La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2012 | MONACO | N°TS/2011-17

Monaco | Tribunal Suprême, 4 juillet 2012, A c/ B, TS/2011-17


Motifs

Principauté de Monaco

TRIBUNAL SUPRÊME

__________

TS 2011-17

Affaire:

A

Contre:

B

DÉCISION

Audience du 27 juin 2012

Lecture du 4 juillet 2012

Recours en annulation de la loi n° 1.381 du 29 juin 2011 relative aux droits d'enregistrement exigibles sur les mutations de biens et droits immobiliers, publiée au Journal officiel de Monaco le 1er juillet 2011 (notamment ses articles 13, 14, 15, 17, 19 et 20)

En la cause de:

- La société de droit luxembourgeois dénommée A, dont le siège so

cial est sis C,

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, Avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par l...

Motifs

Principauté de Monaco

TRIBUNAL SUPRÊME

__________

TS 2011-17

Affaire:

A

Contre:

B

DÉCISION

Audience du 27 juin 2012

Lecture du 4 juillet 2012

Recours en annulation de la loi n° 1.381 du 29 juin 2011 relative aux droits d'enregistrement exigibles sur les mutations de biens et droits immobiliers, publiée au Journal officiel de Monaco le 1er juillet 2011 (notamment ses articles 13, 14, 15, 17, 19 et 20)

En la cause de:

- La société de droit luxembourgeois dénommée A, dont le siège social est sis C,

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, Avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit Avocat-défenseur.

Contre:

- L B, pris en la personne de S. E. M. le Ministre d'État de la Principauté de Monaco, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO, près la Cour d'appel de Monaco et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France.

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siègeant et délibérant en assemblée plénière

Vu la requête présentée par la A, enregistrée au Greffe Général le 1er septembre 2011, tendant à l'annulation de la loi n° 1.381 du 29 juin 2011 relative aux droits d'enregistrement exigibles sur les mutations de biens et de droits immobiliers, notamment ses articles 13, 14, 15, 17, 19 et 20, ainsi qu'à la condamnation de B aux entiers dépens.

Ce faire:

Attendu que par requête enregistrée le 1er septembre 2011, la A soutient que la loi n° 1.381 du 29 juin 2011, et en particulier ses articles 13, 14, 15, 17, 19 et 20, est intervenue en violation des articles 17 et 24 de la Constitution.

Attendu que, selon la requête, s'agissant de la violation de l'article 17, la loi n° 1.381 instaure une inégalité de traitement entre les propriétaires de parts ou d'actions selon la forme sociale de la société concernée ; qu'en effet, aux termes de l'article 13 de la loi déférée, lors du changement de bénéficiaire économique effectif, les propriétaires d'actions d'une société anonyme ou en commandite sont tenus d'acquitter un droit proportionnel de 4,5% assis sur l'entière valeur vénale du patrimoine immobilier de la société ; qu'en revanche, le droit proportionnel à acquitter sur les cessions de parts d'une société civile autre qu'anonyme ou en commandite n'est que de 7,5% du prix ou de la valeur vénale de la portion de ce qui est cédé, et même de 4,5% seulement en cas de cession au profit d'une personne physique ou d'une société civile immatriculée à Monaco dont les parts sont détenues exclusivement par des personnes physiques ;

Attendu que cette différence de traitement n'est pas justifiée par une différence de situation entre les propriétaires de parts ou d'actions des différentes formes de sociétés civiles ; que, dès lors que la loi soumet désormais les sociétés anonymes au paiement d'un droit proportionnel, rien ne justifie que l'assiette de ce droit soit différente ; qu'en effet, si l'objectif de la loi est d'inciter à faire preuve de transparence lors des transferts de droits réels immobiliers, cet objectif est suffisamment atteint par les dispositions de la loi qui soumettent les sociétés anonymes monégasques, qui ne peuvent être considérées comme des entités opaques, par l'obligation nouvelle qui leur est imposée d'acquitter des droits de mutation en cas de changement de bénéficiaire économique effectif ;

Attendu, en ce qui concerne l'article 24 de la Constitution, que le taux de 4,5% assis sur l'entière valeur vénale des biens immobiliers de la société porte une atteinte manifestement excessive au droit de propriété des porteurs de parts sociales ; que d'une part, en effet, ce droit de 4,5% est sans commune mesure avec la valeur réelle ce ce qui est effectivement cédé lorsque la cession porte sur un faible nombre d'actions ; qu'il a ainsi un effet paralysant à l'égard de la transmission du capital des sociétés anonymes, privant par conséquent les propriétaires de l'abusus de leur bien, attribut majeur du droit de propriété ; que la preuve de cette atteinte excessive ressort d'une note du directeur du Département des finances et de l'économie du 28 juillet 2011 annonçant la possibilité de déroger à la loi dans certains cas, dont en particulier le cas de cession d'une minorité d'actions de sociétés anonymes monégasques ; que, d'autre part, aucune cause d'utilité publique ne justifie cette différence de traitement ; qu'enfin la loi ne prévoit aucune compensation à cette atteinte au droit de propriété.

Vu la contre requête enregistrée le 27 octobre 2011 au Greffe Général par laquelle S. E. Monsieur le Ministre d'État conclut au rejet du recours.

Attendu qu'en premier lieu, en ce qui concerne la violation de l'article 17, le grief n'est pas recevable dès lors qu'il n'existe pas de principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt, principe implicitement invoqué par la requérante sous couvert d'égalité devant la loi ; qu'en deuxième lieu, en tout État de cause, il ne saurait y avoir violation de l'égalité entre les porteurs de parts sociales dès lors que le droit proportionnel prévu par la loi déférée doit être acquitté par les entités juridiques visées par la loi et non par ces porteurs de parts ; qu'en troisième lieu, la différence de traitement dénoncé par la requérante est en rapport direct avec l'objet de la loi qui est non seulement de soumettre à droits de mutation toutes les entités juridiques titulaires de droits immobiliers en Principauté, mais aussi d'inciter les entités juridiques opaques titulaires de tels droits à changer de forme juridique ; que, pour échapper au droit de 4,5% assis sur l'entière valeur vénale, il suffit que ces entités transmettent les droits réels dont elles sont indirectement titulaires à Monaco à des personnes physiques ou à des sociétés civiles immobilières immatriculées à Monaco et détenues par des personnes physiques, moyennant le paiement d'un droit proportionnel limité à 1%, et ceci dans le délai d'un an à compter de la promulgation de la loi n° 1.381 ; que c'est pour lutter contre cette opacité que le législateur a délibérément décidé d'appliquer aux entité juridiques qui préfèrent demeurer opaques un régime fiscal rigoureux ; que, en quatrième lieu, on se saurait qualifier de confiscatoire un droit de 4,5% dès lors qu'il n'existe par ailleurs aucune imposition foncière à Monaco et que l'administration devra tenir compte des circonstances de droit et de fait dans l'application d'un dispositif qui n'a rien d'automatique ; que, du reste, l'arrêté ministériel n° 2011-444 du 4 août 2011 prévoit que les situations particulières pourront être examinées par la Direction des services fiscaux ; que les sociétés anonymes monégasques ne sont pas transparentes puisque la cession de leurs actions ne fait l'objet d'aucun enregistrement ni d'aucune publicité, y compris depuis la promulgation de la loi déférée ;

Attendu, en ce qui concerne l'article 24 de la Constitution, qu'aucune atteinte n'est portée au droit de propriété des actionnaires puisque c'est l'entité juridique qui doit payer les droits de mutation ; qu'un traitement plus favorable aux «petits» changements de bénéficiaires économiques effectifs aurait ruiné l'économie générale de la loi ; que les redevables peuvent bénéficier d'une application mesurée de la loi ; que le taux de 4,5% n'est pas confiscatoire dans un pays où n'existe aucune imposition immobilière ; que le législateur n'est nullement tenu de prévoir des compensations aux atteintes légitimes qu'il porte au droit de propriété.

Vu la réplique enregistrée au Greffe Général le 25 novembre 2011 par laquelle la A persiste dans les conclusions de son recours, par les mêmes moyens et motifs que dans sa requête ;

Attendu, en ce qui concerne l'article 17, que l'exposé des motifs du projet de loi vise lui-même le principe d'égalité devant les charges publiques ; que le même exposé des motifs précise que c'est bien «l'acheteur» de parts ou d'actions, et non l'entité juridique, qui doit payer les droits de mutation ; que l'objet de la loi, tel qu'exprimé dans le rapport de présentation du projet au Conseil National, est parfaitement satisfait par l'obligation instaurée par la loi déférée de déclarer annuellement tout changement de bénéficiaire économique effectif ; qu'il est inexact que toutes les sociétés étrangères seraient opaques ; que, par l'effet de la loi déférée lui-même, il n'y a plus de différence de situation justifiant un traitement différent dès lors que le mandataire agréé doit s'assurer de l'identité et de la qualité des bénéficiaires économiques effectifs ; que la loi dissuadera les porteurs de parts de choisir la forme anonymes alors que cette forme permet un meilleur contrôle de la gestion du patrimoine social et est, à ce titre, bien plus transparente que toutes autres formes de structures ; que, en dépit des termes de l'arrêté n° 2011-444, la loi ne permet aucune dérogation lorsqu'une minorité d'actions est cédée ;

Attendu, s'agissant de la violation de l'article 24, que la loi ne prévoit pas que le paiement du droit proportionnel incomberait à la société ; qu'une telle charge ne saurait d'ailleurs leur être imposée dès lors que la cession de parts ne la concerne pas ; que c'est nécessairement le bénéficiaire de l'opération qui devra supporter la charge fiscale d'une opération concernant sa propriété ; que toute autre solution aurait des conséquences désastreuses pour la société elle-même, faute d'actif disponible, de sorte que s'ensuivront nécessairement l'anéantissement ou au moins la perte de valeur des actions, des conflits entre associés et, en définitive, l'impossibilité de céder des actions, surtout lorsque les statuts de la société prévoient une procédure interne d'agrément des cessions d'actions ; que, dès lors que la loi n° 1.381 met à la charge de l'entité juridique elle-même les éventuelles sanctions résultant d'une fraude relative à la déclaration de changement ou non de bénéficiaire économique, ce sont les actionnaires «innocents» qui supporteront les conséquences de la fraude commise par un de leurs associés, ce qui constitue une atteinte supplémentaire non justifiée au droit de propriété ; que la loi ne prévoit aucune dérogation, de sorte que la note du 28 juillet invoquée par B ne saurait s'appliquer, sauf à préférer l'arbitraire au respect de la légalité ; que, contrairement aux allégations de B, la loi n'a pas pour objet d'inciter les sociétés opaques à se transformer en S. C. I., ce dont témoigne l'exposé des motifs qui ne vise que l'objectif de permettre à B de percevoir son dû ; que d'ailleurs, du fait même de l'obligation de déclaration instituée par la loi, il n'y a plus de structures opaques ; que la taxation exorbitante des sociétés anonymes n'a donc pas un but d'intérêt public ; que, à supposer même que cette taxation ait un but d'intérêt public, encore faudrait-il que la loi n'impose pas à l'intéressé un sacrifice disproportionné par rapport au but poursuivi ; qu'en l'espèce B ne peut pas sérieusement soutenir que la loi ne porte pas atteinte au droit de propriété des actionnaires ; que, à supposer que la jurisprudence de la Cour E. D. H. sur le droit de propriété soit applicable à Monaco alors pourtant que la Principauté n'a pas signé le Protocole n° 1 additionnel à la C. E. D. H., cette jurisprudence condamne les situations où le propriétaire d'un bien est amené à «supporter une charge spéciale et exorbitante» ; qu'il suffit d'ailleurs de se référer à la jurisprudence du Tribunal Suprême qui vérifie si le législateur n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation dans les mesures qu'il a estimé nécessaires ; que précisément, ainsi qu'il a été abondamment démontré, le nouveau droit proportionnel appliqué à la valeur du patrimoine immobilier de la société est exorbitant et confiscatoire.

Vu la duplique enregistrée au Greffe Général le 23 décembre 2011 par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que dans sa contre-requête, ajoutant qu'il est évident que, si le redevable n'était pas l'entité juridique elle-même, la préservation de l'anonymat des actionnaires des sociétés anonymes ne serait pas respecté ; que la loi déférée est le seul moyen permettant de faire acquitter des droits de mutation immobiliers par des investisseurs ayant acquis des biens immobiliers à Monaco par l'intermédiaire de structures opaques ; que, en ce qui concerne le principe d'égalité, les associés des sociétés civiles immobilières monégasques ne sont pas dans la même situation que ceux des sociétés anonymes puisqu'ils sont nécessairement connus de l'administration fiscale, de sorte qu'il est possible de les imposer individuellement ; que le taux de 4,5% critiqué est justifié par l'objectif de lutte contre l'évasion fiscale et d'autant moins confiscatoire qu'il n'existe à Monaco aucune fiscalité immobilière ; que le législateur lui-même a souhaité faire une application «éclairée et mesurée» de la loi pour tenir compte des «situations particulières», souhait mis en œuvre par la note d'information du 28 juillet 2011 ; que, en ce qui concerne l'atteinte au droit de propriété, la société requérante ne saurait agir aux lieu et place de ses actionnaires, lesquels n'ont pas saisi le Tribunal Suprême ; que le seul fait que l'imposition contestée ait des répercussions sur les actionnaires, effet tout à fait banal, ne suffit pas à démontrer que le droit de propriété de ces derniers ferait l'objet d'une atteinte disproportionnée ; enfin que c'est précisément en compliquant le fonctionnement des sociétés opaques que la loi devrait les inciter à sortir de cette opacité, sans pour autant les y contraindre.

Vu la demande de réouverture de l'instruction et de renvoi à une prochaine audience présentée par le Ministre d'État à l'audience du 27 juin 2012.

Vu la loi attaquée ;

Vu la Constitution, et notamment ses articles 17, 24, 32 et 90-A ;

Vu l'Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur le Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance du 15 septembre 2011 par laquelle M. le Président du Tribunal Suprême a désigné M. Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, vice-président, comme rapporteur ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 23 janvier 2012 ;

Vu l'Ordonnance du 3 mai 2012 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal Suprême du 27 juin 2012 ;

Ouï, à l'audience du 27 juin 2012, Monsieur Jean-Michel LEMOYNE de FORGES, Vice-président du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Thomas GIACCARDI, Avocat-défenseur, pour la A ;

Ouï Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour B ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

Statuant et délibérant en matière constitutionnelle

Considérant que les conclusions de la A tendent à l'annulation de la loi n° 1.381 du 29 juin 2011 relative aux droits d'enregistrement exigibles sur les mutations de biens et droits immobiliers, notamment en ses articles 13, 14, 15, 17, 19 et 20 pour inconstitutionnalité par violation des articles 17 et 24 de la Constitution.

Sur l'incident de procédure

Considérant que la procédure devant le Tribunal Suprême est écrite ; que l'ensemble des moyens et conclusions figurant dans les écritures des parties a été pris en considération au cours de l'instruction avant que la phase orale de la procédure permette d'en débattre contradictoirement ; qu'il n'y a donc pas lieu de rouvrir l'instruction et de renvoyer le jugement de l'affaire ;

Sur la violation de l'article 17 de la Constitution :

Considérant que cet article dispose: «Les Monégasques sont égaux devant la loi. Il n'y a pas entre eux de privilèges» ;

Considérant que le principe d'égalité devant la loi, inscrit dans l'article 17 de la Constitution, ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;

Considérant qu'il résulte de l'article 2 de la loi attaquée que toute «entité juridique», au sens défini par l'article 1er de la même loi, titulaire de droits réels sur un ou plusieurs biens immobiliers situés sur le territoire de la Principauté, quel que soit le lieu de son siège social ou la législation qui lui est applicable, est tenue à une obligation de déclaration annuelle, auprès de la Direction des services fiscaux, de changement ou d'absence de changement du ou des «bénéficiaires économiques effectifs», tels que définis par l'article 1er de la même loi, de ces droits ; que, toutefois, selon le même article 2, échappent à cette obligation les sociétés civiles immatriculées à Monaco, autres que celles ayant la forme anonyme ou en commandite, dont les associés sont exclusivement des personnes physiques agissant pour leur propre compte lorsque leur identité est connue de la Direction des services fiscaux, et dont l'actif social comprend des droits réels sur des biens immobiliers situés sur le territoire de la Principauté, ces mêmes sociétés civiles, lorsqu'elles sont détenues par d'autres sociétés civiles immatriculées à Monaco, autres que celles ayant la forme anonyme ou en commandite, dont les associés sont exclusivement des personnes physiques agissant pour leur propre compte lorsque leur identité est connue de la Direction des services fiscaux, ainsi que les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé et qui ont été agréées par les autorités monégasques ;

Considérant qu'il résulte de l'article 13 de la loi attaquée que, en cas de changement de bénéficiaire économique effectif résultant d'une opération affectant une entité juridique soumise à l'obligation de déclaration annuelle mentionnée ci-dessus, et sous réserve des exclusions prévues par l'article 15 de la même loi, un droit proportionnel de 4,5%, assis sur l'entière valeur vénale des biens immobiliers situés sur le territoire de la Principauté et sur lesquels l'entité juridique concernée est titulaire de droits réels, doit être réglé par ladite entité juridique au Bureau de l'enregistrement de la Direction des services fiscaux ;

Considérant qu'il résulte de l'article 20 de la loi attaquée que sont soumises à un droit proportionnel de 7,5%, calculé sur la portion du prix de cession ou de la valeur vénale, si elle est supérieure, afférente aux bien immobiliers ou aux droits réels portant sur des biens immobiliers situés en Principauté, les cessions à titre onéreux d'actions ou de parts de sociétés civiles immatriculées à Monaco, autres que celles ayant la forme anonymes ou en commandite, et dont l'actif social, détenu directement ou par l'intermédiaire d'une participation dans une ou plusieurs autres sociétés civiles, comprend des biens immeubles ou des droits réels sur des biens immobiliers situés en Principauté ; que ledit article 20 précise que, pour apprécier la valeur de ce qui est cédé, les contrats de cession devront décrire la consistance du patrimoine social immobilier et préciser la partie du prix applicable à ces immeubles ou droits immobiliers ;

Considérant qu'il résulte de l'article 17 de la loi attaquée que sont soumises à un droit proportionnel de 4,5%, calculé sur la valeur de ce qui est cédé, les cessions de parts au profit d'une personne physique ou d'une société civile immatriculée à Monaco, autre que celle ayant la forme anonyme ou en commandite, dont les associés sont exclusivement des personnes physiques agissant pour leur propre compte lorsque leur identité est connue de la Direction des services fiscaux, et dont l'actif social comprend des biens immeubles ou des droits réels portant sur des biens immobiliers situés sur le territoire de la Principauté ;

Considérant que, tant en ce qui concerne les redevables du droit proportionnel exigible que le taux applicable et l'assiette de ce droit, les dispositions susvisées de la loi attaquée établissent des différences de traitement selon la forme sociale des entités juridiques qu'elle vise, en fonction de la plus ou moins grande connaissance que peut avoir la Direction des services fiscaux de l'identité du ou des bénéficiaires économiques effectifs des opérations devant donner lieu à paiement de droits d'enregistrement, sans pour autant porter atteinte à l'anonymat inhérent à certaines de ces formes sociales ;

Considérant qu'il résulte des travaux préparatoires de la loi attaquée que l'objet de cette loi est, d'une part de donner à B les outils pour percevoir des droits en liaison avec les transactions réalisées sur les immeubles situés sur son territoire, même lorsque celles-ci sont le fait de montages juridiques complexes, et d'autre part, par des mesures fiscales appropriées, d'inciter les propriétaires effectifs de ces biens immobiliers à ne pas recourir à des structures «opaques» ; que les différences de traitement relevées ci-dessus sont donc justifiées par des raisons d'intérêt général et en rapport avec l'objet de la loi qui les a établies ; qu'ainsi le moyen tiré de la violation de l'article 17 de la Constitution ne peut qu'être écarté ;

Sur la violation de l'article 24 de la Constitution :

Considérant que cet article dispose: «La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versée dans les conditions prévues par la loi» ;

Considérant que l'article 24 de la Constitution ne saurait interdire au législateur de soumettre à l'impôt les propriétés mobilières ou immobilières, ou les opérations les affectant ; qu'il a seulement pour effet d'interdire, sauf compensation appropriée, les atteintes excessives qui pourraient en résulter ;

Considérant que la société requérante soutient, sans être sérieusement contredite, que le droit proportionnel prévu par l'article 13 ci-dessus rappelé peut avoir pour effet de porter une atteinte excessive au droit de propriété tant des entités juridiques visées par cet article 13 que des associés qui les composent lorsque le changement de bénéficiaire économique effectif résulte d'une opération de faible valeur au regard de celle du patrimoine immobilier sur lequel l'entité juridique concernée est titulaire de droits réels ; que, dans une telle hypothèse, la loi attaquée ne prévoit ni compensation ni possibilité d'atténuation ou de dérogation à l'application du droit institué par ledit article 13 ;

Considérant cependant que, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, la loi attaquée a notamment pour objet d'inciter les bénéficiaires économiques effectifs de biens immobiliers situés en Principauté à ne pas recourir à des structures «opaques» ; que, par simple transformation de la forme sociale de l'entité juridique dont ils sont membres, telle que définie à l'article 47 de la loi attaquée, ces bénéficiaires économiques effectifs peuvent à tout moment choisir d'entrer dans le champ d'application de l'article 20 ou de l'article 17 de la loi attaquée de préférence à celui de l'article 13 ;

Considérant en outre que, si la loi attaquée ne prévoit aucune compensation, il est loisible à ces bénéficiaires économiques effectifs, au cas où l'application de la loi leur occasionnerait un préjudice anormal et spécial, d'en demander, s'ils s'y croient fondés, réparation sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité de tous devant les charges publiques ;

Considérant enfin que l'article 47 de la loi attaquée prévoit à titre exceptionnel que, si elles interviennent dans le délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur de ladite loi, les opérations correspondant à la transformation de la forme sociale de l'entité juridique, définie par cet article 47, seront assujetties à un droit proportionnel de 1% sur la valeur vénale des droits qui en font l'objet ; que toutefois, au delà de la brève période transitoire prévue par cet article 47, le coût fiscal de cette transformation s'ajoutera nécessairement à celui de l'application antérieure du régime institué par l'article 13, portant alors une atteinte excessive au libre exercice du droit de propriété ; qu'il y a en conséquence lieu de déclarer l'article 47 de la loi attaquée contraire à l'article 24 de la Constitution en ce qu'il limite la durée pendant laquelle les opérations qu'il vise sont assujetties à un droit proportionnel de 1%.

Dispositif

DÉCIDE

Article 1er : La demande de réouverture de l'instruction et de renvoi à une prochaine audience est rejetée.

Article 2 : L'article 47 de la loi n° 1.381 du 29 juin 2011 est annulé en ce qu'il limite son champ d'application à une période d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la loi.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Les dépens sont partagés par moitié entre B et la société requérante.

Article 5 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Article 1er

La demande de réouverture de l'instruction et de renvoi à une prochaine audience est rejetée.

Article 2

L'article 47 de la loi n° 1.381 du 29 juin 2011 est annulé en ce qu'il limite son champ d'application à une période d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la loi.

Article 3

Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4

Les dépens sont partagés par moitié entre B et la société requérante.

Article 5

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

Composition

Ainsi délibéré et jugé par le Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco, composé de Messieurs Hubert CHARLES, commandeur de l'ordre de Saint-Charles, président, Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, vice-président, rapporteur, Monsieur José SAVOYE, membre titulaire, et Monsieur Didier LINOTTE, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, membre titulaire, et Monsieur Frédéric ROUVILLOIS, membre suppléant,

et prononcé le quatre juillet deux mille douze en présence de Monsieur Jean-Pierre DRÉNO, Procureur général par Monsieur Hubert CHARLES, commandeur de l'ordre de Saint-Charles, Président, assisté de Madame Béatrice BARDY, chevalier de l'ordre de Saint-Charles, greffier en chef.

Le Greffier en Chef, le Président,

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2011-17
Date de la décision : 04/07/2012

Analyses

Loi et actes administratifs unilatéraux  - Fiscalité des personnes morales  - Société de personnes  - Constitution - dissolution et actes relatifs à la vie de la société  - Droit de propriété.

CompétenceContentieux constitutionnel - Recours en annulation - Dispositions législatives.


Parties
Demandeurs : A
Défendeurs : B

Références :

article 17 de la Constitution
article 47 de la loi n° 1.381 du 29 juin 2011
Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963
Ordonnance du 15 septembre 2011
articles 17 et 24 de la Constitution
Loi n° 1.381 du 29 juin 2011
Ordonnance du 3 mai 2012
arrêté ministériel n° 2011-444 du 4 août 2011
Vu la Constitution
article 24 de la Constitution


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2012-07-04;ts.2011.17 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award