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15/03/2024 | MONACO | N°jp-100031

Monaco | Tribunal Suprême, 15 mars 2024, S. C. I. A. c/ État de Monaco


Motifs

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Après en avoir délibéré

* 1. Considérant que, à la suite de l'adoption de la loi du 28 juillet 2022, le Gouvernement a engagé une réforme afin d'ouvrir à l'urbanisation le site de l'Esplanade des Pêcheurs du Port Hercule et, ainsi, d'accueillir le projet immobilier initié le 5 septembre 2014 par l'État de Monaco, la S. A. M. B., devenue C., et M. f. D. ; qu'à cet effet, le Prince Souverain a adopté, après avis du Comité Consultatif pour la Construction en date du 15 septe

mbre 2022, avis du Conseil de la mer en date du 15 novembre 2022, avis du Conseil communal en d...

Motifs

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Après en avoir délibéré

* 1. Considérant que, à la suite de l'adoption de la loi du 28 juillet 2022, le Gouvernement a engagé une réforme afin d'ouvrir à l'urbanisation le site de l'Esplanade des Pêcheurs du Port Hercule et, ainsi, d'accueillir le projet immobilier initié le 5 septembre 2014 par l'État de Monaco, la S. A. M. B., devenue C., et M. f. D. ; qu'à cet effet, le Prince Souverain a adopté, après avis du Comité Consultatif pour la Construction en date du 15 septembre 2022, avis du Conseil de la mer en date du 15 novembre 2022, avis du Conseil communal en date du 22 novembre 2022 et délibération du Conseil de Gouvernement le 7 décembre 2022, l'Ordonnance Souveraine n° 9.613 modifiant les dispositions de l'Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013 portant délimitation et règlement d'urbanisme du secteur des quartiers ordonnancés ; que cette Ordonnance Souveraine n° 9.613 du 15 décembre 2022 a été publiée au Journal de Monaco le 23 décembre 2022 ; que la S. C. I. A. a sollicité à titre gracieux du Ministre d'État, par recours du 14 février 2023 déposé le 15 février 2023, le retrait de l'Ordonnance Souveraine n° 9.613 ; que, par décision du 20 mars 2023, le Ministre d'État a rejeté cette demande ; que cette décision, ensemble l'Ordonnance Souveraine n° 9.613 du 15 décembre 2022, sont les décisions attaquées ;

Sur les demandes de mesure d'instruction

* 2. Considérant qu'en l'état des pièces produites et jointes au dossier et eu égard à la nature de l'acte attaqué, il n'y a pas lieu de prescrire les mesures d'instruction sollicitées par la S. C. I. A. ;

Sur la régularité de la procédure consultative

* 3. Considérant, en premier lieu, que l'Ordonnance Souveraine n° 3.387 du 30 juin 1956 instituant un Comité Consultatif pour la Construction dispose, dans son article 1er, que « Le Comité Consultatif pour la Construction est obligatoirement consulté, donne son avis et formule des suggestions : (…) 7° Sur les projets de plans de coordination concernant le secteur des ensembles ordonnancés visé à l'article 5 de l'Ordonnance-Loi n° 674, du 3 novembre 1959, ainsi que les projets de plans de coordination partiels prévus à l'article 13 de l'Ordonnance n° 2.120, du 16 novembre 1959 » ; que son article 2 fixe la composition du Comité Consultatif pour la Construction ;

* 4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'Ordonnance Souveraine n° 9.613 du 15 décembre 2022 a fait l'objet d'une consultation par le Comité Consultatif pour la Construction lors de la séance du 15 septembre 2022 ; que les règles de composition, en particulier de quorum, ont été respectées ; que, dans l'avis rendu lors de cette séance, le Comité Consultatif pour la Construction a proposé deux modifications de portée limitée qui ont été reprises à l'annexe n° 4 portant dispositions particulières d'urbanisme applicables au quartier ordonnancé de la Condamine insérées dans l'Ordonnance Souveraine attaquée ; que ces modifications ont été portées à la connaissance des membres du Comité Consultatif pour la Construction ; qu'il n'y avait, dès lors, pas lieu d'organiser une nouvelle consultation du Conseil Consultatif pour la Construction ;

* 5. Considérant, en deuxième lieu, que selon les dispositions de l'article L. 1101, alinéa 1er, du Code de la mer : « Il est institué un Conseil de la mer chargé d'examiner les projets de loi ou d'ordonnances qui lui sont soumis dans les cas prévus par le présent code et de formuler un avis motivé sur ces textes » ; que l'article L. 2301 du même code dispose : « Les dispositions du présent titre, sans préjudice de celles du titre II, ont pour objet d'assurer, par des mesures appropriées, la conservation et le développement naturels de la faune et de la flore marines et, à ces fins, de préserver de tous troubles le milieu marin et de prévenir les dommages susceptibles d'être causés au sol et au sous-sol ainsi qu'aux ouvrages appropriés qui y sont implantés. / Elles s'appliquent à l'ensemble des rivages, des eaux intérieures et des eaux territoriales ; dans ces limites, des aires particulières peuvent être définies en vue d'assurer une protection spécifique » ; que l' article L. 2302 du Code de la mer ajoute : « Les conditions d'application de l'article précédent sont déterminées, après avis du Conseil de la mer, par des ordonnances souveraines qui précisent notamment : les conditions d'exercice dans lesdites eaux et aires de toute activité susceptible de nuire au maintien de leur qualité écologique » ; qu'en l'espèce, l'Ordonnance Souveraine n° 9.613 du 15 décembre 2022 comporte des dispositions en matière d'urbanisme qui affectent l'Esplanade des Pêcheurs et qui sont destinées à « accueillir, dans le cadre d'une optimisation de ce foncier, un programme immobilier mixte public/privé permettant de développer de nouvelles surfaces à vocation d'habitation, culturelle et tertiaire et à développer de généreux espaces publics d'accompagnement », tout en précisant que ce programme a justifié la désaffectation d'une partie de l'Esplanade des pêcheurs par la loi n° 1.350 du 29 juillet 2022 ; qu'il est manifeste que les règles ainsi énoncées par ladite Ordonnance Souveraine emportent utilisation du rivage, du sol et du sous-sol et sont susceptibles de générer des troubles au milieu marin et des dommages au sol et sous-sol, au sens de l' article L. 2301 du Code de la mer ; que, dès lors, en application de l'article L. 2302 du même code, une Ordonnance Souveraine susceptible d'avoir ce type d'effet ne peut être adoptée qu'après avis motivé du Conseil de la mer ;

* 6. Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que le Conseil de la mer a examiné le projet d'Ordonnance Souveraine attaquée lors de sa séance du 15 novembre 2022 ; que, conformément aux dispositions de l'article L. 1101 du Code de la mer, il s'est réuni dans le respect des règles liées à sa composition ; qu'aucune disposition n'exige la production d'une étude d'impact préalable en matière d'Ordonnance Souveraine portant modification des règles d'urbanisme ; qu'en outre, les deux modifications de portée limitée qui ont été apportées au projet ne se rapportaient pas au champ de compétences du Conseil de la mer ;

* 7. Considérant, en troisième lieu, que les dispositions de l'article 26 de la loi du 29 juillet 1974 sur l'organisation communale prévoit que « Le Conseil communal est obligatoirement consulté par le Ministre d'État : 1°) sur les projets importants de travaux publics et les projets de construction d'immeubles par l'État 2°) sur les projets de construction d'immeubles par des particuliers dans les cas suivants : dans le secteur des ensembles ordonnancés : lorsque le volume bâti, au-dessus du terrain naturel, excède 15.000 m^3 ; dans le secteur des opérations urbanisées : lorsque le volume bâti, au-dessus du terrain naturel excède 7.500 m^3 dans le secteur réservé : sur tous les projets ; 3°) sur les projets de construction d'immeubles par l'État ou par des particuliers dans le quartier de Monaco-Ville, ainsi que sur les projets de travaux publics à entreprendre dans ce quartier ; 4°) sur les projets de création ou de suppression de promenades, zones vertes ou jardins publics ; 5°) sur les projets de planification urbaine et de réglementation d'urbanisme applicables aux différents secteurs et zones de la Principauté ; 6°) sur les projets de construction, de démolition ou de reconstruction susceptibles de modifier l'aspect ou l'esthétique de la ville ou la circulation urbaine. Lorsqu'il est saisi de l'un des projets visés au précédent alinéa, le Conseil communal doit émettre son avis dans les dix jours ouvrés. À cet effet et à la demande du Maire, les services administratifs présentent au Conseil communal les aspects du ou des projets et lui apportent toutes précisions utiles. Le Conseil communal est réuni sans délai, s'il y a lieu en session extraordinaire et, le cas échéant, selon la procédure d'urgence prévue à l'article 10. Si le Ministre d'État entend passer outre à un avis défavorable dûment motivé, il est tenu de provoquer une seconde délibération du Conseil communal. Le second avis doit être formulé dans les conditions mentionnées au précédent alinéa. Il ne peut être passé outre à un nouvel avis défavorable que par arrêté ministériel motivé. ».

* 8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le Conseil communal s'est réuni, dans le respect des règles de quorum, lors de la séance du 22 novembre 2022 ; qu'à l'issue de cette réunion, ses membres ont émis un avis favorable au projet d'Ordonnance Souveraine attaquée ; qu'il n'y avait donc pas lieu d'organiser une seconde délibération du Conseil communal ; qu'au surplus, les deux modifications de portée limitée apportées au projet à la demande du Comité Consultatif de la Construction n'ont pas remis en cause l'avis donné par le Conseil communal ;

* 9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure consultative doivent être rejetés ;

Sur le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation

* 10. Considérant que l'Ordonnance Souveraine n° 9.613 du 15 décembre 2022 apporte des modifications au plan de zonage du secteur des quartiers ordonnancés et introduit des dispositions particulières « RUCNDDPV15D » et des plans de coordination correspondants applicables au quartier de la Condamine ; que ces dispositions particulières sont annexées sous la dénomination « Annexe 4 » à l'Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013 ; qu'elles déterminent notamment les volumétries et les règles d'urbanisme applicables à la zone en tenant compte en particulier de la hauteur des futurs bâtiments et des exigences de préservation de vue sur les éléments patrimoniaux environnant ; que, s'agissant plus précisément du site de l'Esplanade des Pêcheurs, l'article 5.2. consacre des « dispositions particulières applicables à l'opération d'aménagement d'ensemble dite « Esplanade des Pêcheurs » Emprises bâties EB19 a à d » ; qu'il résulte de l'instruction du dossier que les gabarits autorisés par l'article 5.2. de l'annexe 4 de l'Ordonnance Souveraine n° 4.482, tel que modifié par l'Ordonnance Souveraine n° 9.613, ont reçu un avis favorable du Comité Consultatif pour la Construction et du Conseil de la mer ; que les nouvelles règles urbanistiques visent en particulier à intégrer les projets immobiliers de manière à préserver le patrimoine bâti, à maintenir les vues emblématiques depuis le Port Hercule vers la mer et à garantir le dégagement de surfaces suffisantes pour assurer la pérennisation des Grands Prix automobiles en Principauté ; que si les dispositions de l'article 5.2. de l'annexe 4 de l'Ordonnance Souveraine attaquée ont vocation à permettre la délivrance d'autorisations d'urbanisme et sont ainsi susceptibles d'affecter des éléments du patrimoine culturel et historique, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu notamment des dispositions de l'article 5.2.1 qui prévoit que le bâtiment en oblique est « destiné à préserver la perception du Fort Antoine », que les décisions attaquées soient entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;

Sur le moyen tiré d'un détournement de pouvoir

* 11. Considérant que l'Ordonnance Souveraine n° 9.613 du 15 décembre 2022 a été adoptée en vue de modifier les règles d'urbanisme du secteur des quartiers ordonnancés, en particulier le quartier de la Condamine où est localisée l'Esplanade des Pêcheurs ; qu'à la suite de l'adoption de la loi n° 1.530 du 29 juillet 2022, l'Ordonnance Souveraine procède aux modifications nécessaires à la réalisation d'une opération d'aménagement complexe et globale portée par l'État ; que cette opération tend notamment à créer une institution muséale à vocation culturelle et scientifique d'une surface d'environ 5.400 m^2 destinée à accueillir des collections d'archéologie sous-marine, une esplanade de plain-pied d'environ 3.700 m^2, des espaces couverts modulables d'environ 2.100 m^2 utilisables pour les Grands Prix automobiles ainsi que pour d'autres manifestations tout au long de l'année, un bâtiment à usage de commerces, de bureaux et de logements privés d'une superficie totale de 18.100 m^2, un immeuble d'environ 3.000 m^2 comprenant des commerces et des logements domaniaux, des locaux de 1.500 m^2 pour le relogement des professionnels du port et de la Police maritime, une liaison par ascenseurs reliant le projet au quartier de Monaco Ville, des jardins publics d'une superficie d'environ 2.000 m^2 ainsi que 182 places de stationnement et qu'elle nécessite ainsi de modifier les dispositions de l'Ordonnance Souveraine n° 4.482 du 13 septembre 2013 ; que ces modifications correspondent aux dispositions de l'Ordonnance Souveraine n° 9.613 du 15 décembre 2022 ; qu'au surplus, par la décision 2022-31 du 10 mars 2023, le Tribunal Suprême a déjà considéré « qu'eu égard à l'ensemble des équipements à réaliser et des contreparties financières pour l'État qu'il comporte, un tel projet, dont les éléments ne sauraient être dissociés, présente un intérêt public » et que « par suite, le déclassement de la parcelle que suppose sa réalisation poursuit un but d'intérêt général » ; qu'ainsi, le moyen tiré d'un détournement de pouvoir doit être écarté ;

* 12. Considérant, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par l'État de Monaco, qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête de la S. C. I. A. ne peut qu'être rejetée ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

La requête de la S. C. I. A. est rejetée.

Article 2

Les dépens sont mis à la charge de la S. C. I. A..

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition

Pour extrait certifié conforme à l'original délivré en exécution de l'article 37 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.

Le Greffier en Chef,

Virginie SANGIORGIO

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : jp-100031
Date de la décision : 15/03/2024

Analyses

Règles d'urbanisme ; Secteur protégé


Parties
Demandeurs : S. C. I. A.
Défendeurs : État de Monaco

Références :

Ordonnance Souveraine n°4.482 du 13 septembre 2013
article L. 110­1 du Code de la mer
article 37 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
loi n° 1.350 du 29 juillet 2022
loi n° 1.530 du 29 juillet 2022
Code de la mer
article L. 230­2 du Code de la mer
Ordonnance Souveraine n° 9.613 du 15 décembre 2022
article L. 230­1 du Code de la mer
Ordonnance Souveraine n° 3.387 du 30 juin 1956


Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2024-03-15;jp.100031 ?

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