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02/12/2021 | MONACO | N°TS/2020-14

Monaco | Tribunal Suprême, 2 décembre 2021, Monsieur l. M. c/ État de Monaco [TS 2020-14], TS/2020-14


Motifs

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par Monsieur l. M. enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 15 juin 2020 sous le numéro TS 2020-14, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 7 avril 2020 de Madame le Directeur du Travail refusant de lui délivrer un permis de travail l'autorisant à exercer en qualité de chargé de production et d'appui commercial au sein de la société BNP Paribas Groupe de Monte Carlo, à ce qu'il soit enjoint à la Direction du Tr

avail de lui délivrer un permis de travail ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers...

Motifs

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête présentée par Monsieur l. M. enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 15 juin 2020 sous le numéro TS 2020-14, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 7 avril 2020 de Madame le Directeur du Travail refusant de lui délivrer un permis de travail l'autorisant à exercer en qualité de chargé de production et d'appui commercial au sein de la société BNP Paribas Groupe de Monte Carlo, à ce qu'il soit enjoint à la Direction du Travail de lui délivrer un permis de travail ainsi qu'à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;

CE FAIRE :

Attendu que M. M. a obtenu, après ses études secondaires au lycée Albert Ier de Monaco, son baccalauréat série économique et sociale ; qu'il a ensuite obtenu un Diplôme Universitaire de Technologie en Gestion des entreprises et des administrations à l'Institut universitaire de technologie de Nice afin de travailler dans la finance ; que le 27 février 2020, la société BNP Paribas Groupe de Monte Carlo a embauché M. M. en qualité de chargé de production et d'appui commercial, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, pour une période de six mois allant du 2 mars au 31 août 2020 ; qu'elle a adressé à la Direction du Travail une demande d'autorisation d'embauchage et de permis de travail pour M. M.; que par décision du 7 avril 2020, prise après enquête de la Direction de la Sûreté publique, Madame le Directeur du Travail a rejeté cette demande ; qu'elle a relevé, dans sa décision, que M. M. avait été condamné le 26 février 2019 par le Tribunal correctionnel de Monaco pour des faits de violences ou voies de fait et que la Direction de la Sûreté publique avait émis un avis défavorable à la demande d'emploi en Principauté, un tel comportement étant incompatible avec celui attendu d'un salarié travaillant à Monaco ;

Attendu qu'à l'appui de sa requête, M. M. soutient, en premier lieu, pour obtenir l'annulation de la décision qu'il attaque, que Madame le Directeur du Travail était incompétente pour saisir la Direction de la Sûreté publique afin d'instruire la demande de délivrance du permis de travail ; qu'en effet, bien que l'article 2 de l'Ordonnance souveraine n° 16.675 du 18 février 2005 dispose que la Direction du Travail est chargée de s'assurer que le demandeur d'emploi est insusceptible de porter atteinte à l'ordre public avant de délivrer un permis de travail, elle doit respecter les dispositions de l'article 1-2 de l'Ordonnance souveraine n° 765 du 13 novembre 2006, laquelle dispose que la Direction de la Sûreté publique réalise son enquête conformément à la loi ; qu'or, l'article 3, alinéa 1er de la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 précise que « le Directeur de la Sûreté publique procède, sur instructions du Ministre d'État ou du Conseiller de Gouvernement - Ministre de l'intérieur, préalablement aux actes ou décisions administratives d'autorités compétences (...) à des enquêtes aux fins de vérifier que des personnes (...) concernées par ces actes ou décisions, présentent des garanties appropriées et que leurs agissements ne sont pas incompatibles avec ceux-ci » ; que le respect de la hiérarchie des normes doit conduire à constater qu'en l'espèce, le Ministre d'État était seul compétent pour saisir la Direction de la Sûreté publique pour rechercher s'il présentait les garanties appropriées pour exercer un emploi au sein de la société BNP Paribas Groupe de Monte Carlo et non Madame le Directeur du Travail ;

Attendu que M. M. allègue, en deuxième lieu, que la Direction de la Sûreté publique était incompétente pour émettre un avis sur la demande de permis de travail ; qu'en effet, il résulte des dispositions des Ordonnances souveraines du 18 février 2005 et du 13 novembre 2006 ainsi que de la loi du 13 juillet 2016 que la Direction de la Sûreté publique a une mission de renseignement et d'information des autorités qui la saisissent afin de prévenir d'éventuelles atteintes à l'ordre public ; qu'aucune de ces dispositions ne prévoit, en revanche, que la Direction de la Sûreté publique puisse ou doive émettre un avis sur la décision que l'autorité qui la saisit doit prendre ; que sa mission d'information doit se limiter à indiquer à l'autorité compétente si la personne a fait ou non l'objet d'une condamnation quelconque et les motifs de celle-ci ; qu'il appartenait, en l'espèce, à la Direction du Travail d'apprécier si la condamnation correctionnelle pour des faits de violence était incompatible avec l'exercice d'un emploi de chargé de production et d'appui commercial ; qu'en suivant l'avis défavorable de la Direction de la Sûreté publique sans procéder elle-même à une analyse factuelle de la situation, Madame le Directeur du Travail a entaché sa décision d'un vice affectant sa légalité externe ;

Attendu que M. M. soutient, en troisième lieu, qu'en raison de ses motivations insuffisantes, la décision attaquée est entachée d'un vice affectant sa légalité interne ; que la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs impose aux autorités compétentes qui refusent une autorisation de justifier leur décision en énonçant notamment les considérations de fait sur lesquelles elle se fonde ; que la décision attaquée de Madame le Directeur du Travail est relativement imprécise et se borne à reprendre à son compte l'avis de la Direction de la Sûreté publique, lequel indique qu'en raison de sa condamnation, le 26 février 2019, par le Tribunal correctionnel de Monaco pour des faits de violences ou de voies de fait, le comportement de M. M. serait incompatible avec celui attendu d'un salarié travaillant en Principauté ; que cette motivation particulièrement subjective interroge sur le comportement attendu d'un salarié travaillant en Principauté et sur les raisons pour lesquelles la condamnation de M. M. prononcée dix-huit mois auparavant serait incompatible avec les fonctions de chargé de production et d'appui commercial au sein d'une structure bancaire ; que le requérant entend préciser que les faits pour lesquels il a été condamné datent de près de vingt-quatre mois et qu'il n'a plus eu affaire aux autorités judiciaires depuis ; qu'il a exécuté spontanément et entièrement le jugement de condamnation dans le mois qui a suivi son prononcé, tant en s'acquittant de l'amende pénale qu'en réparant les préjudices subis par la partie civile ; que l'infraction à laquelle il a été condamné n'est pas une infraction économique ou financière incompatible avec un emploi dans une banque ; que dans le cadre de son emploi de chargé de production et d'appui commercial, il n'avait aucun contact physique avec la clientèle ; que durant les semaines au cours desquelles il a travaillé au sein de l'établissement bancaire, il a donné pleine et entière satisfaction, notamment en travaillant en équipe ; que depuis la décision attaquée, il est toujours à la recherche d'un emploi ; qu'enfin, en motivant insuffisamment sa décision de refus de lui délivrer un permis de travail, Madame le Directeur du Travail porte atteinte de manière infondée à sa liberté fondamentale de travailler telle qu'elle est consacrée par l'article 15 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ratifiée par la Principauté de Monaco ;

Attendu que M. M. fait valoir, en quatrième lieu, que la décision attaquée serait entachée d'une violation vraisemblable de la loi n° 1.165 du 23 décembre 1993 relative à la protection des informations nominatives ; qu'en effet, la décision attaquée porte atteinte au droit à l'oubli du requérant en motivant son refus par le fait qu'il a été condamné par une juridiction correctionnelle près de dix-huit mois auparavant ; qu'afin de garantir le droit au respect de la vie privée et le droit à l'oubli qui en découle, la loi du 23 décembre 1993 modifiée impose aux autorités de déclarer à la Commission de contrôle des informations nominatives (CCIN) que le traitement des données qu'elles collectent satisfait aux exigences de la loi ; que cette déclaration s'impose également aux autorités judiciaires ou administratives qui traitent des données automatisées d'informations nominatives relatives aux condamnations, tel un casier judiciaire, dans le cadre des missions qui leur sont légalement confiées, conformément aux articles 6 à 11 de la loi du 23 décembre 1993 ; que dans le cadre de sa mission, la Direction de la Sûreté publique devait préalablement déclarer à la CCIN qu'elle utiliserait les données contenues dans le casier judiciaire de M. M. pour les transmettre à la Direction du Travail en vue de statuer sur une demande de permis de travail ; qu'au vu du délai entre la demande de permis de travail et la décision attaquée, il y a légitimement lieu de douter que cette procédure ait été respectée ; qu'à défaut de justification du respect de cette procédure, la décision attaquée doit être regardée comme entachée d'un vice affectant sa légalité interne ;

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 11 août 2020, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête, ainsi qu'à la condamnation de M. M. aux entiers dépens ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, tout d'abord, que le moyen tiré de ce que Madame le Directeur du Travail aurait empiété sur la compétence du Ministre d'État en donnant elle-même instruction au Directeur de la Sûreté publique est inopérant dès lors que M. M. n'établit pas qu'elle aurait directement saisi le Directeur de la Sûreté publique d'une demande d'enquête ; que, d'une part, une telle saisine directe ne résulte pas des termes de la décision attaquée du 7 avril 2020 ; que, d'autre part, les instructions susceptibles d'être données directement par le Ministre d'État ne sont soumises à aucun formalisme, de sorte que le requérant n'établit pas que le Directeur de la Sûreté publique n'aurait pas reçu d'instructions du Ministre d'État ; qu'en tout état de cause, il ressort de l'article 1er de l'arrêté ministériel n° 2016-622 du 17 octobre 2016, pris pour l'application de l'article 3 de la loi du 13 juillet 2016, que les autorisations d'embauchage font partie des décisions administratives qui donnent lieu à enquête de la Direction de la Sûreté publique ; que ces enquêtes ont ainsi un caractère automatique et ne nécessitent, pour être diligentées, aucune instruction spécifique du Ministre d'État ; qu'aux termes de l'article 2 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957 modifiée : « la délivrance du permis de travail prévu à l'article premier ne peut intervenir qu'après avis du Directeur de la Sûreté publique et avis du Directeur de l'Office de la médecine du travail » ; que la loi elle-même attribue ainsi compétence au Directeur de la Sûreté publique pour donner son avis sur la délivrance des permis de travail, avis qui ne peut être donné qu'après enquête ; que, dès lors, le Tribunal Suprême écartera le moyen tiré de ce que la décision attaquée est intervenue au terme d'une procédure irrégulière ;

Attendu, ensuite, que selon le Ministre d'État, il résulte des dispositions de l'article 2 de la loi du 17 juillet 1957 que le Directeur de la Sûreté publique avait compétence pour émettre un avis sur la demande de permis de travail ;

Attendu, en outre, que le Ministre d'État estime, concernant la motivation de la décision attaquée, qu'il n'est pas besoin d'explications pour comprendre qu'un petit État comme la Principauté de Monaco souhaite écarter de son marché du travail des salariés qui ont un comportement agressif et risquent de troubler l'ordre public par un comportement violent ; que la circonstance que les fonctions exercées par M. M.au sein de l'établissement bancaire ne le mettaient pas en rapport direct avec la clientèle est indifférente, le comportement violent pouvant s'exercer auprès des collègues de bureau ;

Attendu que le Ministre d'État fait également valoir que le moyen tiré de ce que la décision attaquée aurait porté une atteinte illégale à la liberté fondamentale de travailler de M. M. telle que celle-ci est consacrée par l'article 15 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté ; qu'en effet, d'une part, l'article 15 de ladite convention ne concerne en rien la liberté du travail ; que, d'autre part, le motif justifiant le refus d'autorisation d'embauchage de M. M.et de permis de travail constitue un motif légitime et proportionné ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, enfin, que ni la loi du 23 décembre 1993 ni celle du 13 juillet 2016 ne prévoit une obligation de déclarer à la CCIN l'utilisation de données contenues dans un casier judiciaire ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 2 septembre 2020, par laquelle M. M. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu que M. M. ajoute, tout d'abord, qu'en vertu de l'article 1er de l'arrêté ministériel du 17 octobre 2016, la délivrance des permis de travail et des autorisations d'embauchage sont au nombre des actes et décisions administratives qui, « conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article 3 de la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 », donnent lieu à des enquêtes ; que cette disposition législative prévoit bien que cette enquête est diligentée « sur instructions du Ministre d'État » ; qu'en affirmant que cette enquête a un caractère automatique ne nécessitant aucune instruction de sa part, le Ministre d'État reconnaît implicitement n'avoir, en l'espèce, donné aucune instruction en vue de sa réalisation ;

Attendu que M. M. fait valoir, ensuite, que sur le fondement des seules dispositions expressément visées dans la décision attaquée, la Direction de la Sûreté publique aurait dû se contenter d'informer la Direction du travail de la condamnation pénale prononcée à son encontre ; qu'il appartenait ensuite à la Direction du Travail d'apprécier si cette condamnation était incompatible avec l'exercice des fonctions pour lesquelles le permis de travail était sollicité ; que le Ministre d'État mentionnant pour la première fois dans sa contre-requête la loi du 17 juillet 1957 en vertu de laquelle l'avis du Directeur de la Sûreté publique a été émis, il s'en déduit que la décision attaquée méconnaît les exigences de la loi du 29 juin 2006 ; que son article 1er impose, en effet, que la décision comporte l'énoncé des considérations de droit qui constituent son fondement ;

Attendu que M. M. soutient, en outre, qu'il est fantaisiste et infondé d'affirmer qu'il aurait pu se montrer violent vis-à-vis de ses collègues de travail, l'attestation produite par le responsable gestion et ressources humaines de la société établissant sa capacité à travailler en équipe ; que l'article 15 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est ainsi rédigé :

« Liberté professionnelle et droit de travailler :

1. Toute personne a le droit de travailler et d'exercer une profession librement choisie ou acceptée.

2. Tout citoyen de l'Union a la liberté de chercher un emploi, de travailler, de s'établir ou de fournir des services dans tout État membre.

3. Les ressortissants des pays tiers qui sont autorisés à travailler sur le territoire des États membres ont droit à des conditions de travail équivalentes à celles dont bénéficient les citoyens de l'Union » ;

que le Ministre d'État n'est dès lors pas fondé à soutenir qu'il ne concerne pas la liberté du travail ;

Attendu, enfin, que selon M. M. le Ministre d'État n'apporte nullement la preuve que la Direction du Travail ait satisfait à l'obligation de déclarer à la CCIN l'utilisation des données contenues dans son casier judiciaire et qu'en estimant même qu'une telle obligation ne lui incombait pas, il reconnaît avoir failli à celle-ci ;

Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 1er octobre 2020, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête ;

Attendu que, selon le Ministre d'État, la loi elle-même donne compétence au Directeur de la Sûreté publique pour donner son avis sur la délivrance des permis de travail, avis qui ne peut intervenir qu'après enquête ; que cet avis étant obligatoire, il est indifférent, sur le plan de la légalité, de savoir par qui le Directeur de la Sûreté publique est saisi à l'occasion d'une demande de permis de travail ;

Attendu que le Ministre d'État ajoute, ensuite, que la question de la compétence du Directeur de la Sûreté publique pour émettre un avis sur une demande de permis de travail est étrangère aux considérations de fait et de droit qui fondent un refus de permis de travail ; qu'elle ne rentre pas dans le champ de la motivation de la décision refusant le permis de travail ;

Attendu que le Ministre d'État fait valoir, par ailleurs, que sont inopérantes les considérations postérieures à la décision attaquée, tirées de l'ancienneté, au demeurant très relative, de sa condamnation pénale, de ce qu'il a spontanément exécuté le jugement correctionnel ou encore de ce qu'il serait toujours à la recherche d'un emploi ;

Attendu que le Ministre d'État constate, en outre, que M. M. confond, dans ses écritures devant le Tribunal Suprême, l'article 15 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 15 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, laquelle n'a pas été signée par la Principauté de Monaco, qui n'est pas membre de l'Union européenne ; que ce texte n'est donc pas applicable en Principauté ;

Attendu que le Ministre d'État fait valoir, enfin, qu'aucune disposition de la loi du 23 décembre 1993 ne prévoit une obligation de déclarer à la CCIN l'utilisation des données contenues dans un casier judiciaire ; que le moyen tiré de la méconnaissance de cette loi ne peut dès lors qu'être écarté ;

SUR CE,

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le B de son article 90 ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 629 du 17 juillet 1957 modifiée, tendant à réglementer les conditions d'embauchage et de licenciement en Principauté ;

Vu loi n° 1.165 du 23 décembre 1993 modifiée, relative à la protection des informations nominatives ;

Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 portant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 16.675 du 18 février 2005 modifiée, portant création de la Direction du Travail ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 765 du 13 novembre 2006 modifiée, relative à l'organisation et au fonctionnement de la Direction de la Sûreté publique ;

Vu l'Arrêté ministériel n° 2016-622 du 17 octobre 2016 modifié, portant application de l'article 3 de la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 portant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale ;

Vu l'Ordonnance du 18 juin 2020 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Didier RIBES, Vice-président, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 16 octobre 2020 ;

Vu l'Ordonnance du 13 octobre 2021, modifiée, par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 17 novembre 2021 ;

Ouï Monsieur Didier RIBES, Vice-président du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Florian PLEBANI, Avocat au Barreau de Nice, pour Monsieur l. M. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIÉ, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Madame le Procureur Général en ses conclusions par lesquelles elle s'en remet à la sagesse du Tribunal Suprême ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

1. Considérant que M. l. M. demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 7 avril 2020 de Madame le Directeur du Travail refusant de lui délivrer un permis de travail l'autorisant à exercer en qualité de chargé de production et d'appui commercial au sein de la société BNP Paribas Groupe de Monte Carlo, à ce qu'il soit enjoint à la Direction du Travail de lui délivrer un permis de travail, ainsi que la condamnation de l'État aux entiers dépens ;

2. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 17 juillet 1957 tendant à réglementer les conditions d'embauchage et de licenciement en Principauté : « Aucun étranger ne peut occuper un emploi privé à Monaco s'il n'est titulaire d'un permis de travail. Il ne pourra occuper d ' emploi dans une profession autre que celle mentionnée par ce permis. La demande de permis de travail mentionne, le cas échéant, l'exercice d'une activité de télétravail et les lieux où elle est exercée. / Cette obligation est indépendante de la forme et de la durée du contrat de travail ainsi que du montant et de la nature de la rémunération (...) » ; que l'article 2 de la même loi précise que « la délivrance du permis de travail prévu à l'article premier ne peut intervenir qu'après avis du Directeur de la Sûreté publique et avis du Directeur de l'Office de la médecine du travail. Ces avis sont respectivement transmis au Directeur du Travail par le Directeur de la Sûreté publique et par le Directeur de l'Office de la médecine du travail » ;

3. Considérant, d'autre part, que l'article 3 de la loi du 13 juillet 2016 portant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale dispose : « Le Directeur de la Sûreté publique procède, sur instructions du Ministre d'État ou du Conseiller de Gouvernement-Ministre de l'Intérieur, préalablement aux actes ou décisions administratives d'autorités compétentes dont la liste est fixée par arrêté ministériel, à des enquêtes aux fins de vérifier que des personnes physiques ou morales concernées par ces actes ou décisions, présentent des garanties appropriées et que leurs agissements ne sont pas incompatibles avec ceux-ci. Le Directeur de la Sûreté publique procède également à des enquêtes aux fins de vérifier la situation personnelle, familiale et financière des personnes physiques désireuses de s'établir sur le territoire de la Principauté ou de renouveler leur titre de séjour conformément aux dispositions réglementaires applicables » ; que l'arrêté ministériel n° 2016-622 du 17 octobre 2016 portant application de l'article 3 de la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 portant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale, range « la délivrance et le renouvellement des permis de travail et autorisations d'embauchage » au nombre des décisions qui doivent être précédées d'une enquête ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée est fondée sur les résultats d'une enquête réalisée par la Direction de la Sûreté publique en application des dispositions citées ci-dessus ; que cette enquête a révélé que M. M. avait commis des faits de violences ou voies de fait pour lesquels il a été condamné le 26 février 2019 à une peine d'amende par le Tribunal correctionnel de Monaco ; que la Direction du Travail a estimé qu'en conséquence, il ne présentait pas les « garanties appropriées » pour poursuivre son activité professionnelle sur le territoire monégasque ;

5. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'il résulte des dispositions combinées citées aux points 2 et 3 que le Directeur de la Sûreté publiques émet, après enquête, un avis sur toute demande de délivrance d'un permis de travail ; que, par suite, M. M. ne saurait utilement soutenir que l'enquête sur sa situation personnelle n'ayant pas été diligentée par le Ministre d'État ou le Conseiller de Gouvernement - Ministre de l'intérieur, la décision attaquée aurait été prise au terme d'une procédure irrégulière ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions de l'article 2 de la loi du 17 juillet 1957, en ce qu'elles prévoient la compétence du Directeur de la Sûreté publique pour émettre un avis sur une demande de permis de travail, ne sont pas au nombre des considérations de droit qui constituent le fondement d'un refus de permis de travail ; que, par suite, M. M. n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée, faute de mentionner ces dispositions, méconnaîtrait les exigences de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu'aucune disposition de la loi du 23 décembre 1993 relative à la protection des informations nominatives n'impose qu'une déclaration soit faite à la Commission de contrôle des informations nominatives à l'occasion de chaque consultation par la Direction de la Sûreté publique d'un casier judiciaire ; que M. M. n'est, dès lors et en tout état de cause, pas fondé à soutenir que la décision de refus de permis de travail qu'il attaque méconnaîtrait la loi du 23 décembre 1993 ;

8. Considérant, en quatrième lieu, que, eu égard à la nature des faits pour lesquels M. M. a été condamné pénalement en 2019 par le Tribunal correctionnel de Monaco, Madame le Directeur du Travail a pu estimer, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, que le requérant ne présentait pas, à la date à laquelle elle a pris sa décision, les garanties appropriées à l'occupation de l'emploi pour lequel il sollicitait un permis de travail ;

9. Considérant, en dernier lieu, que la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne n'a pas été intégrée dans l'ordre juridique monégasque ; que le moyen tiré de la violation de son article 15 est donc inopérant ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. M. n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque ; que, par suite et en tout état de cause, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées ;

Dispositif

Décide :

Article 1er

La requête de Monsieur l. M. est rejetée.

Article 2

Les dépens sont mis à la charge de Monsieur M.

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, Officier de l'Ordre de Saint-Charles, Président, Didier RIBES, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Vice-président, rapporteur, Philippe BLACHER, Pierre de MONTALIVET, Membres titulaires, et Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, Membre suppléant, et prononcé le deux décembre deux mille vingt et un en présence du Ministère public, par Monsieur Didier RIBES, assisté de Madame Bénédicte SEREN-PASTEAU, Greffier.

Le Greffier, Le Président.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2020-14
Date de la décision : 02/12/2021

Analyses

Compétence  - Procédure administrative.

CompétenceContentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel.


Parties
Demandeurs : Monsieur l. M.
Défendeurs : État de Monaco [TS 2020-14]

Références :

article 1er de l'arrêté ministériel n° 2016-622 du 17 octobre 2016
Ordonnance du 18 juin 2020
article 2 de la loi n° 629 du 17 juillet 1957
Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
loi n° 629 du 17 juillet 1957
Loi du 29 juin 2006
Vu la Constitution
loi n° 1.430 du 13 juillet 2016
article 3 de la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016
loi du 23 décembre 1993
loi n° 1.312 du 29 juin 2006
article 1-2 de l'Ordonnance souveraine n° 765 du 13 novembre 2006
Loi du 13 juillet 2016
Ordonnances souveraines du 18 février 2005
Loi du 17 juillet 1957
article 3 de la loi du 13 juillet 2016
article 2 de l'Ordonnance souveraine n° 16.675 du 18 février 2005
Ordonnance du 13 octobre 2021
Ordonnance souveraine n° 765 du 13 novembre 2006
article 1er de l'arrêté ministériel du 17 octobre 2016
article 1er de la loi du 17 juillet 1957
articles 6 à 11 de la loi du 23 décembre 1993
Ordonnance souveraine n° 16.675 du 18 février 2005
Article 2 de la loi du 17 juillet 1957
loi n° 1.165 du 23 décembre 1993
Arrêté ministériel n° 2016-622 du 17 octobre 2016


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2021-12-02;ts.2020.14 ?

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