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18/02/2019 | MONACO | N°TS/2018-12

Monaco | Tribunal Suprême, 18 février 2019, Monsieur E.V. c/ le Ministre d'État, TS/2018-12


Motifs

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en assemblée plénière

Vu la requête enregistrée au Greffe Général le 9 avril 2018, sous le numéro TS 2018-12, par laquelle M. E.V. demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de S.E. M. le Ministre d'État acquise le 9 février 2018, rejetant sa demande d'abrogation de la mesure de refoulement du territoire monégasque prise à son encontre le 6 avril 2016, ainsi que la condamnation de l'État à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de réparation du préjudice moral subi ;


Ce faire :

Attendu qu'aux termes de sa requête, M. V. expose avoir été condamné par jugeme...

Motifs

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en assemblée plénière

Vu la requête enregistrée au Greffe Général le 9 avril 2018, sous le numéro TS 2018-12, par laquelle M. E.V. demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de S.E. M. le Ministre d'État acquise le 9 février 2018, rejetant sa demande d'abrogation de la mesure de refoulement du territoire monégasque prise à son encontre le 6 avril 2016, ainsi que la condamnation de l'État à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de réparation du préjudice moral subi ;

Ce faire :

Attendu qu'aux termes de sa requête, M. V. expose avoir été condamné par jugement du Tribunal Correctionnel de Monaco en date du 23 février 2016 pour des faits de blanchiment du produit d'une infraction, à la suite duquel une mesure de refoulement a été prise à son encontre le 6 avril 2016 au motif que sa présence dans la Principauté était de nature à y compromettre la tranquillité et la sécurité publiques ou privées ;

Attendu qu'au vu de la décision de « patteggiamento » rendue par la justice italienne, la Cour d'appel de Monaco a prononcé sa relaxe par un arrêt du 21 novembre 2016 ;

Qu'en l'absence de tout pourvoi, la décision est devenue définitive ;

Attendu que parallèlement le Tribunal Suprême, par décision du 30 juin 2017, rejetait la requête en annulation de la décision du 6 avril 2016 dès lors que la légalité de cette décision s'appréciant à la date de son édiction, mais l'invitait, s'il s'y croyait fonder à la suite de l'arrêt rendu par la Cour d'appel, à saisir S.E. M. le Ministre d'État d'une demande d'abrogation de la mesure de refoulement dont il était frappé ;

Attendu qu'il a formé cette demande d'abrogation le 9 octobre 2017 ; qu'en l'absence de réponse de S.E. M. le Ministre d'État, une décision implicite de rejet est intervenue le 9 février 2018 en application de l'article 14 de l'Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963 ;

Attendu qu'il est recevable à former un recours en annulation dans les deux mois de la décision implicite de rejet, soit avant le 10 avril 2018 ;

Attendu qu'au soutien de sa requête, il invoque, en premier lieu, l'erreur manifeste d'appréciation entachant le refus d'abrogation de la mesure de refoulement du territoire monégasque pour changement de circonstances dans la mesure où les faits qui ont motivé cette décision de refoulement ne constituent pas une infraction pénale ; qu'en effet, par l'arrêt du 21 novembre 2016, infirmant le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Monaco, la Cour d'appel l'a relaxé des fins de la poursuite considérant qu'il était innocent ; qu'ainsi, il n'aurait pas troublé l'ordre public et sa présence dans la Principauté n'était pas, et n'est d'ailleurs toujours pas à ce jour, de nature à y compromettre la tranquillité et la sécurité publiques ou privées ;

Attendu que l'arrêt rendu par la Cour d'appel constitue un élément nouveau de nature à justifier une appréciation différente par l'autorité administrative de la situation ayant motivé le refoulement ; que la mesure de refoulement ne repose sur aucun fondement légal à ce jour ;

Attendu que la décision attaquée est également entachée d'erreur de fait puisqu'elle est fondée sur des faits pour lesquels il a été innocenté ; que l'arrêt de la Cour d'appel du 21 novembre 2016 étant devenu définitif à ce jour, la décision implicite de rejet d'abrogation de la mesure de refoulement est de ce fait dépourvue de base légale ; que relaxé des fins de la poursuite, sa présence en Principauté de Monaco ne saurait constituer une menace à la sécurité publique, ce que confirment ses extraits de casiers judiciaires italien et monégasque qui ne font état d'aucune condamnation ;

Attendu, de surcroit, qu'il dispose des capacités financières lui permettant de résider en Principauté de Monaco ;

Attendu, enfin, que la décision attaquée est illégale en ce qu'elle méconnaît l'autorité de la chose jugée ;

Attendu qu'il a subi un préjudice moral considérable du fait de la décision de refus d'abrogation de la mesure de refoulement dès lors qu'il est contraint de continuer à résider en Italie alors que son épouse et son fils résident toujours à Monaco ; qu'il subit de ce fait depuis 2016 une atteinte à sa vie privée et familiale ; qu'en outre, il s'est ainsi trouvé dans l'obligation d'acquérir deux appartements et qu'il ne peut également travailler en Principauté de Monaco ; qu'ainsi, il subit une atteinte à sa liberté du travail garantie par l'article 25 de la Constitution de la Principauté comme par l'article 23 de la Déclaration universelle des droits de l'homme ;

Attendu, enfin, que le maintien de la mesure de refoulement porte une atteinte à sa vie privée, dont le droit à l'oubli est un élément, et ce, contrairement à l'article 22 de la Constitution de la Principauté et à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que, dès lors, il sollicite que le préjudice moral qui lui a été causé par le maintien illégal de la mesure de refoulement dont il est l'objet soit indemnisé à hauteur de 20.000 euros ;

Vu la contre-requête enregistrée au Greffe Général le 11 juin 2018, par laquelle S.E. M. le Ministre d'État conclut au rejet de la requête ainsi qu'à la condamnation de M. V. aux entiers dépens ;

Attendu que S.E. M. le Ministre d'État soutient, en premier lieu, que la mesure de refoulement a été expressément fondée, non pas sur la condamnation prononcée par le Tribunal correctionnel de Monaco mais sur « les faits de blanchiment du produit d'une infraction », impliquant que sa présence « dans la Principauté est de nature à y compromettre la tranquillité et la sécurité publique ou privée » ;

Attendu que M. V. n'est pas fondé à soutenir que l'infirmation du jugement du Tribunal correctionnel par l'arrêt de la Cour d'appel de Monaco du 21 novembre 2016 aurait fait perdre au refoulement son fondement, alors que le refoulement n'était pas motivé par sa condamnation, mais par des faits de blanchiment du produit d'une infraction ;

Attendu, ensuite, qu'il n'est pas exact que dans les termes où il a été rédigé, l'arrêt de la Cour d'appel de Monaco du 21 novembre 2016 aurait « innocenté » M. V. dans des conditions qui permettraient de considérer que sa présence à Monaco ne constituerait plus une menace pour l'ordre public ;

Attendu que le rappel des faits par l'arrêt de la Cour d'appel révèle l'implication de M. V. dans de multiples affaires suspectes ayant donné lieu à plusieurs signalements du SICCFIN, à des mesures de séquestre, à des enquêtes du Directeur de la Sûreté publique, des désignations de juges d'instruction et diverses commissions rogatoires ;

Attendu que ces faits, par leur précision, leur multiplicité et leur gravité sont de nature (en dehors de toute qualification pénale) à justifier, non seulement le refoulement de M. V., ainsi que l'a jugé le Tribunal Suprême, mais également le refus d'abrogation de ce refoulement, les circonstances de fait demeurant inchangées nonobstant l'infirmation du jugement du Tribunal correctionnel par la Cour d'appel de Monaco ;

Attendu que la Cour d'appel de Monaco n'a pu que constater « qu'elle n'était pas en mesure de caractériser les éléments constitutifs des délits initiaux », les autorités judiciaires italiennes ne lui ayant jamais transmis, en dépit de cinq rappels, les pièces de la procédure, ce qui a conduit la Cour à infirmer le jugement et à relaxer M. V.; que cette relaxe, due à la carence des autorités judiciaires italiennes n'a évidemment pas fait disparaître les faits sur lesquels le Tribunal Suprême s'était fondé pour rejeter la requête dirigée contre la mesure de refoulement ;

Attendu que le rejet des conclusions aux fins d'annulation de M. V. entrainera par voie de conséquence celui de ses conclusions indemnitaires, lesquelles, en tout état de cause, l'auraient été faute de toute justification quant à la réalité du préjudice moral invoqué et au montant de la somme demandée en réparation ;

Vu la réplique enregistrée au Greffe Général le 11 juillet 2018 par laquelle M. V. persiste aux mêmes fins par les mêmes moyens ;

Attendu que M. V. souligne qu'aux termes mêmes de la décision de refoulement, elle est motivée par « les faits de blanchiment du produit d'une infraction pour lesquels le nommé E. V. a été condamné par le Tribunal Correctionnel de Monaco le 23 février 2016, à un an d'emprisonnement » ; qu'il résulte ainsi de cette décision que la mesure de refoulement était basée sur les faits pour lesquels il a été condamné et non sur les faits reprochés ;

Attendu, d'ailleurs, que la mesure de refoulement n'a été prise qu'une fois la condamnation du Tribunal correctionnel intervenue, ce qui démontre qu'elle en constitue le motif ; qu'une fois relaxé des fins de la poursuite par la Cour d'appel, il ne constitue plus une menace à l'ordre public et que la mesure de refoulement est dès lors entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

Attendu que la Cour d'appel de Monaco, en possession de la décision de « patteggiamento » a estimé que la relaxe s'imposait ; que la mesure de refoulement étant fondée sur des faits pour lesquels il a été condamné, elle ne peut plus se justifier une fois la décision de relaxe prononcée par la Cour d'appel pour ces mêmes faits ; que le refus d'abrogation du refoulement acquis le 9 février 2018 est dès lors illégal ;

Attendu qu'il a établi dès sa requête la réalité du préjudice moral qu'il a subi tant du fait de la séparation avec sa femme et son fils qui lui a été imposée, que du fait de n'avoir pu travailler à Monaco ; qu'il est dès lors fondé à demander la réparation du préjudice moral qui lui a été ainsi causé par une mesure illégale dont il doit être indemnisé à hauteur de la somme de 20.000 euros ;

Vu la duplique enregistrée au Greffe Général le 13 août 2018 par laquelle le Ministre d'État tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ;

Attendu que le Ministre d'État souligne que l'arrêt de la Cour d'appel, s'il a fait disparaitre la condamnation, n'a pas fait disparaître les faits, et que ce sont ces faits qui donnent une base légale certaine au refus d'abrogation de la mesure de refoulement ; qu'il n'y a donc pas d'erreur manifeste d'appréciation ;

Attendu qu'il en est de même de l'erreur de fait alléguée, dès lors que la Cour d'Appel n'a prononcé la relaxe qu'en raison de l'impossibilité dans laquelle elle était de caractériser pénalement les infractions du fait de la carence des autorités judiciaires italiennes comme en témoigne la lettre de son arrêt selon laquelle « dans ces conditions, la Cour, qui ne dispose d'aucune autre pièce de la procédure italienne que les décisions précitées, n'est pas en mesure de caractériser les éléments constitutifs des délits initiaux » ;

Attendu que par voie de conséquence du rejet de la requête en annulation, les demandes indemnitaires seront également rejetées ;

SUR CE :

Vu les dispositions attaquées ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment ses articles 22, 25 et 90-B ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963, modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la Déclaration universelle des droits de l'homme et notamment son article 23 ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 telle qu'amendée par le Protocole n° 11 ainsi que son Protocole additionnel n° 4 et l'Ordonnance n° 408 du 15 février 2006 qui les ont rendues exécutoires, notamment son article 8 ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ;

Vu l'Ordonnance du 10 avril 2018 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné M. José SAVOYE, Membre titulaire, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 28 août 2018 ;

Vu l'Ordonnance du 21 décembre 2018 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 1er février 2019 ;

Ouï M. José SAVOYE, Membre titulaire du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Madame le Procureur Général, en ses conclusions ;

Ouï Maître Christophe BALLERIO, Avocat-Défenseur pour M. E. V. ;

Ouï Maître François MOLINIÉ, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France pour l'État de Monaco.

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

Sur les conclusions à fins d'annulation

Considérant, d'une part, qu'il appartient à une personne qui demande l'abrogation d'une mesure de refoulement dont elle a fait l'objet de démontrer que cette mesure devait être reconsidérée ;

Considérant, d'autre part, que le blanchiment du produit d'une infraction suppose l'existence préalable d'une infraction en l'absence de laquelle il ne peut y avoir de faits qualifiés de délictueux ;

Considérant qu'a été prise le 6 avril 2016 à l'encontre de M. E. V. une mesure de refoulement du territoire monégasque au motif que sa présence était de nature à compromettre la tranquillité et la sécurité publiques ou privées ; que cette décision est fondée sur des « faits de blanchiment du produit d'une infraction pour lesquels le nommé E. V. a été condamné par le Tribunal correctionnel de Monaco le 23 février 2016 à un an d'emprisonnement » ; que, le 9 octobre 2017, M. V. a demandé au Ministre d'État l'abrogation de cette mesure ; qu'il invoquait l'arrêt du 21 novembre 2016, devenu définitif, par lequel la Cour d'Appel a infirmé le jugement du Tribunal Correctionnel le condamnant et prononcé la relaxe des fins de la poursuite dont il avait fait l'objet pour blanchiment du produit d'une infraction ; qu'en l'absence de réponse de S.E. M. le Ministre d'État, une décision implicite de rejet est née le 9 février 2018, en application de l'article 14 de l'Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963 ; que M. V. demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision ;

Considérant que si la Cour d'Appel, dans l'exercice de son office propre de juge pénal, a prononcé la relaxe de M. V., les motifs de son arrêt ne s'imposaient pas au Ministre d'État dans l'appréciation qu'il lui appartenait de porter, au titre de son pouvoir de police, sur la matérialité et la qualification des faits de blanchiment du produit d'une infraction ; que, par suite, en refusant d'abroger la mesure de refoulement frappant M. V., le Ministre d'État n'a entaché sa décision ni d'une erreur de fait ni d'une erreur manifeste d'appréciation ; que le moyen tiré de la méconnaissance de l'autorité de la chose jugée par le juge pénal ne peut qu'être écarté ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. V. n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée ;

Sur les conclusions indemnitaires

Considérant que le rejet de la requête en annulation entraîne par voie de conséquence celui des conclusions indemnitaires dont elle était assortie ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

La requête de M. E. V. rejetée.

Article 2

Les dépens sont mis à la charge de M. E. V.

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmis à S.E. M. le Ministre d'État.

Note

À rapprocher de la décision du 30 juin 2017 Monsieur e. VA. contre État de Monaco. – NDLR.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2018-12
Date de la décision : 18/02/2019

Analyses

Droit des étrangers  - Infractions économiques - fiscales et financières.

CompétenceContentieux administratif - Recours pour annulation - Acte administratif individuel.


Parties
Demandeurs : Monsieur E.V.
Défendeurs : le Ministre d'État

Références :

Ordonnance souveraine n° 3.153 du 19 mars 1964
article 22 de la Constitution
article 25 de la Constitution
Vu la Constitution
Ordonnance n° 408 du 15 février 2006
article 14 de l'Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963
Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
Ordonnance du 21 décembre 2018
Ordonnance du 10 avril 2018


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2019-02-18;ts.2018.12 ?

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