Motifs
TRIBUNAL SUPRÊME
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TS 2013-14
Affaire :
b. ZE.
Contre :
l'Etat de Monaco
DÉCISION
AUDIENCE DU 20 NOVEMBRE 2013
Lecture du 4 décembre 2013
Recours en annulation de l'arrêté ministériel n° 2012-668 du 7 novembre 2012, notifié à M. b. ZE. le 26 avril 2013, par lequel son permis de conduire des véhicules terrestres à moteur a été suspendu pour une durée de 15 mois à compter de sa notification.
En la cause de :
M. b. ZE., résidant à Monaco, X, 98000 Monaco,
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Didier ESCAUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Gaston CARRASCO, avocat au barreau de Nice
Contre :
L'Etat de Monaco, pris en la personne de S. E. M. le Ministre d'État de la Principauté de Monaco, ayant pour avocat défenseur Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'Appel de Monaco, et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;
LE TRIBUNAL SUPREME
Siégeant et délibérant en assemblée plénière,
Vu la requête de M. B. Z. enregistrée au Greffe général de la Principauté de Monaco le 24 juin 2013, tendant à l'annulation de l'arrêté ministériel n° 2012 – 668 du 7 novembre 2012, à lui notifié le 26 avril 2013, par lequel son permis de conduire des véhicules terrestres à moteur a été suspendu pour une durée de quinze mois à compter de sa notification ;
Ce faire :
Attendu que M. Z., de nationalité néerlandaise et résidant à Monaco, titulaire depuis septembre 2009 d'une carte de séjour privilégiée, bénéficie depuis 1997 d'un permis de conduire monégasque, renouvelé en octobre 2009 ; que M. Z. fut condamné le 27 avril 2012 par le Tribunal correctionnel de Monaco pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique et défaut de maîtrise du véhicule, à cinq jours d'emprisonnement et 45 € d'amende ; qu'après avis de la Commission technique spéciale prévue par l'article 128 du Code de la route, le Ministre d'État a, par arrêté du 7 novembre 2012, suspendu le permis de conduire de M. B. Z. pour une durée de quinze mois ;
Attendu que M. Z reproche à ladite décision d'être entachée d'illégalité, tant externe qu'interne ;
Que, sur le plan de la légalité externe, l'arrêté a été pris au vu d'un avis exprimé par une Commission irrégulièrement composée ; que, selon l'article 128 du Code de la route, la Commission technique spéciale est en effet « obligatoirement consultée par le Ministre d'État lorsqu'il y a lieu de procéder à la suspension d'un permis de conduire » ; que la composition de cette commission est prévue par un arrêté ministériel n° 2000 – 404 du 15 septembre 2000, disposant que son président est « un magistrat désigné par le Directeur des Services judiciaires » ; qu'un arrêté n° 2009-13 du Directeur des Services judiciaires en date du 15 mai 2009 a désigné à cette fonction M. Jean-Jacques Ignacio, substitut du procureur général ; mais que la commission qui a rendu l'avis requis par l'article 128 du Code de la route était présidée, non par M. Ignacio, mais par un autre substitut du procureur général, M. Bonnet ; que, rendu par une commission irrégulièrement composée, l'avis était donc nul, de sorte que l'arrêté attaqué, ayant lui-même été pris sur la base d'un avis irrégulier, se trouvait entaché de nullité ;
Qu'en outre, l'arrêté attaqué ne se conforme pas aux dispositions de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ; qu'il se borne à viser l'avis de la Commission technique spéciale sans le reproduire ni le joindre ;
Que, sur le plan de la légalité interne, les faits commis par M. Z. n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 123 du Code de la route, lequel prévoit que le Ministre d'État peut prononcer la suspension du permis de conduire lorsque son titulaire aura fait l'objet d'un procès-verbal constatant « (…) qu'il conduisait dans un état d'ivresse manifeste ou sous l'empire d'un état alcoolique au sens de l'article 391-1 du Code pénal » ; que l'article 391-1 du Code pénal définit les actes de terrorisme ; que, les faits reprochés à M. Z. étant de toute évidence étrangers aux actes de terrorisme, l'arrêté est de ce fait entaché de nullité ;
Qu'enfin la mesure attaquée ne constitue pas une mesure de police mais une sanction à laquelle s'appliquent par conséquent les stipulations de la Convention européenne des droits de l'homme, et notamment son article 6-1, au terme duquel toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi ; qu'ainsi, l'arrêté est nul en tant qu'il a été pris en violation des stipulations conventionnelles précitées ;
Que l'arrêté illégal ayant causé au requérant un préjudice matériel qu'il évalue à 20 000 €, telle est la somme qu'il demande à l'État de Monaco à titre de dommages-intérêts ;
Qu'en outre, M. B. Z. demande au Tribunal Suprême d'inviter le Ministre d'État à produire une copie du procès-verbal daté du 26 avril 2013 de notification de l'arrêté ministériel du 7 novembre 2012, ainsi que l'avis de la Commission technique spéciale dans sa séance du 20 septembre 2012 ;
Vu la contre-requête du Ministre d'État enregistrée au Greffe général le 23 août 2013 ;
Attendu que le premier moyen avancé par M. Z., tiré de ce que l'avis de la commission aurait été exprimé par un organe irrégulièrement composé, est inopérant, comme négligeant le principe de l'indivisibilité du ministère public ; que par ailleurs, rien ne s'oppose à ce que le Tribunal Suprême adopte la jurisprudence du Conseil d'État français selon laquelle le vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer en l'espèce une influence sur le sens de la décision prise ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ;
Que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation au regard de la loi du 29 juin 2006 n'est pas plus fondé, l'arrêté ministériel, après avoir visé expressément les textes sur lesquels il se fonde, énonçant précisément les éléments de fait pris en considération par l'auteur de l'acte ; qu'à cet égard, il est indifférent qu'il ait visé l'avis de la Commission technique spéciale sans le joindre ;
Que le renvoi effectué à l'article 391-1 du Code pénal résulte d'une erreur matérielle ;
Que le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué constituerait, non pas une mesure de police, mais une sanction administrative intervenue en violation des dispositions de l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme, est lui aussi infondé, le Tribunal Suprême ayant jugé dans des circonstances analogues qu'une mesure de suspension du permis de conduire ne constitue pas une sanction mais une mesure de police administrative ;
Qu'aucun des moyens avancés par M. Z. n'étant fondé, la requête devra donc être rejetée, et avec elle, par voie de conséquence, la demande de dommages-intérêts présentée sur le fondement de l'article 90 B de la constitution ;
Vu la réplique enregistrée au Greffe général le 23 septembre 2013 concluant aux mêmes fins et par les mêmes moyens que la requête, précisant, s'agissant de la composition irrégulière de la Commission technique spéciale, que les fonctions de président de la Commission technique spéciale sont étrangères à celles du ministère public ; et s'agissant du non-respect des dispositions de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs, que l'avis de la commission, cité par l'arrêté attaqué qui ne le joint pas, n'a été ni communiqué, ni porté à la connaissance du requérant ; que ceci empêche de déterminer si la commission était régulièrement composée, si elle a respecté les procédures et si elle a véritablement préconisé la suspension du permis pour une durée de quinze mois ;
Que l'arrêté attaqué, portant atteinte à la liberté d'aller et venir de M. Z., et ayant été notifiée un an après les faits, ce qui lui enlève tout caractère préventif, constitue objectivement une sanction – laquelle ne pouvait être infligée que conformément aux exigences de l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Vu la duplique du Ministre d'État enregistrée au Greffe général le 23 octobre 2013, concluant aux mêmes fins et par les mêmes moyens que la contre-requête,
Sur ce :
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la Constitution, notamment son article 90 B ;
Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;
Vu la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, ensemble ses protocoles additionnels rendus exécutoires par Ordonnances Souveraines n° 408 et 411 du 15 février 2006 ;
Vu le Code de la route, et notamment ses articles 123 et 128 ;
Vu le Code pénal, et notamment ses titres III et IV ;
Vu la loi n° 1312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;
Vu la loi n° 1318 du 29 juin 2006 sur le terrorisme ;
Vu l'Arrêté ministériel n° 2000-404 du 15 septembre 2000 portant désignation des membres de la commission technique spéciale ;
Vu l'Arrêté n° 2009-13 du 15 mai 2009 du Directeur des Services judiciaires portant désignation d'un magistrat en qualité de président de la commission technique spéciale ;
Vu l'ordonnance du 25 juin 2013 par laquelle M. le Président du Tribunal Suprême a désigné M. Frédéric Rouvillois, membre suppléant, en qualité de rapporteur ;
Vu l'ordonnance en date du 4 novembre 2013 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience du 20 novembre 2013 ;
Ouï M. Frédéric Rouvillois, membre suppléant du Tribunal Suprême en son rapport ;
Ouï Maître Gaston Carrasco, avocat au barreau de Nice, pour M. B. Z. ;
Ouï Maître Jacques Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour l'État de Monaco ;
Ouï Monsieur le Procureur Général, en ses conclusions ;
Après en avoir délibéré ;
Sur la légalité de l'arrêté attaqué
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'en vertu de l'article 123 du Code de la route, le Ministre d'État peut suspendre un permis de conduire pour une durée allant jusqu'à deux ans lorsque son titulaire aura fait l'objet d'un procès-verbal constatant qu'il conduisait sous l'empire d'un état alcoolique au sens de l'article 391-13 du Code pénal ; que pour pouvoir procéder à une telle suspension, l'article 128 du Code de la route prévoit que le Ministre d'État doit obligatoirement consulter une commission technique spéciale ; que la composition de celle-ci a été prévue par un arrêté ministériel n° 2000-404 du 15 septembre 2000, qui dispose que son président est un magistrat désigné par le Directeur des Services judiciaires ; qu'un arrêté n° 2009-13 du Directeur des Services judiciaires en date du 15 mai 2009 a désigné à ces fonctions M. Jean-Jacques Ignacio, substitut du procureur général ;
Considérant que la Commission qui a rendu, le 20 septembre 2012, l'avis requis par l'article 128 du Code de la route à propos de la suspension du permis de M. Z. était présidée par M. Bonnet ; que la circonstance qu'il appartienne au ministère public est inopérante, le principe de l'indivisibilité du parquet ne s'appliquant pas en l'espèce dès lors que M. Ignacio a été désigné à la présidence de la commission technique spéciale en tant que magistrat, et non en tant que membre du parquet ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêté attaqué a été pris à l'issue d'une procédure entachée d'une irrégularité substantielle ;
Sur la demande indemnitaire
Considérant que M. Z. n'apporte aucune justification du préjudice qu'il invoque ; que la demande présentée ne peut donc être accueillie ;
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté ministériel n° 2012-668 du 7 novembre 2012 est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Les dépens sont mis à la charge de l'État.
Composition
Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, président, Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, officier de l'ordre de Saint-Charles, vice-président, Madame Martine LUC-THALER, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, membre titulaire, Monsieur Frédéric ROUVILLOIS, rapporteur et Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, membres suppléants,
et prononcé le quatre décembre deux mille treize en présence de Monsieur Jean-Pierre DRÉNO, Procureur général par Monsieur Didier LINOTTE, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, président assisté de Madame Béatrice BARDY, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, greffier en chef.
Le Greffier en Chef, le Président,
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