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30/11/2023 | MONACO | N°TS/2023-10

Monaco | Tribunal Suprême, 30 novembre 2023, Monsieur D. R. c/ État de Monaco, TS/2023-10


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LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête, présentée par Monsieur D. R., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 3 mai 2023, sous le numéro TS 2023-10, déposée par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel, tendant à l'annulation de la décision du Ministre d'État du 2 mars 2023 sanctionnant M. R. d'un abaissement de classe en décidant que le demandeur au recours rangé au 1er échelon – indice majoré 457 – de l'échelle de principalat des agents de police à

compter du 1er mars 2022 est placé à la classe exceptionnelle de l'échelle des agents de police – ...

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LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête, présentée par Monsieur D. R., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 3 mai 2023, sous le numéro TS 2023-10, déposée par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'Appel, tendant à l'annulation de la décision du Ministre d'État du 2 mars 2023 sanctionnant M. R. d'un abaissement de classe en décidant que le demandeur au recours rangé au 1er échelon – indice majoré 457 – de l'échelle de principalat des agents de police à compter du 1er mars 2022 est placé à la classe exceptionnelle de l'échelle des agents de police – indice majoré 443 – de cette même échelle, sans ancienneté conservée, avec effet au 10 mars 2023 ; ordonner la réintégration de M. R. au 1er échelon – indice majoré 457 – de l'échelle de principalat des agents de police à compter du 1er mars 2022 et condamner l'État de Monaco au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice matériel et à la somme de 15.000 euros pour préjudice moral, ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;

CE FAIRE :

Attendu que M. R., agent de police titulaire, est, depuis le 1er mars 2022, rangé au 1er échelon - indice 457 - et affecté à la section de proximité et de sécurisation de la Division de la police urbaine ; qu'il expose avoir été convoqué devant le conseil de discipline le 6 décembre 2022 pour sa présence, signalée à quatre reprises, entre le 17 et le 29 novembre 2021, en dehors de l'exercice de ses fonctions, à un rassemblement de quelques personnes devant un établissement scolaire pour alerter sur les dangers du port du masque pour les enfants ; qu'à la suite de son audition, au cours de laquelle il lui a été reproché d'avoir manqué à son devoir de réserve, il a été sanctionné d'un abaissement de classe ;

Attendu qu'à l'appui de sa requête, M. R. invoque une erreur manifeste d'appréciation ; qu'il estime, que la liberté de manifester, garantie par l'article 23 de la Constitution et par l'article 11 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires d'État, est compatible avec le devoir de réserve exigé des fonctionnaires ; que ce dernier n'interdit pas à un agent public d'exprimer ses opinions mais qu'il doit faire preuve de réserve et de retenue dans l'expression de ses opinions personnelles ; que les dispositions de l'article 3.8 du Code de déontologie de la Sûreté Publique proclament : « (…) Lorsqu'ils ne sont pas en service, les personnels de la Direction de la Sûreté Publique s'expriment librement dans la limite de leur devoir de réserve, de la loyauté à l'égard des institutions, et de l'obligation de ne pas porter atteinte au crédit ou à la réputation de la Direction de la Sûreté Publique » ;

Attendu que le requérant affirme n'avoir aucunement méconnu, par son comportement, son devoir de réserve ; qu'il a participé passivement et sans prendre la parole à des rassemblements de parents d'élèves dont l'objectif était de sensibiliser sur le port du masque obligatoire pour les enfants en milieu scolaire ; qu'en conséquence, il demande l'annulation de la décision du Ministre d'État procédant à son abaissement de classe ; qu'il sollicite sa réintégration au 1er échelon – indice majoré 457 – de l'échelle de Principalat des agents de police ; qu'il réclame, enfin, une somme de 5.000 euros au titre de son préjudice matériel pour la perte de revenu survenue dans le cadre de la procédure et de 15.000 euros au titre du préjudice moral ;

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 4 juillet 2023, par laquelle le Ministre d'État invite le Tribunal Suprême à rejeter la requête de M. R. et à le condamner aux entiers dépens ;

Attendu que le Ministre d'État rappelle que M. R., agent de police en position de maladie, a participé à quatre manifestations non autorisées sur la voie publique ; que lors de ces rassemblements, des fonctionnaires de police auraient rappelé au requérant qu'il était soumis au devoir de réserve ; que ce dernier aurait contesté en affirmant qu'il n'avait pas à respecter ce devoir puisqu'il n'était pas en tenue et qu'il ne participait pas à une manifestation ; qu'il aurait reconnu les faits qui lui étaient reprochés lors de sa comparution devant le conseil de discipline, le 6 décembre 2022, tout en soutenant qu'il ne participait pas à une manifestation et, qu'en conséquence, il n'avait pas porté atteinte à son devoir de réserve ; qu'en vertu des dispositions des articles 6-1 et 11 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires et de l'article 3.1 du Code de déontologie de la Direction de la Sûreté Publique, un agent public est soumis, durant et en dehors de son service, à un devoir de réserve et à l'obligation de loyauté ;

Attendu que dans cette même contre-requête, le Ministre d'État relève que, par son comportement, M. R. a manqué à ces deux obligations en participant à quatre rassemblements non autorisés sur la voie publique ; qu'en raison de la présence d'une banderole de trois mètres, de pancartes et de messages explicites, et de la participation du collectif anti-masque lors du rassemblement du 29 novembre 2021, il apparait clairement que ces rassemblements constituaient des manifestations ; qu'ainsi, la participation de M. R. tendait à remettre en cause le bien-fondé des mesures sanitaires prises par le Gouvernement monégasque que le requérant avait pourtant pour mission de faire respecter ; que sa présence constitue bien une méconnaissance, de sa part, de son obligation de loyauté envers le Gouvernement ; que c'est sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que le requérant a été sanctionné et qu'il convient, par conséquent, de rejeter ces demandes ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 28 juillet 2023, par laquelle M. R. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu que le requérant ajoute avoir toujours été discret lors de ces rassemblements ; qu'il n'a jamais exprimé une opposition au port du masque de manière générale mais uniquement dans le cadre scolaire, qui échappe au périmètre de ses fonctions professionnelles ; que dans cette même réplique, le requérant s'interroge enfin sur le lien établi entre sa présence lors de ces attroupements et la décrédibilisation de l'action gouvernementale ; qu'il maintient sa demande d'annulation et les demandes indemnitaires présentées dans la requête ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 28 août 2023, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu que le Ministre d'État ajoute qu'indépendamment de la qualification à accorder à ces rassemblements, M. R. est tenu – en toutes circonstances – à un devoir de réserve et à une obligation de loyauté à l'égard de la Direction de la Sûreté Publique ; qu'en vertu de ces deux exigences, il doit faire preuve de mesure et de retenue dans l'expression de ses opinions tant pendant le service qu'en dehors de celui-ci ; que la diminution du traitement mensuel d'un montant de 50,81 euros ne lui cause pas un préjudice matériel de 5.000 euros et que la somme de 15.000 euros demandée au titre du préjudice moral ne serait pas établie ;

SUR CE,

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment ses articles 23 et le 1° du B de son article 90 ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 10 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État ;

Vu la loi n° 1.527 du 7 juillet 2022 modifiant la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État, et notamment son article 11 ;

Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu le Code de Déontologie de la Sureté Publique ;

Vu l'Ordonnance du 10 mai 2023 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Philippe BLACHER, Membre titulaire, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 8 septembre 2023 ;

Vu l'Ordonnance du 16 octobre 2023 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 17 novembre 2023 ;

Ouï Monsieur Philippe BLACHER, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Aurélie SOUSTELLE, Avocat au Barreau de Nice pour M. D. R. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France pour l'État de Monaco ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

Motifs

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

1. Considérant que Monsieur D. R. demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 2 mars 2023 du Ministre d'État lui infligeant une sanction disciplinaire ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires : « Tout fonctionnaire, quelle que soit sa position, doit s'abstenir, soit pour son propre compte, soit pour le compte de toute autre personne physique ou morale, de toute démarche, activité ou manifestation incompatible avec la discrétion et la réserve qu'impliquent ses fonctions » ; que les dispositions de l'article 3.8 du Code de déontologie de la Direction de la Sûreté Publique énoncent que « Les personnels de la Direction de la Sûreté Publique sont tenus à une obligation de réserve et de neutralité. Ils s'abstiennent, dans l'exercice de leurs fonctions, de toute expression ou manifestation de leurs convictions religieuses, syndicales ou politiques. Lorsqu'ils ne sont pas en service, les personnels de la Direction de la Sûreté Publique s'expriment librement dans la limite de leur devoir de réserve, de la loyauté à l'égard des institutions, et de l'obligation de ne pas porter atteinte au crédit ou à la réputation de la Direction de la Sûreté Publique » ; qu'aux termes de l'article 41 de la loi du 12 juillet 1975 les sanctions qui peuvent être prononcées à l'encontre d'un agent public sont : « […] « 3° l'abaissement de classe ou d'échelon » ;

3. Considérant qu'à la suite de la séance devant le conseil de discipline, tenue le 6 décembre 2022, le Ministre d'État a prononcé contre M. R. un abaissement de classe pour avoir porté atteinte à son devoir de réserve et à son obligation de loyauté ; que la matérialité des faits n'est pas contestée ; que l'intéressé avait déjà fait l'objet de sanctions disciplinaires, à savoir un avertissement et trois blâmes ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. R. a participé, à quatre reprises et en dépit de la mise en garde qui lui a été adressée par un supérieur hiérarchique, à des manifestations non autorisées sur la voie publique, destinées à dénoncer le port du masque dans les établissements scolaires ; que ces actions avaient pour objectif de critiquer une mesure sanitaire prise par le Gouvernement ; que la circonstance que M. R. n'était pas en service au moment des faits est sans influence sur la méconnaissance des obligations qui lui incombent en tant qu'agent de police ; qu'en conséquence le Ministre d'État a pu, sans méconnaitre la liberté d'expression, sanctionner M. R. d'un abaissement de classe ; qu'au regard des faits reprochés à M. R., cette sanction ne revêt pas un caractère disproportionné ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. R. n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque ; qu'il suit de là que ses demandes indemnitaires ne peuvent qu'être rejetées ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

La requête de Monsieur D. R. est rejetée.

Article 2

Les dépens sont mis à la charge de M. R..

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Stéphane BRACONNIER, Président, José MARTINEZ, Vice-président, Philippe BLACHER, rapporteur, Pierre de MONTALIVET et Didier GUIGNARD, membres titulaires,

et prononcé le trente novembre deux mille vingt-trois en présence du Ministère public, par Monsieur Stéphane BRACONNIER, assisté de Madame Bénédicte SEREN-PASTEAU, Greffier.

Le Greffier, Le Président.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2023-10
Date de la décision : 30/11/2023

Analyses

Fonction publique ; Fonction publique civile et militaire


Parties
Demandeurs : Monsieur D. R.
Défendeurs : État de Monaco

Références :

articles 6-1 et 11 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975
loi n° 975 du 12 juillet 1975
article 23 de la Constitution
loi n° 1.312 du 29 juin 2006
Vu la Constitution
article 11 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975
loi n° 1.527 du 7 juillet 2022
Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2023-11-30;ts.2023.10 ?

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