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18/06/2024 | MONACO | N°TS/2023-24

Monaco | Tribunal Suprême, 18 juin 2024, c. B. c/ L'État de Monaco, TS/2023-24


Abstract

Arrêté du Secrétaire d'État à la Justice – Recours pour excès de pouvoir – Incompétence (non) – Violation du principe de séparation des pouvoirs (non) – Violation du droit au procès équitable (non) – Détournement de pouvoir (non) – Atteinte au principe d'impartialité (non)

Demande de bâtonnement – Conditions

Résumé

c. B. demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté n° 2023-28 du 9 août 2023 du Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, Président du Conseil d'État, désignant s. A., me

mbre titulaire du Tribunal Suprême, pour assurer la continuité du service du Tribunal Suprême.

En premier lieu...

Abstract

Arrêté du Secrétaire d'État à la Justice – Recours pour excès de pouvoir – Incompétence (non) – Violation du principe de séparation des pouvoirs (non) – Violation du droit au procès équitable (non) – Détournement de pouvoir (non) – Atteinte au principe d'impartialité (non)

Demande de bâtonnement – Conditions

Résumé

c. B. demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté n° 2023-28 du 9 août 2023 du Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, Président du Conseil d'État, désignant s. A., membre titulaire du Tribunal Suprême, pour assurer la continuité du service du Tribunal Suprême.

En premier lieu, c. B. soutient que l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence dès lors que le Prince Souverain est la seule autorité compétente en la matière en vertu de la Constitution et que le Directeur des Services Judiciaires ne peut se fonder sur aucune disposition pour organiser l'intérim de la présidence du Tribunal Suprême. Or, contrairement à ce que soutient le requérant, il ne résulte d'aucun texte ni d'aucun principe général une règle selon laquelle à l'expiration de son mandat, le président du Tribunal Suprême assurerait de droit l'intérim des fonctions jusqu'à la nomination de son successeur. En revanche, en l'absence de disposition prévoyant expressément un régime de suppléance, d'intérim ou de délégation en cas d'empêchement conjoint, d'une part, du président du Tribunal Suprême et, d'autre part, de son vice-président, les dispositions précitées de l'article 11 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, combinées avec les autres dispositions mentionnées au considérant 2 ci-dessus, doivent, afin d'assurer à la fois la continuité du service public de la justice, le respect de l'indépendance du Tribunal Suprême et l'intérêt d'une bonne administration de la justice, être interprétées comme chargeant le membre le plus ancien ou, à défaut, le plus âgé d'assurer la continuité du service du Tribunal Suprême. Il s'ensuit qu'en vue d'éviter une interruption préjudiciable au bon fonctionnement du service public de la justice, dans l'attente de la nomination par le Prince souverain du successeur du Président dont le mandat était arrivé à expiration, le Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, qui n'est pas membre de l'exécutif et qui est investi de la mission d'assurer la bonne administration de la justice en vertu des textes susmentionnés et dispose à cet effet d'une compétence générale pour prendre des arrêtés et décisions nécessaires à l'accomplissement de cette mission, a pu légalement charger, à titre provisoire, s. A. d'assurer la continuité du service dès lors que celui-ci était le plus âgé des trois membres titulaires du Tribunal Suprême nommés par une Ordonnance Souveraine n° 7.743 du 17 octobre 2019 pour une période de huit ans à compter du 8 août 2019. Ce faisant, le Directeur des Services Judiciaires s'est borné à mettre en oeuvre les mesures d'organisation de service telles qu'elles résultent nécessairement de l'application de la règle ci-dessus. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte querellé ne peut qu'être écarté.

En second lieu, il résulte de ce qui précède que pour contester la légalité de cet arrêté, le requérant ne saurait utilement soulever les moyens tirés de la violation du principe de séparation des pouvoirs ou de la violation du droit au procès équitable protégé par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, doivent également être écartés comme inopérants les moyens tirés du détournement de pouvoir et de l'atteinte au principe d'impartialité, lesquels reposent au demeurant sur des allégations dépourvues de justifications.

Le Secrétaire d'État à la Justice sollicite, dans le cadre d'une demande dite de bâtonnement, la suppression du passage, selon lui injurieux, figurant en page 2 du mémoire en réplique du requérant sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article 34 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique. Dans le contexte spécifique de l'affaire et les circonstances particulières de l'espèce, les passages des écritures dont la suppression est demandée, pour regrettable que soit le ton inapproprié avec lequel ils sont formulés, n'ont pas excédé les limites de la controverse entre parties dans le cadre d'une procédure contentieuse. Dès lors, ils ne peuvent être regardés comme justifiant l'usage par le Tribunal Suprême des pouvoirs conférés par les dispositions précitées. Par suite, la demande dite de bâtonnement présentée par le Secrétaire d'État à la Justice doit être rejetée.

TRIBUNAL SUPRÊME

TS 2023-24

Affaire :

* c. B.

Contre :

* L'État de Monaco

DÉCISION

Audience du 6 juin 2024

Lecture du 18 juin 2024

Recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 9 août 2023 du Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, Président du Conseil d'État, désignant s. A. pour assurer la continuité du service du Tribunal Suprême.

En la cause de :

* c. B., demeurant x1, à Monaco ;

Ayant primitivement élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, puis en celle de Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Pierre-Olivier SUR, avocat au barreau de Paris ;

Contre :

L'ÉTAT DE MONACO, représenté par Madame le Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, Président du Conseil d'État, ayant pour avocat-défenseur Maître Hervé CAMPANA et plaidant par Maître Yvon GOUTAL, avocat au barreau de Paris ;

Visa

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par c. B. enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 11 septembre 2023 sous le numéro TS 2023-24 tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté n° 2023-28 du 9 août 2023 du Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, Président du Conseil d'État, désignant s. A., membre titulaire du Tribunal Suprême, pour assurer la continuité du service du Tribunal Suprême.

CE FAIRE :

Attendu que le requérant soutient, en premier lieu, que la décision attaquée est entachée d'incompétence ; que le Prince est la seule autorité qui soit compétente en la matière car ni la Constitution, ni aucune Ordonnance souveraine, ni la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires ne confère à cet égard une quelconque compétence au Directeur des services judiciaires ; que l'auteur de l'acte ne peut en particulier se fonder sur aucune disposition de la Constitution non plus que sur aucune règle du droit monégasque pour organiser l'intérim de la présidence du Tribunal Suprême ;

Attendu que le requérant soutient, en deuxième lieu, que cette décision est également entachée de détournement de pouvoir ; qu'en effet, la nomination d'un « président de fait » a eu pour unique but de permettre à ce président de procéder lui-même à la nomination d'un nouveau rapporteur dans les instances en cours devant le Tribunal Suprême opposant le requérant au Prince Albert II, afin de succéder au rapporteur précédemment désigné ; que cette substitution de rapporteur, réalisée dans une hâte révélatrice, a ainsi permis de désigner un rapporteur ad hoc ; que cette substitution de rapporteur est de surcroît illégale car seul le président du Tribunal suprême peut nommer le rapporteur d'une affaire ; que l'autorité administrative, placée sous l'autorité du Prince, partie défenderesse dans l'instance en cours, s'est ainsi ingérée dans le fonctionnement régulier du pouvoir judiciaire et a méconnu le principe de séparation des pouvoirs, le droit au procès équitable ainsi que les conditions d'impartialité objective du Tribunal Suprême ;

Attendu que le requérant fait valoir, en dernier lieu, qu'il aurait fallu attendre la nomination du nouveau président du Tribunal Suprême par le Prince pour faire ce changement de rapporteur et permettre à cet effet le maintien en place du président initialement nommé même après l'expiration de son mandat ;

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 8 novembre 2023, par laquelle le Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, Président du Conseil d'État, conclut au rejet de la requête et à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Attendu que le Secrétaire d'État à la Justice soutient, à titre principal, que la requête est irrecevable en raison du défaut d'intérêt à agir du requérant ; qu'en l'espèce, l'arrêté attaqué est une simple mesure d'organisation du service qui n'a pas d'effets sur les droits ou sur la situation des usagers de ce service ; que le requérant, indépendamment de sa qualité d'usager, laquelle n'est pas suffisante, ne démontre pas que l'arrêté provoquerait une lésion directe et certaine de ses intérêts ; si le requérant invoque le fait que la désignation du président par intérim a permis la nomination d'un nouveau rapporteur dans l'instance l'opposant au Prince Albert II, il ne démontre pas que cette nomination de rapporteur lui porterait préjudice et que l'acte attaqué lui ferait grief ;

Attendu que le Secrétaire d'État à la Justice soutient, à titre subsidiaire, qu'aucun des moyens soulevés dans la requête n'est fondé ; que d'abord, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêt doit être écarté ; qu'afin d'assurer la continuité du service public dans le souci d'une bonne administration de la justice, le Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, peut, en l'absence de disposition relative à l'intérim du président du Tribunal Suprême, légalement organiser cet intérim dès lors qu'il dispose du statut et de la compétence nécessaires notamment pour assurer la continuité du fonctionnement de la juridiction dans l'attente de la nomination de son nouveau président ; que l'argumentation selon laquelle le maintien en fonction du président alors en place aurait été mieux à même de répondre aux besoins d'intérim est inopérante au regard de l'office du juge de l'excès de pouvoir et, en tout état de cause, sans fondement ; qu'ensuite, le moyen tiré du détournement de pouvoir doit être écarté dès lors que les allégations du requérant ne reposent sur aucun élément ; que ni la substitution de rapporteur, imposée par le terme du mandat de l'ancien vice-président initialement désigné comme rapporteur, ni la désignation d'un nouveau rapporteur intervenue peu de temps après la désignation du président par intérim ne sauraient constituer des indices d'un détournement de pouvoir en vue de nuire aux intérêts du requérant dans le cadre de l'instance l'opposant au Prince Albert II ; que, par ailleurs, ne peut qu'être écarté le moyen faisant allusion à la méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs dès lors que la Direction des Services Judiciaires est assurée par un Département indépendant du Gouvernement princier et de son administration ; qu'enfin, le moyen tiré de la violation du droit au procès équitable doit être écarté comme inopérant car le défaut d'impartialité objective allégué ne résulte pas de la décision de nomination attaquée mais de la désignation du nouveau rapporteur dans l'instance opposant l'appelant au Prince Albert II ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 11 décembre 2023, par laquelle c. B. conclut aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu que le requérant ajoute, en premier lieu, que sa requête est recevable car il a intérêt à agir contre l'arrêté attaqué, qui lui fait directement grief et a un effet direct sur ses droits ; qu'il s'agit en effet d'un arrêté de circonstance qui ne vise qu'à désigner rapidement un rapporteur en vue de favoriser une instruction rapide de l'instance opposant le requérant au Prince et d'assurer une meilleure maîtrise de l'issue de ce procès ;

Attendu que le requérant confirme, en deuxième lieu, que les moyens de la requête sont fondés ; que, d'une part, si le défendeur fait valoir les exigences de la continuité du service public, l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence dans la mesure où l'intérim ne saurait justifier une dérogation aux règles de compétence, lesquelles sont d'ordre public ; que d'ailleurs l'arrêté ne vise aucun empêchement du Prince à la date du 9 août 2023 ; que, par ailleurs, cet arrêté est entaché de détournement de pouvoir car il a pour seul but de régler un litige dans un sens favorable au Prince Albert II ; que, d'autre part, cette ingérence d'une autorité administrative dans le fonctionnement de la justice constitue une violation du principe de séparation des pouvoirs au point que l'arrêté devrait être déclaré inexistant ; qu'enfin, l'opération consistant à désigner un président par intérim en vue de permettre la désignation d'un nouveau rapporteur dans une instance en cours méconnaît les règles du procès équitable et notamment le principe d'impartialité de la juridiction suprême ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 9 janvier 2024, par laquelle le Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, Président du Conseil d'État, conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que ceux soulevés dans la contre-requête et conclut en outre à ce que le Tribunal Suprême prononce le bâtonnement de certains termes du mémoire en réplique du requérant en date du 11 décembre 2023 ;

Attendu qu'en premier lieu, le Secrétaire d'État à la Justice demande la suppression du passage injurieux regroupant les termes « apprenti autocrate » contenus en page 2 du mémoire en réplique du requérant sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article 34 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique ;

Attendu qu'en second lieu, il confirme l'absence de bien-fondé des moyens tirés du détournement de pouvoir, de la violation du principe de séparation des pouvoirs et de la méconnaissance de la règle du procès équitable ;

Vu l'ordonnance du vice-président du Tribunal Suprême du 18 janvier 2024 accordant un ultime délai d'un mois à Maître Sarah FILIPPI pour déposer une triplique ;

Vu la triplique, enregistrée au Greffe Général le 21 février 2024, par laquelle M. B. conclut aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu que le requérant soutient, en premier lieu, que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme tend à garantir, en vertu de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la libre expression des critiques exprimées contre les responsables politiques et les autorités publiques y compris dans le cas de propos virulents ; qu'en l'espèce, il y a lieu de rejeter la demande de bâtonnement dès lors que les propos incriminés ne revêtaient aucune connotation injurieuse ;

Attendu que le requérant précise, en deuxième lieu, que sa requête est recevable car l'acte attaqué ne peut être qualifié de mesure d'organisation du service ; que, d'une part, cet acte est entaché de fraude et est affecté de graves vices, si bien qu'il doit être regardé comme inexistant ; que, d'autre part, cet acte lui fait grief car il affecte l'exercice du droit subjectif du requérant au procès équitable et obère ses chances de voir prospérer la requête qu'il a soumise le 13 juillet 2023 au Tribunal Suprême afin de contester les décisions du Prince souverain des 6 et 9 juin 2023 portant révocation de ses fonctions d'administrateur des biens ;

Attendu que le requérant soutient, en troisième lieu, que l'intérim ne peut déroger aux règles de compétence ; qu'en l'occurrence, seul le Prince Souverain est compétent pour nommer une autorité dans le cadre d'un intérim et il lui est loisible de prolonger les pouvoirs du président du Tribunal Suprême, comme l'atteste le cas de C. nommé en 2012 pour un mandat de quatre ans et demeuré en fonctions jusqu'en 2023 ; qu'en cas d'empêchement du Prince, le pouvoir de nomination du président du Tribunal Suprême doit, en vertu de la Constitution, être dévolu aux membres de la Famille Souveraine ;

Attendu que le requérant reprend, en dernier lieu, les moyens selon lesquels l'arrêté attaqué est entaché de détournement de pouvoir, viole le principe de séparation des pouvoirs et méconnaît les règles du procès équitable et notamment le principe d'impartialité de la juridiction suprême apprécié de façon objective conformément aux standards de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ; qu'il soutient à cet effet que le contexte dans lequel a été pris l'arrêté attaqué ainsi que la chronologie des faits, qui l'ont accompagné, constituent un faisceau d'indices susceptible de jeter le doute sur l'indépendance et l'impartialité du Tribunal Suprême ;

Vu l'ordonnance du vice-président du Tribunal Suprême du 7 mars 2024 accordant un ultime délai d'un mois à Maître Hervé CAMPANA pour déposer une triplique ;

Vu la triplique, enregistrée au Greffe Général le 9 avril 2024, par laquelle le Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, Président du Conseil d'État, conclut aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens, et confirme sa demande tendant à ce que le Tribunal Suprême prononce le bâtonnement de certains termes du mémoire en réplique du requérant en date du 11 décembre 2023 ;

Attendu que le Secrétaire d'État à la Justice soutient, en premier lieu, que la demande de bâtonnement est, d'une part, justifiée en raison du caractère injurieux des passages litigieux, qui sont particulièrement déplacés dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir, et, d'autre part, conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme rendue à propos de la liberté d'expression des avocats dans leurs écritures ;

Attendu que le Secrétaire d'État à la Justice soutient, en deuxième lieu, que la requête est irrecevable, faute pour le requérant de démontrer que l'acte attaqué produit des effets à son égard et notamment qu'il porterait atteinte à son droit au procès équitable ;

Attendu que le Secrétaire d'État à la Justice soutient, en troisième lieu, qu'il ne résulte d'aucun texte ou d'aucune jurisprudence une règle selon laquelle à l'expiration de son mandat, le président du Tribunal Suprême assurerait de droit l'intérim des fonctions jusqu'à la nomination de son successeur ; que, contrairement à ce que prétend le requérant, le précédent président du Tribunal Suprême n'a pas été prolongé par Ordonnance Souveraine pour prévenir un risque de rupture de continuité du fonctionnement de la juridiction mais a exercé plusieurs mandats successifs dans le respect des règles organiques applicables portant notamment sur le caractère renouvelable ou non de leur durée et a perdu ce titre à l'expiration de son dernier mandat ; que l'intérimaire peut être désigné par une autorité autre que celle qui a nommé le titulaire de la fonction concernée ; que le Directeur des Services Judiciaires a ainsi une compétence suffisante pour garantir le bon fonctionnement du service public de la justice, notamment par la désignation d'un membre du Tribunal Suprême assumant l'intérim ;

Attendu que le Secrétaire d'État à la Justice soutient, en quatrième lieu, que l'argumentation tirée de l'atteinte à la séparation des pouvoirs et à la règle du procès équitable prévue à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme est inopérante car elle est liée au fait que les membres du Tribunal Suprême ont été nommés par le Prince Souverain, ce qui revient à remettre en cause la validité même de l'article 89 de la Constitution au regard de ladite Convention ; qu'en tout état de cause, le requérant n'apporte aucun élément de fait de nature à semer le doute sur l'indépendance et l'impartialité objective du Tribunal Suprême ; qu'en ce sens, il faut préciser que la fin des mandats de C. et d. E. est intervenue automatiquement à compter du 8 août 2023 en application des dispositions des Ordonnances Souveraines les ayant nommés ;

SUR CE,

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le B. de son article 90 ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 1.047 du 28 juillet 1982 sur l'exercice des professions d'avocat-défenseur et d'avocat ;

Vu la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 5.727 du 11 février 2016 portant application de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires, et notamment son article 12 ;

Vu la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 5.456 du 6 août 2015 portant nomination de membres du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 5.529 du 23 octobre 2015 portant nomination d'un membre titulaire, président du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 7.743 du 17 octobre 2019 du 6 octobre 2023 portant nomination de membres du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 10.137 du 6 octobre 2023 portant nomination de membres du Tribunal Suprême ;

Vu l'ordonnance du 23 octobre 2023 par laquelle le président du Tribunal Suprême délègue le recours TS 2023-24 à José MARTINEZ, vice-président du Tribunal Suprême, et le désigne en qualité de rapporteur de l'affaire considérée ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef adjoint, en date du 24 avril 2024 ;

Ouï José MARTINEZ, vice-président du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Pierre-Olivier SUR, Avocat au barreau de Paris, pour c. B. ;

Ouï Maître Yvon GOUTAL, Avocat au barreau de Paris, pour le Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions, qui déclare s'en remettre à la sagesse de la juridiction ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Motifs

Après en avoir délibéré

1. Considérant que c. B. demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté n° 2023-28 du 9 août 2023 du Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, Président du Conseil d'État, désignant s. A., membre titulaire du Tribunal Suprême, pour assurer la continuité du service du Tribunal Suprême ;

Sur les conclusions à fin d'annulation

2. Considérant que l'article 88 de la Constitution dispose que « Le pouvoir judiciaire appartient au Prince qui (…) en délègue le plein exercice aux cours et tribunaux » et qu'en vertu de l'article 89, les membres du Tribunal Suprême, et notamment son président, sont nommés par le Prince ; qu'aux termes de l'article 1er de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême :

« Les membres titulaires et suppléants du Tribunal Suprême sont nommés dans les formes et conditions prévues à l'article 89 de la Constitution. Leur mandat est d'une durée de huit ans. Il n'est pas renouvelable sauf à l'égard de membres titulaires ou suppléants nommés à la suite d'une démission, d'un empêchement, d'un décès ou d'une révocation, pour une durée inférieure à deux années. / Pour une bonne administration de la justice, il est procédé aux nominations des membres du Tribunal Suprême en deux séries distantes de quatre années, dans les conditions suivantes : / - sont nommés à la même date, le membre suppléant proposé par le Conseil National, le membre proposé par la Cour d'Appel et les membres proposés par le Conseil d'État ; / - sont nommés quatre années plus tard, le membre proposé par le Conseil de la Couronne, le membre titulaire proposé par le Conseil National et le membre proposé par le Tribunal de Première Instance. / Le Président et le Vice-président du Tribunal Suprême sont désignés par le Prince. Le Vice-président est chargé d'assurer la suppléance du Président en cas d'absence, d'empêchement ou lorsqu'il lui est fait application des articles 25-1 ou 25 » ;

qu'aux termes de l'article 10 de l'Ordonnance Souveraine susmentionnée : « L'assemblée plénière comprend les cinq membres titulaires du Tribunal. En cas d'absence ou d'empêchement d'un ou de deux membres titulaires, le Président complète le Tribunal en appelant un ou deux membres suppléants » ; qu'aux termes de l'article 11 de cette Ordonnance Souveraine : « La section administrative est composée de trois membres désignés par le Président dont deux au moins sont titulaires. (…) Lorsque le Président ou le Vice-Président ne fait pas lui-même partie de la section administrative, la présidence de celle-ci est assurée à l'ancienneté de fonction ou, à défaut, d'âge des membres désignés. / En cas d'empêchement d'un membre désigné, son remplacement est assuré, pendant la durée de cet empêchement, par un membre titulaire ou suppléant désigné à cette fin par le président du Tribunal. » ; qu'enfin, en vertu de l'article 1er de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires, « Le Directeur des Services Judiciaires assure la bonne administration de la justice » et, selon l'article 2 de la même loi, il « prend tous arrêtés et décisions nécessaires dans le cadre des lois et règlements » ;

3. Considérant, en premier lieu, que c. B. soutient que l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence dès lors que le Prince Souverain est la seule autorité compétente en la matière en vertu de la Constitution et que le Directeur des Services Judiciaires ne peut se fonder sur aucune disposition pour organiser l'intérim de la présidence du Tribunal Suprême ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le mandat de C. alors président du Tribunal Suprême, qui n'était plus renouvelable, est arrivé à expiration le 8 août 2023 ; qu'en outre, le mandat du vice-président, d. E., qui n'était plus renouvelable, est également arrivé à expiration le 8 août 2023 ; qu'à cette même date sont arrivés à expiration les mandats de deux autres membres du Tribunal Suprême, lesquels n'étaient pas davantage renouvelables ; que, par l'arrêté attaqué du 9 août 2023, le Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, a chargé s. A., membre titulaire, « pour assurer la continuité du service du Tribunal Suprême dans l'attente de la désignation des nouveaux président et vice-président, de suivre les procédures en cours et de prendre toute mesure urgente » ; que c'est par une Ordonnance Souveraine du Prince en date du 6 octobre 2023 que s. A. a été nommé président du Tribunal Suprême ;

5. Considérant que, contrairement à ce que soutient le requérant, il ne résulte d'aucun texte ni d'aucun principe général une règle selon laquelle à l'expiration de son mandat, le président du Tribunal Suprême assurerait de droit l'intérim des fonctions jusqu'à la nomination de son successeur ; qu'en revanche, en l'absence de disposition prévoyant expressément un régime de suppléance, d'intérim ou de délégation en cas d'empêchement conjoint, d'une part, du président du Tribunal Suprême et, d'autre part, de son vice-président, les dispositions précitées de l'article 11 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, combinées avec les autres dispositions mentionnées au considérant 2 ci-dessus, doivent, afin d'assurer à la fois la continuité du service public de la justice, le respect de l'indépendance du Tribunal Suprême et l'intérêt d'une bonne administration de la justice, être interprétées comme chargeant le membre le plus ancien ou, à défaut, le plus âgé d'assurer la continuité du service du Tribunal Suprême ;

6. Considérant qu'il s'ensuit qu'en vue d'éviter une interruption préjudiciable au bon fonctionnement du service public de la justice, dans l'attente de la nomination par le Prince souverain du successeur du Président dont le mandat était arrivé à expiration, le Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, qui n'est pas membre de l'exécutif et qui est investi de la mission d'assurer la bonne administration de la justice en vertu des textes susmentionnés et dispose à cet effet d'une compétence générale pour prendre des arrêtés et décisions nécessaires à l'accomplissement de cette mission, a pu légalement charger, à titre provisoire, s. A. d'assurer la continuité du service dès lors que celui-ci était le plus âgé des trois membres titulaires du Tribunal Suprême nommés par une Ordonnance Souveraine n° 7.743 du 17 octobre 2019 pour une période de huit ans à compter du 8 août 2019 ; que, ce faisant, le Directeur des Services Judiciaires s'est borné à mettre en oeuvre les mesures d'organisation de service telles qu'elles résultent nécessairement de l'application de la règle énoncée au considérant 5. ci-dessus ; que par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte querellé ne peut qu'être écarté ;

7. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de ce qui précède que pour contester la légalité de cet arrêté, le requérant ne saurait utilement soulever les moyens tirés de la violation du principe de séparation des pouvoirs ou de la violation du droit au procès équitable protégé par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, pour les mêmes motifs, doivent également être écartés comme inopérants les moyens tirés du détournement de pouvoir et de l'atteinte au principe d'impartialité, lesquels reposent au demeurant sur des allégations dépourvues de justifications ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans même qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le Secrétaire d'État à la Justice et tirée du défaut d'intérêt à agir du requérant contre l'arrêté attaqué en ce qu'il porte mesure d'organisation du service du Tribunal Suprême, que c. B. n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 9 août 2023 du Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires ; que par suite, il y a lieu de rejeter le recours pour excès de pouvoir qu'il a formé contre cet arrêté ainsi que, par voie de conséquence, sa demande en déclaration d'inexistence de cet acte ;

Sur les conclusions tendant à la suppression de passages injurieux, outrageants ou diffamatoires

9. Considérant que le Secrétaire d'État à la Justice sollicite, dans le cadre d'une demande dite de bâtonnement, la suppression du passage, selon lui injurieux, figurant en page 2 du mémoire en réplique du requérant sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article 34 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique ;

10. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 34 de cette loi : « Ni les discours ou plaidoiries prononcés, ni les écrits produits devant les tribunaux, ni le compte-rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires ne donnent lieu à action en diffamation, injures, outrages, atteintes à la vie privée. / Les juges saisis de la cause et statuant sur le fond peuvent néanmoins prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires relatifs aux faits de la cause et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts » ; que, d'autre part, en vertu de l'article 23 de la loi n° 1.047 du 28 juillet 1982 sur l'exercice des professions d'avocat-défenseur et d'avocat, ces derniers « ne peuvent avancer aucun fait grave contre l'honneur ou la réputation des parties à moins que la cause ne l'exige » ; que, selon le second alinéa de ce même article, « La juridiction saisie de la cause peut ordonner la suppression des écrits injurieux ou diffamatoires » ;

11. Considérant que, dans le contexte spécifique de l'affaire et les circonstances particulières de l'espèce, les passages des écritures dont la suppression est demandée, pour regrettable que soit le ton inapproprié avec lequel ils sont formulés, n'ont pas excédé les limites de la controverse entre parties dans le cadre d'une procédure contentieuse ; que, dès lors, ils ne peuvent être regardés comme justifiant l'usage par le Tribunal Suprême des pouvoirs conférés par les dispositions précitées ; que, par suite, la demande dite de bâtonnement présentée par le Secrétaire d'État à la Justice doit être rejetée ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

La requête de c. B. est rejetée.

Article 2

Les conclusions du Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, tendant à la suppression de passages injurieux, outrageants ou diffamatoires sont rejetées.

Article 3

Les dépens sont mis à la charge de c. B.

Article 4

Expédition de la présente décision sera transmise au Secrétaire d'État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires et au Ministre d'État.

Composition

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs José MARTINEZ, Vice-Président, rapporteur, Pierre de MONTALIVET et Didier GUIGNARD, membres titulaires, Régis FRAISSE et Jean-Philippe DEROSIER, membres suppléants ;

et prononcé le dix-huit juin deux mille vingt-quatre en présence du Ministère public, par Monsieur José MARTINEZ, Vice-Président, assisté de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en chef.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2023-24
Date de la décision : 18/06/2024

Analyses

Justice (organisation institutionnelle) ; Libertés publiques


Parties
Demandeurs : c. B.
Défendeurs : L'État de Monaco

Références :

Ordonnance Souveraine n° 10.137 du 6 octobre 2023
article 11 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
Vu la Constitution
Ordonnance Souveraine n° 5.727 du 11 février 2016
loi n° 1.299 du 15 juillet 2005
article 1er de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
Ordonnance Souveraine n° 5.529 du 23 octobre 2015
article 88 de la Constitution
article 23 de la loi n° 1.047 du 28 juillet 1982
loi n° 1.398 du 24 juin 2013
Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
article 1er de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013
article 34 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005
loi n° 1.047 du 28 juillet 1982
article 89 de la Constitution
Ordonnance Souveraine n° 7.743 du 17 octobre 2019
Ordonnance Souveraine n° 5.456 du 6 août 2015


Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2024
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2024-06-18;ts.2023.24 ?

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