La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/02/2008 | MONACO | N°27320

Monaco | Tribunal Suprême, 18 février 2008, Sieur L. G. c/ Ministre d'État


Abstract

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Fonctionnaires et agents publics

Agent contractuel de droit public - Maintien en fonction vaut conclusion d'un nouveau contrat - Applicabilité de la loi n° 975 portant statut des fonctionnaires de l'État, du 12 juillet 1975 (non)

Recours pour excès de pouvoir

Décision administrative de licenciement sans préavis, ni indemnité - Compétence du Ministre d'État - Légalité de l'enquête administrative au sein du service administratif - Distinctio

n de la santé pénale et de la sanction disciplinaire - Erreur de fait (non) - Décision illégale ...

Abstract

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Fonctionnaires et agents publics

Agent contractuel de droit public - Maintien en fonction vaut conclusion d'un nouveau contrat - Applicabilité de la loi n° 975 portant statut des fonctionnaires de l'État, du 12 juillet 1975 (non)

Recours pour excès de pouvoir

Décision administrative de licenciement sans préavis, ni indemnité - Compétence du Ministre d'État - Légalité de l'enquête administrative au sein du service administratif - Distinction de la santé pénale et de la sanction disciplinaire - Erreur de fait (non) - Décision illégale (oui)

Principes généraux du droit

Formulation des observations et consultation du dossier - Respect des droits de la défense (oui)

Motifs

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête présentée par M. L. G., enregistrée au greffe général de la Principauté de Monaco le 23 janvier 2007, tendant à l'annulation de la décision, prise le 23 novembre 2006 par le Ministre d'État, l'ayant licencié, sans préavis ni indemnité, de ses fonctions d'agent contractuel de l'État affecté à la Direction de la sûreté publique.

CE FAIRE :

Attendu que M. G. a été engagé à la Direction de la sûreté publique sur la base d'une contrat renouvelé sans interruption depuis le 1er décembre 1991 ; que, précédemment employé au service des archives générales, il a été affecté au secrétariat de simple Police le 13 novembre 2000 où il tenait la comptabilité de service ;

Que, à la suite d'une réclamation d'un automobiliste, adressé à la Direction de la sûreté publique, relative au défaut de remise, par un agent verbalisateur, du reçu de l'amende transactionnelle versée entre ses mains en application de l'article 435 du Code de procédure pénale, le Commissaire principal, chef de la Division de la police urbaine, a ordonné une enquête administratif interne qui s'est déroulée du 17 janvier au 3 février 2006 ;

Que cette enquête, qui a révélé un certain nombre d'anomalies dans le fonctionnement du Secrétariat de simple Police, s'est déroulée à l'insu des autorités judiciaires, et en particulier du Procureur général qui n'en a été informé que par lettre anonyme ;

Attendu que, le 10 février 2006, le Procureur général a été saisi par la Direction de la Sûreté publique et a requis l'ouverture d'une information pénale contre X en raison de présomptions graves de crimes et délits commis par des fonctionnaires et dépositaires publics ; que M. G. a été inculpé de l'ensemble de ces crimes et délits le 16 février 2006 ; que la procédure pénale ainsi engagée est encore au stade de l'instruction, que, le juge d'instruction ayant interdit à M. G. tout contact avec les agents du Secrétariat de Simple police, le Ministre d'État a, le 15 mars 2006, suspendu temporairement M. G. de ses fonctions ;

Attendu que, par lettre du 4 octobre 2006, le Directeur de la fonction publique et des ressources humaines a informé M. G. de son intention de le licencier sans préavis ni indemnité, et l'a convoqué pour être entendu en ses explications pour le 24 octobre 2006 ; que, en égard à son état de santé, M. G. a été représenté à cette audition par son avocat ; que la décision attaquée a été prise le 23 novembre 2006 à titre de sanction prévue par l'article 18 du Règlement général applicable aux agents contractuels ou suppléants de l'État ;

Attendu que les poursuites disciplinaires engagées contre M. G. ont été exercées exclusivement au vu d'une procédure pénale indûment détenue par l'autorité administrative ; qu'en effet ce qui a été qualifié d'enquête administrative constitue en réalité une enquête pénale ; que cette enquête est donc nulle comme intervenue en violation du secret judiciaire prévu et sanctionné par le Code pénal ;

Attendu que, dès lors que les faits ayant motivé le licenciement sont exactement les mêmes que ceux par lesquels M. G. est inculpé, le ministre d'État ne pouvait légalement prononcer cette sanction avant que la juridiction pénale compétente ait définitivement statué sur la réalité des faits ;

Attendu de surcroît que le licenciement ne repose sur aucun texte alors, d'une part, que M. G. aurait dû bénéficier des garanties disciplinaires prévues par la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État, et que, de ce fait, la décision devait être prise par le Conseil de gouvernement, que, d'autre part, le Règlement général applicable aux agents contractuels et suppléants de l'État est inexistant, et que, enfin, la sanction, décidée avant l'audition du 24 octobre 2006, a été prise en méconnaissance des droits de la défense.

Vu, enregistrée le 23 mars 2007, la contre-requête du Ministre d'État tendant au rejet de la requête, par les motifs :

– que, à l'issue de l'enquête administrative, un procès-verbal a été dressé le 9 février 2006 et que le chef de la Division de la police judiciaire a très normalement saisi le Procureur général le 10 février 2006 ; qu'il s'agissait donc bien d'une enquête administrative interne, clôturée le 3 février 2006, bien entendu sans intervention du Procureur général ;

– que l'autorité disciplinaire n'est nullement tenue d'attendre l'issue de la procédure pénale relative aux mêmes faits pour prendre sa décision ; qu'en l'espèce la durée prévisible de l'instruction pénale était d'ailleurs incompatible avec le caractère temporaire de la suspension de fonctions dont le requérant a fait l'objet ;

– que M. G. n'avait pas la qualité de fonctionnaire et ne pouvait donc pas se voir appliquer la procédure disciplinaire prévue par le statut des fonctionnaires de l'État ;

– que M. G. a signé une copie du Règlement général applicable aux agents contractuels et suppléants de l'État, lequel a ainsi une valeur contractuelle et que c'est par une application exacte de l'article 18 de ce document contractuel qu'a été suivie la procédure disciplinaire et prise la décision de licenciement ;

– qu'il n'est pas sérieux de soutenir que la décision a été prise avant l'audition du 24 octobre 2006 dès lors que, au cours de cette audition, le conseil du requérant a pu présenter toutes observations utiles.

Vu, enregistrée le 23 avril 2007, la réplique de M. G., qui tend aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens, précisant :

– que, depuis le 30 novembre 2001, il était en fonction pour une durée indéterminée et placée dans une situation légale et réglementaire, faute de reconduction expresse de son contrat ;

– que l'enquête dite administrative était en réalité une enquête pénale dès lors qu'elle avait trouvé son origine dans la plainte d'un automobiliste ; qu'elle aurait donc dû avoir lieu sous l'autorité du Procureur général ;

– que M. G. nie avoir commis les faits qui lui sont reprochés ;

– que le Règlement général produit par le Ministre d'État n'a ni valeur réglementaire ni valeur contractuelle ;

– que la rédaction de la lettre de convocation du 4 octobre 2006, annonçant par avance la notification du licenciement, démontre la violation des droits de la défense.

Vu, enregistrée le 23 mai 2007, la duplique du Ministre d'État tendant au rejet de la requête par les mêmes motifs que précédemment, en particulier :

– que le Code de procédure pénale n'interdit pas les enquêtes administratives internes à la Direction de la sûreté publique ;

– que l'autorité disciplinaire n'est jamais tenue de surseoir à statuer jusqu'à la décision du juge répressif, même lorsque l'agent nie les faits qui lui sont reprochés ;

– que la législation monégasques n'interdit ni le recours à des agents contractuels pour occuper certains emplois publics, ni la mise en œuvre de cette faculté sous la forme d'un règlement général ;

– que M. G. a « lu et approuvé » la copie du règlement général annexé à son contrat ;

– que la lettre de convocation du 4 octobre 2006 ne préjuge pas de la sanction mais se borne à préciser sous quelle forme, le cas échéant, elle sera notifiée.

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, et notamment son article 90-B-1° ;

Vu la loi n° 783 du 15 juillet 1965 portant organisation judiciaire ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État ;

Vu l'Ordonnance du 21 novembre 2007 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience du 4 février 2008 ;

Ouï M. Jean-Michel Lemoyne de Forges, Vice-président du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Gastion Carrasco, avocat, pour M. G. ;

Ouï Maître Jacques Molinié, avocat aux Conseils, pour le Ministre d'État ;

Ouï le Ministère public en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré ;

Sur la compétence du Tribunal Suprême :

Considérant que, aux termes de l'article 90-B de la Constitution, le Tribunal Suprême statue souverainement en matière administrative :

« 1° sur les recours en annulation pour excès de pouvoir contre les décisions des diverses autorités administratives et les ordonnances souveraines prises pour l'exécution des lois, ainsi que sur l'octroi des indemnités qui en résultent » ;

Que l'article 12 de la loi n° 783 du 15 juillet 1965 portant organisation judiciaire énonce que « le Tribunal de première instance connaît encore comme juge de droit commun en matière administrative, en premier ressort, de tous les litiges autres que ceux dont la connaissance est expressément attribuée par la Constitution ou la loi au Tribunal Suprême ou à une autre juridiction » ;

Qu'il résulte de la combinaison de ces textes que le Tribunal Suprême ne saurait connaître, en matière administrative, des recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre des décisions des autorités administratives relatives à l'exécution d'un contrat, sauf le cas où le recours serait dirigé contre un acte administratif détachable de l'opération contractuelle initiale ;

Considérant que M. G. a été recruté à la Direction de la sûreté publique comme agent non titulaire de l'État pour une durée de un an à compter du 1er décembre 1991 ; que son engagement a été ensuite renouvelé pour un an à compter du 1er décembre 1992, puis pour trois ans à compter du 1er décembre 1993 et pour cinq ans à compter du 1er décembre 1996 ; que, à compter du 13 novembre 2000, il a été affecté au secrétariat de simple police où il tenait la comptabilité ; que, à compter du 1er décembre 2001 ; il a continué à exercer ces fonctions sans que son engagement ait fait l'objet d'un renouvellement exprès ;

Considérant que les modalités de recrutement de M. G. lui donnaient la qualité d'agent contractuel de l'État ; que son maintien en fonction à l'issue du dernier contrat par lequel il avait été renouvelé a eu pour effet de donner naissance à un nouveau contrat pour une même durée que le précédent ;

Considérant que la circonstance que ce contrat ait pris la dénomination de « règlement général » n'a pu modifier la nature contractuelle des rapports entre les parties dès lors que, lu, approuvé et signé par M. G., ce document ne réunit aucune des conditions de forme de nature à lui conférer une valeur réglementaire ; qu'il en résulte que les mesures d'exécution de ce contrat ne peuvent, en principe, être critiquées que devant le juge du contrat ; que toutefois, dans les circonstances particulières de l'espèce, la décision attaquée peut être regardée comme détachable dudit contrat et, dès lors, être contestée devant le Tribunal Suprême ;

Sur le fond

Sur le moyen tiré de la violation de la loi du 12 juillet 1975

Considérant, d'une part, que la loi susvisée du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État n'a eu ni pour objet ni pour effet d'exclure le recrutement d'agents non titulaires, d'autre part, que la référence par les lettres d'engagement de M.G. « à toutes les obligations et interdictions qui s'imposent aux fonctionnaires de l'État en vertu de leur statut » n'ont eu ni pour objet ni pour effet de donner à M. G. la qualité de fonctionnaire ; que M. G. ne peut donc invoquer le bénéfice des dispositions de la loi portant statut des fonctionnaires ;

Considérant par suite, que M. G. n'est pas fondé à soutenir que le Ministre d'État a méconnu les dispositions de l'article 42 de la loi susvisée du 12 juillet 1975 selon lesquelles les sanctions telles que la révocation sont prononcées par ordonnances souveraine après consultation et sur proposition du Conseil de discipline ;

Sur le moyen tiré de l'incompétence du Ministre d'État :

Considérant que, contrairement à ce que soutient M. G., le Conseil de gouvernement, n'est pas l'autorité hiérarchique investie du pouvoir de licencier les agents de l'État ; que, sa qualité d'autorité hiérarchique, le Ministre d'État était seul compétent pour prendre une sanction disciplinaire à l'encontre de M. G. ; que le moyen doit donc être écarté ;

Sur le moyen tiré de l'irrégularité de l'enquête effectuée au sein de la Direction de la sûreté publique :

Considérant que, si l'article 61 du Code de procédure pénale impose à toute autorité, tout fonctionnaire ou officier public qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, d'en donner avis, sur le champ, au Procureur général et de lui transmettre tous renseignements, documents et actes permettant d'en poursuivre la répression, il n'a ni pour objet ni pour effet d'interdire à un chef de service, saisi de la réclamation interne destinée à identifier d'éventuelles anomalies dans le fonctionnement du service et, le cas échéant, à permettre aux autorités compétentes de prendre les mesures que cette identification appelle ;

Considérant que, en l'espèce, le Commissaire principal, chef de la Division de la police urbaine, a ordonné, en sa seule qualité de chef de service, une enquête administrative interne dont les conclusions ont été intégralement transmises au Procureur général dès qu'elles ont permis de mettre en évidence l'existence vraisemblable de crimes ou délits commis au sein de son service ; que, dès lors, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les poursuites disciplinaires ont été exercées au vu d'une procédure pénale indûment détenue par l'autorité administrative ;

Sur le moyen tiré de l'identité des faits à l'origine des procédures disciplinaires et pénale :

Considérant que les sanctions disciplinaires sont distinctes de la répression pénale ; qu'il en résulte, d'une part, que les mêmes faits peuvent légalement faire l'objet de sanctions disciplinaires et de poursuites pénales et que, d'autre part, sauf texte contraire, l'autorité disciplinaire n'est pas tenue de surseoir à statuer jusqu'à la décision du juge pénal ; que le moyen doit donc être écarté ;

Sur le moyen tiré de la violation des droits de la défense :

Considérant que, par lettre du 4 octobre 2006, le Directeur de la fonction publique et des ressources humaines a informé M. G. qu'il envisageait de le licencier pour faute, sans préavis ni indemnité, et l'a invité à être entendu en ses explications, avec possibilité de se faire assister par un défenseur de son choix, et lui a rappelé son droit de consulter son dossier à la direction ;

Considérant que le fait pour le Directeur de la fonction publique et des ressources humaines d'avoir écrit qu'il envisageait de licencier M. G. ne signifie pas que la décision était déjà prise ; qu'il permettait au contraire à M. G. de faire valoir ses observations autant sur la nature que sur les motifs de la sanction ; que M. G., ayant pu faire valoir ses observations et consulter préalablement son dossier, n'est pas fondé à soutenir que les droits de la défense ont été violés ;

Sur l'erreur de fait :

Considérant que, si M. G. conteste la réalité des faits qui lui sont reprochés, il ne fournit aucun élément à l'appui de cette dénégation ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête doit être rejetée.

Dispositif

Décide :

Article 1er

La requête de M. G. est rejetée.

Article 2

Les dépens sont mis à la charge de M. G.

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27320
Date de la décision : 18/02/2008

Analyses

Fonction publique


Parties
Demandeurs : Sieur L. G.
Défendeurs : Ministre d'État

Références :

loi du 12 juillet 1975
loi n° 783 du 15 juillet 1965
article 435 du Code de procédure pénale
Ordonnance du 21 novembre 2007
article 12 de la loi n° 783 du 15 juillet 1965
Code pénal
Ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963
article 90-B de la Constitution
loi n° 975 du 12 juillet 1975
Vu la Constitution
article 61 du Code de procédure pénale
Code de procédure pénale


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2008-02-18;27320 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award