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04/07/2012 | MONACO | N°9263

Monaco | Tribunal Suprême, 4 juillet 2012, SAM Esperanza, SCI de l'ouest, SCI Sakura, SAM Les trois mimosas, SAM Parfi, SCI des villas Clotilde et Rosario c/ État de Monaco


Motifs

Le Tribunal Suprême,

Siégeant et délibérant en assemblée plénière

Vu la requête présentée par la SAM Esperanza, La Société civile particulière dénommée « SCI de l'Ouest », La Société civile particulière dénommée « SCI Sakura », La SAM « les trois Mimosas », La SAM « Parfi », La Société civile particulière dénommée « SCI des Villas Clotilde et Rosario », enregistrée au greffe général le 27 juillet 2011, et tendant à l'annulation de la loi n° 1.377 du 18 mai 2011, publiée au Journal de Monaco le 3 juin 2011, modif

iant la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation con...

Motifs

Le Tribunal Suprême,

Siégeant et délibérant en assemblée plénière

Vu la requête présentée par la SAM Esperanza, La Société civile particulière dénommée « SCI de l'Ouest », La Société civile particulière dénommée « SCI Sakura », La SAM « les trois Mimosas », La SAM « Parfi », La Société civile particulière dénommée « SCI des Villas Clotilde et Rosario », enregistrée au greffe général le 27 juillet 2011, et tendant à l'annulation de la loi n° 1.377 du 18 mai 2011, publiée au Journal de Monaco le 3 juin 2011, modifiant la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 ;

Ce faire,

Attendu que, selon la requête, la loi attaquée est entachée d'inconstitutionnalité à plusieurs titres ;

Attendu, en premier lieu, que les atteintes aux libertés et droits fondamentaux garantis par le titre III de la constitution peuvent résulter, non seulement de dispositions directement contraires à ces derniers, mais aussi, de façon indirecte, d'insuffisances de la loi qui, faute d'être suffisamment précise ou intelligible, n'assure plus la garantie de ces libertés et de ces droits ; que l'incompétence négative est constituée dès lors que le législateur n'épuise pas la compétence qui lui est dévolue par la constitution ; que tel est le cas de la loi du 18 mai 2011, et plus particulièrement, de ses articles 3, 7, 11 et 17, dans lesquels l'absence de précisions ou le silence de la loi apparaissent constitutifs d'une telle incompétence négative ; que par ailleurs la loi attaquée contrevient également au principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, en particulier dans son article 23 modifiant l'article 38 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, en tant qu'elle dispose que « lorsque l'aliénation ou l'apport porte sur un ou plusieurs immeubles ou parties d'immeuble partiellement soumis aux dispositions du présent article, la déclaration d'intentions doit néanmoins les viser dans leur ensemble » ;

Attendu, en second lieu, que la loi du 18 mai 2011 porte des atteintes excessives au libre exercice du droit de propriété consacré par l'article 24 de la Constitution en ce que, d'abord et de façon générale, il n'est pas justifié de la nécessité des mesures attentatoires au droit de propriété résultant de ladite loi dès lors que rien, en l'état du dossier, ne permet de considérer que subsistent des « difficultés exceptionnelles » que pourraient rencontrer des candidats à un logement souhaitant habiter sur le territoire monégasque ; que la loi apporte des limitations excessives aux droits du propriétaire de choisir son locataire en permettant par son article 3, à l'État monégasque de modifier l'ordre de priorité résultant du classement des personnes protégées, et en prévoyant ensuite, dans son article 12, qu'en cas de décès, d'abandon de domicile ou de départ définitif pour des raisons de santé du titulaire du bail, le contrat de location se poursuit jusqu'à son terme au profit, non seulement du conjoint non séparé, de l'enfant, du père ou de la mère, mais aussi de toute personne protégée vivant dans les lieux, ce qui est susceptible de favoriser des fraudes tout en imposant au propriétaire une atteinte excessive à son droit ; que de telles atteintes résultent aussi de l'extension des dispositions protectrices de la loi attaquée à des personnes qui n'ont pas la qualité de personnes protégées, et à des biens qui n'appartiennent pas au secteur protégé, par les articles 9, 11 et 14 de la loi ; que, pour des raisons historiques, les dispositions des articles 9 et 11 sont susceptibles de s'appliquer à des personnes qui, quoique titulaires d'un bail d'habitation dans un local appartenant au secteur protégé, peuvent n'entrer dans aucune des catégories de personnes protégées visées par l'article 3 de la loi du 28 décembre 2000 ; qu'en outre, l'article 7, qui prévoit l'identification des catégories de personnes ne pouvant être inscrites sur le registre des personnes protégées, n'institue aucun mécanisme de contrôle susceptible d'éviter les fraudes ; que cette imprécision de la loi, constitutive d'une incompétence négative, porte une atteinte excessive au droit de propriété ; que l'article 14 de la loi, modifiant l'article 16-6 de la loi du 28 décembre 2000, étend les dispositions de cette dernière à des locaux n'appartenant pas au secteur protégé en permettant aux locataires relogés dans un local non soumis aux dispositions de la présente loi de bénéficier à titre personnel de ses dispositions protectrices, ce qui a pour effet d'étendre, sans justifications tirées de l'intérêt général, des règles particulièrement contraignantes pour les propriétaires ;

Attendu que l'article 11 de la loi, enfin, étend le secteur protégé à des biens qui n'y appartenaient pas dans le cas où des travaux ont eu pour effet de réunir à un local soumis aux dispositions de la loi du 28 décembre 2000 un second local n'en relevant pas, dès lors que le premier représente au moins 40 % de la surface habitable, ou en cas d'extension, lorsque la surface ajoutée représente moins de 60 % de la nouvelle surface habitable ; que ces dispositions, traduisant une erreur manifeste d'appréciation du législateur, portent une atteinte excessive au droit de propriété ; que la loi du 18 mai 2011 aggrave également, sans nécessité et hors de proportion, les obligations du propriétaire bailleur ; que l'article 11 alinéa 6 de la loi, disposant qu'«  un lot ne peut faire l'objet d'une scission ou une réunion plus d'une fois par décennie sauf dérogation ministérielle accordée pour motif légitime », est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; que l'article 13 de la loi, organisant les conditions d'exercice du droit de reprise, prévoit que le propriétaire qui entend l'exercer doit notifier son intention au locataire au moins six mois à l'avance, au lieu des trois mois initialement prévus par la loi du 28 décembre 2000, ce qui constitue une atteinte excessive et injustifiée au droit de propriété ; que l'article 17 de la loi, en faisant peser sur le seul propriétaire, à l'exclusion du locataire, la charge de la preuve de l'occupation de ses locaux, est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

Attendu, en troisième lieu, que l'article 15 de la loi, modifiant l'article 16-7 de la loi du 28 décembre 2000, imposant sous peine de sanctions aux bénéficiaires du droit de reprise d'occuper les lieux « pendant une durée de trois ans au moins à compter du départ du locataire congédié », porte atteinte à la liberté individuelle reconnue par l'article 19 de la constitution, laquelle implique que le bénéficiaire a le droit à quitter les lieux qu'il occupe quand il le souhaite ;

Attendu, en quatrième lieu, que la loi du 18 mai 2011 conduit l'État de Monaco à s'ingérer de façon inconstitutionnelle dans l'exercice du droit de propriété et dans la vie privée du propriétaire bailleur ; que son article 19 porte une atteinte excessive à l'exercice du droit de propriété en ce qu'il organise une intervention de la Direction de l'habitat dans la gestion patrimoniale des locaux d'habitation du secteur protégé, et ce, notamment, en exigeant que l'attestation établissant le respect des normes de sécurité et de confort figurant dans l'offre de location soit datée de moins d'un an ; en reconnaissant à la Direction de l'habitat la possibilité de contester le contenu de l'offre de location ; en chargeant ladite Direction de recevoir les candidatures à la location, ce qui constitue pourtant « un attribut essentiel des droits du propriétaire » ; et enfin, en obligeant le propriétaire à soumettre à la Direction de l'habitat le contrat de bail avant conclusion, puis à lui en transmettre une copie après conclusion ; que cette atteinte excessive au droit de propriété résulte également des conditions d'exercice du droit de préemption reconnu à l'État par l'article 23 de la loi attaquée ; que l'alinéa 6 de cet article s'avère inconstitutionnel en ce qu'il oblige le propriétaire à vendre à l'État par lots, même dans l'hypothèse où il ne souhaiterait vendre qu'une partie de l'ensemble formant ce lot, ce qui porte à l'exercice de son droit de propriété une atteinte excessive et dépourvue de tout motif d'intérêt général ; que par ailleurs, la loi du 28 décembre 2000, que modifie la loi attaquée, vise à assurer le logement des monégasques et personnes assimilées, ce que implique que rien ne justifie que l'État de Monaco puisse, sur le fondement de ladite loi, se porter acquéreur de locaux commerciaux à travers le mécanisme de la préemption, comme le laisse supposer le fait que ce droit s'exerce « par priorité au droit de préemption prévu par l'article 32 ter de la loi n° 490 du 24 octobre 1948 concernant les baux à usage commercial, industriel ou artisanal » ;

Attendu que l'article 16 de la loi du 18 mai 2011, prévoyant que la Commission arbitrale « doit permettre à chacune des parties d'avoir accès à toutes les informations utiles à la fixation du loyer », méconnaît par là même le droit au secret de la vie privée garanti par l'article 22 de la constitution, lequel implique qu'une personne a le droit de s'opposer à la divulgation de renseignements relatifs à son patrimoine et à l'usage de celui-ci ;

Attendu, en cinquième lieu, que la loi du 18 mai 2011 modifie des dispositions de la loi du 28 décembre 2000 relatives aux sanctions atteignant les propriétaires bailleurs dans des conditions attentatoires aux normes constitutionnelles ; que l'article 17 de la loi prévoit ainsi que lorsque le propriétaire n'est pas en mesure d'apporter la preuve de l'occupation de ses locaux suite à la demande formulée par la Direction de l'habitat, celle-ci en informe le Ministre d'État aux fins de mise en œuvre des sanctions prévues à l'article 37 de la loi du 28 décembre 2000 ; que le fait de sanctionner le seul propriétaire pour une inoccupation qui pourrait être due au locataire paraît contraire au principe d'individualisation des peines et des sanctions fondé sur le deuxième alinéa de l'article 20 de la constitution, lequel interdit qu'on puisse être sanctionné du fait d'autrui ;

Attendu que l'article 21 de la loi prévoit que toute location d'un local à usage d'habitation consentie en méconnaissance de ses dispositions est nulle et de nul effet, nullité constatée par le Tribunal de première instance, lequel ordonne le cas échéant et sous astreinte l'expulsion de toutes personnes occupant indûment les lieux ; que ces dispositions méconnaissent le droit constitutionnel de propriété, d'une part en ce qu'elles instituent une sanction automatique, la nullité du contrat de bail résultant de la méconnaissance de n'importe laquelle des dispositions de la loi, y compris lorsqu'il s'agit de dispositions non substantielles ou non sanctionnées en vertu de la loi du 28 décembre 2000 ; d'autre part, en ce qu'elles prévoient une expulsion automatique, ce qui enlève au propriétaire la faculté de ne pas la réclamer, et au Tribunal, le pouvoir d'apprécier s'il y a lieu de la prononcer compte tenu des circonstances de l'espèce ;

Attendu que l'article 15 de la loi, modifiant l'article 16-7 de la loi du 28 décembre 2000, doit également être regardé comme inconstitutionnel en ce qu'il prévoit qu'en cas de non occupation du local dans un délai de trois mois par le bénéficiaire de la reprise, celui-ci doit verser au locataire congédié une indemnité dont le montant est fixé par le président du Tribunal de première instance, mais qui « ne peut être inférieur à une année de loyer du local précédemment occupé, sauf si le locataire congédié demande et obtient sa réintégration dans le local dont il a été évincé » ; que l'indemnité, indûment qualifiée de sanction, ne saurait être avoir, comme c'est pourtant le cas en l'espèce, un caractère forfaitaire sans rapport avec le préjudice réellement subi, ainsi que l'établit un principe général du droit dont s'est fait écho le Conseil constitutionnel français dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010 ; que les articles 15 et 22 de la loi ont porté atteinte à la constitution en transformant les sanctions pénales prévues par la loi du 21 décembre 2004 en de simples sanctions administratives, alors qu'un tel procédé ne peut être utilisé que pour des infractions à une réglementation de nature administrative et non législative ; qu'ils ont eu pour effet de remettre en cause la compétence du juge pénal, qui peut seul prononcer une amende sanctionnant une atteinte à une règle de nature législative ; que l'amende administrative qu'ils prévoient est prononcée sans respecter les droits de la défense, et notamment le principe du contradictoire ; et qu'enfin, le prononcé de ces amendes n'est encadré par aucune condition de fond, en méconnaissance des principes de personnalité, de nécessité et de proportionnalité des peines ;

Attendu, en sixième lieu, que la loi du 18 mai 2011 porte une atteinte excessive au droit de propriété en ne prévoyant aucune compensation financière au profit des propriétaires de locaux réservés aux locataires privilégiés, alors même qu'il est incontestable que la loi leur cause un préjudice ;

Attendu que, pour toutes ces raisons, la loi n° 1.360 17 du 18 mai 2011 doit être déclarée contraire à la constitution, et l'État condamné aux entiers dépens ;

Vu la contre requête de Son Excellence M. le ministre d'État déposée au greffe général le 28 septembre 2011, tendant au rejet de la requête pour le motif que l'atteinte au droit de propriété ne peut être reconnue dès lors que la loi nouvelle est justifiée par la circonstance qu'en dépit de la politique ambitieuse de logements domaniaux initiée en 2003 par le gouvernement princier, un très fort accroissement du nombre d'inscriptions en qualité de personnes protégées a été constaté, qu'il s'agisse ou non de monégasques ; qu'ainsi, les pouvoirs publics ont décidé d'apporter à la loi n° 1.235 relative aux conditions d'habitation de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant 1947 certaines retouches, nécessaires à la sauvegarde du rôle social du secteur protégé, et portant sur trois points principaux : l'optimisation des locaux subsistant, le renforcement de la stabilité de la situation des locataires et l'accroissement du rôle de la commission arbitrale en cas de litige ;

Attendu que, contrairement à ce qu'affirment les sociétés requérantes, il n'existe dans la jurisprudence du Tribunal suprême aucune référence à la notion d'incompétence négative, qui n'est apparue en France que dans le cadre d'un contrôle de constitutionnalité beaucoup plus large ; que la jurisprudence citée en ce sens par les requérantes, intervenue en matière administrative, concerne le principe de la légalité des peines, et non l'incompétence négative du législateur ; que, pareillement, il n'appartient pas au Tribunal suprême de censurer les lois qui méconnaîtraient l'« objectif à valeur constitutionnelle » d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi dégagé par le Conseil constitutionnel français, le Tribunal suprême ayant eu déjà l'occasion d'écarter un tel grief ;

Attendu, en second lieu, que l'argumentation des requérantes tendant à affirmer que les dispositions de la loi attaquée ne seraient pas nécessaires et porteraient une atteinte excessive au droit de propriété, n'est pas fondée ;

Attendu, en ce qui concerne la nécessité des dispositions de la loi, que les « difficultés exceptionnelles » qui avait justifié les précédentes interventions du législateur subsistent à l'heure actuelle, qu'il reste difficile de se loger à Monaco et que les candidats à un logement, qu'ils soient ou non monégasques, sont toujours nombreux ; qu'ainsi, les mesures adoptées par la loi du 18 mai 2011 s'avèrent nécessaires, et nullement excessives au regard des difficultés susmentionnées ;

Attendu, en ce qui concerne la limitation le choix du locataire par le propriétaire résultant de l'article 3 de la loi, que l'absence de précisions sur le motif légitime justifiant le reclassement d'un locataire ne conduit à aucun arbitraire, cette décision administrative étant comme telle susceptible d'être contestés devant le Tribunal suprême statuant en matière administrative ; que, toujours au titre de la limitation du choix du locataire, l'article 12 de la loi, qui étend sa protection à des personnes vivant dans les lieux quoique sans liens familiaux avec le titulaire du bail, obéit à une préoccupation de protection, face aux difficultés aggravées rencontrées pour se loger en secteur réservé ; et qu'en outre, elle s'applique à des personnes qui, ayant une communauté de vie avec le titulaire du bail, entrent par ailleurs dans le champ d'application de la loi, et disposent donc d'un droit à être logé dans le secteur protégé ;

Attendu, en ce qui concerne l'extension des dispositions protectrices de la loi du 28 décembre 2000 par la loi du 18 mai 2011, et plus précisément, par les articles 7 et 9, 14 et 11 de celle-ci, qu'elles ne portent en rien une atteinte excessive au droit de propriété ; que l'article 7, déterminant les personnes susceptibles d'être inscrites sur le registre des personnes protégées, relève du pouvoir réglementaire ; que l'article 9, prévoyant les modalités de relogement du locataire d'un immeuble détruit et reconstruit par son propriétaire, trouve sa raison d'être dans la volonté de sauvegarder les droits des personnes protégées tout en garantissant l'exercice du droit de reprise ; qu'il n'est ainsi ni injustifié, ni excessif ; qu'il en va de même de l'article 14, qui permet aux locataires congédiés par l'exercice du droit de reprise de se reloger en bénéficiant des règles protectrices de la loi du 28 décembre 2000, même si les locaux où ils trouvent à se reloger ne relèvent pas de ce texte ;

Attendu que l'article 11, enfin, visant l'hypothèse de travaux de réunion ou d'extension de locaux soumis à la loi du 28 décembre 2000, n'occasionne pas non plus d'atteinte excessive au droit de propriété, même s'il a pour effet d'étendre la protection de la loi à des locaux qui n'entrent pas dans son champ d'application ;

Attendu, en ce qui concerne les obligations du propriétaire bailleur, que l'article 11 alinéa 6, qui limite à une fois par décennie la possibilité de scinder ou de réunir un lot, visant à assurer la protection matérielle du secteur protégé et à éviter les fraudes, n'est ni injustifié, ni excessif ;

Attendu que l'article 13 de la loi attaquée, portant de trois à six mois le délai de préavis imparti au propriétaire pour notifier au locataire l'exercice de son droit de reprise, ne prévoit pas une durée excessive, et qu'aucun principe n'exige que le locataire soit tenu de respecter un préavis d'une durée identique lorsqu'il notifie au propriétaire un congé mettant fin au bail ;

Attendu que l'article 17, qui met à la charge exclusive du propriétaire la preuve de l'occupation de ses locaux, visant à permettre à l'administration de s'assurer de l'utilisation correcte du secteur protégé, n'est pas non plus entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Attendu que l'article 15, qui impose aux bénéficiaires du droit de reprise une durée minimale d'occupation des locaux de trois ans, visant à lutter contre les reprises frauduleuses, est justifié et nullement excessif, d'autant que la sanction prévue en cas d'infraction peut être évitée si le bénéficiaire justifie d'un motif légitime, apprécié par l'administration sous le contrôle du juge ;

Attendu, en ce qui concerne la prétendue ingérence de l'État dans l'exercice du droit de propriété et dans la vie privée du propriétaire bailleur résultant de la loi du 18 mai 2011, que celle-ci est dépourvue de fondement ; que cette ingérence porterait d'abord sur la gestion locative, l'article 19 de la loi transformant la Direction de l'habitat en un véritable gestionnaire des logements protégés, transformation sans justification en rapport avec l'intérêt général, mais occasionnant des atteintes excessives au droit de propriété ; qu'en réalité, les dispositions de l'article 19 constituent une simple rationalisation du système existant, qui ne prive en aucun cas le propriétaire de son droit de choisir le locataire parmi les candidats qui ont adressé leur demande à la Direction de l'habitat, et qui se justifie par la volonté d'assurer une utilisation des logements du secteur protégé plus conforme à leur destination ; que, par ailleurs, les dispositions relatives au droit de préemption de l'État ont pour but de veiller au maintien d'un secteur protégé sans pour autant porter au droit de propriété une atteinte excessive et injustifiée ;

Attendu qu'en ce qui concerne la prétendue ingérence dans la vie privée du bailleur qui résulterait de l'article 16 de la loi, lequel permet aux locataires d'avoir accès à toutes informations utiles à la fixation du loyer, il apparaît que ledit article n'est nullement constitutif d'une telle atteinte, les informations visées ne portant pas sur la vie privée et familiale au sens de l'article 22 de la constitution, et n'étant communiquées aux locataires que par la Commission arbitrale qui, le cas échéant, pourra s'opposer à leur communication ;

Attendu, en ce qui concerne les sanctions instituées par la loi, que celles-ci ne contreviennent pas à des règles constitutionnelles ; que, tout d'abord, l'article 17, prévoyant la sanction du propriétaire qui ne rapporterait pas la preuve de l'occupation de ses locaux, ne méconnaît pas le principe de la personnalité des peines garanti par l'article 20 – dès lors que ladite sanction est qualifiée d'« amende administrative » et que le Tribunal suprême a rappelé que l'article 20 ne s'appliquait qu'aux sanctions pénales ; et qu'en tout état de cause, ce n'est pas l'inoccupation du local qui est sanctionnée, mais le défaut de réponse du propriétaire à la demande qui lui a été adressée par la Direction de l'habitat ; que, pour ce qui est des sanctions civiles, les dispositions de l'article 21 de la loi, prévoyant la nullité du contrat de bail en cas de méconnaissance des dispositions de la loi et l'expulsion de la personne occupant indûment les lieux, n'ont aucun caractère automatique, la nullité étant constaté et l'expulsion prononcée par le Tribunal de première instance ; et qu'en tout état de cause, une telle automaticité ne porterait pas atteinte au droit constitutionnel de propriété ; qu'au titre des sanctions civiles, encore, le fait que l'indemnité versée par le bénéficiaire du droit de reprise n'occupant pas le local dans un délai de trois mois ait un caractère forfaitaire, comme le prévoirait l'article 15 de la loi, ne porte atteinte à aucun principe à valeur constitutionnelle ; qu'enfin, pour ce qui est des sanctions administratives prévues par les articles 15 et 22 de la loi déférée, il est constant qu'aucun principe constitutionnel applicable à Monaco n'exige qu'une sanction instituée pour réprimer la méconnaissance d'un texte relatif aux conditions de location de certains logements relève de la compétence exclusive du juge pénal, de même qu'aucun principe n'interdit qu'une sanction administrative soit prévue pour réprimer une infraction à une réglementation législative ; qu'ainsi, ces sanctions constituant valablement des amendes administratives, les principes de légalité, de personnalité et de proportionnalité des peines, pas plus que les principes du respect des droits de la défense ou du contradictoire, ne leur sont opposables dans le cadre du contentieux constitutionnel ;

Attendu, en dernier lieu, que le fait que la loi ne prévoie aucune compensation financière n'est en rien une atteinte aux dispositions du titre III de la constitution, ainsi que le Tribunal suprême l'a déjà rappelé ;

Vu, la réplique déposée le 28 octobre 2011 par les sociétés requérantes, et tendant aux mêmes fins que la requête initiale,

Attendu, en premier lieu, que le Ministre d'État ne démontre pas que l'incompétence négative n'est pas un cas d'ouverture ou de contrôle du Tribunal suprême, et qu'en toute hypothèse, l'imprécision de la loi porte une atteinte directe au droit de propriété en ne permettant pas d'en assurer la garantie ; qu'il en va de même du manque de clarté et d'intelligibilité de la loi critiquée ;

Attendu, en second lieu, que le ministre n'apporte pas la preuve qu'en l'espèce, l'intérêt général s'attachant la loi critiquée justifierait de telles atteintes au droit de propriété ; qu'en ce qui concerne la nécessité des nouvelles mesures, il ne démontre pas non plus qu'existeraient aujourd'hui des « difficultés exceptionnelles », dont ne fait pas état le rapport n° 867 qu'il a versé aux débats ;

Que l'article 3 de la loi a bien pour effet de priver le propriétaire du choix de son locataire, ce qui porte entrave au libre exercice de son droit de propriété ;

Que l'extension du bénéfice de la poursuite du contrat à toute personne protégée vivant dans les locaux au jour du décès, de l'abandon ou du départ définitif pour raisons de santé du titulaire du bail, prévue par l'article 12, porte une atteinte excessive au droit de propriété ;

Que l'absence, dans l'article 7 de la loi, d'un mécanisme de contrôle des personnes inscrites sur la liste des personnes protégées, est susceptible de porter atteinte au droit de propriété ;

Que l'extension, par l'article 14, des dispositions de la loi à des biens n'appartenant pas au secteur protégé entraîne également une telle atteinte, laquelle n'est pas justifiée par l'intérêt général, la protection des locataires protégés pouvant se faire par d'autres moyens que celui qui consiste à étendre un régime spécial ;

Qu'il en va de même pour l'article 11 de la loi ;

Qu'en ce qui concerne les obligations du propriétaire bailleur, le risque de fraude, censé justifier le dernier alinéa de l'article 11 limitant le droit de scission et de réunion, n'est pas établi, et qu'en toute hypothèse, il n'est pas une ampleur telle qu'elle justifierait une mesure aussi générale et aussi contraignante ;

Que n'est pas démontrée non plus l'utilité publique du passage de trois à six mois du délai de préavis imposé au propriétaire pour notifier son droit de reprise ;

Qu'il peut s'avérer très difficile au propriétaire d'apporter la preuve de l'occupation de ses locaux, et qu'une carence du locataire n'occupant pas ses locaux serait sanctionnée uniquement du chef du propriétaire ;

Que la fixation à trois ans du délai minimal d'occupation des locaux en cas d'exercice du droit de reprise est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Attendu, en troisième lieu, que l'intervention de la direction de l'habitat dans la gestion locative, présentée par M. le ministre d'État comme une simple « rationalisation du système existant », apparaît en réalité manifestement intrusive, et par là-même, excessivement attentatoire aux droits de propriété ;

Qu'en ce qui concerne l'exercice par l'État de Monaco de son droit de préemption, les dispositions de l'article 23 sont inintelligibles, excessives, et pour certaines d'entre elles, sans rapport aucun avec l'objet même de la loi ;

Qu'en ce qui concerne l'article 16 prévoyant la communication de « toutes informations utiles » au locataire par la Commission arbitrale, rien ne permet de s'assurer qu'elle ne portera pas sur des éléments relevant bien de la vie privée au sens où l'entend l'article 22 de la constitution ;

Attendu, en quatrième lieu, que la sanction pour inoccupation du local prévu par l'article 17 vient sanctionner, non l'absence de réponse, mais bien l'absence de preuve d'occupation des locaux, et donc, cette inoccupation elle-même, laquelle peut être le fait du locataire ; qu'ainsi, contrairement au principe constitutionnel de la personnalisation des peines, le propriétaire pourra être sanctionné pour des faits dont il n'est pas personnellement responsable ;

Qu'en ce qui concerne les sanctions civiles, la nullité du contrat et l'expulsion prévues par l'article 21 de la loi attaquée sont bien automatiques ;

Qu'en ce qui concerne par ailleurs le versement d'une indemnité au locataire par le bénéficiaire du droit de reprise n'ayant pas occupé les locaux dans un délai de trois mois, il apparaît que le mécanisme ainsi établi va à l'encontre du principe de la proportionnalité de l'indemnité au dommage subi, tel que l'a posé le Tribunal suprême dans sa décision du 16 janvier 2006 ;

Qu'en ce qui concerne la sanction administrative, l'argumentation du ministre ignore la décision précitée du Tribunal suprême, laquelle affirme que doivent relever de la seule compétence du juge pénal les sanctions des infractions à la loi du 28 décembre 2000 ;

Attendu, en cinquième lieu, que l'absence de compensation financière des préjudices découlant de la loi attaquée porte une atteinte non justifiée au droit de propriété énoncé dans l'article 24 de la constitution ;

Vu, la duplique déposée par M. le Ministre d'État le 30 novembre 2011, et tendant à nouveau au rejet de la requête formée à l'encontre de la loi n° 1.377 du 18 mai 2011 ;

Attendu que les requérantes ne sont pas fondées à invoquer l'incompétence négative du législateur, pas plus qu'elles ne le sont à déduire de façon générale des atteintes au droit de propriété de l'imprécision de la loi, ni à invoquer l'inintelligibilité ou l'inaccessibilité de celle-ci ;

Attendu que, sur les prétendues atteintes aux droits de propriété, qu'en ce qui concerne la nécessité de la nouvelle législation, la preuve en est bien rapportée par le rapport n° 867 produit au soutien de la contre requête ;

Qu'en ce qui concerne l'extension des dispositions protectrices de la loi du 28 décembre 2000, le seul fait que les dispositions de l'article 12 faciliteraient d'éventuelles fraudes ne constitue pas un motif d'inconstitutionnalité, ni une atteinte excessive au droit de propriété ;

Attendu que, sur la prétendue ingérence de l'État, il est incontestable que, contrairement à ce qu'allèguent les requérantes, l'attribut fondamental du propriétaire en matière de location n'est pas de recevoir des candidatures, mais bien d'avoir le droit, in fine, de choisir son locataire ; que ce droit n'est nullement remis en cause par les dispositions de la loi ;

Qu'en ce qui concerne par ailleurs l'article 23 de la loi attaquée ne permet pas à l'État d'obliger le propriétaire à lui céder certains lots contre son gré, dès lors qu'il s'agit d'un mécanisme de préemption subordonné à la mise en vente volontaire d'un bien par son propriétaire ;

Attendu que, sur les sanctions applicables, la violation du principe de personnalité des peines par l'article 17 de la loi attaquée n'est pas soutenable, dès lors qu'il s'agit d'une sanction administrative à laquelle n'est pas opposable l'article 20 alinéa 2 de la constitution ; et qu'au demeurant, l'occupation que doit prouver le propriétaire en vertu de cet article n'est qu'une occupation de droit, et non une occupation de fait, laquelle dépend effectivement du comportement du locataire ;

Qu'en ce qui concerne les sanctions civiles, la nullité du contrat et l'expulsion prévues par l'article 21 n'ont aucun caractère d'automaticité et, quand bien même elles auraient un caractère automatique, ce fait ne saurait être analysé comme portante atteinte au droit constitutionnel de propriété ;

Que le régime de l'indemnité prévu par l'article 15 n'est pas forfaitaire ;

Qu'en ce qui concerne les sanctions administratives, c'est à tort que les requérants se fondent sur la jurisprudence du Tribunal suprême pour affirmer que toute sanction réprimant une infraction à la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 devrait, selon ledit tribunal, être qualifiée de sanction pénale et relever par conséquent du juge répressif ;

Attendu, enfin, que c'est également à tort qu'elles affirment l'inconstitutionnalité de l'absence de compensations financières, comme la d'ailleurs reconnu la jurisprudence du Tribunal suprême.

Vu la demande de réouverture de l'instruction et de renvoi à une prochaine audience présentée par les requérantes, enregistrée le 4 juin 2012, au motif que, le Tribunal Suprême s'étant prononcé dans sa décision du 16 avril 2012 sur le recours en annulation formé contre la même loi par l'Association des propriétaires de Monaco et M. Fabre, il est nécessaire, afin d'assurer le caractère contradictoire de la procédure, de leur permettre de faire valoir leurs observations sur ladite décision, et pour cela, de procéder à la réouverture de la procédure et de reporter la date de l'audience ;

Vu la requête aux fins d'intervention volontaire de l'ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DE MONACO, enregistrée au Greffe Général le 25 juin 2012 ;

Attendu que, selon l'Association des propriétaires de Monaco, la requête en intervention volontaire est recevable ; que la loi attaquée par les sociétés requérantes a dépassé le seuil tolérable des atteintes portées au libre exercice du droit de propriété ; que la loi n° 1.377 n'est que le dernier avatar des diverses modifications de la loi n° 1.235 qui, progressivement, ont réduit les droits des propriétaires ; que, par l'ampleur et le contenu des dispositions nouvelles qu'elle comporte, elle a dépassé ledit seuil ; qu'elle doit ainsi être annulée dans son ensemble ;

Vu la loi attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution du 17 décembre 1962 et notamment ses articles 19, 20, 21, 22, 24, et 90-A-2° ;

Vu l'Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur le Tribunal Suprême ;

Vu la décision n° 2011-14 du Tribunal Suprême en date du 16 avril 2012 ;

Vu le procès-verbal de clôture de Madame le Greffier en Chef en date du 18 janvier 2012 ;

Vu l'Ordonnance du 3 mai 2012 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce Tribunal du 26 juin 2012 ;

Ouï M. Frédéric ROUVILLOIS, Membre suppléant du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Denis GARREAU, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour la SAM ESPERANZA, la Société civile particulière dénommée « SCI de l'OUEST », la Société civile particulière dénommée « SCI SAKURA », la SAM « les TROIS MIMOSAS », la SAM « PARFI », la Société civile particulière dénommée « SCI des Villas Clotilde et Rosario » ;

Ouï Maître Christine PASQUIER-CIULLA, avocat-défenseur pour l'ASSOCIATION des PROPRIÉTAIRES de MONACO (intervenant volontaire) ;

Ouï Maître MOLINIE, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France, pour le Ministre d'État ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

Statuant et délibérant en matière constitutionnelle,

Considérant que les conclusions des sociétés requérantes tendent à l'annulation de la loi n° 1.377 du 18 mai 2011 modifiant la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 et à la condamnation de l'État aux entiers dépens ;

Sur l'incident de procédure

Considérant que l'autorité de la chose jugée s'attache au dispositif des décisions du Tribunal Suprême ainsi qu'aux motifs qui en sont le support indispensable ; qu'il en résulte que l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'aux dispositions précédemment annulées, aux réserves d'interprétation décidées par le Tribunal Suprême et, sous réserve de faits nouveaux, aux moyens expressément écartés par lui ;

Considérant que, par sa décision du 16 avril 2012, le Tribunal Suprême a annulé les articles 3, 4 et 9 et les alinéas 3, 4 et 5 de l'article 11 de la loi n° 1.377 et énoncé une réserve d'interprétation de l'article 14 de cette loi ;

Considérant que, dans la présente instance, elle aussi relative à la loi n° 1.377, la procédure étant écrite, l'ensemble des moyens et conclusions figurant dans les écritures des parties a été pris en considération au cours de l'instruction avant que la phase orale de la procédure permette d'en débattre contradictoirement ; qu'il n'y a donc pas lieu de rouvrir l'instruction et de renvoyer le jugement de l'affaire ;

Sur la requête aux fins d'intervention volontaire de l'Association des propriétaires de Monaco

Considérant que l'Association des propriétaires de Monaco a déjà contesté la conformité à la Constitution de la loi n° 1.377 par le recours n° 2011-14, formé dans le délai de deux mois édicté par l'Ordonnance n° 2.984 et partiellement accueilli par le Tribunal Suprême le 16 avril 2012 ; qu'elle ne peut faire revivre le délai de recours par des conclusions à fin d'intervention ; que, par suite, lesdites conclusions ne sont pas recevables ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 24 de la Constitution :

Considérant que cet article dispose : « La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versée dans les conditions prévues par la loi » ;

Considérant que le libre exercice du droit de propriété consacré par ce texte doit être concilié avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle applicables dans l'État monégasque ; qu'il en est ainsi du principe accordant la priorité aux monégasques, consacré par la Constitution, compte tenu des caractères particuliers, notamment géographiques, de la Principauté ;

Considérant, en ce qui concerne les limites apportées par la loi au droit du propriétaire de choisir librement son locataire, que l'article 12 de la loi attaquée étend sa protection à des personnes vivant dans les lieux quoique sans liens familiaux avec le titulaire du bail ; que cette extension répond au but d'intérêt général de la loi et qu'elle ne s'applique qu'à des personnes ayant déjà vocation à être logées dans ledit secteur ; qu'ainsi elle ne porte pas une atteinte excessive au libre exercice du droit de propriété ; que ne porte pas plus une atteinte excessive à ce droit l'hypothétique risque de fraude allégué par les requérants au motif que l'article attaqué ne précise pas de quelle manière cette personne protégée devra prouver qu'elle vivait dans le local en question ;

Considérant que l'article 14 de la loi attaquée, qui ouvre au locataire évincé, lorsque le bailleur ou le bénéficiaire de la reprise est propriétaire dans la Principauté d'un logement rendu vacant par l'exercice du droit de reprise, le droit de l'occuper en y bénéficiant des dispositions protectrices de la loi n° 1.235 modifiée même si ce local n'est pas soumis aux dispositions de cette loi, ne porte pas à l'exercice du droit de propriété une atteinte excédant celle qui peut lui être apportée au regard des règles et principes constitutionnels, sous réserve que le droit ainsi reconnu au locataire soit limité à la durée du bail restant à courir ;

Considérant, en ce qui concerne l'accroissement des obligations du propriétaire bailleur, que le dernier alinéa de l'article 11 de la loi attaquée qui prévoit, de manière temporaire et avec possibilité de dérogation ministérielle pour motif légitime sous le contrôle du juge, qu'un lot ne peut faire l'objet d'une scission ou d'une réunion plus d'une fois par décennie, ne porte pas à l'exercice du droit de propriété une atteinte excédant celle qui peut lui être apportée au regard des règles et principes constitutionnels ci-dessus rappelés ; qu'en adoptant l'article 13, qui réglemente le droit de reprise, et l'article 17, relatif à l'obligation de prouver l'occupation des locaux, le législateur s'est livré à une appréciation des circonstances qui n'est pas entachée d'erreur manifeste ; que ces dispositions ne portent pas à l'exercice du droit de propriété une atteinte excédant celles qui peuvent lui être apportées au regard des règles et principes constitutionnels ci-dessus rappelés ;

Considérant, en ce qui concerne l'intervention de la Direction de l'habitat dans la gestion locative prévue par l'article 19 de la loi attaquée, et plus précisément, la réception des candidatures à la location par cette dernière, que l'attribut fondamental du propriétaire en matière de location n'est pas de recevoir des candidatures, mais d'avoir le droit de choisir librement son locataire parmi ces dernières, lequel n'est nullement remis en cause par les dispositions de la loi ;

Considérant que l'article 21 de la loi déférée, qui prévoit que toute location d'un local à usage d'habitation consentie en méconnaissance de ses dispositions est nulle et de nul effet, « nullité constatée par le Tribunal de première instance », lequel « ordonne, sous astreinte, l'expulsion de toute personne occupant indûment les lieux », étend la nullité du contrat de bail à la méconnaissance de n'importe laquelle des dispositions de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 ; que l'atteinte ainsi portée au droit de propriété est justifiée par l'objet de cette loi et qu'elle ne paraît pas excessive au regard de la volonté de lui donner plein effet ;

Considérant, en ce qui concerne l'exercice du droit de préemption prévu par l'article 23 de la loi attaquée, que cette disposition ne permet pas au Ministre d'État d'obliger le propriétaire à lui céder certains lots contre son gré, dès lors qu'il s'agit d'un mécanisme de préemption subordonné à la mise en vente volontaire d'un bien par son propriétaire ; que, par ailleurs, dans ce cadre, la possibilité pour le Ministre d'État de se porter acquéreur de « locaux à usage commercial, industriel ou artisanal », ne va pas à l'encontre de l'objet de la loi du 28 décembre 2000 « destinée à assurer le logement des monégasques et personnes assimilées », dès lors que cette faculté n'est ouverte qu'en cas de vente en bloc par leur propriétaire de locaux relevant à la fois du secteur protégé et de la loi du 24 novembre 1948 concernant les baux à usage commercial, industriel ou artisanal ; qu'ainsi, cette faculté ne porte pas d'atteinte excessive au droit de propriété, et n'est pas dépourvue de justification d'intérêt général au regard de l'objet particulier de la loi du 28 décembre 2000 ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 19 de la Constitution :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 19 de la Constitution : « La liberté et la sûreté individuelles sont garanties. Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, devant les juges qu'elle désigne et dans la forme qu'elle prescrit. » ;

Considérant que selon l'article 15 de la loi attaquée le bénéficiaire du droit de reprise a l'obligation d'occuper les lieux sous peine de sanctions « pendant une durée de trois ans au moins à compter du départ du locataire congédié » ; que cette durée minimale d'occupation des locaux imposée au bénéficiaire du droit de reprise a pour but de lutter contre les fraudes de nature à neutraliser les droits des locataires ; qu'en outre, l'amende administrative prévue à titre de sanction peut être écartée pour motif légitime, apprécié par l'administration sous le contrôle du juge ; que, par conséquent, ces dispositions ne portent pas une atteinte excessive à la liberté individuelle reconnue par l'article 19 de la Constitution ;

Considérant que les articles 15 et 22 de la loi attaquée, qui modifient les articles 16-7 et 37 de la loi n° 1.235 précitée, permettent à l'administration en cas de méconnaissance de ses obligations par le bénéficiaire du droit de reprise ou le propriétaire, de prononcer, à titre de sanction, une amende administrative dont le montant ne peut excéder 50 000 euros ; qu'aucune règle ou principe constitutionnel ne faisait obstacle à ce que le législateur supprime les sanctions pénales précédemment encourues comme étant inappropriées au regard de la gravité des manquements reprochés pour les remplacer par des amendes administratives ;

Considérant que le principe constitutionnel du respect des droits de la défense qui découle de l'article 19 de la Constitution s'impose à l'autorité administrative sans qu'il soit besoin, pour le législateur, d'en rappeler l'existence ; qu'en s'abstenant de préciser la procédure relative au prononcé d'une amende administrative exclusivement pécuniaire dont le montant maximum est fixé et qui peut être écartée pour motif légitime, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, le législateur n'a pas méconnu le principe constitutionnel du respect des droits de la défense ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 20 de la Constitution :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 20 de la Constitution : « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi »

Considérant que les articles 15 et 22 de la loi attaquée, qui modifient les articles 16-7 et 37 de la loi n° 1.235 modifiée, permettent à l'administration, en cas de méconnaissance de ses obligations par le bénéficiaire du droit de reprise ou le propriétaire, de prononcer une amende administrative ; qu'en prévoyant à titre de sanction une amende administrative exclusivement pécuniaire, qui ne peut excéder 50 000 euros et dont il a entendu qu'elle puisse être écartée si le propriétaire justifie d'un motif légitime, le législateur n'a pas méconnu les principes de personnalité, de nécessité et de proportionnalité des peines qui découlent de l'article 20 de la Constitution ;

Considérant que l'article 17 de la loi attaquée prévoit que lorsque le propriétaire n'est pas en mesure d'apporter à la Direction de l'habitat la preuve de l'occupation de ses locaux, celle-ci en informe le Ministre d'État aux fins de mise en œuvre des sanctions prévues à l'article 37 de la loi du 28 décembre 2000 ; que le moyen tiré de ce que cet article porterait atteinte au principe d'individualisation des peines et des sanctions fondé sur le deuxième alinéa de l'article 20 de la constitution, lequel interdit que l'on puisse être sanctionné du fait d'autrui manque en fait ;

Considérant que l'article 17 de la loi attaquée prévoit que lorsque le propriétaire n'est pas en mesure d'apporter à la Direction de l'habitat la preuve de l'occupation de ses locaux, celle-ci en informe le Ministre d'État aux fins de mise en œuvre des sanctions prévues à l'article 37 de la loi du 28 décembre 2000 ; que le moyen tiré de ce que cet article porterait atteinte au principe d'individualisation des peines, qui découle de l'article 20 de la Constitution, pour aboutir potentiellement à faire sanctionner le propriétaire à raison du comportement d'autrui manque en fait ; qu'en tout état de cause le prononcé d'une telle amende serait soumis au contrôle du juge de l'excès de pouvoir ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 22 de la Constitution :

Considérant que cet article dispose que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et au secret de ses correspondances » ;

Considérant que l'article 16 de la loi attaquée, prévoyant que la Commission arbitrale  doit permettre à chacune des parties d'avoir accès à toutes les informations utiles à la fixation du loyer, n'a ni pour objet ni pour effet de permettre qu'il soit porté atteinte au respect de la vie privée garanti par l'article 22 de la Constitution ;

Sur l'absence de compensations financières

Considérant, en ce qui concerne l'absence de dispositions relatives à l'indemnisation des préjudices que la loi peut causer aux propriétaires, que, sauf en cas de dépossession, aucune règle ni principe de valeur constitutionnelle n'oblige le législateur à fixer les modalités d'indemnisation des préjudices susceptibles d'être causés par la loi à certains propriétaires ; qu'il est en outre loisible aux propriétaires des locaux auxquels la loi n° 1.377 s'appliquera, dans les conditions précisées par la décision du Tribunal Suprême du 16 avril 2012 et par la présente décision, au cas où cette application leur occasionnerait un préjudice anormal et spécial, d'en demander, s'ils s'y croient fondés, réparation sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité de tous devant les charges publiques ;

Sur les autres moyens de la requête

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 90 A 2° de la Constitution le Tribunal Suprême n'est compétent pour statuer sur les recours en annulation en matière constitutionnelle que s'ils ont pour objet une atteinte aux libertés et droits consacrés par le titre III de la Constitution ; que, dès lors, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir, pour demander l'annulation de la loi attaquée, de ce qu'elle méconnaîtrait la compétence que la Constitution du 17 décembre 1962 attribue au législateur, l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, ou le principe général du droit selon lequel une indemnité ne saurait avoir un caractère forfaitaire, lesquels ne sont pas au nombre des libertés et droits consacrés par le titre III de la Constitution ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

La demande de renvoi et de réouverture de l'instruction présentée par les sociétés requérantes est rejetée.

Article 2

La requête aux fins d'intervention volontaire de l'Association des propriétaires de Monaco est rejetée.

Article 3

la requête présentée par la SAM Esperanza, La Société civile particulière dénommée « SCI de l'Ouest », La Société civile particulière dénommée « SCI Sakura », La SAM « les trois Mimosas », La SAM « Parfi », La Société civile particulière dénommée « SCI des Villas Clotilde et Rosario » tendant à l'annulation de la loi n° 1.377 du 18 mai 2011, est rejetée.

Article 4

Les dépens sont partagés par moitié entre l'État d'une part et les requérants d'autre part.

Article 5

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 9263
Date de la décision : 04/07/2012

Analyses

Baux  - Secteur protégé  - Procédure administrative  - Droit de propriété.

CompétenceContentieux constitutionnel - Recours en annulation - Dispositions législatives.


Parties
Demandeurs : SAM Esperanza, SCI de l'ouest, SCI Sakura, SAM Les trois mimosas, SAM Parfi, SCI des villas Clotilde et Rosario
Défendeurs : État de Monaco

Références :

article 37 de la loi du 28 décembre 2000
article 16-7 de la loi du 28 décembre 2000
Vu la Constitution du 17 décembre 1962
article 90 A 2° de la Constitution
article 19 de la constitution
loi du 28 décembre 2000
article 24 de la Constitution
article 22 de la constitution
Tribunal Suprême du 16 avril 2012
loi n° 1.377 du 18 mai 2011
Ordonnance du 3 mai 2012
article 38 de la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000
loi du 24 novembre 1948
article 20 de la constitution
Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963
article 16-6 de la loi du 28 décembre 2000
loi du 18 mai 2011
loi du 21 décembre 2004
article 16 de la loi du 18 mai 2011
article 32 ter de la loi n° 490 du 24 octobre 1948
article 3 de la loi du 28 décembre 2000
loi n° 1.235 du 28 décembre 2000


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2012-07-04;9263 ?

Source

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