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01/12/2011 | MONACO | N°8312

Monaco | Tribunal Suprême, 1 décembre 2011, Sieur A. c/ Ministre d'État


Motifs

Le Tribunal Suprême,

Siégeant et délibérant en assemblée plénière

Vu la requête enregistrée au greffe général de la Principauté de Monaco le 20 juillet 2010 par laquelle Monsieur A. demande au Tribunal suprême l'annulation de la décision du 26 mai 2010 par laquelle le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie a réitéré explicitement sa décision implicite refusant de prendre les mesures propres à mettre fin à plusieurs cas d'exercice illégal de l'activité de conseil juridique, ainsi que la condamnation de l'État de Monaco au v

ersement d'une somme de 6 000 euro à titre de dommages-intérêts et aux entiers dépens.

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Motifs

Le Tribunal Suprême,

Siégeant et délibérant en assemblée plénière

Vu la requête enregistrée au greffe général de la Principauté de Monaco le 20 juillet 2010 par laquelle Monsieur A. demande au Tribunal suprême l'annulation de la décision du 26 mai 2010 par laquelle le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie a réitéré explicitement sa décision implicite refusant de prendre les mesures propres à mettre fin à plusieurs cas d'exercice illégal de l'activité de conseil juridique, ainsi que la condamnation de l'État de Monaco au versement d'une somme de 6 000 euro à titre de dommages-intérêts et aux entiers dépens.

Ce faire :

Attendu qu'à l'appui de sa requête, Monsieur A., né et résidant à Monaco, exerçant la profession d'avocat à Paris, soutient qu'il a sollicité par lettre du 6 mai 2009 l'autorisation d'exercer l'activité de : «  préparation de la documentation contractuelle relative à la vente de yachts et suivi des formalités y afférentes ; consultations en droit français ou monégasque en droit des affaires, droit de l'immobilier et de la construction ; conseils juridiques aux entreprises en matière de fusions, acquisitions ou restructurations et rédaction de contrats y afférents » ; que, par une lettre en date du 1er juillet 2009, le Ministre d'État a rejeté sa demande au motif que « la profession de conseil juridique [est] considérée comme suffisamment représentée » ; que cette décision a été contestée par la voie d'un recours pour excès de pouvoir ; qu'estimant que plusieurs sociétés installées à Monaco proposaient des conseils juridiques dans des domaines excédant les limites de leurs autorisations ministérielles d'exercice, il a saisi le Département des Finances et de l'Économie de demandes tendant à la mise en œuvre des sanctions pénales et administratives prévues par la loi en pareil cas, notamment les 16, 17 et 18 novembre 2009, s'agissant de la société F.C. Europe, S.A.M. Moores Rowland, Monoeci Management S.A.M. et S.A.M. North Atlantic ; que ses lettres étant restées sans réponse, Monsieur A. a pris acte d'une décision de refus implicite qu'il a contestée au moyen d'un recours gracieux le 17 mai 2010 ; que par une lettre en date du 26 mai 2010, le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie a opposé une fin de non-recevoir à cette demande ;

Attendu que le Conseiller du Gouvernement pour les Finances et l'Économie a insuffisamment motivé sa décision au regard des exigences de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs en se bornant à affirmer que l'administration veille au respect des lois et règlements sans exposer la raison pour laquelle les infractions signalées n'ont pas suscité la mise en œuvre des sanctions prévues par la loi ;

Attendu qu'en application de la loi n° 1-1144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques (article 5, alinéa 1er), l'exercice des activités juridiques pour les étrangers est soumis à autorisation ; que le Ministre d'État peut suspendre ou révoquer l'autorisation si les activités ne respectent pas les énonciations de la déclaration et si elles sont déployées hors des limites de l'autorisation ; que selon l'article 61 du Code de procédure pénale, toute autorité, tout fonctionnaire ou officier public qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis, sur le champ, au procureur général ;

Attendu que la demande de Monsieur A. tendant à l'exercice par l'autorité administrative compétente de son obligation de mise en œuvre de la loi, relève d'un intérêt à agir direct, personnel et légitime, dès lors que sa demande d'autorisation d'exercer à titre personnel l'activité de conseil juridique lui a été refusée au motif que cette activité serait « suffisamment représentée » ;

Attendu que, lorsque les conditions de fait de l'application d'une loi sont réunies, l'administration est tenue de prendre les mesures propres à en assurer la mise en œuvre et ne dispose d'aucune marge d'appréciation ;

Attendu qu'à supposer que l'administration ne se trouve pas dans une compétence liée, cette circonstance aurait seulement pour effet de soumettre le refus à un contrôle normal ; que le refus de mettre en œuvre une loi est une décision illégale ; que le refus de prendre une mesure de police est nécessairement illégal lorsque la loi prévoit tout à la fois la sanction et ses cas d'application ;

Attendu en fin qu'une situation de concurrence déloyale ayant été rendue possible par l'exercice illégal d'activité juridique dénoncée, le refus de l'administration de prendre les mesures propres à y mettre fin pérennise une rupture d'égalité et a la nature, sinon d'une voie de fait, en tout état de cause d'un détournement de pouvoir.

Vu la contre-requête enregistrée le 24 septembre 2010 au greffe général par laquelle S.E. Monsieur le Ministre d'État conclut au rejet de la requête aux motifs que celle-ci est irrecevable en tant qu'elle est dirigée contre une lettre qui ne comporte aucune décision faisant grief ; que, par la lettre du 26 mai 2010, Madame le Conseiller du Gouvernement pour les Finances et l'Économie n'a pas refusé d'exercer à l'encontre des quatre sociétés de conseil juridique dénoncées par le requérant les pouvoirs dont elle dispose pour la mise en œuvre de sanctions administratives ou la saisine de Monsieur le Procureur général sur le fondement de l'article 61 du Code de procédure pénale, mais s'est bornée à rappeler que, tenant compte d'un tel signalement et n'étant pas en situation de compétence liée, elle procédait à la vérification de l'exactitude matérielle des faits avant d'apprécier les suites à leur donner ; que Monsieur A. est au surplus dépourvu d'intérêt à critiquer ladite lettre, sachant, d'une part, qu'il peut lui-même saisir directement Monsieur le Procureur général et faire échec à la décision de ce dernier en se constituant partie civile, et, d'autre part, qu'à défaut d'être lui-même conseil juridique, il n'est pas au nombre des personnes ayant intérêt à agir : à titre subsidiaire, au fond, que la « décision » du 26 mai 2010 est suffisamment motivée en ce que le fait de saisir Monsieur le Procureur général de faits dénoncés au titre de l'article 61 du Code de procédure pénale ne doit pas être motivé, non plus que celui-ci, à supposer tel, de ne pas infliger une sanction administrative, qui échappe à l'obligation de motivation prescrite aux décisions qui infligent une sanction ; que saisie d'une demande tendant à l'engagement de poursuites pénales ou à la mise en œuvre de sanctions administratives, l'autorité administrative conserve le pouvoir d'apprécier si les manquements allégués sont établis et si, compte tenu des circonstances et de la nature desdits manquements allégués, il y a lieu de prendre immédiatement les mesures sollicitées ; qu'en l'espèce, s'agissant des quatre sociétés mises en cause, les éléments présentés par le requérant sont tirés de sites internet à caractère pour partie publicitaire et non de constations établies à l'occasion d'affaires concrètes, qu'en tout état de cause, les activités exercées par ces sociétés se rattachent à leur objet social ou ne sont pas exclus par lui ; qu'ainsi, au regard des éléments imprécis et insuffisants fournis, il n'y avait pas lieu, en toute hypothèse, pour l'autorité administrative d'accéder à la demande de poursuite présentée par Monsieur A.

Vu la réplique enregistrée le 28 octobre 2010 au greffe général par laquelle Monsieur A. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens, sollicitant en outre l'intervention de l'Ordre des avocats monégasques afin qu'il puisse faire part au Tribunal de son avis, notamment sur la portée qu'il convient de donner aux publicités parues dans le domaine du conseil juridique, et qu'il fasse valoir les intérêts de la profession qu'il représente.

Attendu, sur la recevabilité, qu'en opposant une réponse d'attente à sa demande de mise en œuvre de sanctions, le Conseiller du Gouvernement pour les Finances et l'Économie favorise les agissements dénoncés au détriment d'un exercice légalement autorisé de l'activité de conseil juridique et à ce titre lui fait grief ;

Attendu que, sur le fond, l'autorité administrative, saisie d'un dossier relatif à l'existence d'infractions administratives pouvant recevoir une qualification pénale, doit tout à la fois mettre en œuvre ses prérogatives administratives et son obligation de transmission aux autorités de poursuite des infractions constatées, sans qu'il soit nécessaire de présenter deux demandes distinctes ;

Attendu, sur les activités exercées par les quatre sociétés dénoncées, que l'offre de service hors de l'autorisation suffit pour engager les mesures administratives, de même que la tentative encourt une qualification pénale.

Vu la duplique enregistrée le 2 décembre 2010 au greffe général, par laquelle S.E. Monsieur le Ministre d'État conclut au rejet de la requête par les mêmes moyens que la contre-requête.

Vu la requête déposée au greffe général le 12 janvier 2011 par laquelle Monsieur A. a sollicité qu'il lui soit accordé un ultime délai pour formuler des observations.

Vu l'ordonnance de Monsieur le Président du Tribunal suprême du 9 février 2011 accordant un ultime délai à Monsieur A. aux fins de triplique.

Vu la triplique enregistrée le 11 mars 2011, par laquelle Monsieur A. tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens.

Attendu que, produisant la décision du Tribunal suprême en date du 29 novembre 2010, annulant pour défaut de motivation suffisante la décision du 1er juillet 2009 lui refusant l'autorisation d'exercice d'une activité de conseil juridique, il rappelle son intérêt à agir, identique dans les deux instances, étant aussi légitime de solliciter l'autorisation d'exercer une telle activité que de demander que soient poursuivis ceux qui l'exercent sans cette autorisation ;

Attendu que le Ministre d'État a accordé deux nouvelles autorisations d'exercice et que parallèlement, par une nouvelle décision en date du 8 mars 2011, il a refusé de lui accorder l'autorisation d'exercer l'activité de conseil juridique dans la Principauté de Monaco par des motifs qui seront critiqués au travers d'un recours pour excès de pouvoir ;

Attendu enfin que le requérant sollicite la communication aux parties des conclusions écrites prises par Monsieur le Procureur général dans l'affaire ayant donné lieu à la décision du 29 décembre 2010 du Tribunal suprême.

Vu les observations en réponse enregistrées le 15 avril 2011, par lesquelles le Ministre d'État conclut au rejet par les mêmes moyens que la contre-requête.

Attendu que la production de la décision susvisée du Tribunal Suprême en date du 29 novembre 2012 est sans utilité dans la présente instance, comme sont inopérants à l'encontre des décisions attaquées les arguments pris des autorisations prétendument délivrées postérieurement à la décision attaquée et de la décision prise à son égard le 8 mars 2011.

Attendu que le Ministre d'État s'oppose à la communication aux parties des conclusions écrites prises par Monsieur le Procureur général dans l'affaire ayant donné lieu à la décision du 29 décembre 2010 du Tribunal suprême, au motif qu'elles se rapportent à une instance distincte et qu'au demeurant, elles ne sont pas écrites.

Vu les décisions attaquées ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal suprême ;

Vu le Code de procédure pénale ;

Vu la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l'exercice de certaines activités économiques et juridiques ;

Vu l'ordonnance du 5 novembre 2010 par laquelle M. le Président du Tribunal suprême, rapportant celle du 3 septembre 2010 désignant Monsieur Didier LINOTTE comme rapporteur, a désigné Madame Martine LUC-THALER, Membre titulaire, comme rapporteur ;

Vu l'ordonnance du 3 octobre 2011 par laquelle M. le Président du Tribunal suprême a renvoyé la cause à l'audience de ce tribunal du 17 novembre 2011 ;

Ouï Madame Martine LUC-THALER, Membre titulaire du Tribunal suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Ludovic de LANOUVELLE et Maître René FREMY pour Monsieur A. ;

Ouï Maître Jacques MOLINIÉ, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France pour l'État de Monaco ;

Ouï Monsieur le Procureur général en ses conclusions et ses réquisitions tendant au prononcé de l'amende prévue par l'article 36 de l'ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963.

Après en avoir délibéré,

Sur les conclusions à fin d'annulation,

Considérant que sont seules susceptibles d'être déférées au Tribunal suprême, en vue de leur annulation, les décisions ou mesures faisant grief au requérant ;

Considérant que, par trois lettres successives des 16, 17 et 18 novembre 2009, Monsieur A. a saisi le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie de faits révélant, selon lui, « l'existence d'une infraction pénale, également susceptible de sanctions administratives » consistant en dépassements par plusieurs sociétés du champ de leur autorisation d'exercer à Monaco et a entendu lui « rappeler qu'[il devait], à réception de la présente, saisir Monsieur le Procureur général » en application des dispositions de l'article 61 du Code de procédure pénale ; que, par une lettre en date du 18 décembre 2009, Monsieur A. a saisi dans les mêmes termes le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie de faits identiques concernant une autre société ; que par une télécopie adressée le 17 mai 2010, il a formé un « recours gracieux sur décision de refus implicite » dirigé contre le silence opposé par le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie à sa réclamation relative aux activités de conseil de la société F.C. Europe ; que, par une lettre en date du 26 mai 2010, le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie a répondu, après avoir rappelé le souci de l'administration monégasque de veiller au respect des lois et règlements en vigueur à Monaco, que «s'il [lui] est loisible, comme à tout administré, de signaler aux autorités administratives des faits qui [lui] paraissent constitutifs d'irrégularités, il appartient auxdites autorités de vérifier l'exactitude matérielle de ces faits, de se déterminer sur leur qualification juridique puis sur les suites à leur donner. Ces autorités ne se trouvent pas pour autant, sauf prescription particulière de la loi, tenues d'obligations particulières à l'égard de l'auteur des signalements lequel ne saurait leur enjoindre de prendre des mesures spécifiques, ni a fortiori se prévaloir à leur encontre d'une quelconque compétence liée. Ces principes généraux trouvent pleinement à s'appliquer en l'espèce» ;

Considérant qu'en droit monégasque l'administration n'est insérée dans aucun délai à l'expiration duquel la demande d'un particulier, faute de réponse expresse, serait réputée ; qu'ainsi, Monsieur A. ne peut se prévaloir en l'espèce de décisions implicites de refus ;

Considérant que, dans sa lettre du 26 mai 2010, le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie n'a refusé à Monsieur A. ni de vérifier l'exactitude matérielle des faits que ce dernier lui a signalés, ni de se déterminer sur leur qualification juridique, ni de leur donner les suites qui conviennent ; que, dès lors, cette lettre ne constitue pas une décision faisant grief ; que, par suite, la requête doit être rejetée comme irrecevable.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation,

Considérant que le rejet par la présente décision des conclusions de la requête aux fins d'annulation entraîne, par voie de conséquence, le rejet des conclusions à fin d'indemnisation ;

Sur les réquisitions du Procureur général,

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de condamner Monsieur A. à l'amende prévue par l'article 36 de l'ordonnance n° 2. 984 du 16 avril 1963.

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

La requête de Monsieur A. est rejetée ;

Article 2

Les dépens sont mis à la charge de Monsieur A. ;

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise à S.E. M. le Ministre d'État et à Monsieur A.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 8312
Date de la décision : 01/12/2011

Analyses

Infractions - Généralités  - Procédure administrative  - Professions juridiques et judiciaires  - Limitation légale d'activité professionnelle.

CompétenceContentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel.


Parties
Demandeurs : Sieur A.
Défendeurs : Ministre d'État

Références :

Code de procédure pénale
Vu la Constitution
ordonnance du 3 octobre 2011
loi n° 1.312 du 29 juin 2006
loi n° 1-1144 du 26 juillet 1991
Ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963
article 36 de l'ordonnance n° 2.984 du 16 avril 1963
loi n° 1.144 du 26 juillet 1991
ordonnance du 5 novembre 2010
article 61 du Code de procédure pénale


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2011-12-01;8312 ?

Source

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