'il conteste ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 14 février 2024, par laquelle m.X tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;
Attendu qu'il fait valoir, en outre, que les termes de l'Ordonnance Souveraine ne respectent pas l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité qui doit permettre aux citoyens de disposer d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables, ni le principe de sécurité juridique ; qu'il semblerait que l'application mise à disposition par l'autorité administrative compétente auprès des usagers ne soit pas AD mais AF dont la gestion incombe à la s.AF, contrairement à ce qu'indique l'État de Monaco dans sa contre-requête ; que la s.AF impose, en accord avec l'État, de souscrire un contrat AD et un contrat A.R dans des conditions onéreuses pour les taxis alors que la souscription auprès de AD ne présente aucun intérêt, ni pour les taxis, ni pour les clients qui ne bénéficient pas du cashback ; que l'application AD n'a pas été mise à disposition par l'État mais par la société AD.E ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 12 mars 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;
Vu 2°, la requête présentée par t.AI, j.p.A.J, p.K, r.L, f.M, j.m.an, f.A.O, c.A.P, l.AQ, p.AZ, b.H, t.R, s.AE, j.V, g.Q, s.Z, p.AA, Stéphane AC et a.C, enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 14 novembre 2023 sous le numéro TS 2024-02, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'Ordonnance Souveraine n° 9.820 du 9 mars 2023 modifiant l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 relative à la réglementation des taxis, des véhicules de remise, des véhicules de service de ville et des motos à la demande, ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu qu'à l'appui de leur requête, les requérants font valoir que les articles 1er, 2 et 4 de l'Ordonnance Souveraine n° 9.820 du 9 mars 2023 ont complété les articles 14 et 38-9 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 relative à la réglementation des taxis, des véhicules de remise, des véhicules de service de ville et des motos à la demande et que ses articles 3, 5, 6 et 7 ont modifié les dispositions des articles 38-8, 38-13, 38-17 et 38-18 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 ; qu'estimant que ces dispositions portaient atteinte à des principes constitutionnels, ils ont formé un recours gracieux auprès du Ministre d'État le 15 mai 2023 en sollicitant leur retrait ;
Attendu, en premier lieu, que les requérants soutiennent qu'en insérant un 8° à l'article 14 et un 8° à l'article 38-9 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008, exigeant que l'ensemble des taxis répondent à l'obligation de « disposer et accepter le règlement via le système de paiement électronique de l'application mobile mise à disposition par l'autorité administrative compétente auprès des usagers », les articles 2 et 4 de l'Ordonnance Souveraine contestée portent atteinte aux principes de légalité et de clarté de la loi ; qu'en effet, selon eux, ces dispositions seraient imprécises en ce que, d'une part, elles ne mentionnent pas quelle application mobile doit être obtenue et acceptée par les exploitants de taxi et, d'autre part, elles n'indiquent pas sous quelles conditions techniques et financières cette application mobile doit être obtenue et acceptée, celle-ci pouvant créer des charges nouvelles pour les exploitants ;
Attendu, en deuxième lieu, que les requérants font valoir qu'en modifiant l'article 38-18 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008, l'article 7 de l'Ordonnance Souveraine contestée porte également atteinte aux mêmes principes en ce que, d'une part, il n'indique pas quelle est la durée du service minimum exigé des taxis 100 % électriques à titre saisonnier et, d'autre part, il ne précise ni le sens, ni la portée des termes « mesures utiles » en cas de défaillance ou d'insuffisance du service minimum ; que l'article 7 est également contraire à l'article 19 de la Constitution qui garantit la liberté et la sûreté individuelle ;
Attendu, en troisième lieu, que les requérants estiment que l'Ordonnance Souveraine contestée porte atteinte au principe d'égalité garanti par l'article 17 de la Constitution car elle crée des obligations nouvelles à la charge des seuls chauffeurs de taxi alors que les autres travailleurs indépendants en sont dispensés ; qu'ils ajoutent qu'elle est également contraire au principe d'égalité devant les charges publiques car ils devront s'acquitter de charges nouvelles ; que le préjudice qui en résultera pour eux sera spécial et anormal ; qu'en effet, selon les dires du Département des Finances et de l'Économie, ce serait le service A.R géré par la société AD qui serait utilisé, sachant qu'en vertu de l'article 3-2 des conditions générales de cette société, celle-ci prélèverait, pour chaque opération, outre une somme fixe de 20 centimes, un pourcentage de 2 % des sommes perçues ; que seuls les exploitants de taxi y seront assujettis sans rapport avec leur capacité contributive et sans nécessité pour l'intérêt général ; que cette rupture d'égalité discrimine non seulement les exploitants monégasques mais aussi ceux de nationalité française, en application de l'article 32 de la Constitution qui dispose que « l'étranger jouit dans la Principauté de tous les droits publics et privés qui ne sont pas formellement réservés aux nationaux » ;
Attendu, en quatrième lieu, que les requérants affirment que l'Ordonnance Souveraine contestée porte gravement atteinte au droit de propriété, garanti par l'article 24 de la Constitution ; qu'en effet, selon eux, la société AD serait habilitée à gérer les revenus des exploitants de taxi, en leur lieu et place, dès lors que les montants de leurs prestations se cumuleront, resteront en crédit sur leur compte de paiement et ne seront virés sur leur compte bancaire que deux fois par mois après déduction de la commission ;
Attendu, en cinquième et dernier lieu, que les requérants font valoir que l'Ordonnance Souveraine contestée porte également atteinte à l'article 25 de la Constitution qui énonce : « La liberté du travail est garantie. Son exercice est réglementé par la loi » dès lors qu'il n'appartient pas au pouvoir exécutif d'édicter, par Ordonnance Souveraine, des obligations nouvelles à la charge desdits professionnels, au-delà de ce que prévoit la loi ;
Vu la contre-requête enregistrée au Greffe Général le 12 janvier 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la condamnation des requérants aux entiers dépens ;
Attendu, en premier lieu, que le Ministre d'État fait valoir qu'au mois d'avril 2019, la Principauté de Monaco a lancé le programme « Extending Monaco : l'ambition de la Principauté à l'ère du digital », afin d'assurer sa transformation numérique ; que, dans ce cadre, le Gouvernement a financé le développement d'une application mobile comportant un système de paiement électronique à la destination des clients des taxis monégasques à l'effet d'accroître l'attractivité de Monaco ; qu'il s'agit du service de paiement électronique A.R, offert via l'application AD APP, laquelle est fournie et gérée par la société AD.E, qui est mis à la disposition des usagers, étant précisé que ceux-ci ne sont pas obligés de l'utiliser et qu'ils peuvent toujours régler leurs courses en espèces ou par carte bancaire ;
Attendu, en deuxième lieu, que le Ministre d'État soutient qu'aucune règle n'impose à l'autorité administrative de prévoir, dans un acte réglementaire, le prestataire qui sera choisi pour dispenser des prestations réglementées ; que l'autorité réglementaire pouvait donc se borner à prévoir que les taxis doivent accepter un mode de règlement et renvoyer la détermination du système de paiement et du prestataire retenus à une future décision administrative ;
Attendu en troisième lieu, que, selon le Ministre d'État, l'Ordonnance attaquée n'a pas créé un service minimum pour les conducteurs de taxi des véhicules 100 % électrique à titre saisonnier, mais a adapté les règles précédemment en vigueur ; qu'il était loisible à l'auteur de l'Ordonnance Souveraine de renvoyer à un arrêté ministériel la détermination du détail de l'organisation du service minimum, sachant que les sanctions de la méconnaissance de ces nouvelles règles sont déjà fixées par l'Ordonnance ;
Attendu, en quatrième lieu, que le Ministre d'État fait valoir que les taxis ne se trouvent pas dans la même situation que les autres travailleurs indépendants de la Principauté, car ils offrent des services exclusivement liés aux déplacements, en particulier à destination d'une clientèle internationale ; que, par ailleurs, les règles prévues par les articles 2 et 4 de l'Ordonnance Souveraine n° 9.820 sont destinées à satisfaire la clientèle des taxis, habituée à utiliser des applications de paiement dans le cadre de ses déplacements et contribuent donc au développement international de la Principauté ;
Attendu, en cinquième lieu, que le Ministre d'État indique que les frais relatifs à l'utilisation du système de paiement électronique en cause ne constituent pas des charges publiques, mais la rémunération d'un service dispensé par une entreprise privée ; que le principe d'égalité devant les charges publiques n'est donc pas méconnu ;
Attendu, en sixième lieu, que le Ministre d'État soutient que les sommes versées par les clients sont rétrocédées aux exploitants de taxi, sous déduction des seuls frais de fonctionnement de l'application de paiement, sans porter atteinte au droit de propriété ;
Attendu, en septième et dernier lieu, que le Ministre d'État estime que l'Ordonnance Souveraine n'est pas entachée d'incompétence ; qu'il revient en effet aux autorités de l'État de définir le régime juridique applicable en matière d'exercice de toute activité économique et d'établissement, compte tenu des caractères particuliers, notamment géographiques et démographiques, de la Principauté, étant précisé que le terme « loi » figurant à l'article 25 de la Constitution doit s'interpréter comme visant à la fois la loi au sens strict et les actes réglementaires ;
Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 14 février 2024, par laquelle les requérants tendent aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;
Attendu, en premier lieu, que les requérants précisent qu'ils devront disposer et accepter le règlement via le système de paiement électronique de l'application mis à disposition par l'État de Monaco alors qu'ils n'en connaissent ni le fonctionnement ni les conditions de fonctionnement ; que, par suite, cette disposition leur fait grief dès lors que, s'ils ne la contestent pas, elle leur sera opposable ;
Attendu, en deuxième lieu, que les requérants font valoir que, contrairement à ce que la réplique indique, le nouvel article 38-18 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 ne prévoit pas que seul un nombre minimal de taxis et de véhicules 100 % électriques sera assujetti à un service minimum ; qu'il crée un service minimum, sans préciser ni le nombre de taxis assujettis, ni sa durée, ni le sens et portée des termes « mesures utiles », exposant ainsi les exploitants de taxis à des mesures non définies préalablement et donc arbitraires ; qu'enfin, il ne renvoie nullement à l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 pour définir les sanctions applicables ;
Attendu, en troisième lieu, que les requérants maintiennent que les modifications de l'article 38-9 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 sont contraires au principe d'égalité devant la loi ainsi qu'à celui devant les charges publiques ; que les frais relatifs à l'utilisation du système de paiement électronique sont mis à la charge des requérants par l'autorité administrative et constituent donc des charges publiques ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 12 mars 2024, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;
Attendu, en premier lieu, que le Ministre d'État estime que les artisans taxis ne se trouvent pas dans la même situation que les commerçants ayant une activité hôtelière, dans la mesure où ils exercent une activité réglementée qui les place dans une situation monopolistique ;
Attendu, en second lieu, que le Ministre d'État fait valoir que l'entreprise AD ne relève manifestement pas de la catégorie des personnes privées assurant une mission de service public ; qu'elle n'assure pas une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et n'est pas dotée de prérogatives de puissance publique ; qu'enfin, les conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, ou encore les obligations qui lui sont imposées et les mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints ne démontrent pas que l'administration aurait entendu lui confier une mission de service public ;
SUR CE,
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces produites et jointes aux dossiers ;
Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 modifiée relative à la réglementation des taxis, des véhicules de remise et des véhicules de service en ville ;
Vu les Ordonnances du 15 novembre 2023 par lesquelles le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Régis FRAISSE, Membre suppléant, comme rapporteur ;
Vu les procès-verbaux de clôture de Mme le Greffier en Chef en date du 26 avril 2024 ;
Ouï Monsieur Régis FRAISSE, Membre suppléant du Tribunal Suprême, en ses rapports ;
Ouï Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour m.X ;
Ouï Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour t.AI et tous autres ;
Ouï Maître Jacques MOLINIE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;
Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;
La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;
Motifs
Après en avoir délibéré
1. Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre des dispositions de la même Ordonnance Souveraine ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par la même décision ;
Sur la légalité externe
En ce qui concerne la compétence de l'auteur de l'acte
* 2. Considérant que les auteurs de la seconde requête soutiennent que l'Ordonnance Souveraine qu'ils contestent est entachée d'incompétence au regard des articles 25 et 68 de la Constitution dès lors que l'exercice de la liberté du travail ne peut être réglementé que par la loi et que l'Ordonnance Souveraine en cause n'a pas été prise pour l'exécution d'une loi ;
* 3.Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 25 de la Constitution : « La liberté du travail est garantie. Son exercice est réglementé par la loi » ; que, si la liberté du travail consiste notamment à ne pas être astreint à un travail contre sa volonté, les contraintes qui découlent implicitement d'une activité librement choisie ne peuvent être regardées, sous réserve qu'elles ne soient pas excessives, comme portant atteinte à cette liberté ; qu'en l'espèce, les contraintes prescrites par l'Ordonnance Souveraine attaquée, notamment celle portant sur le service minimum, ne sont pas de nature à remettre en cause l'exercice d'une profession librement choisie et ne relèvent donc pas du domaine de la loi ;
* 4. Considérant, en second lieu, que, si, aux termes de l'article 68 de la Constitution : « Le Prince rend les ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois (…) », il dispose d'une compétence de principe pour fixer les règles concernant les matières autres que celles qui relèvent du domaine de la loi en application de la Constitution ; qu'aucune disposition de la Constitution ne place dans le domaine de la loi les règles concernant la police administrative ; que, par suite, l'Ordonnance Souveraine contestée, qui a pour objet de modifier la réglementation de la police des taxis, relève du domaine réglementaire et n'a donc pas empiété sur le domaine de la loi ;
* 5. Considérant, par suite, que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté ;
En ce qui concerne la procédure contradictoire
* 6. Considérant que ni les dispositions de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 modifiée relative à la réglementation des taxis, des véhicules de remise et des véhicules de service en ville, ni aucune autre règle ne prévoit la consultation obligatoire des représentants de la profession des exploitants de taxis préalablement à la modification, par une Ordonnance Souveraine, des règles qui régissent leur activité ; que, par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'adoption des articles 2 et 4 de l'Ordonnance Souveraine contestée ne peut qu'être écarté ;
En ce qui concerne la motivation du rejet du recours gracieux
* 7. Considérant que l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs fixe la liste des décisions administratives « à caractère individuel » qui doivent, en principe, être motivées ; que, toutefois, le refus de retirer les articles 2 et 4 de l'Ordonnance Souveraine contestée qui a été opposé à m.X revêt, en raison du caractère réglementaire de ces dispositions, un caractère réglementaire et non individuel ; qu'ainsi, bien que, par lettre du 9 octobre 2023, il ait demandé, sans les obtenir, que lui fussent communiqués les motifs constituant le fondement de la décision implicite de rejet, m.X n'est pas fondé à soutenir que cette décision serait illégale en application de l'article 4 de la même loi qui dispose : « Le destinataire d'une décision implicite peut demander la communication des motifs de cette décision dans les conditions fixées au second alinéa de l'article précédent. / L'autorité qui a pris la décision est tenue de les lui communiquer dans le délai d'un mois à peine de nullité de ladite décision » et qui n'est pas applicable aux actes réglementaires ;
Sur la légalité interne
* 8. Considérant que les requérants ne présentent aucun moyen de légalité interne contre les articles 1er, 3, 5, 6, 8 de l'Ordonnance Souveraine contestée, ainsi que contre son article 4 en tant qu'il réécrit le 7° de l'article 38-9 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 ; que, par conséquent, leurs conclusions d'annulation sur le fond doivent être regardées comme étant exclusivement dirigées contre les articles 2 et 7 de l'Ordonnance Souveraine contestée, ainsi que contre son article 4 en tant qu'il ajoute un 8° au même article 38-9 ;
En ce qui concerne l'article 2 ainsi que l'article 4 en tant qu'il ajoute un 8° à l'article 38-9 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008
* 9. Considérant que les articles 2 et 4 de l'Ordonnance Souveraine n° 9.820 du 9 mars 2023 complètent respectivement les articles 14 et 38-9 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 par un 8° faisant obligation, d'une part, aux taxis et, d'autre part, aux taxis 100 % électriques à titre saisonnier de « disposer et accepter le règlement via le système de paiement électronique de l'application mobile mise à disposition par l'autorité administrative compétente auprès des usagers » ;
* 10. Considérant que le principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 17 de la Constitution, ne s'oppose ni à ce que l'autorité investie du pouvoir normatif règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit ;
* 11. Considérant qu'il est loisible au pouvoir réglementaire de réglementer l'activité des exploitants de taxis dans le but d'assurer la commodité des usagers, la sécurité de la circulation sur les voies publiques, la gestion du domaine public ou la préservation de l'environnement ; qu'à cet égard, les exploitants de taxis sont, en règle générale, dans une situation différente de celles des autres commerçants et prestataires de service ;
* 12. Considérant toutefois qu'il ressort des écritures du Ministre d'État que l'obligation pour les taxis de « disposer et accepter le règlement via le système de paiement électronique de l'application mobile mise à disposition par l'autorité administrative compétente auprès des usagers » a notamment pour objet « d'accroître l'attractivité de Monaco » et de contribuer « au développement international de la Principauté » ; qu'au regard de tels objectifs, les exploitants de taxis ne sont pas placés dans une situation différente de celle des autres commerçants ou prestataires de service, lesquels sont libres d'adhérer ou non à un service de paiement électronique local à l'instar de celui envisagé par l'Ordonnance Souveraine et, le cas échéant, de choisir le prestataire privé fournissant ce service de paiement ; qu'aucun motif d'intérêt général ne justifie cette différence de traitement ; que, par suite, l'article 2 de cette Ordonnance Souveraine ainsi que son article 4 en tant qu'il ajoute un 8° à l'article 38-9 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 méconnaissent le principe d'égalité et doivent, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, être annulés ; qu'il en est de même de la décision implicite résultant du silence gardé sur la demande de m.X en tant que celui-ci demandait le retrait de ces dispositions ;
En ce qui concerne l'article 7
* 13. Considérant que l'article 7 contesté a pour objet d'aménager le service minimum assuré par les taxis 100 % électriques en donnant à l'article 38‑18 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 la rédaction suivante : « Les conducteurs de taxi des véhicules 100 % électriques à titre saisonnier assurent un service minimum selon les modalités fixées par arrêté ministériel. / Lorsque ce service est défaillant ou insuffisant pour satisfaire les besoins de la population, le Ministre d'État peut, dans des conditions fixées par arrêté ministériel, prendre toutes mesures utiles afin de remédier à cette défaillance ou cette insuffisance. / Le Directeur de l'Expansion Économique, le cas échéant, en coopération avec la Direction de la Sûreté Publique, veille au respect de ces mesures. À cette fin, peut être requise l'assistance de l'organisme chargé d'assurer, au plan technique, l'exécution du service de centralisation téléphonique des demandes de courses et leur distribution visé au chiffre 4 de l'article 38-9 » ;
* 14. Considérant, en premier lieu, que les auteurs de la seconde requête soutiennent que l'article 7 n'indique pas le nombre minimal de taxis 100 % électriques assujettis à un service minimum, qu'il crée un service minimum sans préciser sa durée ni le sens et la portée des termes « mesures utiles », exposant ainsi les exploitants de taxis à des mesures non définies préalablement et donc arbitraires et, enfin, qu'il ne définit pas les sanctions applicables ;
* 15. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 48 de la Constitution : « Sauf dispositions législatives contraires, la répartition des matières entre les Ordonnances Souveraines et les arrêtés ministériels est opérée par Ordonnance Souveraine » ; que l'article 7 contesté, qui ne crée pas le service minimum assuré par les taxis 100 % électriques mais se borne à l'aménager, renvoie à un arrêté ministériel le soin de fixer ses modalités d'application ainsi que les conditions dans lesquelles le Ministre d'État peut prendre toutes mesures utiles afin de remédier à sa défaillance ou à son insuffisance ; qu'il n'est donc pas contraire à l'article 48 de la Constitution ni non plus au principe dit de « clarté de la loi » invoqué par les requérants ; que, d'autre part, les sanctions prévues par le titre III de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 en cas de méconnaissance des dispositions de cette Ordonnance Souveraine ou des arrêtés ministériels pris pour son application, ne sont pas modifiées et demeurent donc en vigueur ;
* 16. Considérant, en second lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 19 de la Constitution : « La liberté et la sûreté individuelle sont garanties. Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, devant les juges qu'elle désigne et dans la forme qu'elle prescrit » ; que l'article 7 contesté, qui concerne une profession réglementée et qui a pour objet d'offrir aux usagers une disponibilité de transport individuel optimale, ne porte pas atteinte au principe de liberté ni a fortiori au principe de sûreté individuelle ;
* 17. Considérant qu'il s'ensuit que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'article 7 de l'Ordonnance Souveraine n° 9.820 du 9 mars 2023 ;
Sur les conclusions indemnitaires
* 18. Considérant que le préjudice moral dont m.X demande réparation n'est pas fondé en ce qu'il repose sur l'absence de procédure consultative ; que, pour le surplus, il n'est pas établi ; que, par suite, ses conclusions à fin d'indemnisation doivent être rejetées ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
Les requêtes n^os 2024-01 et 2024-02 sont jointes.
Article 2
L'article 2 de l'Ordonnance Souveraine n° 9.820 du 9 mars 2023 ainsi que son article 4 en tant qu'il ajoute un 8° à l'article 38-9 de l'Ordonnance Souveraine n° 1.720 du 4 juillet 2008 sont annulés. Il en est de même de la décision implicite résultant du silence gardé sur la demande de m.X en tant que celui-ci demandait le retrait de ces dispositions.
Article 3
Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 4
Les dépens sont mis à la charge de l'État.
Article 5
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Composition
Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Stéphane BRACONNIER, Président, José MARTINEZ, Vice-Président, Philippe BLACHÈR, Didier GUIGNARD, Membres titulaires, Régis FRAISSE, rapporteur, Membre suppléant ;
et prononcé le quatre décembre deux mille vingt-quatre en présence du Ministère public, par Monsieur Stéphane BRACONNIER, assisté de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef.
Le Greffier en Chef,
Le Président.
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