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16/06/2014 | MONACO | N°TS/2013-20

Monaco | Tribunal Suprême, 16 juin 2014, Sieur J.-P. L. c/ État de Monaco, TS/2013-20


Motifs

TRIBUNAL SUPRÊME

__________

TS 2013-20

Affaire :

Monsieur j-p. LI.

Contre

État de Monaco

DÉCISION

AUDIENCE DU 4 JUIN 2014

Lecture du 16 juin 2014

Requête en annulation de l'article 11 de la loi n° 1.399 du 25 juin 2013 portant réforme du code pénal en matière de garde à vue, publiée au Journal de Monaco du 19 juillet 2013.

En la cause de :

- Monsieur j-p. LI., domicilié à MONACO, « X », X ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la C

our d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

Contre :

- L'État de Monaco, ayant pour avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO, avoca...

Motifs

TRIBUNAL SUPRÊME

__________

TS 2013-20

Affaire :

Monsieur j-p. LI.

Contre

État de Monaco

DÉCISION

AUDIENCE DU 4 JUIN 2014

Lecture du 16 juin 2014

Requête en annulation de l'article 11 de la loi n° 1.399 du 25 juin 2013 portant réforme du code pénal en matière de garde à vue, publiée au Journal de Monaco du 19 juillet 2013.

En la cause de :

- Monsieur j-p. LI., domicilié à MONACO, « X », X ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

Contre :

- L'État de Monaco, ayant pour avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur à la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par la S. C. P. PIWNICA-MOLINIÉ, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière,

Vu la requête présentée par M. J-P. L., enregistrée au Greffe Général le 17 septembre 2013, et tendant à l'annulation de l'article 11 de la loi n° 1.399 du 25 juin 2013 portant réforme du Code de procédure pénale en matière de garde à vue.

Ce faire,

Attendu que, selon la requête, est contraire à la Constitution l'existence même du régime dérogatoire aux garanties et droits reconnus à toute personne placée en garde à vue, prévu par l'article 11 de la loi n° 1.399, et surtout de sa mise en œuvre, dès lors que celle-ci ne dépend pas de critères précis et limitatifs, alors qu'il s'agit des droits de la défense, mais au contraire de critères particulièrement flous qui permettent la mise en œuvre de ce régime d'exception potentiellement dans toutes les enquêtes préliminaires de façon arbitraire et sans contrôle ; que des dispositions comparables ont été déclarées contraires à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en particulier dans l'arrêt du 14 janvier 2011, BRUSCO c/ France ;

Que l'article 11 soumis à la censure du Tribunal Suprême est ainsi contraire à l'article 19 de la Constitution en ce qu'il ne comporte pas de liste limitative des cas où les garanties accordées aux gardés à vue pourront être écartées ;

Qu'il est aussi contraire à l'article 20 en ce qu'il ne définit pas de façon suffisamment claire et précise les règles de procédure applicables aux dérogations qu'il prévoit ;

Que l'imprécision de la loi est si flagrante que le Gouvernement a cru devoir publier dans le Journal de Monaco, à la suite de la loi n° 1.399 elle-même, une « Note explicative » relative, notamment, à cet article 11, dont le statut juridique est incertain ;

Qu'aucun recours ou appel n'est prévu contre la mise en œuvre du régime dérogatoire autorisé par l'article 11 ;

Que la possibilité offerte au Procureur Général de décider d'appliquer ce régime d'exception alors qu'il n'est pas considéré par la jurisprudence de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales comme une autorité judiciaire ou juridictionnelle du fait de sa dépendance au pouvoir exécutif comme en témoigne l'arrêt du 23 novembre 2010, MOULIN c/ France ;

Vu la contre-requête du Ministre d'État, enregistrée au Greffe Général le 15 novembre 2013, qui tend au rejet de la requête aux motifs :

Que le requérant prétend faire prévaloir la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sur la Constitution alors que le Tribunal Suprême statuant en matière constitutionnelle ne peut vérifier que la conformité de la loi à la Constitution ;

Qu'en tout état de cause, la jurisprudence de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales autorise les restrictions aux droits reconnus aux gardés à vue (droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, droit au silence, droit à l'assistance d'un avocat) lorsque des « raisons impérieuses » le justifient comme l'indique l'arrêt du 27 novembre 2008, SALDUZ c/ TURQUIE ;

Que, le 18 novembre 2011, le Conseil constitutionnel français a jugé conforme à la Constitution française la loi française du 14 avril 2011 qui a réformé la garde à vue avec des restrictions rédigées de manière presque identique à l'article 11 de la loi monégasque déférée ;

Que les critères de dérogation aux garanties du gardé à vue sont rédigés en termes clairs ;

Que les dérogations sont strictement encadrées par le texte de l'article 11 ;

Que, si les conditions de la dérogation ne sont pas respectées, la procédure sera annulée par la juridiction pénale ;

Que le moyen tiré de la violation de l'article 20 de la Constitution est inopérant car la loi n'a pas pour objet de définir une sanction pénale ;

Qu'à Monaco, le Procureur général est indépendant du Gouvernement, étant précisé que le Conseil constitutionnel français a jugé conforme à la Constitution française une disposition de la loi du 14 avril 2011 qui permet au Parquet, pourtant placé sous l'autorité du Gouvernement, de s'opposer à la présence d'un avocat au début de la garde à vue pour des « raisons impérieuses » analogues à celles que prévoit la loi déférée ;

Vu la réplique, enregistrée au Greffe Général le 18 décembre 2013 par laquelle le requérant maintient ses conclusions par les mêmes moyens que dans sa requête, ajoutant :

Que, s'il n'est pas contestable que le Tribunal Suprême ne se prononce que par rapport à la Constitution, le contenu des droits et libertés consacrés par la Constitution ne peut s'apprécier sans référence aux conventions internationales auxquelles la Principauté a librement adhéré et par lesquelles elle se trouve liée, notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Que l'argumentation de l'État est surprenante en ce qu'elle invoque une jurisprudence constitutionnelle étrangère alors que la Principauté est un État souverain, que la loi française est différente en ce qu'elle comporte des conditions supplémentaires ignorées de la loi monégasque, à savoir l'urgence, le caractère provisoire de la dérogation à la présence de l'avocat, l'exigence d'une motivation écrite de la dérogation et le simple report de la présence de l'avocat ;

Que la loi française ne permet d'ailleurs pas de déroger au droit au silence du gardé à vue ;

Que le Procureur Général est placé sous l'autorité du Directeur des Services Judiciaires, lui-même placé sous celle du Prince qui, aux termes de l'article 3 de la Constitution, exerce sa « haute autorité » sur le pouvoir exécutif ; qu'en conséquence, à Monaco comme en France, le Parquet n'est pas une « autorité judiciaire » au sens de la jurisprudence de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la duplique du Ministre d'État, enregistrée au Greffe Général le 17 janvier 2014, conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que dans la contre-requête, ajoutant :

Qu'il est important de souligner que le Tribunal Suprême statuant en matière constitutionnelle ne contrôle pas la conformité de la loi à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, non seulement pour des raisons de respect de la Constitution mais aussi parce que la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales exerce un contrôle in concreto là où le Tribunal Suprême exerce un contrôle in abstracto ;

Qu'en dépit de légères différences de rédaction, la loi monégasque et la loi française sont substantiellement identiques en ce qui concerne le critère de l'urgence et l'exigence d'une motivation, nécessairement écrite ; que la loi monégasque est même plus protectrice en ce qu'elle prévoit explicitement qu'« aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites hors la présence de l'avocat » ;

Que, dès lors que le Prince Souverain participe constitutionnellement des trois pouvoirs, ce qui importe, c'est que le Procureur Général n'est pas le subordonné hiérarchique du chef du gouvernement.

Vu le procès-verbal de clôture de la procédure du 7 avril 2014 ;

Sur ce :

Vu l'article 11 attaqué de la loi n° 1.399 du 25 juin 2013 portant réforme du Code pénal en matière de garde à vous ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution et notamment ses articles 6, 19, 20, 43, 46, 88 et 90 ;

Vu l'Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur le Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 1.364 du 16 novembre 2009 relative au statut de la magistrature, et notamment son article 8 ;

Vu la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires, et notamment son article 26 ;

Vu la loi n° 1.399 du 25 juin 2013 portant réforme du Code de procédure pénale en matière de garde à vue ;

Vu l'Ordonnance du 24 septembre 2013 par laquelle M. le Président du Tribunal Suprême a nommé M. Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, Vice-président, en qualité de rapporteur ;

Vu l'Ordonnance du 24 avril 2014 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 4 juin 2014 ;

À l'audience du 4 juin 2014 sur le rapport de M. Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, Vice-président du Tribunal Suprême ;

Ouï Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel, pour M. J.-P. L. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIÉ, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï le Ministère public en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré ;

1 – Considérant que l'article 11 de la loi n° 1.399 attaqué dispose : « Est inséré au Code de procédure pénale un article 60-15 rédigé comme suit : Lorsque des raisons impérieuses tenant à la nécessité urgente d'écarter un danger qui menace la vie ou l'intégrité physique d'une ou plusieurs personnes ou à la nécessité de recueillir ou de conserver des preuves le justifient, le procureur général ou le juge d'instruction peut, par décision motivée, déroger aux dispositions des articles 60-9 et 60-9 bis.

Aucune dérogation ne peut être prononcée du seul fait de la nature ou de la gravité de l'infraction.

Cette mesure ne peut être que temporaire et proportionnelle au but poursuivi. Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites hors la présence d'un Avocat » ; que le requérant conteste la conformité aux articles 19 et 20 de la Constitution des dispositions de l'article 60-15 du Code de procédure pénale issues de cet article 11 ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 20 de la Constitution

2 – Considérant que l'alinéa 1er de l'article 20 de la Constitution dispose : « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi » ; que M. J-P. L. soutient que cet article 11 est intervenu en violation de cette disposition constitutionnelle en raison de l'imprécision des règles de forme et de procédure applicables à la dérogation que l'article 11 de la loi n° 1.399 autorise, alors que la jurisprudence du Tribunal Suprême déduit de cette disposition constitutionnelle l'obligation, pour le législateur, de définir les infractions en termes suffisamment précis pour exclure l'arbitraire ;

3 – Considérant qu'aux termes de l'article 60-1 du Code de procédure pénale, issu de la loi n° 1.399, « Seule la personne à l'encontre de laquelle il existe des raisons sérieuses de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre un crime, ou un délit puni d'emprisonnement, peut, pour les nécessités des investigations, être placée en garde à vue par un officier de police judiciaire. La garde à vue est une mesure de contrainte qui emporte, pendant toute sa durée, le maintien de cette personne à la disposition de l'officier de police judiciaire » ; qu'il résulte de ces dispositions que la garde à vue est une mesure de contrainte temporaire justifiée par les nécessités des investigations en relation avec les infractions les plus graves mais non une sanction pénale ; qu'en conséquence l'article 11 attaqué n'a ni pour objet ni pour effet de définir ou de sanctionner une infraction pénale ; qu'ainsi le moyen tiré de la violation de l'article 20 de la Constitution est inopérant et doit donc être écarté ;

Sur les moyens tirés de la violation de l'article 19 de la Constitution

4 – Considérant que l'article 19 de la Constitution dispose : « La liberté et la sûreté individuelles sont garanties. Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, devant les juges qu'elle désigne et dans la forme qu'elle prescrit » :

5 – Considérant en premier lieu que M. J-P. L. soutient que l'article 11 de la loi n° 1.399 est intervenu en violation de cet article 19 en ce que les critères et conditions de mise en œuvre de la dérogation qu'il autorise sont insuffisamment précis ; qu'en particulier, à ce titre, seule une liste limitative de ces critères et conditions serait autorisée par l'article 19 de la Constitution ;

6 – Considérant qu'il résulte de l'article 19 de la Constitution précité qu'il appartient au législateur de prescrire les cas et la forme dans lesquelles des poursuites pénales peuvent être engagées ; qu'il lui incombe en particulier à ce titre de définir, non seulement les garanties et droits qui doivent être reconnus à toute personne placée en garde à vue, mais aussi les conditions dans lesquelles il peut être dérogé à ces droits ou à ces garanties lorsqu'une telle dérogation apparaît nécessaire, pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'enquête ;

7 – Considérant qu'aux termes de l'article 11 attaqué seules des raisons impérieuses tenant à la nécessité urgente d'écarter un danger qui menace la vie ou l'intégrité physique d'une ou plusieurs personnes ou à la nécessité de recueillir ou de conserver des preuves peuvent justifier la dérogation qu'il permet ; que ledit article 11 précise d'une part qu'aucune dérogation ne peut être décidée du seul fait de la nature ou de la gravité de l'infraction et d'autre part que la dérogation ne peut être que temporaire et proportionnée au but poursuivi ; qu'il résulte de ces dispositions et des travaux préparatoires de la loi que l'article 11 doit à cet égard être interprété comme n'autorisant pas la dérogation dans toutes les procédures pénales mais seulement quand elle est justifiée à la fois par l'urgence et par les circonstances particulières que lesdites dispositions définissent ; que, dans le cadre de cette interprétation, cette définition est suffisamment précise pour que le juge chargé par la loi de sanctionner les irrégularités susceptibles d'avoir affecté une garde à vue soit en mesure d'apprécier le bien-fondé de la dérogation et sa proportionnalité, notamment en ce qui concerne sa durée ; que le moyen tiré de l'imprécision de ces critères et conditions doit donc, sous cette réserve, être écarté ;

8 – Considérant en deuxième lieu que M. J-P. L. soutient que l'article 11 attaqué est intervenu en violation de l'article 19 de la Constitution en ce qu'aucun recours n'est prévu contre la mise en œuvre du régime dérogatoire qu'il autorise, de sorte que la nullité éventuelle de la garde à vue ne pourra être constatée que lorsqu'elle aura produit des effets irréparables ;

9 – Considérant que l'article 19 de la Constitution impose que la nullité d'une garde à vue puisse être constatée et sanctionnée avant que celle-ci n'ait produit des effets irréparables ; qu'il en résulte que les règles de la procédure pénale doivent permettre à la personne gardée à vue de faire sanctionner par une autorité judiciaire, avant son éventuelle condamnation, les irrégularités qui auraient affecté sa garde à vue ; qu'il est toutefois loisible au législateur de définir les modalités de mise en œuvre de ce principe ; que le Code de procédure pénale organise plusieurs modalités de mise en œuvre de ce principe ; qu'en particulier l'alinéa 4 de l'article 209 du Code de procédure pénale, introduit par la loi n° 1.399 dispose : « La cour d'appel peut, au cours de l'information, être saisie aux fins d'annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure par requête motivée du juge d'instruction, du procureur général, de l'inculpé ou de la partie civile » ; qu'ainsi le moyen tiré de l'absence de recours contre la mise en œuvre du régime dérogatoire autorisé par l'article 11 attaqué manque en fait ;

10 – Considérant en troisième lieu que M. J-P. L. soutient que l'article 11 attaqué est intervenu en violation de l'article 19 de la Constitution en ce qu'il ne prévoit pas que la motivation de la décision de dérogation qu'il autorise soit écrite ;

11 – Considérant que ledit article 11 impose que la dérogation soit prise « par décision motivée » ; qu'il s'en déduit que cette décision et ses motifs doivent nécessairement être écrits ; qu'ainsi le moyen manque en fait ;

12 – Considérant en quatrième lieu que M. J-P. L. soutient que l'article 11 attaqué est intervenu en violation de l'article 19 de la Constitution en ce qu'il permet aux autorités qu'il désigne de déroger à l'alinéa 1er de l'article 60-9 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 1.399, qui dispose : « La personne gardée à vue est informée qu'elle a le droit de ne faire aucune déclaration. Mention en est faite dans le procès-verbal » :

13 – Considérant que l'alinéa 3 de l'article 60-15 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de l'article 11 de la loi n° 1.399 dispose : « Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites hors la présence de l'avocat » ; qu'ainsi la possibilité de dérogation ouverte par l'alinéa 1er du même article 60-15 n'a ni pour objet ni pour effet de permettre une condamnation sur le seul fondement de déclarations faites hors la présence de l'avocat ; qu'elle n'a pas davantage pour objet ou pour effet de permettre que puisse être écartée l'application de l'article 60-10 qui prévoit, dans sa rédaction issue de la loi n° 1.399, l'obligation, à peine de nullité, d'un enregistrement audiovisuel des auditions de la personne gardée à vue dans les locaux de la direction de la sûreté publique ; qu'il ressort en outre des travaux préparatoires de la loi n° 1.399, publiés en annexe au Journal de Monaco du 31 janvier 2014, que l'intention du législateur n'a pas été d'autoriser les autorités désignées par l'article 11 attaqué à priver la personne gardée à vue de son droit de garder le silence ; qu'il convient donc d'interpréter l'article 11 comme excluant la possibilité de déroger au droit de la personne gardée à vue de ne faire aucune déclaration et d'être informée de ce droit ; que, sous cette réserve, la dérogation autorisée par l'article 11 attaqué est conforme à l'article 19 de la Constitution ;

14 – Considérant en cinquième lieu que M. J-P. L. soutient que l'article 11 attaqué est intervenu en violation de l'article 19 de la Constitution en ce qu'il autorise le Procureur Général à déroger aux droits et garanties reconnues par les articles 60-9 et 60-9 bis du Code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi n° 1.399, alors que le Procureur Général ne saurait être considéré comme un « juge » au sens de cet article 19 puisque, placé sous l'autorité du Directeur des Services Judiciaires qui est lui-même placé sous la haute autorité du Prince, il n'est pas indépendant du pouvoir exécutif ;

15 – Considérant que l'article 2 de la Constitution dispose : « Le principe du gouvernement est la monarchie héréditaire et constitutionnelle. La Principauté est un État de droit attaché au respect des libertés et droits fondamentaux » ; qu'aux termes de l'article 6 de la Constitution, « la séparation des fonctions administrative, législative et judiciaire est assurée » ; que, par l'article 88 de la Constitution, le plein exercice du pouvoir judiciaire a été délégué par le Prince aux cours et tribunaux ; qu'il résulte de ces dispositions constitutionnelles que, si l'article 19 de la Constitution impose que les décisions prises en matière de garde à vue ne puissent l'être que par une autorité judiciaire indépendante de l'autorité gouvernementale, disposant de compétences propres lui permettant de garantir le respect des libertés et droits fondamentaux, cette autorité judiciaire ne saurait être dotée d'un statut incompatible avec le principe de gouvernement posé par l'alinéa 1er de l'article 2 de la Constitution ;

16 – Considérant qu'aux termes de l'article 43 de la Constitution, « le gouvernement est exercé, sous la haute autorité du Prince, par un Ministre d'État, assisté d'un Conseil de Gouvernement » ; qu'aux termes de l'article 46 de la Constitution, « sont dispensées de la délibération en Conseil de Gouvernement et de la présentation par le Ministre d'État, les Ordonnances Souveraines : (…) concernant les affaires relevant de la Direction des Services Judiciaires (…) » ; qu'il résulte ces dispositions constitutionnelles, d'une part que la fonction administrative visée à l'article 6 de la Constitution est assurée exclusivement par le Ministre d'État assisté du Conseil de Gouvernement, et d'autre part que le Directeur des Services Judiciaires est une autorité indépendante du Ministre d'État et du Conseil de Gouvernement ;

17 – Considérant que, si l'article 8 de la loi n° 1.364 du 16 novembre 2009 relative au statut de la magistrature énonce que « les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle du procureur général, lequel est placé sous l'autorité du Directeur des Services Judiciaires », il ressort de l'article 26 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires que le Directeur des Services Judiciaires ne peut ni exercer lui-même l'action publique ni en arrêter ou en suspendre le cours ; qu'en outre l'article 60-3 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 1.399, confère au Procureur Général le pouvoir d'apprécier la nécessité et la proportionnalité d'une mesure de garde à vue et d'y mettre fin à tout moment ; qu'enfin l'article 60-9 ter du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 1.399 réserve au seul juge des libertés le pouvoir de prolonger une garde à vue au-delà de vingt-quatre heures ;

18 – Considérant qu'il résulte de la combinaison de l'ensemble de ces dispositions que, dans le cadre des principes posés par les articles 2 et 6 de la Constitution, les décisions prises en matière de garde à vue relèvent de la compétence d'autorités judiciaires indépendantes de l'autorité gouvernementale et dotées de compétences propres leur permettant de garantir le respect des libertés et droits fondamentaux ; qu'ainsi le moyen tiré de la violation de l'article 19 de la Constitution du fait des pouvoirs reconnus au Procureur Général par l'article 11 de la loi n° 1.399 ne peut qu'être rejeté.

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er : Sous les réserves d'interprétation énoncées aux considérants n° 7 et 13, la requête est rejetée.

Article 2 : Les dépens sont partagés par moitié entre M. J-P. L. et S.E. le Ministre d'État.

Composition

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, président, Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, officier de l'ordre de Saint-Charles, vice-président, rapporteur, José SAVOYE, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, Madame Martine LUC-THALER, chevalier de l'Ordre de Saint-Charles, membres titulaires et Magali INGALL-MONTAGNIER, membre suppléant,

et prononcé le seize juin deux mille quatorze en présence Ministère public par Monsieur Didier LINOTTE, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, Président assisté de Madame Béatrice BARDY, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, Greffier en chef.

Le Greffier en Chef, le Président,

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2013-20
Date de la décision : 16/06/2014

Analyses

Loi et actes administratifs unilatéraux  - Défense - sécurité  - Procédure pénale - Exécution  - Pouvoir exécutif et Administration.

CompétenceContentieux constitutionnel - Recours en annulation - Disposition législativeDroits et libertés constitutionnellesLoi n° 1 - 399 du 25 juin portant réforme du Code de procédure pénale en matière de garde à vue - Art - 11 de la loi - Garde à vue - Mesure de contrainte temporaire (oui) - Sanction pénale (non) - Violation de l'article 20 de la Constitution (non)Principe de légalité des dispositions pénales - Dérogation aux droits et garanties afférentes aux poursuites pénales - Dérogation temporaire et proportionnée au but poursuivi - Dérogation justifiéeAbsence de recours contre la décision de dérogation - Moyen non établiDéfaut du caractère écrit de la décision de dérogation - Moyen non établiDroit de la personne gardée à vue de garder le silence et être informé de ce droit - Atteinte à cette garantie (non)Indépendance de l'autorité judiciaire compatible avec le principe de gouvernement institué par la ConstitutionConstitution - Art - 43 - Directeur des Services Judiciaires autorité indépendante du Ministre d'ÉtatLoi n° 1 - 364 du 16 novembre 2009 relative au statut de la magistrature - Incompétence du Directeur des Services Judiciaires à l'égard de l'action publique - Compétence du Procureur Général à l'égard d'une mesure de garde à vue - Compétence du juge des libertés pour prolonger la garde à vueCompétence des autorités judiciaires en matière de garde à vue et de garanties des libertés et droits fondamentaux - Autorités judiciaires indépendantes de l'autorité gouvernementaleViolation de l'article 19 de la Constitution (non)Conformité de la disposition législative à la Constitution (oui) - Application assortie des réserves d'interprétation.


Parties
Demandeurs : Sieur J.-P. L.
Défendeurs : État de Monaco

Références :

articles 2 et 6 de la Constitution
article 60-3 du Code de procédure pénale
article 19 de la Constitution
Ordonnance du 24 avril 2014
article 43 de la Constitution
Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963
article 60-1 du Code de procédure pénale
loi n° 1.399 du 25 juin 2013
loi n° 1.398 du 24 juin 2013
article 46 de la Constitution
article 60-9 ter du Code de procédure pénale
Vu la Constitution
code pénal
article 3 de la Constitution
article 209 du Code de procédure pénale
article 2 de la Constitution
article 20 de la Constitution
Ordonnance du 24 septembre 2013
articles 60-9 et 60-9 bis du Code de procédure pénale
article 88 de la Constitution
article 60-9 du Code de procédure pénale
article 26 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013
Loi n° 1.364 du 16 novembre 2009
article 6 de la Constitution
article 60-15 du Code de procédure pénale
articles 19 et 20 de la Constitution
article 8 de la loi n° 1.364 du 16 novembre 2009
Code de procédure pénale
loi du 14 avril 2011
article 11 de la loi n° 1.399 du 25 juin 2013


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2014-06-16;ts.2013.20 ?

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