Abstract
Recours pour excès de pouvoir – Annulation pour erreur manifeste d'appréciation (oui) – Dommages-intérêts (oui) – Pouvoir d'injonction du Tribunal Suprême (non)
Résumé
m. A. demande au Tribunal suprême, d'une part, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 2 mai 2023, rectifiée le 17 mai 2023, par laquelle Madame le Directeur des Ressources Humaines du C. la déclare « inapte définitif à son métier d'infirmière », d'autre part, à ce qu'il soit enjoint de l'affecter dans un emploi vacant permanent approprié à son état de santé au titre d'un reclassement et de l'accompagner dans le cadre prévu à cet effet faisant suite à l'avis d'inaptitude prononcé par l'Office de la médecine du travail ; en dernière part, la condamnation du C. au paiement d'une somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Aux termes de l'article 2-1 de la loi n° 637 du 11 janvier 1958 tendant à créer et à organiser la médecine du travail : « Le suivi individuel de l'état de santé dont bénéficie chaque salarié est réalisé par un médecin du travail de l'Office de la médecine du travail. Ce suivi médical comprend : /[…] 3) un examen médical de préreprise du travail réalisé, pendant l'arrêt de travail du salarié, à la demande de ce dernier, de son médecin traitant, du médecin conseil du régime d'assurance maladie dont relève le salarié ou du médecin conseil de l'Assureur-Loi, afin de préconiser, si nécessaire, l'aménagement ou l'adaptation du poste de travail occupé ; / 4) un examen médical de reprise du travail dans les situations déterminées par ordonnance souveraine, afin : /a) de s'assurer du maintien de l'aptitude médicale du salarié au poste de travail occupé ; /b) de préconiser, si nécessaire, l'aménagement ou l'adaptation du poste ; […] / 8) l'établissement, à l'issue de chaque examen médical, d'une fiche de visite contenant, le cas échéant et sans indication des motifs, la déclaration d'aptitude ou d'inaptitude médicale ». En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée est fondée sur l'avis du 24 avril 2023 par lequel un médecin du travail de l'Office de la médecine du travail a déclaré m. A. « inapte définitif à son poste ». Si le 13 avril précédent, le même médecin avait indiqué « Reprise envisageable à compter du 22/04/2023 », il n'avait pas pour autant, conformément aux prescriptions de l'article 2-1 de la loi du 11 janvier 1958 précitée, donné un avis d'aptitude. Le Directeur des ressources humaines du C. a pu ainsi se fonder sur le seul avis d'inaptitude médicale du 24 avril 2023. Cependant, en déclarant m. A., d'une manière générale, « inapte définitif à son métier d'infirmière » alors que la médecine du travail s'est bornée à la déclarer « inapte définitif à son poste », celui d'infirmière en réanimation, le Directeur des ressources humaines du C. a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation. Il résulte de ce qui précède que m. A. est fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque.
m. A. demande à ce qu'il soit enjoint de l'affecter dans un emploi vacant permanent approprié à son état de santé au titre d'un reclassement et de l'accompagner dans le cadre prévu à cet effet faisant suite à l'avis d'inaptitude prononcé par l'Office de la médecine du travail. Or, il n'appartient pas au Tribunal Suprême d'adresser des injonctions à l'administration. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction présentées par m. A. sont irrecevables.
En application du 1° du B de l'article 90 de la Constitution, m. A. est fondée à obtenir les indemnités qui résultent de l'annulation de la décision attaquée. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par m. A. du fait de la décision annulée en condamnant le C. à lui verser une indemnité de 5.000 euros.
TRIBUNAL SUPRÊME
TS 2023-16
Affaire :
* m. A.
Contre :
* C.
DÉCISION
Audience du 6 juin 2024
Lecture du 18 juin 2024
Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 2 mai 2023, rectifiée le 17 mai 2023, du Directeur des Ressources Humaines du C. (C.) déclarant m. A. inapte à son métier d'infirmière.
En la cause de :
m. A., née le jma, demeurant X1 ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice ;
Contre :
Le C. (C), sis x1 à Monaco, pris en la personne de son Directeur en exercice ;
Visa
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière
Vu la requête présentée par m. A., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 12 juillet 2023 sous le numéro TS 2023-16, tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 2 mai 2023, rectifiée le 17 mai 2023, de Madame le Directeur des Ressources Humaines du C. (C.) déclarant m. A. inapte à son métier d'infirmière ; d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au C. de l'affecter dans un emploi vacant permanent approprié à son état de santé au titre d'un reclassement et de l'accompagner dans le cadre prévu à cet effet faisant suite à l'avis d'inaptitude prononcé par l'Office de la médecine du travail ; en dernière part, à la condamnation du C. au paiement d'une somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, ainsi qu'aux entiers dépens ;
CE FAIRE :
Attendu que m. A. expose qu'elle occupe depuis 35 ans le poste d'infirmière au sein du C. (C.) ; qu'au 11 janvier 2023, elle était classée au grade d'infirmière soins généraux grade 2, 8e échelon ; qu'infirmière en réanimation, elle a été victime, le 4 février 2020, d'un accident du travail, subissant une blessure à l'épaule droite en aidant à maîtriser et rattraper un patient agité ; qu'elle s'est trouvée en arrêt de travail jusqu'au 24 février 2023 ; qu'examinée le 22 février 2023 par le d. B., médecin conseil de l'assurance D., son état a été considéré comme stabilisé et son incapacité permanente partielle (IPP) fixée à hauteur de 8 % ; que m. A., a effectué le 13 avril 2023 la visite de pré-reprise à l'Office de la médecine du travail, qui a indiqué : « reprise envisageable à compter du 22/04/2023 avec restrictions définitives sur la mobilisation des patients, port de charges, élévation du bras droit au-delà de 90°. Si aménagement impossible prévoir reclassement » ; que, puis, de manière inattendue, la médecine du travail a rendu, le 24 avril 2023, soit une dizaine de jours plus tard, un avis d'inaptitude définitif à son poste, ainsi motivé : « Pas de mobilisation des patients, port de charges, élévation du bras droit au-delà de 90° », soit exactement la motivation de la « reprise envisageable » dans l'avis de pré-visite ; qu'en dix jours, m. A. est donc passée du statut d'apte avec restrictions définitives à celui d'inapte définitivement à son poste ; qu'une décision d'inaptitude lui a alors été notifiée ; que la première, du 2 mai 2023, faisait, dans ses visas, état, par erreur, d'une inaptitude au poste d'« ouvrier principal » ; que la seconde, du 17 mai 2023, rectifiant la première, indiquait une inaptitude « à son poste d'infirmière » ; que m. A. a formé un recours contentieux contre cette décision et a, parallèlement, saisi la Commission médicale supérieure, par un courrier du 6 juin 2023 dans lequel elle écrit : « j'ai les compétences et la capacité physique pour occuper un poste d'infirmière dans un autre service avec un aménagement mineur ou bien sans aménagement en fonction du service. Par exemple une affectation en service de consultation, de prélèvement ou autre service de ce type ne représenterait aucune difficulté pour moi » ;
Attendu qu'à l'appui de sa requête, m. A. soutient que la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; que, tout d'abord, la médecine du travail a commis une erreur manifeste d'appréciation médicale ; qu'on peut s'étonner de l'appréciation changeante, en un laps de temps court, de la médecine du travail ; qu'en effet, pour la même motivation strictement identique, le médecin du travail a, le 13 avril 2023, considéré que la « mobilisation des patients, port de charges, élévation du bras droit au-delà de 90° » entraînait une reprise avec restriction définitive et aménagement de poste et, le 24 avril suivant, considéré que la « mobilisation des patients, port de charges, élévation du bras droit au-delà de 90° » entraînait une inaptitude définitive à son poste ; que le 22 février 2023, le médecin de la compagnie d'assurance, ayant fixé le taux d'IPP à 8%, avait, quant à lui, déterminé que « l'examen clinique retrouve une stabilisation des amplitudes articulaires de l'épaule droite », une dernière IRM montrant un « aspect amélioré » et l'état clinique étant considéré comme « stabilisé » ; qu'une même restriction médicale ne peut, en dix jours, passer d'une reprise avec restriction définitive à une inaptitude définitive à son poste ; que m. A. a saisi la Commission médicale supérieure afin de faire réexaminer cet avis d'inaptitude anormal ;
Attendu que, ensuite, toujours selon m. A., le C. a commis une erreur manifeste d'appréciation sur l'étendue de l'inaptitude ; que la médecine du travail a déclaré m. A. inapte définitivement à son poste, c'est-à-dire à celui d'infirmière soins généraux grade 2, 8e échelon ; que les fiches de la médecine du travail mentionnent expressément « Employeur 1203-0-730 réanimation (C) » ; que m. A. est inapte à son poste d'infirmière au sein du service réanimation ; qu'or, le C. l'a déclarée, à la suite de l'avis d'inaptitude de l'Office de la médecine du travail, inapte définitivement à son poste d'infirmière, l'excluant ainsi de tous les postes d'infirmière disponibles ; que, sans l'introduction d'un recours, m. A., qui exerce ses fonctions d'infirmière depuis 35 ans, aurait dû intégrer un « dispositif d'accompagnement d'insertion et de réorientation professionnelle » pour une reconversion professionnelle ; qu'au terme de ce dispositif d'une durée d'un an, il lui serait proposé un poste d'un niveau équivalent ou inférieur, mais uniquement sous réserve de vacance d'un emploi permanent et correspondant aux compétences ; qu'en cas de refus de ce poste très hypothétique, ce serait la fin de la carrière de m. A. au C., qui serait alors licenciée ou mise à la retraite ; que l'article 39 de l'Ordonnance Souveraine n° 7.464 du 28 juillet 1982 portant statut du personnel de service du C. dispose qu'« Après la fin du congé pour accident du travail ou maladie professionnelle, l'agent peut bénéficier, lorsque son état le justifie, d'un aménagement ou d'une adaptation de son poste de travail ou, lorsque les nécessités de la continuité ou du fonctionnement du service ne permettent pas d'aménager ou d'adapter ce poste, d'un reclassement selon les modalités prévues par les dispositions des cinq premiers alinéas de l'article 39-1 » ; que cet article 39-1 dispose en son deuxième alinéa que « Le reclassement consiste à affecter l'agent dans un emploi permanent vacant et approprié à son état de santé, au besoin en aménageant ou en adaptant le poste de travail » ; qu'en relevant que m. A. serait « inapte à son métier d'infirmière » et en l'orientant vers un dispositif de réorientation professionnelle, le C. la prive abusivement de la possibilité d'être reclassée, en qualité d'infirmière, au sein d'un autre service, conforme à ses restrictions, par exemple en service de consultation ou de prélèvement ; qu'à ce stade, aucun quelconque reclassement n'est envisagé ; que, très affectée moralement par cette situation, m. A., qui s'apprêtait à reprendre le travail après 3 ans d'interruption, a dû se trouver de nouveau en arrêt, cette fois pour un syndrome anxio-dépressif réactionnel ;
SUR CE,
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu la loi n° 637 du 11 janvier 1958 tendant à créer et à organiser la médecine du travail ;
Vu la loi n° 918 du 27 décembre 1971 sur les établissements publics ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 7.464 du 28 juillet 1982 modifiée, portant statut du personnel de service du C. ;
Vu l'Ordonnance du 11 août 2023 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Pierre de MONTALIVET, Membre titulaire, comme rapporteur ;
Vu le procès-verbal de clôture de Mme le Greffier en Chef en date du 2 octobre 2023 ;
Vu l'Ordonnance du 3 mai 2024 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 6 juin 2024 ;
Ouï Monsieur Pierre de MONTALIVET, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;
Ouï Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice, pour m. A. ;
Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;
La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;
Motifs
Après en avoir délibéré
1. Considérant que m. A. demande au Tribunal suprême, d'une part, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 2 mai 2023, rectifiée le 17 mai 2023, par laquelle Madame le Directeur des Ressources Humaines du C. la déclare « inapte définitif à son métier d'infirmière », d'autre part, à ce qu'il soit enjoint de l'affecter dans un emploi vacant permanent approprié à son état de santé au titre d'un reclassement et de l'accompagner dans le cadre prévu à cet effet faisant suite à l'avis d'inaptitude prononcé par l'Office de la médecine du travail ; en dernière part, la condamnation du C. au paiement d'une somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
Sur les conclusions à fin d'annulation
2. Considérant qu'aux termes de l'article 2-1 de la loi n° 637 du 11 janvier 1958 tendant à créer et à organiser la médecine du travail :
« Le suivi individuel de l'état de santé dont bénéficie chaque salarié est réalisé par un médecin du travail de l'Office de la médecine du travail. Ce suivi médical comprend : /[…] 3) un examen médical de préreprise du travail réalisé, pendant l'arrêt de travail du salarié, à la demande de ce dernier, de son médecin traitant, du médecin conseil du régime d'assurance maladie dont relève le salarié ou du médecin conseil de l'Assureur-Loi, afin de préconiser, si nécessaire, l'aménagement ou l'adaptation du poste de travail occupé ; / 4) un examen médical de reprise du travail dans les situations déterminées par ordonnance souveraine, afin : /a) de s'assurer du maintien de l'aptitude médicale du salarié au poste de travail occupé ; /b) de préconiser, si nécessaire, l'aménagement ou l'adaptation du poste ; […] / 8) l'établissement, à l'issue de chaque examen médical, d'une fiche de visite contenant, le cas échéant et sans indication des motifs, la déclaration d'aptitude ou d'inaptitude médicale » ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée est fondée sur l'avis du 24 avril 2023 par lequel un médecin du travail de l'Office de la médecine du travail a déclaré m. A. « inapte définitif à son poste » ; que, si le 13 avril précédent, le même médecin avait indiqué « Reprise envisageable à compter du 22/04/2023 », il n'avait pas pour autant, conformément aux prescriptions de l'article 2-1 de la loi du 11 janvier 1958 précitée, donné un avis d'aptitude ; que le Directeur des ressources humaines du C. a pu ainsi se fonder sur le seul avis d'inaptitude médicale du 24 avril 2023 ;
4. Considérant cependant qu'en déclarant m. A., d'une manière générale, « inapte définitif à son métier d'infirmière » alors que la médecine du travail s'est bornée à la déclarer « inapte définitif à son poste », celui d'infirmière en réanimation, le Directeur des ressources humaines du C. a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que m. A. est fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque ;
Sur les conclusions à fin d'injonction
6. Considérant que m. A. demande à ce qu'il soit enjoint de l'affecter dans un emploi vacant permanent approprié à son état de santé au titre d'un reclassement et de l'accompagner dans le cadre prévu à cet effet faisant suite à l'avis d'inaptitude prononcé par l'Office de la médecine du travail ;
7. Considérant qu'il n'appartient pas au Tribunal Suprême d'adresser des injonctions à l'administration ; que, dès lors, les conclusions à fin d'injonction présentées par m. A. sont irrecevables ;
Sur les conclusions à fin d'indemnisation
8. Considérant que, en application du 1° du B de l'article 90 de la Constitution, m. A. est fondée à obtenir les indemnités qui résultent de l'annulation de la décision attaquée ;
9. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par m. A. du fait de la décision annulée en condamnant le C. à lui verser une indemnité de 5.000 euros ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er
La décision du 2 mai 2023, rectifiée le 17 mai 2023, du Directeur des Ressources Humaines du C. est annulée.
Article 2
Le C. est condamné à verser à m. A. la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice moral.
Article 3
Les dépens sont mis à la charge du C.
Article 4
Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5
Expédition de la présente décision sera transmise au C.
Composition
Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Stéphane BRACONNIER, Président, José MARTINEZ, Vice-Président, Pierre de MONTALIVET, rapporteur, Didier GUIGNARD, Membres titulaires, Régis FRAISSE, Membre suppléant ;
et prononcé le dix-huit juin deux mille vingt-quatre en présence du Ministère public, par Monsieur José MARTINEZ, assisté de Madame Nadine VALLAURI, Greffier en Chef.
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