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19/02/2016 | MONACO | N°TS/2015-12

Monaco | Tribunal Suprême, 19 février 2016, b. RA., s. GA. et t. GU. c/ Ordre des experts-comptables et État de Monaco, TS/2015-12


Motifs

TRIBUNAL SUPRÊME

__________

TS 2015-12

Affaire :

b. RA.,

Stéphane GA.

et t. GU.

Contre :

Ordre des experts-comptables

et Etat de Monaco

DÉCISION

AUDIENCE DU 5 FÉVRIER 2016

Lecture du 19 février 2016

Requête présentée par Madame b. RA., Monsieur Stéphane GA. et Monsieur t. GU. en annulation de la « Norme 1 - Indépendance » émanant du Conseil de l'Ordre des experts-comptables, notifiée le 10 février 2015 à l'ensemble des experts-comptables de la Principauté de Monaco, de la

décision du 28 mai 2015 par laquelle le Président de l'Ordre des experts-comptables a rejeté le recours gracieux formé le 27 mars 2015 par Mme RA., M...

Motifs

TRIBUNAL SUPRÊME

__________

TS 2015-12

Affaire :

b. RA.,

Stéphane GA.

et t. GU.

Contre :

Ordre des experts-comptables

et Etat de Monaco

DÉCISION

AUDIENCE DU 5 FÉVRIER 2016

Lecture du 19 février 2016

Requête présentée par Madame b. RA., Monsieur Stéphane GA. et Monsieur t. GU. en annulation de la « Norme 1 - Indépendance » émanant du Conseil de l'Ordre des experts-comptables, notifiée le 10 février 2015 à l'ensemble des experts-comptables de la Principauté de Monaco, de la décision du 28 mai 2015 par laquelle le Président de l'Ordre des experts-comptables a rejeté le recours gracieux formé le 27 mars 2015 par Mme RA., M. GA. et M. GU. contre ladite « Norme 1 - Indépendance » et de l'arrêté ministériel n° 2014-482 du 11 août 2014 approuvant le Règlement intérieur de l'Ordre des experts-comptables.

En la cause de :

Madame b. RA., membre de l'Ordre des experts-comptables, demeurant en cette qualité ATHOS PALACE, 2, rue de la Lüjerneta, à MONACO,

Monsieur Stéphane GA., membre de l'Ordre des experts-comptables, demeurant en cette qualité ATHOS PALACE, 2, rue de la Lüjerneta à MONACO,

Monsieur t. GU., membre de l'Ordre des experts-comptables, demeurant en cette qualité ATHOS PALACE, 2, rue de la Lüjerneta, à MONACO,

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, y demeurant 20, avenue de Fontvieille, et plaidant par ledit avocat-défenseur.

Contre :

L'Ordre des experts-comptables de la Principauté de Monaco, dont le siège social est sis Stade Louis II, Entrée F, 9, avenue des Castellans, à Monaco,

Ayant élu domicile en l'étude de M. le Bâtonnier Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, y demeurant « Le Saint-André », 20 Boulevard de Suisse, et plaidant par ledit avocat-défenseur,

L'Etat de Monaco, ayant pour avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation de France.

LE TRIBUNAL SUPREME

Siégeant et délibérant en assemblée plénière

Vu la requête enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 27 juillet 2015 sous le numéro TS2015-12 par laquelle Mme b. RA., M. Stéphane GA. et M. t. GU. concluent à l'annulation de l'acte intitulé « Norme 1 - Indépendance » émis par le Conseil de l'Ordre des experts-comptables et notifié le 10 février 2015 aux experts-comptables de la Principauté, de la décision du 28 mai 2015 par laquelle le Président de l'Ordre des experts-comptables a rejeté le recours gracieux qu'ils ont formé le 27 mars 2015 contre cet acte et de l'arrêté ministériel n° 2014-482 du 11 août 2014 approuvant le Règlement intérieur de l'Ordre des experts-comptables.

CE FAIRE :

Attendu que Mme RA., M. GA. et M. GU. exposent que la profession d'expert-comptable est régie à Monaco par l'Ordonnance souveraine n° 3.028 du 6 juin 1945 et la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000, tandis que la profession de commissaire aux comptes, qui ne peut être exercée qu'individuellement, est régie par la loi n° 408 du 20 janvier 1945 ; que ni la loi n° 408 ni la loi n° 1.231 n'interdisent le renouvellement d'un commissaire aux comptes par un confrère, associé dans la même société d'expertise comptable ou appartenant au même réseau ; que, de même, aucun de ces deux textes ne prohibe la nomination de deux commissaires aux comptes associés dans une société d'expertise comptable ou correspondant à titre individuel d'un même réseau professionnel ; que par lettre du 10 février 2015, le Président de l'Ordre des experts-comptables a notifié aux experts-comptables la norme intitulée « Norme 1 - Indépendance », adoptée par le Conseil de l'Ordre le 24 septembre 2014, prévoyant notamment, sous l'intitulé «1-6 - Incompatibilité relative à l'exercice du co-commissariat », que « les co-commissaires aux comptes sont nécessairement indépendants l'un de l'autre. En d'autres termes, les co-commissaires aux comptes ne peuvent être liés l'un à l'autre d'une façon ou d'une autre (matérielle, financière, structurelle, familiale, ou en étant associés de la même société d'expertise comptable) », et que « cette règle s'applique également lorsque le commissaire aux comptes suppléant viendrait à remplacer sa consœur ou son confrère et se trouverait dans l'une des situations visées à l'alinéa précédent » ; que, par lettre du 27 mars 2015, ils ont formé un recours gracieux contre cette norme et que ce recours gracieux a été rejeté par lettre du Président de l'Ordre des experts-comptables en date du 28 mai 2015 ;

Attendu que, selon les requérants, l'Ordre des experts-comptables est une personne morale de droit privé doté de prérogatives de puissance publique, de sorte que le contentieux des décisions qu'ils prennent dans le cadre de l'exercice de ces prérogatives, et en particulier leurs actes réglementaires, relève de la compétence du Tribunal Suprême ;

Attendu que, sur la légalité de la norme attaquée, ils soutiennent que l'article 20 de la loi n°1.231 du 12 juillet 2000 délimite le pouvoir réglementaire de l'Ordre des experts-comptables, notamment dans son 2°, et ne prévoit pas le pouvoir d'édicter des normes et recommandations professionnelles ; que ce pouvoir n'est dévolu au Conseil de l'Ordre que par l'article 13-8° du Règlement intérieur de l'Ordre ; que cette sorte de sous-délégation du pouvoir réglementaire par le Règlement intérieur est illégal dès lors que la loi ne la prévoit pas ; qu'à cet égard il importe peu que le règlement intérieur ait été approuvé par arrêté ministériel ;

Attendu que les requérants demandent en outre au Tribunal Suprême, en tant que de besoin, d'annuler par voie d'exception l'arrêté ministériel n° 2014-482 du 11 août 2014 approuvant le règlement intérieur de l'Ordre des experts-comptables ; qu'à cet effet ils soutiennent que, comme l'a jugé le Conseil d'État français, la circonstance qu'un texte général charge un ordre professionnel de veiller au respect des règles déontologiques par ses membres ne lui confère pas un pouvoir réglementaire général ;

Vu la contre-requête enregistrée le 25 septembre 2015 au Greffe Général par laquelle le Ministre d'État expose d'abord que les professions d'expert-comptable et de comptable agréé sont principalement régies par la loi n°1.231 du 12 juillet 2000 ; qu'aux termes de l'article 6 de cette loi, les experts-comptables sont seuls habilités à exercer les fonctions de commissaire aux comptes, lesquelles sont régies par la loi n° 408 du 20 janvier 1945 ; que, dans le cadre de la mission de « mise en place de normes et recommandations professionnelles » que lui confie l'article 13-8° de son règlement intérieur approuvé par l'arrêté ministériel n° 2014-482 du 11 août 2014, le Conseil de l'Ordre des experts-comptables a adopté la « Norme 1 - Indépendance professionnelle » notifiée aux experts-comptables par lettre datée du 10 février 2015 ;

Attendu que, pour le Ministre d'État, la jurisprudence française invoquée par les requérants n'est ni applicable ni transposable à la présente espèce dès lors que l'article 20-2° de la loi n° 1.231 charge le Conseil de l'Ordre des experts-comptables de « préparer le code de déontologie professionnelle ainsi que le règlement intérieur » et ajoute expressément que ces actes « doivent être approuvés par arrêté ministériel » ; qu'ainsi le Conseil de l'Ordre se borne à préparer les règles, le Ministre d'État leur conférant un caractère réglementaire lorsqu'il décide de les approuver, ce qu'il n'est pas tenu de faire; que l'Ordre ne s'est donc donné aucune sous-délégation à lui-même ; qu'en conséquence, la délégation faite au Conseil de l'Ordre par le règlement intérieur est légale dès lors qu'elle n'est pas prohibée par le législateur, qu'elle est limitée dans son objet à la mise en place de normes et recommandations professionnelles et qu'elle se rattache à l'application des principes formulés dans la loi n° 1.231 et dans le Code de déontologie professionnelle qui s'impose au Conseil de l'Ordre ; qu'en l'espèce, relative à la prévention des situations d'incompatibilité dans l'exercice des fonctions de commissaire aux comptes, la norme contestée concerne le principe d'indépendance que l'article 17 de la loi n° 1.231 charge l'Ordre de protéger ;

Attendu que le Ministre d'État soutient enfin que les conclusions d'annulation directe de l'arrêté ministériel n° 2014-482 « par voie d'exception » sont irrecevables et que, en tout état de cause, aucun grief propre n'est articulé contre cet arrêté ;

Vu la contre-requête enregistrée le 2 octobre 2015 au Greffe Général par laquelle l'Ordre des experts-comptables concluent d'abord à l'irrecevabilité partielle de la requête puis à son rejet ;

Attendu que, selon l'Ordre, la requête est irrecevable en tant qu'elle conclut à l'annulation de l'arrêté ministériel n° 2014-482, faute d'avoir été introduite dans le délai de deux mois à compter de sa publication comme l'exige l'article 13 alinéa 1er de l'Ordonnance n° 2.984 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Attendu que l'Ordre soutient que, au-delà de son pouvoir réglementaire propre à son organisation interne, un ordre professionnel peut se voir attribuer un pouvoir réglementaire par la loi ou par l'autorité réglementaire nationale pourvu que cette délégation soit explicite et qu'elle concerne des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu ; qu'ainsi, dès lors qu'il n'excède pas le champ de l'habilitation qui lui a été consentie, un ordre professionnel est compétent pour adopter les règlements qui sont une conséquence nécessaire d'une règle figurant au nombre des traditions ou des principes déontologiques de la profession ; que tel est bien le cas en l'espèce ; qu'en effet, par l'article 20 de la loi n° 1.231, le législateur a chargé l'Ordre des experts-comptables de préparer son règlement intérieur et un code de déontologie, mais aussi « s'assurer de leur application » ; qu'en imposant l'approbation du règlement intérieur et du Code de déontologie par arrêté ministériel, il leur a conféré le caractère d'un règlement national ; qu'ainsi le règlement intérieur pouvait légalement habiliter l'Ordre à mettre en place des normes et recommandations professionnelles, habilitation explicite, précise et limitée, en lien immédiat avec les missions de contrôle confiées à l'Ordre par la loi ;

Vu le mémoire en réplique enregistré le 30 octobre 2015 au Greffe Général par lequel Mme RA., M. GA. et M. GU. maintiennent leurs conclusions et moyens, ajoutant qu'il convient de distinguer les « normes » des « recommandations » professionnelles ; que, si des « recommandations » peuvent être légalement édictées par l'Ordre, c'est parce qu'elle n'ont pas force obligatoires ; qu'en revanche, dès lors qu'il s'agit de conférer force obligatoire aux « normes », seul le législateur peut autoriser l'Ordre à les imposer ; que le législateur a énuméré limitativement la délégation qu'il a consenti à l'Ordre, à savoir le code de déontologie et le règlement intérieur, mais ne l'a pas habilité à édicter des normes obligatoires ; que l'arrêté n° 2014-482 est donc illégal en ce qu'il a attribué cette compétence au Conseil de l'Ordre sans y avoir été autorisé par la loi ; que, du reste, la norme attaquée porte atteinte à la liberté du travail qui, aux termes de l'article 25 de la Constitution, ne peut être réglementée que par la loi ;

Attendu que, sur la légalité de l'arrêté ministériel n° 2014-482, les requérants précisent qu'ils soulèvent bien à son encontre l'exception d'illégalité, ce qui est parfaitement recevable, et qu'ils n'entendent demander son annulation qu'à titre subsidiaire, dans le cas où elle serait nécessaire pour obtenir l'annulation de la norme contestée ;

Vu le mémoire en duplique enregistré au Greffe Général le 27 novembre 2015 par lequel l'Ordre des experts-comptables persiste en tous ses moyens et conclusions de rejet de la requête ajoutant que l'article 25 de la Constitution ne concerne pas les règles inhérentes à l'organisation et à l'exercice des professions réglementées régies par des ordres professionnels ; qu'en déléguant au Ministre d'État le soin d'édicter des règles professionnelles, le législateur l'a nécessairement autorisé à conférer un pouvoir réglementaire à l'Ordre ; enfin que, en tout état de cause, en l'absence de délimitation entre domaine de la loi et domaine du règlement dans la Constitution et de dispositions de la loi n° 1.231 réservant au législateur l'édiction de normes professionnelles, le pouvoir réglementaire est compétent pour habiliter l'Ordre à édicter de telles normes ;

Vu le mémoire en duplique enregistré au Greffe Général le 2 décembre 2015 par lequel le Ministre d'État persiste en tous ses moyens et conclusions de rejet de la requête, ajoutant que le règlement intérieur de l'Ordre n'est pas édicté par le Conseil de l'Ordre mais seulement préparé par lui avant d'être, le cas échéant, arrêté par le Ministre d'État ; qu'il ne sous-délègue donc pas une compétence législative au Conseil de l'Ordre mais se borne à lui déléguer une partie de la compétence propre que lui a attribuée le législateur ; que, quand bien même les normes et recommandations relèveraient de la liberté du travail mentionnée dans l'article 25 de la Constitution, ce qui n'est pas le cas, la compétence du législateur n'est pas méconnue par une délégation que la loi n° 1.231 n'interdit pas et qui est à la fois expresse et limitée dans son objet ; enfin que le caractère perpétuel de l'exception d'illégalité, invoqué à propos de de l'arrêté n° 2014-482, ne permet pas d'obtenir l'annulation de cet arrêté mais seulement que son application soit écartée.

SUR CE,

Vu les décisions attaquées ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu les articles 25 et 90- A et B de la Constitution ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée relative à l'organisation et au fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 408 du 20 janvier 1945 complétant l'ordonnance sur les sociétés anonymes et en commandite par actions du 5 mars 1895 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 3.028 du 6 juin 1945 concernant les conditions d'admission et les attributions des experts-comptables stagiaires ;

Vu la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 relative aux professions d'expert-comptable et de comptable agréé ;

Vu l'Ordonnance du 20 août 2015 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a désigné M. Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, Vice-président, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de la procédure en date du 14 décembre 2015 ;

Vu l'Ordonnance du 17 décembre 2015 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 5 février 2015 ;

Ouï M. Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, Vice-président du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï le Procureur Général en ses conclusions ;

Ouï Maître Jean-Pierre LICARI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco pour Madame b. RA., Monsieur Stéphane GA. et Monsieur t. GU., en ses observations ;

Ouï Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco pour l'Ordre des experts-comptables, en ses observations ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France pour l'État de Monaco, en ses observations.

APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté ministériel n° 2014-482 du 11 août 2014

Considérant qu'aux termes de l'article 13, alinéa 1er de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée relative à l'organisation et au fonctionnement du Tribunal Suprême, l'annulation d'un acte administratif ne peut être demandée que dans un délai de deux mois à compter, selon le cas, de sa signification ou de sa publication ; que l'arrêté ministériel n° 2014-482 du 11 août 2014 approuvant le règlement intérieur de l'Ordre des experts-comptables a été publié au Journal de Monaco le 22 août 2014 ; que la requête de Mme RA., M. GA. et M. GU., enregistrée au Greffe Général le 27 juillet 2015 est ainsi tardive et donc irrecevable ; qu'en revanche l'exception d'illégalité de cet arrêté ministériel peut être invoquée à tout moment au soutien d'un recours en annulation d'une décision prise sur son fondement ;

Sur les conclusions d'annulation de la norme « 1 - Indépendance », édictée par le Conseil de l'Ordre des experts-comptables le 24 septembre 2014

Considérant que l'article 17 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 dispose : « Les experts-comptables et comptables agréés autorisés à exercer sont obligatoirement groupés au sein d'un Ordre doté de la personnalité juridique et chargé d'assurer le respect des règles et devoirs de ces professions, ainsi que la défense de l'honneur, de l'indépendance et des droits de celles-ci » ; que cet ordre professionnel concourt au fonctionnement du service public chargé d'assurer le respect des lois et règlements dans l'exercice des professions d'expert-comptable et de comptable agréé et que les décisions qu'il prend en vertu de prérogatives de puissance publique peuvent faire l'objet de recours devant le Tribunal Suprême en application de l'article 90 B de la Constitution ;

Considérant que, aux termes de l'article 20 de la loi n° 1.231 précitée il appartient au Conseil de l'Ordre des experts-comptables « de préparer le code de déontologie professionnelle ainsi que le règlement intérieur de l'Ordre qui doivent être approuvés par arrêté ministériel, et de s'assurer de leur application » ; que le règlement intérieur de l'Ordre des experts-comptables, ratifié par l'assemblée générale de l'Ordre le 17 décembre 2013, a été approuvé par l'arrêté ministériel n° 2014-482 du 11 août 2014 ; que l'article 13-8° de ce règlement intérieur dispose : « Le Conseil de l'Ordre met en place des normes et recommandations professionnelles » ; que c'est sur le fondement de cet article 13-8° qu'a été adoptée par le Conseil de l'Ordre, le 24 septembre 2014, la « norme 1 - Indépendance » attaquée selon laquelle « la loi, les règlements et la déontologie font obligation au commissaire aux comptes d'être et de paraître indépendant. Il doit non seulement conserver une attitude d'esprit indépendante lui permettant d'effectuer sa mission avec intégrité et objectivité, mais aussi être libre de tout lien réel qui pourrait être interprété comme constituant une entrave à cette intégrité et objectivité. Il tient compte des règles d'incompatibilités. Il s'assure également que les experts ou collaborateurs auxquels il confie des travaux respectent les règles d'indépendance » ; que les « commentaires » qui accompagnent cette « norme 1 » en précisent les implications, notamment en ce qui concerne l'exercice du co-commissariat aux comptes ; que cette norme, de nature à garantir l'indépendance des commissaires aux comptes et donc des contrôles qu'ils sont conduits à exercer, est de nature déontologique et, à ce titre, susceptible d'être disciplinairement sanctionnée ;

Considérant que ni l'article 25 de la Constitution ni aucune autre disposition, règle ou principe de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce que le législateur, comme il l'a fait dans l'article 20 précité de la loi n° 1.231, confère au Ministre d'État compétence pour poser, dans le respect de la loi, des règles d'exercice d'une profession, complémentaires de celles qui figurent dans la loi elle-même, notamment sur la proposition d'organes représentatifs de cette profession chargés de leur préparation ;

Considérant cependant qu'il résulte de l'article 20 précité de la loi n°1.231 qu'aucune règle déontologique d'exercice de la profession d'expert-comptable ne peut entrer en vigueur sans l'accord du Ministre d'État; qu'il appartient donc à ce dernier, s'il en décide ainsi, d'approuver les propositions qui peuvent lui être faites par le Conseil de l'Ordre en cette matière ; qu'en revanche, il ne peut légalement attribuer au Conseil de l'ordre des experts-comptables compétence pour édicter de telles règles ; que la « norme 1 - Indépendance » a ainsi été édictée par une autorité incompétente.

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er : La « Norme 1 - Indépendance » adoptée le 24 septembre 2014 par le conseil de l'ordre des experts-comptables est annulée.

Article 2 : Les dépens sont mis à la charge de l'ordre des experts-comptables.

Article 3 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition

Ainsi jugé et délibéré par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de M. Didier LINOTTE, chevalier de l'Ordre de Saint Charles, Président, M. Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, officier de l'Ordre de Saint Charles, Vice-président, rapporteur, Monsieur José SAVOYE, chevalier de l'Ordre de Saint Charles, membre titulaire, M. Didier RIBES, membre titulaire, M. Guillaume DRAGO, membre suppléant.

et prononcé le dix-neuf février deux mille seize en présence de Mademoiselle Alexia BRIANTI, Substitut du Procureur général, par Monsieur Didier LINOTTE, assisté de Madame Béatrice BARDY, greffier en chef, chevalier de l'ordre de Saint-Charles.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2015-12
Date de la décision : 19/02/2016

Analyses

Experts comptables  - Compétence.

CompétenceContentieux administratif - Recours pour excès de pouvoir - Actes réglementaires.


Parties
Demandeurs : b. RA., s. GA. et t. GU.
Défendeurs : Ordre des experts-comptables et État de Monaco

Références :

Ordonnance souveraine n° 3.028 du 6 juin 1945
loi n° 408 du 20 janvier 1945
arrêté ministériel n° 2014-482 du 11 août 2014
Loi n° 1.231 du 12 juillet 2000
Ordonnance du 20 août 2015
article 20 de la loi n°1.231 du 12 juillet 2000
article 25 de la Constitution
article 90 B de la Constitution
Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
article 17 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000
Ordonnance du 17 décembre 2015


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2016-02-19;ts.2015.12 ?

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