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13/06/2005 | MONACO | N°27068

Monaco | Tribunal Suprême, 13 juin 2005, Mlle B. c/ Ministre d'Etat


Abstract

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Recours en indemnisation - Acte individuel

Recours pour excès de pouvoir

Décision de licenciement - Décision de la Commission de licenciement - Procédure irrégulière

Principes généraux du droit

Refus de communication du dossier - Violation des droits de la défense (oui) - Annulation de la décision

Responsabilité de la puissance publique

Préjudice moral (oui) - Évaluation - Indemnisation

Motifs

Le Tribunal Suprême,

Siégeant et déli

bérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête présentée par Mlle B., enregistrée le 28 juille...

Abstract

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Recours en indemnisation - Acte individuel

Recours pour excès de pouvoir

Décision de licenciement - Décision de la Commission de licenciement - Procédure irrégulière

Principes généraux du droit

Refus de communication du dossier - Violation des droits de la défense (oui) - Annulation de la décision

Responsabilité de la puissance publique

Préjudice moral (oui) - Évaluation - Indemnisation

Motifs

Le Tribunal Suprême,

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête présentée par Mlle B., enregistrée le 28 juillet 2004 au Greffe Général de la Principauté de Monaco et tendant à l'annulation de la décision rendue le 28 mai 2004 par la commission de licenciement instituée (prévue) par l'article 16 de la loi n° 459 du 19 juillet 1947 modifiée, par laquelle cette commission donnait son assentiment au licenciement de la requérante par la succursale de Monaco de la A.-A. Bank NV ;

ce faire,

Attendu que Mlle B. a été engagée par la succursale de Monaco de la A.-A. Bank NV (A.-A.) successivement en qualité d'intérimaire réceptionniste avant d'être affectée au service comptabilité pour devenir salariée de l'entreprise par contrat à durée déterminée du 12 février au 14 juillet 2001 et par contrat à durée indéterminée à compter de cette date ; qu'elle expose qu'elle était chargée de réceptionner les notes de frais du personnel de la banque, de vérifier les pièces justificatives et de les soumettre à la signature du directeur administratif M. M. ou à celle du directeur des ressources humaines (désigné par les initiales DRH) ;

Qu'en février 2004, elle a déposé sur le bureau de M. M. un certain nombre de documents, et ceci à plusieurs reprises ;

Qu'il lui a été signalé ultérieurement que l'on ne retrouvait pas des notes qui auraient dû être soumises au DRH ; que Mlle B. s'avisant que par erreur elle avait déposé les documents considérés non pas au DRH mais dans la chemise réservée à M. M., en a retiré les pièces mal orientées ; que celui-ci, à son retour dans son bureau, lui ayant signalé qu'il manquait des notes de frais, elle lui a alors remis les pièces qu'elle était précisément en train de classer ; qu'à la suite d'un échange de notes au sujet du paiement de frais, elle a été convoquée par M. M. qui lui a demandé sa démission moyennant un versement d'une indemnité ; que l'intéressée après un délai de réflexion s'est vue remettre par M. M. une lettre de révocation datée du 26 février 2004 et qu'au cours d'un entretien préalable, il lui a été proposé soit une démission moyennant 20 000 euros, soit un blâme et l'exclusion du service ; qu'elle a reçu le 14 mars 2004 une lettre recommandée avec avis de réception faisant état d'une faute grave pour s'être introduite dans le bureau du directeur administratif, d'avoir fouillé dans ses papiers contenant des renseignements confidentiels ; qu'en conséquence elle a été mise à pied à titre provisoire dans l'attente de la réunion du conseil de discipline en vue de son licenciement ; que par une nouvelle lettre du 9 mars 2004 elle a été informée de la date du conseil de discipline et de la possibilité pour elle de se faire représenter ; qu'y étaient joints, sans explication, des documents d'où paraissaient résulter les griefs articulés contre elle ; que devant cette insistance, assistée de son conseil, elle a dit ignorer les faits qui lui étaient reprochés ; qu'il en est résulté un procès-verbal du 30 mars notifié le 23 avril 2004 comportant deux avis favorables au licenciement et deux avis contraires ;

Qu'une autre procédure s'est déroulée devant la commission paritaire sur demande d'avis de l'employeur à la date du 4 mai 2004 ; que Mlle B. s'y est présentée avec son conseil sans connaître le contenu du dossier ; que la commission a rendu un avis partagé sur le licenciement et préconisé une solution amiable ; qu'aucune démarche n'a été engagée en ce sens ;

Qu'ultérieurement devant la Commission de licenciement les parties ont été invitées à rechercher un accord amiable et constaté le 28 mai qu'un tel accord n'avait pu intervenir ; que par lettre de la même date l'Inspecteur du travail a fait connaître à l'employeur que la Commission de licenciement avait accepté le licenciement de Mlle B. à la suite de quoi, par lettre recommandée du 3 juin 2004 la Banque a notifié à celle-ci son licenciement pour faute grave en précisant les griefs retenus contre elle ;

Que la décision en date du 28 mai 2004, rendue par la Commission de licenciement est l'objet du présent recours ;

*

Que Mlle B. présente cinq moyens :

Que la composition de la Commission de licenciement était irrégulière ;

Qu'en effet, y siégeaient MM. B. et C. précédemment membres de la commission paritaire, le premier d'entre eux l'ayant même présidée et l'un et l'autre ayant alors opiné en faveur du licenciement ;

Que la demande d'autorisation de licenciement présentée par la banque était irrecevable ; qu'en effet avant toute demande de licenciement et alors que la commission paritaire s'était achevée sur un partage de voix, l'article 27 de la convention collective du travail exige l'établissement d'un procès-verbal à remettre à l'employé ; qu'il s'ensuit que faute de cette formalité la saisine de la commission de licenciement était prématurée ;

Que Mlle B. n'a pas eu communication du dossier la concernant, demandée par son avocat et qui avait été transmis au Président de la commission par l'employeur ; qu'étant dans l'ignorance, au moment de sa comparution des griefs précis qui lui étaient opposés, les droits de la défense ont été méconnus ;

Que les notions de révocation et de licenciement étant distinguées par la Convention collective monégasque du travail du personnel des banques (CCT), au sens de ce texte seul peut être utilisé le terme de « révocation » dans la situation de Mlle B., alors que c'est le mot « licenciement » qui a été utilisé dans les avis des deux commissions ; que l'employeur avait décidé de prendre une mesure de révocation ; que l'autorisation de licenciement est donc entachée d'erreur manifeste ;

Que la commission de licenciement doit se préoccuper des circonstances du licenciement et ne pas seulement chercher à savoir qu'il existe un lien entre cette mesure et les fonctions de délégué du personnel ; qu'il suit de ce qui précède que les reproches formulés sont faux et que la mesure de révocation est abusive ;

Qu'en conséquence Mlle B. demande une réparation pécuniaire de 50 000 euros pour le préjudice, tant matériel que moral, qu'elle aurait subi ;

Qu'elle présente en outre une requête en communication de la procédure au Directeur général de la succursale de Monaco de la A.-A. Bank ;

*

Vu la contre-requête enregistrée le 28 septembre 2004 et présentée par le Ministre d'État qui tend au rejet du recours déposé par Mlle B. ; qu'il conteste le premier moyen de légalité externe tiré de l'irrégularité de la composition de la commission de licenciement ; qu'en effet on ne peut soutenir que ne sauraient faire partie de cet organisme des représentants des syndicats patronaux qui, dans la même affaire, ont déjà siégé dans la Commission paritaire ; que les finalités sont différentes, la Commission de licenciement n'ayant pas un caractère juridictionnel et étant chargée seulement de vérifier si le licenciement critiqué a un lien ou non avec les fonctions de délégué du personnel ;

Que selon le deuxième moyen la demande d'accord au licenciement portait sur un projet et non sur une décision ; que cependant la procédure a été respectée, un procès-verbal ayant été rédigé et notifié à Mlle B. ;

Qu'il est allégué que le dossier de l'Inspecteur du travail n'a pas été communiqué à la requérante ; qu'une telle mesure n'est pas exigée s'agissant de la procédure devant la Commission de licenciement ; que d'ailleurs Mlle B. a eu parfaitement connaissance des reproches qui lui étaient adressés avant sa comparution devant la commission de discipline ;

Qu'au titre de la légalité interne Mlle B. invoque d'abord une erreur manifeste de droit résultant de ce que la Commission s'était prononcée sur un licenciement alors que l'employeur avait voulu prendre une mesure de révocation ;

Que cependant l'article 16 précité ne distingue pas et use du terme générique de licenciement ;

Qu'en énonçant que les reproches formulés à l'encontre de l'intéressée sont inexacts et fabriqués de toutes pièces, on méconnaît le rôle de la Commission qui doit se borner à rechercher si la mesure incriminée est en relation avec les fonctions de délégué du personnel sans avoir à se prononcer sur le bien fondé de la mesure ;

Qu'il résulte de ce qui précède que la demande de réparation formée par Mlle B. est injustifiée et que son recours doit être rejeté ;

Attendu qu'à la suite de l'ordonnance du Président du Tribunal Suprême datée du 29 décembre 2004 appelant en intervention forcée la société A.-A., cette société a déposé un mémoire, enregistré le 10 février 2005 ; que sur les faits la société souligne que la requérante a fait preuve d'insubordination et d'un manque total de rigueur dans son travail, d'un esprit rebelle et provocateur et qu'il en est résulté à son encontre un blâme avec inscription au dossier ; qu'en outre elle a marqué son indifférence sur les appréciations qui étaient portées sur elle ;

Que la société A. répond ainsi qu'il suit aux moyens soulevés par la requérante :

* que la Commission de licenciement a été composée conformément aux textes ;

* que Mlle B. et son conseil ont bien été informés de la décision de la Commission paritaire par communication du procès-verbal établi le 4 mai 2004 ; que la Commission de licenciement a été saisie non d'un simple projet de licenciement mais d'une demande d'accord sur la décision envisagée et ce en application des textes ;

* que la communication du dossier à l'Inspecteur du travail n'est prévue par aucun texte ; que l'intéressé pouvait se faire assister d'un conseil ; qu'ainsi les droits de la défense ont été respectés ;

* qu'il n'y a pas lieu d'introduire une confusion à partir des mots licenciement et révocation, la révocation n'étant autre qu'un licenciement pour faute grave ;

* qu'il ne s'agit pas d'un débat sur le bien-fondé de la décision qui relèverait du Tribunal du travail ; que la Commission ne rend pas une décision de justice mais formule un avis ;

Que l'A.-A. Bank conclut au rejet de la requête de Mlle B. ;

*

Attendu que Mlle B. a déposé « un mémoire en réponse aux observations de la banque », enregistré le 10 mars 2005 ; Qu'elle y expose que les accusations formulées pour la première fois contre elles sont calomnieuses et n'ont pas été présentées aux différents organismes saisis ;

Qu'elle maintient que la composition de la commission de licenciement la faisait suspecter de partialité soulignant qu'en méconnaissance de l'article 27 de la Convention collective monégasque, les parties n'ont pas établi ensemble un procès-verbal relatant les avis partagés ce qui avait pour conséquence l'irrégularité de la saisine de la Commission de licenciement ;

Qu'en outre si, en la matière, la communication du dossier n'est pas prévue par les textes, il n'en demeure pas moins que les principes du droit impliquent l'accomplissement d'une telle mesure ;

Qu'au surplus c'est bien d'un licenciement et non d'une révocation dont Mlle B. a été frappée ;

Qu'enfin la banque paraît n'avoir pas compris le sens du moyen tiré du caractère non fondé de la décision ;

Qu'il en résulte que la réponse de la banque est inopérante ;

Attendu que le Ministre d'État a déposé des observations enregistrées le 9 mars 2005 à la suite du mémoire de la société A.-A. Bank. Il note que cette société confirme l'argumentation du Ministre d'État et souligne que Mlle B. n'a pas répliqué ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 ;

Vu l'ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'article 16 de la loi n° 459 du 19 juillet 1947, portant modification du statut des délégués du personnel ;

Vu l'ordonnance n° 2528 du 3 juin 1961 relative aux modalités de licenciement des délégués du personnel ;

Vu l'ordonnance en date du 25 mars 2005 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience du 13 juin 2005 ;

Ouï M. Jean Michaud, membre titulaire du Tribunal Suprême en son rapport ;

Ouï Maître Carrasco, avocat, pour Mlle B. ;

Ouï Maître Pastor-Bensa, avocat-défenseur, pour la société A.-A. Bank NV ;

Ouï Maître Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation pour l'État de Monaco ;

Ouï M. le Procureur Général, en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

Considérant que le conseil de la requérante s'est vu refuser par l'inspecteur du Travail, président de la commission de licenciement, la communication du dossier soumis à ladite Commission ;

Considérant que, par suite, la décision attaquée a été rendue en violation des droits de la défense ;

Sur les conclusions aux fins d'indemnités :

Considérant qu'en l'état de l'instruction qui ne permet pas de connaître les suites qui seront données à la présente décision dans les rapports entre la requérante et son employeur, le seul préjudice que le Tribunal Suprême puisse évaluer est le préjudice moral ; qu'il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant l'État à verser à Mlle B. une indemnité de 2 000 euros ;

Dispositif

Décide :

Article 1er

La décision de licenciement en date du 28 mai 2004 donnant son assentiment au licenciement de Mlle B. est annulée ;

Article 2

L'État est condamné à verser à Mlle B., la somme de 2 000 euros,

Article 3

Les dépens sont mis à la charge de l'État ;

Article 4

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État ;

Note

Décision sélectionnée par la Revue de Droit Monégasque pour son intérêt jurisprudentiel, Revue de Droit Monégasque, 2005, n° 7, p. 295 à 300.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27068
Date de la décision : 13/06/2005

Analyses

Social - Général ; Contrats de travail ; Rupture du contrat de travail ; Responsabilité (Public)


Parties
Demandeurs : Mlle B.
Défendeurs : Ministre d'Etat

Références :

article 16 de la loi n° 459 du 19 juillet 1947
ordonnance n° 2528 du 3 juin 1961
Vu la Constitution
ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2005-06-13;27068 ?

Source

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