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18/01/2006 | MONACO | N°27210

Monaco | Tribunal Suprême, 18 janvier 2006, Dame M. R. veuve B. c/ Ministre d'État


Abstract

Compétence

Contentieux constitutionnel - Recours en annulation - Dispositions législatives

Droits et libertés constitutionnels

Loi n° 1.291 du 21 décembre 2004 modifiant la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 - Droit de propriété. Conciliation avec d'autres règles et principes de valeur constitutionnelle. Méconnaissance (non) - Ordre de priorité des bénéficiaires. Délai de renouvellement du bail. Détermination du loyer

. Obligation de déclaration de vacance. Obligation de déclaration des aliénations volonta...

Abstract

Compétence

Contentieux constitutionnel - Recours en annulation - Dispositions législatives

Droits et libertés constitutionnels

Loi n° 1.291 du 21 décembre 2004 modifiant la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 - Droit de propriété. Conciliation avec d'autres règles et principes de valeur constitutionnelle. Méconnaissance (non) - Ordre de priorité des bénéficiaires. Délai de renouvellement du bail. Détermination du loyer. Obligation de déclaration de vacance. Obligation de déclaration des aliénations volontaires. Compatibilité des dispositions législatives audits principes et règles. Méconnaissance (non) - Excessivité du délai de notification de l'exercice du droit de reprise. Méconnaissance (oui). Restriction à l'exercice du droit de reprise. Méconnaissance (oui). Absence de disposition législative relative à l'indemnisation des préjudices. Inconstitutionnalité (non) - Principe d'égalité. Différence de traitement justifiée par les différences de situation. Méconnaissance (non) - Principe de légalité des délits et des peines. Institution d'une indemnité qui n'a pas la nature d'une peine. Méconnaissance (non) - Principe de la personnalité des peines. Sanction encourue par le propriétaire en raison du comportement du locataire. Méconnaissance (oui) - Principe de la non-rétroactivité des lois pénales. Absence de caractère rétroactif des dispositions législatives. Méconnaissance (non) - Principe du respect de la vie privée et familiale. Dispositions législatives relatives aux modalités de candidature. Méconnaissance (non)

Procédure

Observations complémentaires présentées hors délai. Irrecevabilité (oui)

Motifs

Le tribunal supreme

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière constitutionnelle,

Vu 1°, sous le n° 2005-07, le requête présentée par Madame M. R. veuve B., enregistrée le 23 février 2005 et tendant à l'annulation de la loi n° 1291 du 21 décembre 2004 modifiant la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 ;

Ce faire,

Attendu que la loi attaquée est entachée d'inconstitutionnalité à plusieurs titres :

Le premier chef d'inconstitutionnalité est la méconnaissance du droit de propriété résultant de l'article 24 de la constitution. La loi attaquée ampute le droit de propriété de ses attributs naturels, notamment en ses articles 1er, 5, 6, 8, 9, 11, 12, 20 et 21 ; les articles 1er et 5 de la loi attaquée ont pour conséquence de transformer des logements privés en logements sociaux et le fait de rétablir un ordre de priorité entre les personnes protégées limite les prérogatives de la requérante dans le choix de son locataire d'autant plus que cet article élargit la qualité de personnes protégées à des personnes nées à Monaco dont l'un des auteurs résidait à Monaco au moment de leur naissance, en supprimant les vingt années de résidence préalable de l'un de ces auteurs en Principauté ; que l'article 6 de la loi attaquée en autorisant le renouvellement de plein droit du bail étendu à tous les locataires, prive le propriétaire de toute possibilité de récupérer son local et de donner congé à son locataire, en dehors du droit de reprise prévu par le Chapitre II bis de la loi mais qui reste purement théorique ; qu'au renouvellement du bail, l'augmentation du loyer est plafonnée à trois fois la variation de l'indice de base ; que l'article 8 de la loi a pour conséquence que désormais seul le locataire peut donner congé en cours de bail moyennant un préavis de trois mois ; que l'article 9 de la loi prévoit que le droit au renouvellement de plein droit est étendu aux locataires relogés après travaux ; que l'article 11 de la loi consacre un droit de reprise qui demeure théorique ; que l'article 16-2 fait passer le préavis de congé du propriétaire de 3 mois à 12 mois ; que l'article 16-4, en appliquant aux propriétaires étrangers l'ordre de priorité prévu pour les locataires, prive certains propriétaires de tout droit de reprise ; que l'article 16-5 interdit de faire jouer le droit de reprise d'un propriétaire plus d'une fois, l'empêchant ainsi de disposer d'un logement en rapport avec ses besoins ; que les articles 12 et suivants de la loi encadrent de façon très stricte le pouvoir du propriétaire en matière de fixation des loyers ; que l'article 20 de la loi, en imposant au propriétaire d'établir une déclaration de vacance l'oblige à déclarer tout logement vacant, et l'empêche ainsi de le laisser libre d'en disposer comme bon lui semble ; que l'article 21 de la loi met en place un système de pré-location complexe sur le plan des procédures administratives à satisfaire de la part du propriétaire-bailleur ; que l'article 22 de la loi consacre un droit de préemption au profit de l'État dénué de toute motivation d'intérêt général ; qu'il découle de ce qui précède que le système législatif mis en place pour répondre aux besoins en matière de logement des Monégasques et des résidents de la Principauté impose à la requérante des charges et contraintes manifestement excessives qui dénaturent le droit de propriété et ont un effet équivalent à la privation de ce droit.

Le second chef d'inconstitutionnalité est la double méconnaissance du principe d'égalité, tel qu'il résulte des articles 17 et 32 de la Constitution, d'une part, entre les différents propriétaires et, d'autre part, entre les ressortissants non monégasques, seuls certains d'entre eux pouvant bénéficier du régime du secteur réglementé établi par la loi, et seuls certains d'entre eux étant au surplus soumis à la condition de ne pas dépasser un certain seuil de ressources ; que l'article 4 méconnaît le principe d'égalité en subordonnant la reconnaissance aux étrangers de la qualité de personne protégée à une condition de ressources non requise pour les Monégasques ; que ce mécanisme va, au surplus, à l'encontre de l'objectif poursuivi par le législateur qui doit permettre aux Monégasques et « aux enfants du pays » de se loger en Principauté dans des conditions satisfaisantes ; que la loi attaquée, en gardant la date du 1er septembre 1947, maintient un état de discrimination entre propriétaires ; qu'enfin, si les articles 25, 26 et 27 de la Constitution réservent expressément certains droits aux Monégasques, il ressort d'une interprétation exégétique de la Constitution que les Monégasques et les étrangers bénéficient des mêmes droits et prérogatives dans le domaine du logement.

titre subsidiaire, la présente loi méconnaît les principes et dispositions du protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée par Monaco en octobre 2004.

Vu la contre-requête présentée par le Ministre d'État, ladite contre-requête enregistrée comme ci-dessus le 22 avril 2005 et tendant au rejet de la requête par les motifs que :

La requérante ne peut pas fonder son argumentation sur la prétendue violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et plus particulièrement des dispositions de l'article 1er du Protocole n° 1 à cette convention, relatif au droit de propriété, puisque même s'il était ratifié - ce qui n'est pas le cas - ce protocole ne figurait pas au nombre des normes au regard desquelles le Tribunal suprême peut être saisi d'un recours en application de l'article 90-A-2° de la Constitution.

S'agissant de la prétendue violation du droit de propriété, il est de l'essence même d'une réglementation à vocation sociale concernant les baux d'habitation de réduire les prérogatives du propriétaire sur ce point et à cet égard, même si elle élargit la qualité de « personnes protégées » et rétablit un ordre de priorité entre celles-ci, la loi critiquée laisse au propriétaire une possibilité de choix, qui interdit de considérer, comme le fait la requête, que les logements privés seraient transformés en logements sociaux. Quant au droit de reprise défini à l'article 11 de la loi attaquée, insérant dans le chapitre II de la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 de nouveaux articles 16-1 à 16-7, il n'est pas, contrairement à ce qui est soutenu, abusivement limité ; qu'en particulier, l'article 16-1 nouveau prévoit le droit de reprise au bénéfice du propriétaire lui-même, mais aussi de « ses ascendants ou descendants ou de leur conjoint, de ses frères ou sœurs ou leurs descendants » et « des ascendants ou descendants de son conjoint » et si l'article 16-5 nouveau interdit au propriétaire d'exercer son droit de reprise plus d'une fois « au profit du même bénéficiaire », il s'agit là d'une restriction dont la portée pratique est limitée notamment en ce qui concerne les propriétaires qui ont plusieurs enfants ; qu'enfin, s'agissant du droit de préemption réaménagé par l'article 22 de la loi attaquée, il ne peut être exercé par l'État qu'aux conditions notamment de prix, fixé dans la déclaration d'intention d'aliéner et n'est reconnu au locataire qu'à titre subsidiaire, pour un laps de temps limité, à l'expiration duquel la préemption est réputée caduque (cf. article 38, alinéa 8 de la loi n° 1235 modifiée par l'article 22 de la loi n° 1291) ; qu'en tout état de cause, ces restrictions, comme celles simplement énumérées par la requête ne traduisent nullement une « dénaturation » inconstitutionnelle du droit de propriété mais sont toutes justifiées par des considérations d'ordre social, appréciées au regard tant de l'étroitesse du marché immobilier, lui-même lié à l'exiguïté du territoire monégasque, que la situation sociale des personnes originaires de la Principauté à la recherche d'un logement.

S'agissant de la prétendue violation du principe d'égalité, il ne peut en premier lieu être déduit de l'article 17 de la Constitution ni de son article 25, qu'aucun traitement différent ne puisse être mis en œuvre dans d'autres domaines que ceux que ce dernier vise explicitement et dont la détermination, en vertu de l'article 25, qu'aucun traitement différent ne puisse être mis en œuvre dans d'autres domaines que ceux que ce dernier vise explicitement et dont la détermination, en vertu de l'article 32 appartient au législateur ; que les discriminations entre propriétaires du secteur protégé et du secteur protégé et du secteur libre trouvent en tout état de cause leur justification dans des considérations d'intérêt général supérieures à l'égalité, que le législateur a expressément entendu faire prévaloir ; qu'il en va de même de la différence de traitement entre locataires étrangers soumis à condition de ressources et locataires monégasques qui n'y sont pas assujettis, cette différence n'ayant ni pour objet ni pour effet de conduire au départ des « enfants du pays » ; qu'au surplus, ces discriminations prennent en compte les contraintes liées à l'exiguïté du territoire monégasque, et par suite, la volonté de privilégier dans l'habitat ancien l'occupation des logements par les Monégasques.

Vu, enregistrée comme ci-dessus le 25 mai 2005 la réplique de Madame M. R. veuve B. tenant aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens et en outre par les motifs que le droit de propriété est aussi bien reconnu en droit interne que par la Convention ce qui implique que la requérante peut logiquement se prévaloir de la méconnaissance des droits fondamentaux garantis par le Protocole n° 1 en raison d'une complémentarité et d'une corrélation évidente entre les deux textes, nonobstant l'article Premier de la Constitution qui assure un rang de norme constitutionnelle au droit international et aux accords internationaux, du moins le place au-dessus de la loi.

Sur le droit de propriété, les mesures d'ingérence doivent répondre à un besoin d'utilité publique dont le corollaire est de ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la Communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu monégasque ; or, la loi attaquée rompt cet équilibre en amputant de ses attributs naturels le droit de propriété ; que l'atteinte à la substance même de ce droit par la loi se trouve cristallisée dans le mécanisme réglementant le droit de reprise qui demeure purement théorique, d'autant plus si le propriétaire concerné est étranger, le nouvel article 6 de la loi fait qu'il n'a plus la moindre chance de récupérer son local, cet exemple significatif suffisant à démontrer l'atteinte apportée au droit de propriété.

Vu, enregistrée comme ci-dessus le 24 juin 2005, la duplique présentée par le Ministre d'État tendant aux mêmes fins que la contre-requête, par les mêmes moyens et en outre par les motifs qu'il a toujours été admis que des restrictions puissent être apportées au droit de propriété dès lors qu'elles sont justifiées, d'une part, et d'autre part, qu'elles ne sont pas excessives ; que si la loi critiquée apporte au droit de propriété des restrictions sans doute plus importantes que celles résultant de la législation antérieure, la substance du droit de propriété demeure intacte, puisqu'il n'est affecté que dans certains aspects de son exercice seulement ; que l'article 4 de la loi attaquée est bien en rapport avec celle-ci dès lors qu'elle a bien pour objet d'assurer - pour satisfaire à des considérations supérieures d'ordre social - le logement des Monégasques et enfants du pays les moins favorisés sur le territoire de la Principauté ; que les différences de traitement existant entre propriétaires du secteur libre et du secteur protégé et entre enfants du pays propriétaires et enfants du pays locataires, sont également, par nature, justifiées par des différences de situation en rapport avec l'objet de la loi.

Vu 2°, sous le n° 2005-8, la requête de Madame P. V. et Monsieur C. V., enregistrée au greffe général le 23 février 2005 et tendant à l'annulation de la loi n° 1291 du 21 décembre 2004 modifiant la loi n° 1235 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 ;

Ce faire,

Attendu que la loi attaquée est entachée d'inconstitutionnalité à plusieurs titres.

Le premier chef d'inconstitutionnalité est la méconnaissance par la loi du principe d'inviolabilité du droit de propriété garanti par l'article 24 de la Constitution et dont les limitations doivent être justifiées par l'intérêt général, strictement nécessaires au regard de l'objectif poursuivi et assorties d'une juste indemnité. Or, la loi apporte de telles restrictions à ce droit, qu'elle le vide en réalité de sa substance en l'éradiquant en chacun des trois éléments substantiels, l'usus, le fructus, l'abusus.

L'usus : que l'article 6 édicte le principe du maintien perpétuel dans les lieux tandis que l'article 7 interdit désormais au propriétaire de ne pas renouveler la location au-delà du terme stipulé par le bail ; qu'enfin, l'article 9 de la loi prévoit que le droit au renouvellement de plein droit des baux à loyers limités est appelé à s'appliquer au secteur des immeubles neufs ; que s'agissant du nouveau droit de reprise régi par les nouveaux articles 16-1 et 16-7, introduits par l'article 11 de la loi, il strictement limité au seul besoin de logement, le propriétaire ne pouvant plus l'exercer pour permettre à ses proches d'y exercer une profession ; que l'extension du champ d'application de la loi, au regard notamment de l'article 16-6, est illicite dès lors qu'elle ne peut régir, exclusivement, que les locaux construits avant le 1er septembre 1947, loués avant le 25 juin 1970 et classés dans les catégories 2C, 2D, 3 et 4.

Le fructus : les dispositions de l'article 12 de la loi n° 1291 limitant les augmentations annuelles et plafonnant les loyers des nouvelles locations ainsi que ceux des locations renouvelées ont pour effet de créer une quasi-stagnation de ceux-ci ; que, les nouvelles dispositions prévues aux articles 19 et 20 de la loi attaquée formulant le mode de calcul de la variation de l'indice méconnaissent l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ; que cet indice de référence et son mode de calcul altèrent gravement l'un des éléments substantiels du droit de propriété ; qu'en vertu de l'article 23 de la loi déférée, la Commission arbitrale des loyers n'est plus souveraine en son appréciation du litige, cet article méconnaissant d'ailleurs l'article 88 de la Constitution ; qu'en tout état de cause, l'obligation faite par l'article 35 tel que modifié par l'article 20 de la loi déférée, de mettre aux normes en vigueur les appartements vacants, avant leur remise en location, également obligatoire et le montant fixé des loyers font que ceux-ci ne constituent plus en réalité un revenu pour le propriétaire.

L'abusus : il résulte en particulier de l'article 22 de la nouvelle loi que le droit de préemption devient un acte administratif totalement discrétionnaire, dénué de tout encadrement législatif, et pouvant s'exercer sur des biens non occupés par des personnes protégées ; que pour étendre cette servitude à des biens exclus tant par l'intitulé que pour le champ d'application de la loi n° 1235, l'article 22 remplace l'article 38 de la loi n° 1235 par un article nouveau qui méconnaît tant ledit intitulé que les limites dudit champ d'application ; qu'en fin, la loi n° 1291 est en parfaite contradiction avec son exposé des motifs.

Le second chef d'inconstitutionnalité invoqué par les requérants est la méconnaissance par la loi du principe d'égalité garanti par les articles 17 et 32 de la Constitution en ce qu'elle admet d'une part que des personnes, même monégasques puissent être sans aucun plafond de ressources, admises au rang des catégories des personnes protégées pour l'accession à un logement dont les conditions de location ont été rendues extrêmement sociales et que, d'autre part, les articles 16-3 et 16-4 nouveaux de la loi n° 1235 interdisent à un propriétaire d'exercer le droit de reprise à l'égard d'un locataire monégasque ou étranger s'il n'est pas lui-même monégasque ou s'il ne bénéficie pas « d'un rang de protection au moins égal » ; que les dispositions de la loi déférée introduisent des discriminations injustifiées à l'égard des propriétaires concernés, lesquels sont eux-mêmes répartis en diverses catégories soumises à un taux plus au moins fort d'inégalité devant les charges publiques.

Le troisième chef d'inconstitutionnalité invoqué par les requérants est la méconnaissance du droit au respect à la vie privée et familiale garanti par l'article 22 de la Constitution ; que l'article 22 de la loi déférée fait en effet obligation au Ministre d'État d'aviser le Conseil national de toutes les déclarations d'intention d'aliéner qui lui sont notifiées par les propriétaires ou les notaires ; que l'article 20 fait aussi obligation au propriétaire de publier à ses frais, après qu'elle ait été approuvée par l'Administration, l'offre de location au Journal de Monaco ; que toutes ces dispositions portent atteinte au droit constitutionnel au respect de la vie privée.

Le quatrième chef d'inconstitutionnalité invoqué par la requête est la méconnaissance du principe de non-rétroactivité des lois pénales garanti par l'article 20, alinéa 3 de la Constitution ; qu'en effet les articles 20 et 21 de la loi s'appliquent aux propriétaires qui possèdent un local qui n'était pas loué antérieurement à l'entrée en vigueur de cette dernière loi, de sorte que les sanctions pénales prévues pour défaut de déclaration de vacance sont susceptibles d'une application rétroactive.

Vu, enregistrée comme ci-dessus le 22 avril 2005 la contre-requête présentée par le Ministre d'État et tendant au rejet de la requête pour les motifs que, s'agissant de l' « usus », l'article 9 de la loi contestée, traduit clairement l'objectif poursuivi par le législateur de pérenniser la vocation d'habitation locative du secteur protégé aux fins d'y loger une population légalement définie ; qu'il en va de même de la prétendue limitation qu'instituerait l'article 11 de la loi attaquée insérant dans le chapitre II de la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 de nouveaux articles (16-1 à 16-7) ; que l'interdiction faite au propriétaire possédant plusieurs immeubles en Principauté, d'exercer plus d'une fois son droit de reprise au profit d'un même bénéficiaire (article 16-5 nouveau) est proportionnée à l'objectif poursuivi par le législateur dès lors qu'un propriétaire peut exercer son droit de reprise au profit de chacun de ses enfants ; que l'extension par la loi critiquée de son champ d'application au secteur libre des constructions édifiées ou achevées avant le 1er septembre 1947 et au secteur libéralisé par la loi n° 887 du 25 juin 1970, n'a d'autre objectif que de dissuader les propriétaires qui en auraient eu l'intention d'exercer abusivement le droit de reprise que leur reconnaît la législation ; qu'enfin, aucune atteinte au patrimoine familial ne peut davantage être dénoncée, dès lors que le droit de préemption qu'institue l'article 22 de la loi attaquée au profit de l'État ne peut être exercé qu'aux conditions, notamment de prix, fixées dans la déclaration d'intention d'aliéner. S'agissant du « fructus », la référence à d'autres indices, et en particulier l'indice du coût de la vie, n'est pas contestable lorsqu'il s'agit de déterminer l'évolution des loyers de logements sociaux ; qu'en ce qui concerne le coût des travaux, le législateur n'est pas tenu de prévoir une compensation financière en contrepartie de l'ensemble des contraintes à caractère social d'intérêt général. S'agissant de l' « abusus », aucun préjudice n'est occasionné au vendeur par l'éventualité de l'exercice du droit de préemption. Quant à l'absence de cohérence l'intitulé de la loi attaquée et son contenu, elle est évidemment inopérante en regard du bloc de constitutionnalité auquel peut seul être confronté un texte législatif.

Sur la prétendue atteinte au principe d'égalité par l'institution de discriminations entre propriétaires du secteur protégé et du secteur libre sur la base du critère qualifié d'arbitraire de la date de construction de l'immeuble (1er septembre 1947), il est assuré qu'il existe bien, notamment pour la vétusté, une différence de situation entre les immeubles, selon qu'ils ont été édifiés avant ou après cette date. Quant aux différences de traitement entre les propriétaires du secteur protégé, elles résultent de ce que les appartements en cause sont régis par des textes législatifs différents, établissant des régimes juridiques distincts. C'est pourquoi l'ensemble de ces discriminations relève de considérations d'intérêt général supérieures, justifiant d'éventuelles dérogations au principe d'égalité.

Sur la prétendue atteinte au respect de la vie privée et familiale, il ne saurait être fait reproche au législateur d'avoir formalisé la relation entre deux institutions constitutionnelles intéressées à l'application de la loi querellée relative au droit de préemption alors que le risque de divulgation des « données nominatives et patrimoniales » n'est pas établi ; que le circonstances que l'offre de location doive être publiée au Journal de Monaco (article 20) a seulement pour but de permettre aux personnes intéressées d'adresser leurs candidatures.

Sur la prétendue violation du principe de non-rétroactivité des lois, rien dans l'article 35 - et qui doit être interprété au regard de l'article 24 - n'implique que la loi doive s'appliquer à des situations de vacance ouvertes avant son entrée en vigueur.

Vu, enregistrée, comme ci-dessus le 25 mai 2005 la réplique présentée par Madame et Monsieur V. tendant aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens et en outre par les motifs que la loi du 21 décembre 2004, déférée au Tribunal suprême, ne résulte pas de « l'accord des volontés du Prince et du Conseil national » comme l'exige l'article 66 de la Constitution ; qu'au surplus, les agissements de certains membres du Conseil national, en violation de leurs obligations, démontrent que le texte voté répond en réalité à l'assouvissement d'un intérêt purement catégoriel et privé.

Sur la méconnaissance du principe constitutionnel d'inviolabilité de la propriété, en adhérant le 5 octobre 2004 au Conseil de l'Europe et en signant à la même date la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, la Principauté a manifesté de manière univoque et solennelle sa volonté de toujours respecter les libertés et ces droits fondamentaux. Il s'en suit que la loi n° 1291 du 21 décembre 2004 s'avère en totale contradiction, non seulement avec les dispositions constitutionnelles en vigueur, mais aussi avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme.

S'agissant de la privation de l'usus, l'obligation de louer ainsi que le renouvellement automatique des baux résulte expressément et non indirectement de l'article 35 de la loi n° 1235, remplacé par l'article 20 de la loi n° 1291 ; que cette obligation de louer et ce droit au maintien perpétuel dans les lieux étendus aux immeubles reconstruits sur la site de constructions édifiées antérieurement à 1947 (article 9 de la loi n° 1291) est totalement disproportionné par rapport au but poursuivi par le législateur ; qu'au surplus, le caractère extrêmement restrictif du droit de reprise porte une atteinte excessive au droit de propriété ; qu'en particulier, l'exclusion du droit de reprise du conjoint du propriétaire qui aurait besoin du local pour exercer une profession libérale s'assimile à une dénaturation de même nature de ce droit ; que la sanction civile qu'inflige l'article 11 de la loi déférée (article 16-6 nouveau) au propriétaire, consistant, lorsqu'il exerce son droit de reprise, à réquisitionner au profit du même locataire l'ancien appartement du bénéficiaire de la reprise, s'apparente à une réquisition permanente disproportionnée par rapport au but poursuivi par le législateur ; que la loi porte effectivement atteinte au patrimoine familial en ce qu'elle affecte, ou bien interdit, les sociétés civiles formées entre membres d'une même famille ; qu'incidemment, la loi instaure une responsabilité pénale du fait d'autrui, dès lors qu'un propriétaire exercerait le droit de reprise en faveur d'un proche qui serait dans l'impossibilité de démontrer qu'il n'occupe pas « effectivement » l'appartement ; c'est bien dans ce cas le propriétaire, qui sera poursuivi et non pas le bénéficiaire de la reprise.

S'agissant de la privation du fructus, la loi a non seulement supprimé le rattrapage de 13 % mais imposé un indice de revalorisation annuelle des loyers en inadéquation totale, tant avec le coût d'entretien des immeubles qu'avec le coût de la vie en Principauté ; que le fait de fixer tant les loyers que leur revalorisation annuelle au niveau le plus bas pouvant exister constitue un moyen disproportionné par rapport à l'objectif poursuivi par le législateur.

S'agissant de la privation de l'abusus, l'atteinte aux biens se caractérise par la privation du droit de choisir son acquéreur et en lui imposant de longs délais pour, éventuellement de surcroît, parfaire la vente ; que la loi lui occasionne un préjudice financier certain et grave, et en tout état de cause disproportionné par rapport au but poursuivi ; que la loi excluant désormais expressément de son champ d'application dans son intitulé et dans son article premier les immeubles construits après 1947 et certains immeubles construits avant 1947 comprend désormais de façon incohérente des dispositions qui affectent les immeubles construits après 1947 et tous les immeubles construits avant 1947, établissant ainsi des restrictions excessives au droit de propriété.

Sur la violation du principe d'égalité, la loi aboutit bien à une discrimination à l'égard des propriétaires concernés, ce notamment au regard du très faible nombre d'immeubles offerts à la location ; que l'application de règles différentes sur la base notamment d'un critère de nationalité constitue une rupture d'égalité devant la loi.

Sur la violation du droit au respect de la vie privée et familiale et au secret de la correspondance, les élus du Conseil national contrairement aux fonctionnaires de l'État et de la Commune ne sont soumis à aucune obligation de réserve et sont protégés par leur immunité pénale et civile ; qu'ils ont effectivement connaissance d'informations concernant la vie privée et familiale ; qu'au surplus, la raison d'être de l'article 22 de la loi est de permettre à l'Assemblée législative de s'immiscer de manière décisionnelle dans l'administration du Pays, ce en violation du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs.

Sur la violation du principe de non-rétroactivité des lois pénales, la loi n° 1291 s'applique bien à des faits juridiques survenus avant son entrée en vigueur.

Vu, enregistrée comme ci-dessus le 22 juin 2005, la duplique présentée par le Ministre d'État tendant aux mêmes fins que la contre-requête, par les mêmes moyens et en outre par les motifs que les moyens susceptibles d'être invoqués à l'appui d'un recours dirigé contre une loi en application de l'article 90 A 2° de la Constitution sont exclusivement ceux pris d'une atteinte portée aux libertés et droits fondamentaux consacrés par le Titre III de la Constitution et ne sauraient en conséquence mettre en cause la régularité de la procédure législative ; qu'au surplus, ils sont dépourvus de tout fondement ; que s'agissant de la violation du droit de propriété, sa protection par l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ne saurait être invoquée dès lors qu'au titre de l'article 90 A 2° de la Constitution, le Tribunal suprême est exclusivement juge de la conformité du texte législatif avec le Titre III de la Constitution et non juge de la conventionnalité des lois ; qu'en tout état de cause, on voit mal en quoi le prétendu décalage entre la loi attaquée et les engagements internationaux de la Principauté établirait, ainsi qu'il est soutenu, une violation de l'article 66 de la Constitution qui fait de la loi le résultat de l'accord des volontés du Prince et du Conseil national.

Sur les limitations apportées par la loi au droit de propriété, elles n'entraînent pas une dénaturation du droit de propriété mais seulement une atteinte proportionnée à ce droit au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi clairement par le législateur, conformément aux exigences posées par la jurisprudence du Tribunal suprême en la matière.

Sur la prétendue violation du principe d'égalité, le nombre limité d'appartements mis en location depuis l'entrée en vigueur de la loi ne saurait permettre d'établir le caractère discriminatoire des dispositions de celle-ci ; que la différence de traitement entre propriétaires d'appartements construits avant et après le 1er septembre 1947 est au regard du critère de vétusté une différence objective de situation ; que l'objectif d'assurer le logement des Monégasques et des enfants du pays sur le territoire de la Principauté ne pouvait, sauf à encourir le grief d'atteinte excessive au droit de propriété se traduire par un dispositif d'application générale et ne pouvait donc, contrairement à ce qui est soutenu, s'appliquer à tous les propriétaires ; que l'absence de condition de ressources imposée aux locataires de nationalité monégasque comme la prétendue rupture d'égalité entre l'État-bailleur et les loueurs privés découlent de finalités et de procédures distinctes, justifiant un traitement différent ; que si elles doivent demeurer exceptionnelles, les discriminations ainsi justifiées par des « considérations supérieures » sont admises et il n'est pas contesté que le Conseil national a expressément entendu faire valoir de telles considérations qui justifient en tout état de cause les discriminations critiquées.

Sur la prétendue atteinte au respect de la vie privée et familiale, sa méconnaissance n'est pas établie.

Sur la prétendue violation du principe de non-rétroactivité des lois pénales, l'article 24 de la loi déférée ne peut être interprété comme créant « une exception à la rétroactivité de la loi » ; que la pratique prétendument rétroactive qui serait suivie depuis son entrée en vigueur n'est pas de nature à établir le caractère rétroactif du texte lui-même.

Vu 3°, sous le n° 2005-09, la requête présentée par l'Association des propriétaires de Monaco, Madame M. F.-B. et Monsieur A. F., enregistrée au greffe général de la Principauté de Monaco le 23 février 2005 et tendant à l'annulation de la loi n° 1291 du 21 décembre 2004 modifiant la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 ;

Ce faire,

Attendu que la loi attaquée est entachée d'inconstitutionnalité à plusieurs titres.

En premier lieu, elle méconnaît le principe d'inviolabilité de la propriété posé par l'article 24 de la Constitution. Si ce texte n'interdit pas d'apporter des limitations à l'exercice du droit de propriété, le Tribunal suprême doit vérifier que ces limitations sont justifiées par des fins d'intérêt général, qu'elles n'excèdent pas ce qui est nécessaire au but poursuivi et qu'elles comportent des compensations suffisantes. Or les articles 1er, 2, 5 et 20 de la loi obligent les propriétaires de locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 à les louer à des personnes protégées, en respectant l'ordre de priorité établi entre les différentes catégories de personnes. L'article 11 de la loi attaquée introduit dans la loi n° 1235 des articles 16-3 à 16-7 qui restreignent ou même suppriment le droit de reprise du propriétaire. L'article 12 de la loi attaquée permet au locataire de contester devant la commission arbitrale le loyer fixé par le bail qu'il a conclu et méconnaît tant le droit de propriété que la liberté contractuelle. L'article 20 de la même loi oblige le propriétaire d'un local devant vacant à le louer à nouveau sous réserve du droit de reprise. L'article 22 donne au Ministre d'État un droit de préemption, qui n'est plus subordonnée à un motif d'ordre urbanistique ou social. Toutes ces dispositions portent au droit de propriété des atteintes contraires à l'article 24 de la Constitution.

En deuxième lieu, l'article 4 de la loi méconnaît le principe d'égalité entre Monégasques et entre les étrangers et les Monégasques posé par les articles 17 et 32 de la Constitution, en ce que, d'une part, il subordonne la reconnaissance aux étrangers de la qualité de personne protégée à une condition de ressources qui n'est pas exigée des Monégasques, contrairement à la vocation sociale de la loi et que, d'autre part, les articles 16-3 et 16-4 créent une différence de traitement au regard du droit de reprise entre les propriétaires étrangers en fonction de la catégorie de personnes protégées à laquelle appartient leur locataire.

En troisième lieu, l'article 16-7 nouveau viole les principes du droit pénal garantis par l'article 20 de la Constitution. Il méconnaît le principe de présomption d'innocence et le caractère personnel de la responsabilité pénale en permettant de sanctionner le propriétaire dans le cas où le bénéficiaire du droit de reprise n'occupe pas les locaux dans les trois mois ou les quitte dans les trois ans. Il est également contraire au principe de la légalité des délits et des peines en ce qu'il fixe le minimum, mais pas le maximum, de l'indemnité à laquelle le propriétaire peut être condamné en pareil cas et en ce qu'il ne précise pas les conditions dans lesquelles le locataire doit demander sa réintégration dans le local pour que l'indemnité puisse être réduite.

En quatrième lieu, l'article 20 de la loi attaquée, viole l'article 22 de la Constitution, aux termes duquel « Toute personne a droit au respect de sa vie privée », en astreignant le propriétaire d'un local devenu vacant à publier au Journal de Monaco une offre de location mentionnant son nom, les caractéristiques du local et le montant du loyer et des charges.

Vu la contre-requête présentée par le Ministre d'État, ladite contre-requête, enregistrée comme ci-dessus le 22 avril 2005 et tendant au rejet de la requête par les motifs suivants :

En premier lieu, les articles 1, 2, 5 et 20, qui obligent à louer à des personnes protégées, selon un ordre de priorité n'apportent au libre choix du locataire par le propriétaire qu'une limitation réduite sans laquelle la législation sur le secteur protégé serait privée d'efficacité. Les restrictions apportées au droit de reprise par les articles 16-3 et 16-4 nouveaux, sont justifiées par la volonté de privilégier les Monégasques et les « enfants du pays ». L'amende instituée par l'article 16-7 nouveau n'a d'autre objet que d'éviter un usage abusif du droit de reprise. Il en est de même de l'interdiction faite par l'article 16-5 nouveau au propriétaire de plusieurs locaux d'exercer plusieurs fois son droit de reprise en faveur du même bénéficiaire. L'article 12 de la loi, qui permet au propriétaire, comme au locataire, de saisir la commission arbitrale des loyers n'est pas une mesure disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Enfin le droit de préemption ne peut s'exercer que dans des conditions strictement définies et semblables à celles retenues par le Code de l'urbanisme français. Les limitations apportées au droit de propriété par l'ensemble de ces dispositions n'aboutissent donc pas à une dénaturation de ce droit qui pourrait revêtir un caractère inconstitutionnel. Elles n'excèdent pas celles qui sont admises par la jurisprudence du Tribunal suprême, notamment par ses décisions des 20 juin 1989 et 1er février 1994 rendues sur requêtes de l'Association des propriétaires de Monaco.

En deuxième lieu, le principe d'égalité ne s'applique qu'aux personnes se trouvant dans une situation identique et il ne fait pas obstacle à des discriminations fondées sur un motif d'intérêt général. La différence de traitement entre les locataires monégasques et non monégasques, en ce qui concerne la condition de ressources, est justifiée par la volonté du législateur de faciliter le logement des Monégasques sur le sol national. Elle repose donc à la fois sur une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi et sur des considérations d'intérêt général. Il en est de même de la différence de traitement concernant le droit de reprise entre propriétaires non monégasques selon que leur locataire est ou non monégasque.

En troisième lieu, l'obligation de mentionner le nom et l'adresse du propriétaire dans l'offre de location publiée au Journal de Monaco a pour seul objet de permettre aux personnes intéressées d'adresser leur candidature au propriétaire et elle ne porte aucune atteinte à la vie privée du propriétaire.

En quatrième lieu, à supposer qu'un principe de responsabilité pénale personnelle puisse être tiré de l'article 20 de la Constitution, ce principe n'est pas méconnu par l'article 16-7 nouveau de la loi n° 1235 qui ne permet de punir le propriétaire ayant exercé le droit de reprise que s'il n'occupe pas lui-même les locaux repris, ne les fait pas occuper par le bénéficiaire de la reprise et ne fait pas toute diligence pour que celui-ci y demeure pendant trois ans au moins. Quant au principe de légalité des délits et des peines, il oblige seulement le législateur à définir les infractions en termes suffisamment précis pour exclure l'arbitraire et ne lui interdit pas de se borner à fixer le minimum d'une peine et non son maximum afin de permettre au juge pénal d'exercer son pouvoir d'appréciation.

Vu, enregistrée comme ci-dessus le 25 mai 2005, la réplique présentée par l'Association des propriétaires de Monaco, Madame F.-B. et Monsieur F., tendant aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens et en outre par les motifs suivants :

Sur l'atteinte au droit de propriété. En affirmant que les atteintes apportées par la loi attaquée ne sont pas inconstitutionnelle, le Ministre d'État contredit la réponse qu'il avait faite au rapport sur le projet de loi, dans laquelle il s'interrogeait « pour savoir si, dans leur globalité, les dispositions du projet de loi telles qu'amendées et quelle que soit la validité sociale de leur objectif ne pourraient être considérées comme apportant des restrictions excessives à l'exercice du droit de propriété ». Ces restrictions ne peuvent être justifiées par leur caractère exceptionnel, les difficultés à se loger à Monaco durant depuis 1948. En sanctionnant la non-occupation du local ayant fait l'objet d'une reprise sans qu'il puisse être tenu compte de circonstances particulières autres que le cas fortuit ou la force majeure et en interdisant au propriétaire de plusieurs locaux d'exercer plusieurs fois le droit de reprise au profit d'un même bénéficiaire, l'article 16-7 ajouté à la loi n° 1235 apporte à l'exercice du droit de propriété des limitations qui ne sont pas nécessaires pour éviter un usage abusif du droit de reprise. Les loyers fixés par la commission arbitrale en application de l'article 12 de la loi n° 1291 ne permettront pas l'entretien des immeubles.

Sur l'atteinte à l'égalité. La différence de situation entre Monégasques et non Monégasques est sans rapport avec l'objet social de la loi et ne justifie pas que seuls ces derniers soient soumis à une condition de ressources pour bénéficier de la protection prévue par la loi.

Sur l'atteinte à la vie privée. Si l'obligation faite au propriétaire d'un local vacant de publier une offre de location au Journal de Monaco n'est pas critiquable, l'article 20 de la loi n° 1291 a porté atteinte au respect de la vie privée en exigeant que cette offre mentionne le nom du propriétaire, contrairement à la pratique généralement suivie pour les annonces paraissant dans les journaux ou les agences.

Sur l'atteinte aux principes du droit pénal. Le propriétaire n'a aucun moyen de contraindre le bénéficiaire du droit de reprise à occuper le local pour lequel ce droit a été exercé et ne peut donc être sanctionné si le bénéficiaire ne l'occupe pas.

Sur la violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si cette Convention n'est pas encore en vigueur à Monaco, la loi attaquée, qui la méconnaît, ne pourra y être appliquée après son entrée en vigueur ; le Tribunal suprême doit donc interpréter la Constitution à la lumière de la Convention.

Vu, enregistrée comme ci-dessus le 24 juin 2005, la duplique présentée par le Ministre d'État tendant aux mêmes fins que la contre-requête, par les mêmes moyens et en outre par les motifs suivants :

C'est la permanence des difficultés de logements qui justifie l'institution d'un ordre de priorité entre les candidats à la location et l'interdiction d'un usage inconditionné du droit de reprise. La liberté contractuelle, qui n'est pas garantie par le titre III de la Constitution, ne peut être utilement invoquée à l'encontre de l'article 12 de la loi attaquée. Si la loi ne précise plus que le droit de préemption ne peut être exercé que pour des motifs d'ordre urbanistique ou social, il ne pourra l'être que pour des motifs d'intérêt général, sous le contrôle du juge.

Vu 4°, sous le n° 2005-10, la requête présentée par la SCI E., la SCI de l'Ouest, la SCI S., la SAM Les Trois Mimosas, la SAM Parfi, la SCI Rayon d'Or, la SCI Des Villas C. et R., ladite requête enregistrée au greffe général de la Principauté de Monaco le 24 février 2005 et tendant à l'annulation de la loi n° 1291 du 21 décembre 2004 modifiant 2004 modifiant la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 ;

Ce faire,

Attendu que la loi attaquée porte atteinte au droit de propriété et au principe d'égalité et viole la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur l'atteinte au droit de propriété. D'après la jurisprudence du Tribunal suprême, la loi ne doit pas porter à l'exercice de ce droit une atteinte excédant celles qui peuvent lui être apportées au regard des exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de Monaco, ainsi que du principe accordant une priorité aux citoyens monégasques consacré notamment par l'article 32 de la Constitution. Or les dispositions nouvelles prévues par la loi attaquée en faveur de certaines catégories de locataires ne sont pas rendues nécessaires par la situation du marché locatif à Monaco. Les articles 1er et 2 relatifs aux catégories de personnes protégées et à leur ordre de priorité, les articles 6 et 9 relatifs au renouvellement des baux, l'article 8 sur la résiliation du bail, l'article 11 concernant le droit de reprise, les articles 12, 13 et 15 relatifs au plafonnement des loyers, les articles 20 et 21 concernant l'obligation de relouer les locaux vacants et l'article 22 sur le droit de préemption du Ministre d'État portent une atteinte excessive au droit de propriété, qui, d'après l'article 438 du Code civil, est « le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue ». Enfin la loi ne prévoit aucune compensation financière en contrepartie des atteintes apportées aux droits des propriétaires.

Sur la méconnaissance du principe d'égalité. La discrimination entre les locaux construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 et les autres locaux n'est pas justifiée par une différence de situation. il en est de même de la discrimination entre les étrangers, qui ne sont protégés que sous condition de ressources et les Monégasques, qui sont dispensés de cette condition. Sur ces deux points, la loi attaquée méconnaît dont le principe d'égalité.

Sur la méconnaissance de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. La loi attaquée est inconstitutionnelle en ce qu'elle méconnaît l'article 1er du Protocole n° 1 additionnel à la Convention, qui stipule que nul ne peut être privé de ses biens que pour cause d'utilité publique.

Vu, enregistré comme ci-dessus le 22 avril 2005, la contre-requête présentée par le Ministre d'État et tendant au rejet de la requête par les motifs suivants :

Sur l'atteinte au droit de propriété. Malgré un programme de construction de 800 logements sociaux en cours de réalisation, les Monégasques et les « enfant du pays » rencontrent pour se loger à Monaco des difficultés qui justifient les mesures prises en leur faveur par la loi attaquée. Le législateur n'est pas tenu de prévoir une compensation financière des contraintes à caractère social imposées aux propriétaires dans l'intérêt général. Enfin les restrictions apportées par la loi attaquée au droit de propriété sont proportionnées à l'objectif poursuivi par le législateur, ne dénaturent pas le droit de propriété et n'excèdent pas ce qui est admis par la jurisprudence du Tribunal suprême.

Sur l'atteinte au principe d'égalité. De telles atteintes peuvent être justifiées non seulement par les différences de situation, comme l'a jugé le Tribunal suprême, mais aussi, selon la jurisprudence française transposable à Monaco, par des considérations d'intérêts général. les discriminations critiquées par la requête sont justifiées à ce double titre.

Vu, enregistrée comme ci-dessus le 23 mai 2005, la réplique présentée par les sociétés E., De l'Ouest, S., Les Trois Mimosas, P., Rayon d'Or et Villas C. et R. et tendant aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens et en outre par les motifs suivants :

Sur l'atteinte au droit de propriété. Le Ministre d'État reconnaît que les restrictions apportées par la loi attaquée au droit de propriété sont plus importantes que celles qui résultaient de la législation immédiatement antérieure. Elle remet en cause le droit de reprise, le droit du propriétaire à obtenir un loyer correspondant à la valeur locative et la liberté de vendre et porte des atteintes excessives au droit de propriété.

Sur la méconnaissance du principe d'égalité. La volonté proclamée par le rapporteur devant le Conseil national « d'inscrire la priorité nationale dans le texte et d'établir pour cela un ordre entre les prioritaires » est contraire au principe d'égalité non seulement entre les Monégasques mais aussi entre les Monégasques et les étrangers.

Sur la méconnaissance de la Convention européenne des droits de l'homme. Le moyen tiré de la violation de cette Convention est recevable dès lors que l'État de Monaco y a adhéré le 5 octobre 2004.

Vu, enregistrée comme ci-dessus le 24 juin 2005, la duplique présentée par le Ministre d'État, tendant aux mêmes fins que la contre-requête, par les mêmes moyens et en outre par le motif que le moyen tiré de la violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme est inopérant, dès lors qu'en vertu de l'article 90 A 2° de la Constitution le Tribunal suprême n'est juge que de la conformité d'une loi au titre III de la Constitution ;

Vu le procès-verbal de clôture de la procédure, en date du 14 juillet 2005 ;

Vu enregistrées comme ci-dessus le 27 octobre 2005 les observations complémentaires présentées par les sociétés E., De l'Ouest, S., Les Trois Mimosas, P., Rayon d'Or et Villas C. et R., tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et en outre par les motifs qu'il ressort de l'édition 2005 du recueil de statistiques « Monaco en chiffres » édité par le département des finances et de l'économie de la Principauté, que la loi du 21 décembre 2004 n'est pas justifiée par l'état du marché immobilier ;

Vu, enregistrées comme ci-dessus le 15 novembre 2005, les conclusions présentées par le Ministre d'État, tendant à ce que les observations complémentaires présentées par les sociétés E., De l'Ouest, S., Les Trois Mimosas, P., Rayon d'Or et Villas C. et R. soient déclarées irrecevables par les motifs qu'elles ont été présentées après l'expiration du délai prévu par le 2e alinéa de l'article 17 de l'ordonnance souveraine du 16 avril 1963 pour le dépôt de la réplique ; que, dès lors, en vertu de l'article 21 de ladite ordonnance, aucun moyen nouveau ne peut être présentée après l'expiration de ce délai ; que, si le 2e alinéa de l'article 22 de la même ordonnance prévoit que, sur requête de l'une des parties, le Président peut accorder un ultime délai pour répondre à un moyen nouveau ou en raison de la complexité du litige, les sociétés requérantes n'ont pas usé de cette faculté ; que l'article 19 de l'ordonnance, qui dispose que la requête et la réplique doivent énoncer les pièces et documents produits font obstacle çà ce que d'autres pièces ou documents soient ultérieurement versés au dossier ;

Vu la loi attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 A 2° ;

Vu l'Ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal suprême ;

Vu la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 ;

Vu les ordonnances en date du 24 octobre 2005 par lesquelles le Président du Tribunal suprême a renvoyé la cause à l'audience du 16 janvier 2006 ;

Ouï M. Dominique Chagnollaud, membre du Tribunal suprême, en son rapport sur les affaires n° 2005-07 et n° 2005-08 ;

Ouï M. Michel Bernard, membre du Tribunal suprême, en son rapport sur les affaires n° 2005-09 et n° 2005-10 ;

Ouï Maître Didier Linotte, avocat au Barreau de Grasse, pour Madame R. veuve B. ;

Ouï Maître Christine Pasquier-Ciulla, avocat-défenseur, pour Madame et Monsieur V. ;

Ouï Maître Jean-Marie Defrénois, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Maître Christophe Sosso, avocat-défenseur, pour l'Association des propriétaires de Monaco, Madame F.-B.et Monsieur F. ;

Ouï Maître Gilbert Rivoir, Bâtonnier, avocat au Barreau de Nice, Maître Denis Garreau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et Maître Christophe Sosso, avocat-défenseur, pour la SCI E., la SCI De l'Ouest, la SCI S., la SAM Les Trois Mimosas, la SAM P., la SCI Rayon d'Or, et la SCI Des Villas C. et R. ;

Ouï Maître Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le Ministre d'État ;

Ouï Madame le Procureur général en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré ;

Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre la même loi, qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;

Sur la recevabilité des observations complémentaires présentées par les sociétés E. et autres :

Considérant qu'en vertu de l'article 20 de l'Ordonnance souveraine du 16 avril 1963, dans les trois jours de la remise de la duplique au greffe général, le greffier en chef dresse procès-verbal de clôture de la procédure ; que, selon l'article 22 de la même ordonnance, sur requête de l'une des parties déposée au greffe général avant l'expiration de ce délai, le Président peut accorder un ultime délai pour répondre à un moyen nouveau ou en raison de la complexité du litige ; qu'il résulte de ces dispositions qu'en l'absence de requête de l'une des parties tendant à obtenir un ultime délai, aucun mémoire n'est recevable après l'expiration du délai de trois jours prévu à l'article 20 précité ;

Considérant que la duplique du Ministre d'État dans l'affaire 2005-10 a été déposée le 24 juin 2005 ; que les sociétés E. et autres n'ont pas présenté dans les trois jours suivants une requête aux fins d'obtenir un ultime délai ; que, dès lors, le Ministre d'État est fondé à soutenir que leurs observations complémentaires enregistrées le 27 octobre 2005 ne sont pas recevables ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 24 de la Constitution :

Considérant que cet article dispose : « La propriété est inviolable, Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versées dans les conditions prévues par la loi » ;

Considérant que le libre exercice du droit de propriété consacré par ce texte doit être concilié avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle applicables dans l'État monégasque ; qu'il en est ainsi des exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l'État ainsi que du principe accordant une priorité aux citoyens monégasques, consacré notamment par l'article 25 de la Constitution ;

En ce qui concerne les articles 1er, 2, 5, 6, 8, 9, 12, 13, 15, 19, 20, 21, 22 et 23 de la loi attaquée modifiant des dispositions de la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 susvisée :

Considérant que, selon les articles 1er, 2, 5 et 20 de la loi attaquée, certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 ne peuvent être loués, dans l'ordre de priorité indiqué par la loi, qu'à des personnes possédant la nationalité monégasque ou ayant avec la Principauté des liens particuliers tenant à leur naissance, à leur résidence ou à leurs attaches familiales, ou aux personnes qui, à la date de promulgation de la loi, étaient locataires ou occupants à titre principal d'un local d'habitation soumis à l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 ou à la loi n° 1118 du 18 juillet 1988, ainsi qu'à leurs conjoints ;

Considérant que, selon les articles 6 et 9 de la loi attaquée, à défaut de congé, le bail est renouvelé de plein droit à l'issue de chaque durée de six ans ou en cas de relogement d'un locataire évincé pour cause de travaux ; qu'en vertu de l'article 8, le propriétaire ne peut résilier le bail que pour faire jouer son droit de reprise, alors que le locataire peut le résilier en cours de bail ou à son échéance à la seule condition d'observer un préavis de trois mois ;

Considérant que, selon les articles 12, 13 et 19 de la loi attaquée, les loyers doivent être établis par référence aux loyers appliqués pour des locaux comparables et les augmentations de loyers sont limitées en fonction de la variation d'indices de prix calculés par l'Institut national de la statistique et des études économiques français ;

Considérant que, selon l'article 15 de la loi attaquée, lorsque la commission arbitrale est saisie en application du 3e alinéa de l'article 18 de la loi n° 1235, le montant du loyer fixé par la commission ne peut excéder un certain montant ;

Considérant que, selon les articles 20 et 21 de la loi attaquée, le propriétaire d'un local devenu vacant doit, sous peine d'amende, faire une déclaration de vacance et une offre de location et consentir la location à une personne protégée dans l'ordre de priorité fixé par la loi ;

Considérant que, selon l'article 22 de la loi attaquée, les propriétaires ou les notaires instrumentaires doivent déclarer à peine de nullité les aliénations volontaires à titre onéreux et les apports en société portant sur des locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947, afin de permettre au Ministre d'État ou, à défaut au locataire, de se porter acquéreur ; que, si la loi ne précise plus que l'exercice de ce droit de préemption par le Ministre d'État est subordonnée à des motifs d'ordre urbanistique ou social, il ne pourra s'exercer que pour des motifs d'intérêt général, sous le contrôle du juge ;

Considérant que, selon l'article 23 la loi attaquée, ses dispositions sont d'ordre public et les clauses ou stipulations des baux en cours qui leur seraient contraires sont nulles et de nul effet ;

Considérant qu'en estimant que les dispositions sus analysées étaient nécessaires pour permettre aux Monégasques et aux personnes ayant des liens particuliers avec la Principauté de se loger à Monaco, le législateur s'est livré à une appréciation des circonstances qui n'est pas entachée d'erreur manifeste ; que ces dispositions ne portent pas à l'exercice du droit de propriété une atteinte excédant celles qui peuvent lui être apportées au regard des règles et principes ci-dessus rappelés ;

En ce qui concerne les dispositions de l'article 11 de la loi attaquée introduisant un article 16-2 dans la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 :

Considérant qu'en portant de trois à douze mois le délai imposé au propriétaire pour notifier au locataire son intention d'exercer le droit de reprise, l'article 16-2 nouveau de la loi n° 1235 porte une atteinte excessive à l'exercice du droit de propriété ; que dans cette mesure, il doit être annulé ;

En ce qui concerne les dispositions de l'article 11 de la loi attaquée introduisant des articles 16-3 et 16-4 dans la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 :

Considérant que si, selon l'article 16-1 nouveau de la loi n° 1235, le propriétaire a le droit de reprendre le local pour l'occuper lui-même ou le faire occuper par un membre de sa famille, les articles 16-3 et 16-4 lui interdisent d'exercer ce droit, d'une part, à l'encontre d'un locataire monégasque, si le bénéficiaire de la reprise n'est pas lui-même Monégasque ou ascendant, frère ou sœur, d'autre part, à l'encontre d'un locataire étranger faisant partie des personnes protégées, si le bénéficiaire de la reprise n'a pas un rang de protection au moins égal ou n'est pas ascendant, frère ou sœur de Monégasque ;

Considérant qu'en privant ainsi certains propriétaires, pendant une durée indéterminée, de leur droit de reprise, les articles 16-3 et 16-4 portant à l'exercice du droit de propriété une atteinte excédant celles qui peuvent lui être apportées au regard des règles et principes sus rappelés et doivent être annulés ;

En ce qui concerne les dispositions de l'article 11 de la loi attaquée introduisant un article 16-5 dans la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 :

Considérant que l'article 16-5 nouveau dispose que, si le propriétaire qui exerce la reprise possède dans la Principauté plusieurs immeubles ou fractions d'immeubles et qu'il a déjà exercé le droit de reprise en vue d'assurer le logement à l'un de ses bénéficiaires, il ne peut exercer à nouveau ce droit au profit du même bénéficiaire ;

Considérant que, s'il appartient au législateur de prendre des mesures pour prévenir un usage abusif du droit de reprise, le fait pour le propriétaire de plusieurs locaux d'user plusieurs fois de ce droit au profit d'un même bénéficiaire, dont la situation a pu se modifier et qui libérera au profit d'une personne protégée le local pour lequel il avait bénéficié d'une précédente reprise, ne constitue pas un usage abusif du droit de reprise ; que, dès lors, l'article 16-5 apporte au droit du propriétaire de jouir de son bien une restriction qui ne trouve son fondement dans aucune règle ou aucun principe de valeur constitutionnelle et doit être annulé ;

En ce qui concerne les dispositions de l'article 11 de la loi attaquée introduisant un article 16-7 dans la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 :

Considérant que l'article 16-7 nouveau dispose que tout propriétaire ayant usé de son droit de reprise qui, dans un délai de trois mois à compter du départ du locataire congédié, n'a pas, soit occupé lui-même effectivement les locaux, soit fait occuper ceux-ci par le bénéficiaire du droit de reprise, est puni d'une amende et de la privation, pour une durée minimale de dix ans, de ses droits de reprise de tout logement donné à bail au titre de la loi n° 1235 ; que les mêmes sanctions s'appliquent lorsque les locaux ayant fait l'objet de la reprise ne demeurent pas occupés par le bénéficiaire pour le compte duquel le droit de reprise a été exercé pendant une durée de trois ans à compter du départ du locataire congédié ; que la responsabilité du bailleur et les sanctions qui en découlent ne peuvent être écartées que s'il justifie qu'un cas fortuit ou de force majeure l'a empêché de satisfaire aux prescriptions de cet article ;

Considérant qu'en excluant toute possibilité pour le propriétaire de démontrer, sous le contrôle du juge pénal, qu'il en a été empêché pour un motif légitime autre que le cas fortuit ou de force majeure, les dispositions ci-dessus analysées portent à l'exercice du droit de propriété une atteinte excédant celles qui peuvent lui être portées au regard des règles et principes ci-dessus rappelés et doivent, dans cette mesure, être annulées ;

En ce qui concerne l'absence dans la loi, de dispositions relatives à l'indemnisation des préjudices qu'elle peut causer aux propriétaires :

Considérant que, sauf en cas de dépossession du propriétaire, aucune règle ou aucun principe de valeur constitutionnelle n'oblige le législateur à fixer les modalités d'indemnisation des préjudices que la loi peut causer à certains propriétaires ; qu'en l'absence de disposition contraire de la loi, il appartient à ces propriétaires de demander réparation dans les conditions du droit commun de la responsabilité de la puissance publique ;

Considérant que les préjudices qui auraient été causés par les dispositions annulées par la présente décision peuvent faire l'objet d'un recours en indemnité devant le Tribunal suprême en vertu du 2° de l'article 90 A de l'ordonnance souveraine du 16 avril 1963 ;

Considérant qu'il est loisible aux propriétaires au cas où l'application des autres dispositions de la loi leur occasionnerait un préjudice anormal et spécial, d'en demander, s'ils s'y croient fondés, réparation sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques ;

Considérant que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la loi attaquée méconnaît la Constitution faute de dispositions relatives à l'indemnisation des préjudices qu'elle peut causer aux propriétaires ;

Sur les moyens tirés de la violation du principe d'égalité devant la loi consacrés par les articles 17 et 32 de la Constitution :

Considérant, d'une part, que le principe d'égalité devant la loi, inscrit dans l'article 17 de la Constitution, n'interdit pas au législateur de régler de façon différente des situations différentes pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que les propriétaires de locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 ne se trouvent pas dans la même situation que les propriétaires de locaux construits ou achevés après cette date ; qu'en limitant aux locaux construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 l'application des dispositions qu'elle édicte, la loi attaquée a établi une différence de traitement en rapport direct avec son objet et n'a, dès lors, pas méconnu le principe d'égalité garanti par l'article 17 précité ;

Considérant, d'autre part, que si, aux termes de l'article 32 de la Constitution, « L'étranger jouit dans la Principauté de tous les droits publics et privés qui ne sont pas formellement réservés aux nationaux », ce principe doit se concilier avec celui qui accorde une priorité aux citoyens monégasques, consacré notamment par l'article 25 de la Constitution ; que, dès lors, en attribuant, par ses articles 1er et 6, une priorité aux Monégasques pour la location de locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 et en subordonnant, par son article 4, la reconnaissance aux étrangers de la qualité de personne protégée à une condition de ressources qui n'est pas exigée des Monégasques, la loi attaquée n'a pas méconnu les dispositions de l'article 32 précité ;

Sur le moyen tiré de la violation du 1er alinéa de l'article 20 de la Constitution :

Considérant qu'aux termes du 1er alinéa de l'article 20 de la Constitution : « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi » ; qu'en conséquence, le législateur doit définir les peines en termes suffisamment précis pour exclure l'arbitraire, en fixant notamment le maximum ;

Considérant, d'une part, que l'article 16-7 ajouté à la loi n° 1235 par l'article 11 de la loi attaquée oblige le propriétaire ayant fait usage du droit de reprise à verser une indemnité au locataire évincé en réparation du préjudice subi par celui-ci lorsque le local précédemment occupé par lui n'a pas été occupé dans les trois mos suivant son départ ; que cette indemnité, dont le montant doit correspondre au préjudice subi, n'est pas une peine ; que dès lors le moyen tiré de la violation des dispositions constitutionnelles précitées, qui ne s'appliquent qu'aux peines prononcées par les tribunaux répressifs, est inopérant ;

Considérant, d'autre part, que l'article 16-7 permet au tribunal de réduire le montant de l'indemnité si le locataire demande et obtient sa réintégration dans le local dont il a été évincé ; qu'en s'abstenant de préciser les conditions dans lesquelles le locataire peut solliciter et obtenir sa réintégration, le législateur n'a pas méconnu le principe de la légalité des délits et des peines ;

Sur le moyen tiré de la violation du 2e alinéa de l'article 20 de la Constitution :

Considérant qu'aux termes du 2e alinéa de l'article 20 de la Constitution : « Les lois pénales doivent assurer le respect de la personnalité et de la dignité humaine » ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les dispositions de l'article 16-7 introduites par l'article 11 de la loi attaquée dans la loi n° 1235 punissent de peines d'amende et de la privation du droit de reprise pendant une durée minimale de dix ans le propriétaire qui, ayant usé de son droit de reprise, n'a pas, dans un délai de trois mois à compter du départ du locataire congédié, occupé lui-même les locaux ou fait occuper ceux-ci par le bénéficiaire du droit de reprise ; que ces mêmes sanctions s'appliquent lorsque les locaux ayant fait l'objet de la reprise ne demeurent pas occupés par le bénéficiaire pour le compte duquel le droit de reprise a été exercé pendant une durée de trois ans au moins à compter du départ du locataire congédié ;

Considérant qu'en prévoyant des sanctions pénales à l'encontre du propriétaire en raison du comportement du bénéficiaire du droit de reprise, les dispositions ci-dessus analysées ont méconnu le principe de la personnalité des peines qui découle du texte constitutionnel précité ; que dès lors, l'article 16-7 doit, dans cette mesure, être annulé ;

Sur le moyen tiré de la violation du 4e alinéa de l'article 20 de la Constitution :

Considérant qu'aux termes du 4e alinéa de l'article 20 de la Constitution : « Les lois pénales ne peuvent avoir d'effet rétroactif » ;

Considérant que le nouvel article 35, introduit par l'article 20 de la loi attaquée dans la loi n° 1235 dispose, dans son 1er alinéa, que : « Les locaux à usage d'habitation régis par la présente loi et qui deviennent vacants doivent faire l'objet d'une déclaration de vacance auprès de la direction de l'habitat dans le délai d'un mois, dans les conditions fixées par arrêté ministériel » ;

Considérant que cette disposition, rapprochée de l'article 37 de la loi n° 1235, modifiée par l'article 21 de la loi attaquée, doit être interprétée au regard de l'article 24 de cette dernière loi selon lequel : « La présente loi entre en vigueur à la date de sa promulgation » ;

Considérant que ces dispositions n'impliquant pas qu'elles doivent s'appliquer à des situations de vacances ouvertes avant son entrée en vigueur n'ont pas méconnu le principe de non-rétroactivité des lois pénales ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 22 de la Constitution :

Considérant qu'aux termes de l'article 22 de la Constitution : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et au secret des correspondances » ;

En ce qui concerne l'article 20 de la loi attaquée :

Considérant que, selon l'article 20 de la loi attaquée, les locaux régis par la loi n° 1235 qui deviennent vacants doivent faire l'objet d'une offre de location publiée au Journal de Monaco ; que les personnes intéressées par l'offre doivent faire connaître leur candidature au propriétaire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; que cet article exige que l'offre publiée au Journal de Monaco comporte les caractéristiques du local mis en location et le montant des loyers et de charges, mais n'oblige pas le propriétaire à y mentionner son nom et son adresse ; qu'il appartient à celui-ci, s'il désire conserver l'anonymat, de se faire représenter par un mandataire à qui les candidatures pourront être adressées dans les conditions prévues par la loi ; que, dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'article 20 de la loi attaquée méconnaît les dispositions précitées de la Constitution qui garantissent le droit au respect de la vie privée ;

En ce qui concerne l'article 22 de la loi attaquée :

Considérant que l'article 22 de la loi attaquée dispose que le Ministre d'État avise le Conseil national des déclarations d'aliénation volontaire ou d'apport en société qui doivent lui être adressées en vertu de cet article ; que cette disposition n'a ni pour objet ni pour effet de permettre qu'il soit porté atteinte au respect de la vie privée garanti par l'article 22 de la Constitution ; que dès lors, elle ne peut être interprétée comme autorisant à faire sous une forme autre qu'anonyme la communication qu'elle prévoit ;

Sur les autres moyens des requêtes :

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 90 A 2° de la Constitution le Tribunal suprême n'est compétent pour statuer sur les recours en annulations en matière constitutionnelle que s'ils ont pour objet une atteinte aux libertés et droits consacrés par le titre III de la Constitution ; que, dès lors, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir, pour demander l'annulation de la loi attaquée, de ce qu'elle méconnaîtrait les articles 66 et 68 de la Constitution, le Protocole n° 1 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la liberté contractuelle, qui n'est pas au nombre des libertés et droits consacrés par le titre III de la Constitution, et l'objectif d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ;

Dispositif

Décide :

Article 1er

Les articles 16-3, 16-4 et 16-5 introduits dans la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 par l'article 11 de la loi n° 1291 du 21 décembre 2004 sont annulés.

Article 2

L'article 16-2 introduit dans la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 par l'article 11 de la loi n° 1291 du 21 décembre 2004 est annulé en tant qu'il porte de trois à douze mois le délai imposé au propriétaire pour aviser le locataire de son intention d'exercer le droit de reprise.

Article 3

L'article 16-7 introduit dans la loi n° 1235 du 28 décembre 2000 par la loi n° 1291 du 21 décembre 2004 est annulé en tant, d'une part, qu'il exclut toute possibilité pour le propriétaire de justifier qu'il a été empêché de satisfaire aux prescriptions de cet article pour un motif légitime autre que le cas fortuit ou de force majeure, d'autre part, qu'il prévoit des sanctions pénales à l'encontre du propriétaire en raison du comportement du bénéficiaire du droit de reprise.

Article 4

Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 5

Les dépens sont partagés par moitié entre l'État d'une part et les requérants d'autre part.

Article 6

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27210
Date de la décision : 18/01/2006

Analyses

Baux


Parties
Demandeurs : Dame M. R. veuve B.
Défendeurs : Ministre d'État

Références :

articles 17 et 32 de la Constitution
articles 66 et 68 de la Constitution
article Premier de la Constitution
loi du 21 décembre 2004
loi n° 1118 du 18 juillet 1988
article 32 de la Constitution
loi n° 1.235 du 28 décembre 2000
Ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963
articles 25, 26 et 27 de la Constitution
article 90 A de l'ordonnance souveraine du 16 avril 1963
article 22 de la Constitution
loi n° 887 du 25 juin 1970
article 24 de la constitution
loi n° 1291 du 21 décembre 2004
article 90 A 2° de la Constitution
article 20 de l'Ordonnance souveraine du 16 avril 1963
article 17 de la Constitution
Loi n° 1.291 du 21 décembre 2004
article 66 de la Constitution
article 17 de l'ordonnance souveraine du 16 avril 1963
loi n° 1235 du 28 décembre 2000
article 90-A-2° de la Constitution
article 438 du Code civil
article 20, alinéa 3 de la Constitution
Vu la Constitution
article 88 de la Constitution
article 11 de la loi n° 1291 du 21 décembre 2004
ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959
article 25 de la Constitution


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2006-01-18;27210 ?

Source

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