La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/06/2008 | MONACO | N°TS/2007/19

Monaco | Tribunal Suprême, 3 juin 2008, Sieur F. I. c/ Ministre d'État, TS/2007/19


Abstract

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Recours pour excès de pouvoir

Étranger - Décision de refoulement - Refus d'abroger la décision initiale - Mesure de police administrative - Loi n° 1.312 relative à la motivation des actes administratifs, du 29 juin 2006. Dispositions dérogatoires afférentes à la lutte contre le blanchiment de capitaux - Applicabilité (oui) - Absence d'erreur manifeste d'appréciation - Décision illégale (non) - Pacte international sur les droits civils et politiques - C

onvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales - Applica...

Abstract

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Recours pour excès de pouvoir

Étranger - Décision de refoulement - Refus d'abroger la décision initiale - Mesure de police administrative - Loi n° 1.312 relative à la motivation des actes administratifs, du 29 juin 2006. Dispositions dérogatoires afférentes à la lutte contre le blanchiment de capitaux - Applicabilité (oui) - Absence d'erreur manifeste d'appréciation - Décision illégale (non) - Pacte international sur les droits civils et politiques - Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales - Applicabilité (non)

Motifs

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête de M. F. I. enregistrée au greffe du Tribunal Suprême le 20 juin 2007 sous le numéro TS 2007/19 et tendant à l'annulation de la décision de Monsieur le Ministre d'État en date du 24 avril 2007 refusant de lever la mesure de refoulement prise à son encontre ;

CE FAIRE,

Attendu que M. F. I., né à Rome le 24 février 1946 et de nationalité italienne, avait fait l'objet d'une mesure de refoulement de la Principauté de Monaco le 5 septembre 2002 ; par lettre du 6 février 2007 adressée à Monsieur le Ministre d'État, et précisant qu'il souhaitait pouvoir retourner occasionnellement à Monaco pour y rencontrer ses amis et y suivre des soins médicaux, il avait sollicité la levée de cette mesure. Mais par courrier en réponse du 24 avril 2007, Monsieur le Ministre d'État a fait connaître à M. F. I. qu'il lui était « impossible de réserver une suite favorable à sa requête compte tenu de la condamnation judiciaire dont il avait fait l'objet en date du 26 septembre 2002 ».

Attendu que l'illégalité de cette décision tient d'abord à l'absence de motivation suffisante, celle-ci ne pouvant se limiter à la simple paraphrase de la condition posée par les textes, en raison de l'évolution du droit monégasque, et en particulier, de l'adoption de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Attendu, par ailleurs, que sur le plan de la légalité interne, la décision contestée porte atteinte aux dispositions du Pacte international sur les droits civils et politiques, rendu exécutoire par l'ordonnance du 12 février 1998, ainsi qu'à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et à ses protocoles additionnels, dont la ratification par la Principauté de Monaco a été approuvée par la loi n° 1.304 du 3 novembre 2005. « Une décision d'éloignement du territoire d'un étranger » étant en effet « susceptible de porter atteinte aux droits garantis à l'intéressé par ladite convention », au titre de « la protection par ricochet » : et ce, dès lors que « le refoulement de M. F. I. n'a manifestement plus aucune justification valable », sa présence sur le territoire monégasque ne constituant « en aucune manière une menace de trouble à l'ordre public ».

Attendu enfin et subsidiairement que, vu l'insuffisance de la motivation, le Tribunal Suprême, s'il estimait « ne pas devoir entrer immédiatement en voie d'annulation » devrait du moins inviter, « à titre de mesure d'instruction, Monsieur le Ministre d'État a produire à bref délai tous éléments lui permettant d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée ».

Vu la contre-requête présentée au nom du Ministre d'État et enregistrée le 13 août 2007, tendant au rejet de la requête au motif, d'abord, que le grief fait à la décision contestée de n'être pas motivée n'est pas fondé, le Ministre d'État ayant indiqué au requérant qu'il lui était impossible de réserver une suite favorable à sa requête « compte tenu de la condamnation judiciaire dont il a fait l'objet en date du 26 septembre 2002. » Qu'en outre, cette motivation apparaît d'autant plus suffisante que, selon l'article 5 de loi n° 1.312 du 29 juin 2006, la motivation d'un acte n'est pas requise lorsqu'elle s'avère « de nature à porter atteinte à la recherche par les services compétents de faits susceptibles d'être poursuivis au titre de la lutte contre le blanchiment des capitaux », ce qui était le cas en l'occurrence. Qu'enfin, la décision contestée ne méconnaît pas les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ses protocoles additionnels, « le retour sur le territoire monégasque d'un ancien conseil juridique et fiscal impliqué dans des affaires »d'argent sale« (...) constituant assurément une menace pour » l'ordre public « ; que la circonstance que tous les créanciers de la société de M. I. ont été réglés de leurs créances est indifférente ; que le fait que la demande de levée de la mesure de refoulement n'a pour objet que de lui permettre de retourner occasionnellement à Monaco est sans effet sur la légalité de la décision, aucune disposition législative ou réglementaire n'obligeait le Ministre d'État à faire droit à une telle demande.

Vu la réplique présentée par M. F. I. et enregistrée le 5 septembre 2007, tendant aux mêmes fins et par les mêmes moyens que sa requête, et précisant en outre que M. F. I. n'a jamais été impliqué dans des affaires d'argent sale, comme le confirme la décision de non-lieu rendue à son bénéfice le 29 août 2007 par le magistrat instructeur, qui conclut à l'insuffisance des charges retenues contre lui d'avoir commis, à Monaco, les délits d'escroquerie, d'abus confiance et de banqueroute ;

Vu la duplique présentée par le Ministre d'État, enregistrée le 10 octobre 2007 et tendant au rejet de la requête par les mêmes motifs que précédemment, et en particulier, soulignant que l'argument avancé par M. F. I. produisant une ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction le 29 août 2007 dans une affaire d'escroquerie pour démontrer qu'il n'a en rien été compromis dans des affaires » d'argent sale «, n'est pas fondé, ladite ordonnance étant en effet étrangère aux agissements qui avaient entraîné sa condamnation le 26 septembre 2002.

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 3.153 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté du 19 mars 1964 modifiée ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950 en semble ses protocoles additionnels rendus exécutoires en Principauté par les ordonnances n° 408 et suivants du 15 février 2006 ;

Vu le Pacte international sur les droits civiques et politiques adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et l'Ordonnance n° 13.330 du 12 février 1998 qui l'a rendue exécutoire ;

Vu l'ordonnance du 15 décembre 2007 par laquelle le président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience du Tribunal Suprême du 3 juin 2008 ;

Ouï Monsieur Frédéric Rouvillois, membre suppléant du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Yann Lajoux, avocat défenseur, pour F. I. ;

Ouï Maître Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'État de Monaco ;

Ouï M. le procureur général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré ;

Considérant que M. F. I. a demandé le 6 février 2007 par lettre adressée à Monsieur le Ministre d'État, la levée de mesure de refoulement prise son encontre le 5 septembre 2002 ; que Monsieur le Ministre d'État, par lettre en date du 24 avril 2007, a rejeté cette demande ;

Considérant, que suivant l'article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006, » Doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives à caractère individuel qui (...) restreignent l'exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police « ;

Mais considérant d'autre part, qu'en vertu de l'article 5 en ses alinéas 1 et 2 de cette même loi » la motivation des actes énoncés à l'article premier n'est pas requise lorsque des raisons de sécurité intérieure ou extérieure de l'État s'y opposent. Il en est de même lorsque la motivation serait de nature à porter atteinte à la recherche par les services compétents de faits susceptibles d'être poursuivis en matière fiscale, douanière ou à titre de la lutte contre le blanchiment de capitaux ou contre le financement du terrorisme ".

Considérant qu'en l'espèce, M. I. ayant été mêlé, de son propre aveu, à des affaires de blanchiment de capitaux ayant entraîné son refoulement, la décision d'abroger ladite mesure figure au nombre de celles qui n'ont pas à être motivées ;

Considérant que les dispositions du Pacte international sur les droits civils et politiques, rendu exécutoire par l'Ordonnance du 12 février 1998, ainsi que celles de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de ses protocoles additionnels, dont la ratification par la Principauté de Monaco a été approuvée par la loi n° 1.304 du 3 novembre 2005, invoquées par M. I. à l'appui de sa requête, s'appliquent à des étrangers se trouvant de façon régulière sur le territoire d'un État ; que tel n'était plus le cas de M. I. depuis la décision de refoulement du territoire monégasque dont il a fait l'objet le 5 septembre 2002 ;

Considérant que la décision de refus d'abroger une mesure de refoulement se fondant sur la condamnation prononcée contre M. I., mais aussi sur son implication dans des affaires de blanchiment de capitaux, et sur l'importance qu'a une telle question dans le cas particulier de Monaco, ne peut de ce fait être considérée comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Dispositif

Décide :

Article 1er

La requête de M. F. I., tendant à l'annulation de la décision du Ministre d'État refusant d'abroger la mesure de refoulement dont il a fait l'objet, est rejetée ;

Article 2

Les dépens sont mis à la charge de M. F. I. ;

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise à Monsieur le Ministre d'État.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : TS/2007/19
Date de la décision : 03/06/2008

Analyses

Loi et actes administratifs unilatéraux ; Droit des étrangers


Parties
Demandeurs : Sieur F. I.
Défendeurs : Ministre d'État

Références :

Ordonnance n° 13.330 du 12 février 1998
ordonnance du 15 décembre 2007
loi n° 1.312 du 29 juin 2006
ordonnance du 12 février 1998
Vu la Constitution
loi n° 1.304 du 3 novembre 2005
article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006
Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2008-06-03;ts.2007.19 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award