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11/06/2021 | MONACO | N°TS/2020-09

Monaco | Tribunal Suprême, 11 juin 2021, Monsieur F. P. c/ État de Monaco, TS/2020-09


Motifs

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête, présentée par Monsieur F. P., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 9 mars 2020 sous le numéro TS 2020-09, tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 8 juillet 2019 par laquelle le Ministre d'État a prononcé son refoulement du territoire de la Principauté de Monaco et de la décision du 13 janvier 2020 rejetant son recours gracieux et, d'autre part, à la condamnation de l'État de Monaco à lui verser la somme

de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'aux entiers dépens ;

CE FAIRE :
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Motifs

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière

Vu la requête, présentée par Monsieur F. P., enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 9 mars 2020 sous le numéro TS 2020-09, tendant, d'une part, à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 8 juillet 2019 par laquelle le Ministre d'État a prononcé son refoulement du territoire de la Principauté de Monaco et de la décision du 13 janvier 2020 rejetant son recours gracieux et, d'autre part, à la condamnation de l'État de Monaco à lui verser la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'aux entiers dépens ;

CE FAIRE :

Attendu que M. P., de nationalité italienne, expose s'être installé en 2015 avec sa compagne, Mme A. R., de nationalité monégasque, en Californie (États Unis), où leur enfant A. P. R., de nationalités monégasque, italienne et américaine, est né le 11 mars 2016 ; qu'un an après la naissance de l'enfant, les parents se sont séparés et la garde de l'enfant a été fixée, par décision du 25 juillet 2017 de la Cour supérieure de l'État de Californie - Comté de Los Angeles, chez sa mère, à Monaco, avec droit de visite et d'hébergement dévolu au père ; que M. P. est alors revenu en Italie pour se trouver près de son fils ; qu'il a d'abord exercé une activité professionnelle dans l'entreprise de son père à Cuneo ; qu'A. était alors régulièrement dans sa famille paternelle ; que, saisi par Mme R., le juge tutélaire de Monaco, par ordonnance du 7 décembre 2017, a fixé la résidence de l'enfant au domicile de la mère, avec droit de visite et d'hébergement au profit du père, et a autorisé M. P. à communiquer avec l'enfant par appel vidéo lorsque celui-ci n'était pas près de lui ;

Attendu que, selon le requérant, le 30 mars 2018, le Procureur Général a saisi le juge tutélaire à la suite de différentes plaintes déposées par la mère de l'enfant à l'encontre de M. P. ; que, si ces plaintes ont toutes été classées sans suite, « les faits n'étant pas constitués », une mesure d'assistance éducative a néanmoins été ordonnée, par ordonnance du 11 avril 2018, en l'état du conflit évident entre les parents ; que, dans le cadre des débats, la mère de l'enfant a indiqué que la distance du domicile paternel avec Monaco était de nature à faire obstacle aux droits de M. P. ; que, pour se rapprocher alors de son fils, M. P. a été embauché en mai 2018 en qualité de chauffeur de grande remise par une société monégasque et s'est installé à Roquebrune-Cap-Martin, commune française limitrophe de la Principauté de Monaco ;

Attendu que M. P. expose également qu'en raison de comportements inadaptés de « chacun des parents » dans l'exercice de leurs droits à l'égard de l'enfant, et « compte tenu de l'impossibilité pour les parties de communiquer sereinement », le juge tutélaire a, par ordonnance du 25 juin 2018, supprimé le droit de correspondance par appel vidéo précédemment établi au profit de M. P. ; que, motif pris de débordements attribués au père et en considération d'un risque de « déplacement ou [de] non-retour illicite de l'enfant si le père conservait le droit de l'héberger et de lui faire quitter le territoire monégasque », le juge tutélaire a, par ordonnance du 11 octobre 2018, suspendu les droits d'hébergement du père ; que des droits de visite ont été instaurés à raison d'un samedi sur deux à l'Espace de rencontre de la Direction de l'Action et de l'Aide sociales ; que les professionnels de l'Espace de rencontre ont rapidement demandé que ces droits de visite médiatisés se déroulent en présence de fonctionnaires de police, estimant que le père adoptait un comportement inadapté à leur égard ; que, durant l'exercice de ces droits de visite, le 1er juin 2019, M. P. a tenté, en contravention avec le règlement intérieur, de contacter en appel vidéo les grands-parents paternels d'A., privés de tout contact avec lui depuis neuf mois ; qu'une altercation entre le requérant et les professionnels de l'Espace de rencontre a alors eu lieu, les fonctionnaires de police en faction étant intervenus ; que tant les policiers que le personnel encadrant ont déposé plainte ; qu'en réaction, les droits de visite de M. P. ont été provisoirement suspendus par le juge tutélaire, par ordonnance du 5 juillet 2019 ;

Attendu que, toujours selon le requérant, dans ce contexte, le Ministre d'État a, par décision du 8 juillet 2019, ordonné le refoulement de M. P. du territoire de la Principauté ; que, par courrier du 30 juillet 2019, le Directeur du Travail a indiqué à M. P. « qu'en raison de la mesure de refoulement du territoire », le permis de travail qui lui avait été préalablement accordé était « annulé » ; que, le 4 septembre 2019, M. P. a formé un recours gracieux à l'encontre de la mesure de refoulement dont il a fait l'objet ; que, par ordonnance du 14 octobre 2019, considérant notamment que « la décision administrative d'interdiction du territoire monégasque [...] met obstacle à tout rétablissement de droits de visite médiatisés », le juge tutélaire a suspendu « jusqu'à nouvel ordre » les droits de M. P. à l'égard de son fils ; que, le 22 octobre 2019, soit postérieurement à toutes les sanctions prises à son encontre, M. P. a été condamné par le Tribunal correctionnel à la suite de l'altercation survenue le 1er juin avec les professionnels de l'Espace de rencontre ; que, le 13 janvier 2020, le Ministre d'État, se référant à cette condamnation et considérant que M. P. ne présentait « pour l'heure aucune garantie suffisante de réhabilitation sociale », a rejeté son recours gracieux ;

Attendu, en premier lieu, que M. P. soutient que la mesure de refoulement prononcée à son encontre est infondée ; qu'en effet, le Ministre d'État a fondé cette mesure sur le fait qu'il ne présente « pour l'heure aucune garantie suffisante de réhabilitation sociale », sans autre explication ; qu'or, M. P., qui s'était, dans l'intérêt de son enfant, intégré socialement à Monaco et y avait tissé un réseau de connaissances, a perdu son emploi du fait de la mesure prise à son encontre et s'en est nécessairement trouvé à la marge de la société ; que, de surcroît, il bénéficiait au moment de l'adoption de la mesure et bénéficie toujours d'un suivi psychologique régulier l'aidant à gérer notamment « les rapports interpersonnels avec la mère de son fils et les questions légales y relatives » et « la frustration engendrée par la privation de son fils » ; que M. P. œuvre manifestement pour son insertion sociale ; que, par ailleurs, les autorités n'ont pas tenu leur rôle, censé être actif ; que, contrairement aux exigences de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elles n'ont « pas suffisamment envisagé la mise en place de mesures additionnelles ou alternatives moins radicales » (CEDH, 26 février 2002, K. c. Allemagne, req. n°46544/99) ; que la mesure prise par le Ministre d'État ignore le rôle des autorités monégasques de préserver la position psychosociale de M. P. ; que les décisions attaquées sont, par suite, entachées d'illégalité ;

Attendu que M. P. fait valoir, en deuxième lieu, que les décisions attaquées ont porté atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, consacré tant par l'article 22 de la Constitution que par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui n'admet d'ingérence dans ce droit que si elle est fondée sur des besoins impérieux et proportionnée au but légitime recherché (CEDH, 21 juin 1988, B. c. Pays-Bas, req. n°10730/84) ;

Attendu que, quant au but de la mesure, l'objectif visé par les décisions attaquées est la préservation de l'ordre public et notamment de la sécurité des personnes et des biens ; que si le requérant ne conteste pas avoir adopté un comportement inadapté dans le cadre de l'exercice médiatisé de son droit de visite, il soutient qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public ; que la situation litigieuse s'inscrit en effet dans un contexte d'ordre exclusivement familial et aucune violence, carence ou négligence n'a été rapportée à son endroit ; que M. P. n'a pas d'antécédent lié à la délinquance et est parvenu, dès son arrivée à Monaco, à se créer un environnement social serein et à s'intégrer dans son environnement professionnel ;

Attendu qu'à supposer qu'il constitue une menace pour l'ordre public, M. P. soutient que la mesure de refoulement prise à son encontre porte une atteinte disproportionnée à ses droits de père ; que, dans une décision rendue le 16 juin 2014, le Tribunal Suprême a admis la légalité de la neutralisation de la carte de résident d'un étranger en raison de la condamnation de l'intéressé par un Tribunal correctionnel français pour des faits « d'agression sexuelle sur mineur de 15 ans commis par ascendant ou personne ayant autorité », lesquels sont considérés comme un crime sur le territoire monégasque ; que le Tribunal Suprême a considéré que la condamnation pénale a pu valablement motiver la mesure prise, notamment « compte tenu de la gravité des faits [qui lui ont été reprochés] », et a estimé la mesure « nécessaire dans l'intérêt de l'ordre public » ; que, pour pouvoir écarter la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, invoquée par l'intéressé, il s'est assuré que « l'interdiction de résider sur le territoire monégasque n'empêche nullement [celui-ci] d'exercer [ses droits à l'égard] de son fils » ; qu'ainsi, le Tribunal Suprême n'a entériné l'interdiction prononcée que parce que, d'une part, elle était impérieusement nécessaire dans une société démocratique pour préserver l'ordre public monégasque de faits aussi sensibles que graves et, d'autre part, elle ne portait pas atteinte aux droits du père ; qu'il découle de cette décision qu'aucune mesure de refoulement du territoire de la Principauté ne saurait être prise si l'infraction ne revêt pas un tel degré de gravité ni un caractère sensible et si elle porte irrémédiablement atteinte aux droits du père ; qu'or, dans le cas de M. P., les faits pour lesquels il a été poursuivi ne sont pas sensibles au sens de la jurisprudence européenne et l'application des décisions attaquées empêche tout contact entre le père et son enfant, portant une atteinte irrémédiable à l'intégralité de ses droits ; que l'atteinte est d'autant plus caractérisée que la mesure de refoulement est édictée « jusqu'à nouvel ordre » et que le juge tutélaire a considéré que ladite mesure constitue un « obstacle [inéluctable] à tout rétablissement des droits du père  » ;

Attendu que M. P. considère qu'en plus d'être privé de ses droits, il a été privé de ses devoirs à l'égard de son fils ; qu'en effet, en conséquence de la mesure de refoulement, il a également été privé de son permis de travail et a ainsi perdu son emploi ; que l'employeur de M. P., auquel il a toujours donné entière satisfaction, a entendu lui permettre d'exercer son activité professionnelle uniquement hors de la Principauté de Monaco, afin de limiter les conséquences de la mesure de refoulement ; que M. P. a, en l'état, adressé une demande de mainlevée de « l'annulation » de son permis de travail au Directeur du Travail, en précisant que le fait de continuer à bénéficier de son permis de travail n'impliquerait pas sa présence sur le territoire monégasque ; qu'en réponse, il lui a été indiqué « qu'un individu faisant l'objet d'une mesure de refoulement sur le territoire monégasque ne peut être titulaire d'un permis de travail » ; qu'en définitive, le requérant a été privé de son travail et donc de ses ressources, lesquelles lui permettaient de contribuer à prendre en charge les besoins de son enfant ; que M. P. n'a pas eu d'autre choix que de solliciter d'être autorisé à ne plus contribuer à l'entretien et à l'éducation de son fils, afin de ne pas s'exposer à une nouvelle condamnation pénale sur le fondement des dispositions de l'article 296 du Code pénal monégasque relatives au délit d'abandon de famille ; que le juge tutélaire, par ordonnance du 14 octobre 2019, a ainsi « supprimé [sa] contribution à l'entretien et à l'éducation de son fils A. » ;

Attendu que le requérant soutient, en dernier lieu, que les décisions attaquées portent une atteinte grave et irrémédiable à l'intérêt supérieur de l'enfant ; que le jeune âge d'A. commande que des solutions appropriées et adaptées soient effectivement recherchées par les autorités publiques afin de permettre et de favoriser la présence de son père, essentielle à son développement et à la construction de sa personne, dans son environnement proche ; que les médecins et psychologues qui ont eu à rencontrer l'enfant et/ou le père, ont unanimement conclu en ce sens ; que la capacité du père à s'occuper de son fils n'a par ailleurs jamais été mise en doute, ni par les médecins, ni par les professionnels de l'Enfance, ni même par la mère de l'enfant ; que le maintien du lien entre M. P. et son fils relève donc de l'intérêt supérieur de l'enfant ; qu'or, selon le juge tutélaire, la décision de refoulement « met obstacle à tout rétablissement de droits de visite médiatisés » du père ; que la mesure qui emporte exclusion, pour une durée indéterminée, de la possibilité pour le père de maintenir le moindre lien avec son enfant de quatre ans n'est, dans le cas d'espèce, pas appropriée ; qu'en privant totalement le père de son fils, et le fils de son père, les décisions attaquées portent une atteinte disproportionnée, non seulement à l'intérêt du requérant, mais également et surtout, à l'intérêt supérieur de l'enfant ;

Attendu, en définitive, que, selon le requérant, les décisions attaquées, en ce qu'elles violent manifestement les droits consacrés tant par l'article 22 de la Constitution que par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sont illégales ;

Attendu que le requérant sollicite également l'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi ; que la mesure prise à son encontre le prive, en effet, de tout contact avec son fils « jusqu'à nouvel ordre » et prive ce faisant un tout jeune enfant d'un père aimant et investi ; que, si ce préjudice n'est pas quantifiable et le temps perdu avec son enfant non rattrapable, pour autant et afin que la décision du Tribunal Suprême puisse avoir la portée qu'elle mérite, M. P. sollicite la condamnation de l'État à lui verser une somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Vu la contre-requête, enregistrée au Greffe Général le 24 juin 2020, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation du requérant aux entiers dépens ;

Attendu que le Ministre d'État précise à titre liminaire les faits de l'espèce et le contexte de la décision de refoulement, en indiquant que c'est en raison notamment des propos insultants et agressifs proférés à l'égard de la mère, qu'il harcelait par courriel, que le juge tutélaire a supprimé le droit de M. P. de communiquer avec l'enfant par appel vidéo lorsque celui-ci n'était pas près de lui, par une ordonnance du 25 juin 2018 confirmée par la Cour d'appel le 8 août suivant ; que, de même, c'est la succession de nombreux incidents révélant une aggravation du comportement agressif de M. P., notamment à la crèche (non-respect des horaires, menaces envers le personnel, menaces d'abandon de l'enfant lui-même, insultes, nécessitant l'intervention de la force publique), pour aboutir à une non représentation d'enfant, qui a conduit le juge tutélaire, tout d'abord, par une décision du 9 octobre 2018, à supprimer son droit de visite, puis, par ordonnance du 11 octobre 2018, à confier à la mère l'exercice exclusif de l'autorité parentale et à suspendre le droit d'hébergement du père ; qu'enfin, le comportement de M. P., lorsqu'il a une nouvelle fois menacé de mort un membre du personnel de la Direction de l'Action et de l'Aide sociales et insulté les forces de l'ordre, a suscité non seulement une plainte des intéressés suivie d'une condamnation par jugement du Tribunal correctionnel du 22 octobre 2019, mais aussi une plainte du Ministre d'État déposée auprès du Procureur Général le 2 septembre 2019 ; que c'est dans ce contexte que le Ministre d'État, considérant que le comportement agressif, intrusif et conflictuel de M. P. était dangereux, constituait un trouble certain à l'ordre public et à la sécurité des personnes et des biens et compromettait la tranquillité et la sécurité publiques, a prononcé le refoulement de l'intéressé du territoire de la Principauté ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en premier lieu, que l'argumentation du requérant, selon laquelle les autorités monégasques n'auraient pas tenu compte de sa volonté d'insertion, ni recherché des mesures alternatives moins radicales qu'un refoulement, et auraient ainsi ignoré le rôle qui était le leur « de préserver (sa) position psychosociale », n'est ni opérante, ni fondée ; que la légalité d'une mesure de refoulement doit s'apprécier de façon objective, au regard de la menace que le maintien de l'étranger refoulé constitue pour l'ordre et la tranquillité publique ou privée, et non de façon subjective en considération des éventuelles difficultés psychologiques de la personne refoulée ; qu'en l'espèce, il est constant que, par son comportement extrêmement agressif, M. P. constituait une menace pour l'ordre et la tranquillité publique et privée à Monaco ; que dans son ordonnance du 11 octobre 2018, le juge tutélaire a rappelé les graves débordements de M. P. à l'encontre de la mère de son enfant et du personnel de la crèche ; qu'il a estimé que M. P. « méconnait les décisions de justice prises dans l'intérêt de son enfant et compromet gravement la santé, le bien-être et le développement de son fils de 2 ans et demi en l'exposant continuellement à des tensions et altercations qu'il provoque lui-même par ces comportements outranciers tant envers la mère qu'envers les tiers » ; qu'il est pour le moins incongru de voir M. P. soutenir « qu'il œuvre pour son insertion sociale  », alors qu'il a fait l'objet de vingt-trois mains courantes entre août 2017 et mars 2019, qu'il a été condamné pour non représentation d'enfant par le Tribunal correctionnel de Monaco le 10 octobre 2018 et qu'il a été condamné le 22 octobre 2019 par le même Tribunal correctionnel pour outrage à agent de la force publique et menace de mort à l'encontre d'un agent de la Direction de l'Action et de l'Aide sociales ; qu'on ne voit pas, au demeurant, quelle mesure « moins radicale » qu'un refoulement les autorités monégasques auraient pu prendre pour calmer la violence de M. P., celui-ci ayant bénéficié antérieurement de mesures de cette nature, mais sans aucun succès ; que l'ordonnance du 14 octobre 2019 du juge tutélaire relève que M. P., qui est une personnalité de type paranoïaque, n'est pas capable de se remettre en question et n'a jamais entrepris aucune démarche de soins qui aurait permis de le rendre moins dangereux pour l'ordre public, pour son fils et son ex-compagne ;

Attendu que le Ministre d'État soutient, en deuxième lieu, que l'argumentation du requérant selon laquelle la mesure de refoulement dont il fait l'objet porterait atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale n'est pas fondée ; que, tout d'abord, même s'il s'inscrit dans un contexte familial, le comportement exceptionnellement agressif de M. P., judiciairement constaté, constituait une menace pour la sécurité et l'intégrité à la fois de l'enfant, de sa mère et de tous les personnels ; qu'à ce titre, il présentait bien une menace pour l'ordre public justifiant la mesure de refoulement contestée ; qu'en outre, contrairement à ce qui est soutenu par M. P., la mesure de refoulement n'est pas disproportionnée ; qu'elle constituait en effet le seul moyen approprié permettant de mettre fin au comportement agressif de M. P. ; que c'est M. P. qui a rendu cet éloignement inéluctable, en rendant impossible le maintien de contacts avec l'enfant ; que c'est en effet exclusivement en raison du comportement de plus en plus agressif du requérant qu'après avoir confié l'exercice exclusif de l'autorité parentale à son ancienne compagne et suspendu son droit d'hébergement tout en lui réservant un droit de visite médiatisé, le juge tutélaire a, par ordonnance du 5 juillet 2019, antérieure au refoulement, suspendu ce droit de visite jusqu'au 8 octobre 2019, puis a prorogé cette mesure de suspension « jusqu'à nouvel ordre » par ordonnance du 14 octobre 2019, en raison de l'incapacité du père à opérer toute remise en question de son comportement et à suivre un traitement ; que la jurisprudence du Tribunal Suprême, invoquée hors de propos par le requérant, ne permet pas de considérer que la mesure de refoulement litigieuse présenterait un caractère disproportionné ; qu'enfin, le retrait du permis de travail consécutif au refoulement ne prive pas davantage M. P. de ses devoirs à l'égard de son enfant ; que ce retrait de permis de travail, au demeurant non contesté devant un juge, n'empêchait pas M. P. de rechercher un travail à proximité de la Principauté, comme il l'a fait en 2017 à son retour des États Unis en travaillant dans l'entreprise familiale de Cuneo ; que, contrairement à ce qu'il affirme, M. P. n'a nullement été « contraint » de « demander à ne plus contribuer » à l'entretien et à l'éducation de son fils ;

Attendu, en troisième lieu, que, selon le Ministre d'État, le grief selon lequel le refoulement litigieux traduirait un mépris de l'intérêt supérieur de l'enfant est inopérant dès lors que le refoulement d'un étranger est une mesure de police dont la légalité s'apprécie exclusivement au regard des risques de troubles à l'ordre public monégasque ; qu'en toute hypothèse, même s'il est effectivement souhaitable qu'un enfant puisse garder des liens avec son père, il résulte de l'ordonnance du 14 octobre 2019 du juge tutélaire que si l'intérêt supérieur du jeune A. P. R. a été méconnu en l'occurrence, c'est bien exclusivement par son père ; que M. P. ne saurait se prévaloir de son propre comportement pour critiquer la légalité d'un refoulement légalement justifié ;

Attendu que le Ministre d'État estime, en dernier lieu, que les conclusions indemnitaires présentées par M. P. doivent être rejetées par voie de conséquence du rejet des conclusions aux fins d'annulation de la décision du 8 juillet 2019, le Tribunal Suprême n'étant compétent, aux termes du 1° du B de l'article 90 de la Constitution, que pour octroyer les indemnités « qui résultent d'une annulation pour excès de pouvoir » ; qu'elles doivent être rejetées, en tout état de cause, faute pour le requérant d'établir le préjudice qu'il invoque dans son principe ou dans son quantum ;

SUR CE,

Vu les décisions attaquées ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment le 1° du B de son article 90 ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 8.019 du 26 mars 2020 portant suspension des délais de recours et de procédure par-devant le Tribunal Suprême pour faire face aux conséquences des mesures prises pour lutter contre la pandémie de virus COVID-19 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ensemble ses protocoles additionnels rendus exécutoires par Ordonnances souveraines nos 408 et 411 du 15 février 2006 ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ;

Vu l'Ordonnance du 10 mars 2020 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné Monsieur Pierre de MONTALIVET, Membre titulaire, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef adjoint en date du 29 juillet 2020 ;

Vu l'Ordonnance du 20 avril 2021 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 27 mai 2021 ;

Ouï Monsieur Pierre de MONTALIVET, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Sarah FILIPPI, Avocat-Défenseur, pour Monsieur F. P. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Madame le Procureur Général en ses conclusions tendant au rejet de la requête ;

La parole ayant été donnée en dernier aux parties ;

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

1. Considérant que M. F. P., ressortissant italien domicilié à Roquebrune-Cap-Martin (France), demande, d'une part, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 8 juillet 2019 par laquelle le Ministre d'État a prononcé son refoulement du territoire de la Principauté de Monaco et de la décision du 13 janvier 2020 rejetant son recours gracieux, d'autre part, l'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de l'illégalité de ces décisions ;

Sur les conclusions à fin d'annulation

1. Considérant, en premier lieu, que l'objet des mesures de police administrative étant de prévenir d'éventuelles atteintes à l'ordre public, il suffit que les faits retenus révèlent des risques suffisamment caractérisés de trouble à la tranquillité ou à la sécurité publique ou privée pour être de nature à justifier de telles mesures ;

1. Considérant qu'il ressort des termes des décisions attaquées que celles-ci sont fondées notamment, d'une part, sur les faits de non représentation d'enfant, pour lesquels M. P. a été condamné par le Tribunal correctionnel de Monaco, le 10 octobre 2018, à un mois d'emprisonnement avec sursis et, d'autre part, sur les faits d'outrage à agents de la force publique et de menace de mort à l'encontre d'un agent de la Direction de l'Action et de l'Aide sociales, pour lesquels le requérant a été condamné par le même Tribunal correctionnel, le 22 octobre 2019, à 1.000 euros d'amende ;

1. Considérant que ces faits, dont M. P. ne conteste pas la matérialité, caractérisent un risque de trouble à la tranquillité ou à la sécurité publique ou privée de nature à justifier la mesure de refoulement prise à son encontre ; que, par suite, les décisions attaquées ne sont pas entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;

1. Considérant, en second lieu, que l'article 22 de la Constitution dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et au secret de sa correspondance » ; qu'aux termes de l'article 8 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales : « 1 - Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2 - Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou la protection des droits et libertés d'autrui » ; que le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par ces textes implique la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ; qu'il en découle le droit pour parents et enfants d'entretenir des liens, sauf si l'intérêt supérieur de l'enfant s'y oppose ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par ordonnance du 5 juillet 2019, le juge tutélaire a suspendu jusqu'au 8 octobre 2019 les droits de visite de M. P. sur son fils A. en raison des « débordements répétés de M. P. lors de l'exercice de son droit de visite » et en « considération de l'intérêt d'A. et de son besoin de sécurité et de sérénité » ; que, par ordonnance du 14 octobre 2019, le même juge a suspendu « jusqu'à nouvel ordre » les droits de visite et d'hébergement de M. P. sur son fils, au motif notamment « qu'A. a été préjudicié dans son équilibre par les débordements paternels auxquels il a assisté, de sorte qu'il serait contraire à son intérêt de l'y exposer de nouveau alors qu'il commence à retrouver un début d'apaisement » ; que, par suite, aux dates auxquelles elles ont été prises, les décisions attaquées ne portaient atteinte ni au droit au respect de la vie privée et familiale de M. P. ni à l'intérêt supérieur de son enfant ; qu'il appartiendra à l'Administration, au regard de l'évolution des circonstances, de prendre les mesures nécessaires pour assurer l'effectivité du droit au respect de la vie privée et familiale du requérant et de son fils ;

Sur les conclusions à fin d'indemnisation

1. Considérant qu'il résulte du 1° du B de l'article 90 de la Constitution que le rejet des conclusions à fin d'annulation entraîne par voie de conséquence celui des conclusions à fin d'indemnisation ; que la demande indemnitaire présentée par M. P. doit donc être rejetée ;

Dispositif

Décide :

Article 1er

La requête de Monsieur F. P. est rejetée.

Article 2

Les dépens sont mis à la charge de Monsieur P.

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2020-09
Date de la décision : 11/06/2021

Analyses

Public - Général  - Droit des étrangers.

CompétenceContentieux administratif - Recours pour excès de pouvoir - Acte administratif individuel.


Parties
Demandeurs : Monsieur F. P.
Défendeurs : État de Monaco

Références :

article 90 de la Constitution
ordonnance du 5 juillet 2019
ordonnance du 7 décembre 2017
Ordonnance du 20 avril 2021
Ordonnance souveraine n° 8.019 du 26 mars 2020
Vu la Constitution
ordonnance du 11 avril 2018
ordonnance du 25 juin 2018
ordonnance du 11 octobre 2018
article 22 de la Constitution
Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
ordonnance du 14 octobre 2019
Ordonnance souveraine n° 3.153 du 19 mars 1963
Ordonnance souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964
Ordonnance du 10 mars 2020
article 296 du Code pénal


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2021-06-11;ts.2020.09 ?

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