Motifs
TRIBUNAL SUPRÊME
__________
TS 2013-13
Affaire :
S. C. I VILLA CENTRAL
Contre
État de Monaco
DÉCISION
AUDIENCE DU 21 NOVEMBRE 2013
Lecture du 4 décembre 2013
Requête en annulation de la décision du 8 octobre 2012 par laquelle le Directeur des Services Fiscaux a refusé l'application du taux réduit de TVA de 7% aux travaux d'amélioration, de transformation et d'aménagement de l'immeuble « Villa Louis », ensemble le rejet opposé le 17 avril 2013 par le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Economie au recours hiérarchique formé le 7 décembre 2012 contre ce refus.
En la cause de :
- La société civile immobilière dénommée « SCI VILLA CENTRAL », dont le siège social est sis « Villa Louis » 29, avenue Princesse Charlotte à MONACO, agissant par son gérant en exercice, Monsieur c. CA., demeurant en sa qualité audit siège,
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco ;
Contre :
- L'État de Monaco, ayant pour avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur à la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par la S. C. P. PIWNICA-MOLINIÉ, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière,
Vu la requête présentée par la société civile immobilière « SCI VILLA CENTRAL », enregistrée au Greffe le 17 juin 2013, et tendant à l'annulation de la décision du 8 octobre 2012 par laquelle le Directeur des Services Fiscaux a refusé l'application du taux réduit de TVA de 7 % aux travaux d'amélioration, de transformation et d'aménagement de l'immeuble « Villa Louis », ensemble du rejet opposé le 17 avril 2013 par le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie au recours hiérarchique formé le 7 décembre 2012 contre ce refus.
Ce faire,
Attendu que, selon la requête, la SCI VILLA CENTRAL est une société de droit monégasque, dont les parts sont détenues intégralement par M. et Mme C. C., et que cette société est propriétaire depuis le 20 septembre 2011 de la « Villa Louis », immeuble d'habitation achevé depuis plus de deux ans qui nécessite d'être amélioré, transformé et aménagé pour y loger M. C. et sa famille ; que la SCI VILLA CENTRAL a fait appel à l'entreprise générale de travaux R. et à d'autres prestataires pour réaliser des travaux consistant en l'abaissement du sous-sol, la démolition totale de l'immeuble à l'exception des façades extérieures, la construction à l'intérieur, avec des matériaux plus solides, de murs et planchers et l'aménagement d'une terrasse au niveau du toit avec une piscine ; que, selon l'attestation délivrée le 21 mai 2012 par l'entreprise R., la durée de réalisation de l'ensemble des travaux sera supérieure à deux ans ;
Attendu que la SCI VILLA CENTRAL a demandé au Directeur des Services Fiscaux de valider l'analyse de son conseil selon laquelle le taux réduit de TVA à 7 % sera applicable à ces travaux ; que dans une lettre du 8 octobre 2012, le Directeur des Services Fiscaux a estimé que, dans la mesure où ils concourent à la réalisation d'un immeuble neuf, ces travaux ne pouvaient pas bénéficier du taux réduit de TVA ; que, le 7 décembre 2012, la SCI VILLA CENTRAL a formé un recours hiérarchique contre la décision du Directeur des Services Fiscaux auprès du Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie ; que ce dernier a rejeté le recours hiérarchique par lettre du 17 avril 2013 ;
Attendu que, aux termes de l'article 56 bis, 1 du Code des taxes sur le chiffre d'affaires, le taux réduit de TVA est en principe applicable aux travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien portant sur des locaux à usage d'habitation achevés depuis plus de deux ans, quelle que soit la durée des travaux ; qu'il résulte du 2 du même article 56 bis que, par exception au 1, le bénéfice du taux de 7 % n'est pas applicable aux travaux « réalisés sur une période de deux ans au plus » qui concourent à la production d'un immeuble neuf au sens du 2° du 2 du I de l'article 5 du même code ; que, au cas particulier, les travaux devraient vraisemblablement conduire à la production d'un immeuble neuf au sens de ces dispositions ; mais que, s'agissant de travaux devant durer plus de deux ans, l'exception du 2 de l'article 56 bis ne s'applique pas, de sorte qu'ils doivent bénéficier du taux réduit ; qu'en effet, sur la période de deux ans à compter de leur date de commencement, les travaux n'auront pas concouru à la production d'un immeuble neuf ;
Attendu que c'est donc en violation de l'article 56 bis, 1 précité que la décision du Directeur des Services Fiscaux du 8 octobre 2012 se réfère à une « période de deux ans précédant ou suivant la réalisation des travaux » ; que la même violation se retrouve d'ailleurs dans le modèle d'« attestation simplifiée » mis à la disposition des administrés qui souhaitent bénéficier du taux réduit de TVA ; qu'il en va de même de la réponse du Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie ;
Vu la contre-requête du Ministre d'État, enregistrée au Greffe Général le 14 août 2013, tendant au rejet de la requête pour les motifs d'abord que la requête est irrecevable et subsidiairement qu'elle n'est pas fondée ; que la requête n'est pas recevable dès lors que les décisions attaquées sont en réalité de simples avis non détachables des actes d'imposition qui ne peuvent être critiqués que devant le juge de l'impôt, à savoir le Tribunal de Première instance ; que la jurisprudence française fait jouer en la matière l'exception de recours parallèle ; qu'en tout état de cause, la requête n'est pas fondée dès lors que l'objectif poursuivi par les autorités monégasques en instituant, par l'article 56 bis du Code des taxes sur le chiffre d'affaires, un dispositif transposé de l'article 279-0 bis du Code général des impôts français est la relance de l'activité de rénovation des logements anciens ; que l'interprétation donnée par la Direction générale des impôts française de ce dispositif est que le taux réduit est strictement réservé aux travaux de rénovation de locaux d'habitation anciens, c'est-à-dire achevés depuis plus de deux ans, et qu'en revanche les travaux dont l'ampleur est telle qu'il s'agit en réalité d'une construction neuve sont soumis au taux normal de TVA ; que l'article 56 bis n'a pas pour effet de faire bénéficier du taux réduit de tels travaux au seul motif qu'ils dureraient plus de deux ans ; que l'élément déterminant est le fait de contribuer à rendre les locaux à l'état neuf, cette évolution devant être estimée sur deux ans ; que les réponses apportées par le Directeur des Services Fiscaux et le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie ne sont donc entachées d'aucune erreur de droit ;
Attendu que, dans la mesure où la requérante critique le modèle d'attestation mis à la disposition du public dans le domaine considéré, le Ministre d'État indique que ce modèle, identique à celui qui est utilisé par l'administration fiscale française, ne vise pas à doubler illégalement la période de production d'un immeuble neuf ; que ce modèle a seulement pour objet de permettre d'identifier, en conformité avec l'article 56 bis, dans quelle proportion des travaux antérieurs, c'est-à-dire nécessairement dans les deux années précédant le début des travaux concernés par l'opération, ont pu contribuer à la production d'un immeuble neuf et dans quelle proportion des travaux entrepris deux ans après la rénovation seraient susceptibles d'affecter un immeuble en le rendant neuf ;
Vu la réplique, enregistrées au Greffe Général le 20 septembre 2013 par laquelle la SCI VILLA CENTRAL conteste d'abord l'irrecevabilité soulevée par le Ministre d'État aux motifs, d'une part, que, dans sa réponse du 17 avril 2013, le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie a lui-même qualifié de décision la lettre du Directeur des Services Fiscaux du 8 octobre 2012, d'autre part que, conformément à la jurisprudence française, l'exception de recours parallèle ne peut lui être opposée dès lors qu'elle n'est pas le redevable légal de la TVA, celui-ci étant l'entreprise R. ; que seul le recours en annulation pour excès de pouvoir lui permet d'obtenir que les travaux qui lui seront facturés ne seront pas grevés d'une TVA à taux plein ;
Attendu que, sur le fond, la SCI VILLA CENTRAL souligne que les travaux qu'elle engage sont en parfaite adéquation avec les objectifs du législateur dès lors qu'il s'agit de faciliter le recours à la rénovation de logements anciens sur une longue durée ; qu'économiquement, aucun des partenaires, propriétaires et entreprises, n'a intérêt à prolonger artificiellement la durée des travaux ; que la référence au modèle français d'attestation fiscale est sans pertinence à Monaco ; enfin que, au cas d'espèce, en l'absence de travaux de rénovation antérieurs à ceux qu'elle envisage et dans l'ignorance où elle est de savoir si d'autres travaux seront entrepris sur l'immeuble deux ans après sa rénovation, elle a seulement pu attester, sur l'imprimé mis à sa disposition, que, dans les deux ans suivant le début des travaux, ceux-ci ne consisteront pas à concourir à la production d'un immeuble neuf ;
Vu la duplique, enregistrée au Greffe Général le 21 octobre 2013, par laquelle le Ministre d'État considère, sur la recevabilité, que si l'exception de recours parallèle n'est pas, en principe, opposable lorsque le requérant n'est pas le redevable légal de l'impôt, c'est seulement lorsque l'acte contesté par la voie du recours pour excès de pouvoir constitue une véritable décision détachable de l'acte d'imposition et non, comme en l'espèce, un simple avis ; que, sur le fond, la logique des textes et l'intention du législateur ne sont manifestement pas, lorsqu'il s'agit de produire un immeuble neuf, d'appliquer un taux de TVA différent selon que les travaux durent plus ou moins de deux ans.
Sur ce :
Vu les décisions attaquées ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu la Constitution et notamment son article 90-B ;
Vu l'Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur le Tribunal Suprême ;
Vu le Code des taxes sur le chiffre d'affaires, et notamment ses article 5 et 56 bis, ainsi que l'article A-3 A de son annexe ;
Vu l'Ordonnance du 18 juin 2013 par laquelle M. le Président du Tribunal Suprême a nommé M. Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, Vice-président, en qualité de rapporteur ;
Vu l'Ordonnance du 4 novembre 2013 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 21 novembre 2013 ;
À l'audience du 21 novembre 2013 sur le rapport de M. Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, Vice-président du Tribunal Suprême ;
Ouï Maître Olivier MARQUET, avocat-défenseur pour la SCI VILLA CENTRAL ;
Ouï Maître François MOLINIÉ, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;
Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;
Après en avoir délibéré ;
Considérant que, aux termes de l'article 90-B de la Constitution, le Tribunal Suprême statue souverainement « sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives (…) » ;
Considérant que, en réponse à une demande de la SCI VILLA CENTRAL, le Directeur des Services Fiscaux lui a donné, par lettre du 8 octobre 2012, son avis sur le taux de TVA applicable aux travaux de rénovation qu'elle avait engagés sur la Villa Louis depuis le 28 octobre 2011 ; que, saisi par la SCI VILLA CENTRAL, le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie a confirmé le sens de cet avis par lettre du 17 avril 2013 ; que ces avis ne lient ni la SCI VILLA CENTRAL ni l'administration ; qu'il appartiendra, le cas échéant, au Tribunal de Première Instance, juge de l'impôt, de statuer sur la régularité du taux de la taxe sur la valeur ajoutée effectivement appliqué à ces travaux par l'administration fiscale ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les actes contestés par la SCI VILLA CENTRAL n'ont pas la nature de décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation pour excès de pouvoir ; que la requête ne peut donc qu'être rejetée.
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les actes contestés par la SCI VILLA CENTRAL n'ont pas la nature de décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation pour excès de pouvoir ; que la requête ne peut donc qu'être rejetée.
Dispositif
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SCI VILLA CENTRAL est rejetée.
Article 2 : Les dépens sont mis à la charge de la SCI VILLA CENTRAL.
Article 3 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Composition
Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Didier LINOTTE, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, président, Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, officier de l'ordre de Saint-Charles, vice-président, rapporteur, José SAVOYE, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, Madame Martine LUC-THALER, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, membres titulaires et Madame Magali INGALL-MONTAGNIER, membre suppléant,
et prononcé le quatre décembre deux mille treize en présence de Monsieur Jean-Pierre DRÉNO, Procureur général par Monsieur Didier LINOTTE, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, président assisté de Madame Béatrice BARDY, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, greffier en chef.
Le Greffier en Chef, le Président,
^