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08/03/2005 | MONACO | N°27209

Monaco | Tribunal Suprême, 8 mars 2005, Sieur P. A. De C. c/ Ministre d'État


Abstract

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Recours pour excès de pouvoir

Étranger. Décision de refus de retirer et d'abroger une décision d'expulsion. Décision distincte de la décision d'expulsion. Motifs de la décision matériellement non établis. Erreur manifeste d'appréciation (oui)

Procédure

Second recours gracieux ne conservant pas le délai du recours contentieux. Décision de rejet du recours gracieux ne réouvrant pas le délai du recours contentieux. Recevabilité d'un recou

rs dirigé contre une décision non confirmative

Motifs

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant ...

Abstract

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Acte administratif individuel

Recours pour excès de pouvoir

Étranger. Décision de refus de retirer et d'abroger une décision d'expulsion. Décision distincte de la décision d'expulsion. Motifs de la décision matériellement non établis. Erreur manifeste d'appréciation (oui)

Procédure

Second recours gracieux ne conservant pas le délai du recours contentieux. Décision de rejet du recours gracieux ne réouvrant pas le délai du recours contentieux. Recevabilité d'un recours dirigé contre une décision non confirmative

Motifs

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en assemblée plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête présentée par P. A. De C., enregistrée au greffe général de la Principauté de Monaco le 28 juillet 2004 et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision, en date du 18 juin 2004, par laquelle le Ministre d'État a rejeté sa demande de révision de l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 22 mai 1995 ;

ce faire,

Attendu que M. De C. n'a jamais commis aucun acte répréhensible sur le territoire de Monaco et est d'une moralité au-dessus de tout soupçon ; qu'il avait fait l'objet de poursuites pour complicité de faux à l'époque où son expulsion a été décidée, mais qu'il a bénéficié d'un non-lieu ; que le ministère d'État lui a indiqué que son expulsion n'a pas été motivée par ces poursuites, mais par un signalement défavorable d'Interpol ; qu'il a été prouvé que ce signalement concernait un homonyme de M. De C. ; que le 16 mars 2004 l'intéressé a demandé au Ministre d'État de rapporter l'arrêté d'expulsion ; qu'il a produit une attestation de la Questure centrale de Rome confirmant que les informations le concernant dans les archives d'Interpol avaient été rectifiées ; que néanmoins, par la décision attaquée, le Ministre d'État a refusé d'accéder favorablement à cette requête ; que si, selon la récente décision Battifoglio, les décisions relatives au séjour des étrangers n'ont pas à être motivées, il appartient cependant au Tribunal Suprême de contrôler l'exactitude et la légalité des motifs donnés par le Ministre d'État comme étant ceux de sa décision ; qu'en conséquence le Tribunal Suprême constatera, sauf à ordonner une mesure d'instruction préalable, qu'aucun motif valable n'est de nature à justifier la décision attaquée, ni d'ailleurs l'arrêté d'expulsion du 22 mai 1995, qui peut être remis en question par le biais de l'exception d'illégalité ;

Vu la contre-requête présentée par le Ministre d'État, ladite contre-requête enregistrée comme ci-dessus le 28 septembre 2004 et tendant au rejet de la requête :

titre principal, comme irrecevable, par les motifs que, sous couvert de critiquer la décision qui refuse de rapporter l'arrêté d'expulsion, le requérant qui n'invoque aucun moyen spécifiquement dirigé contre cette décision, tente en réalité de remettre en cause l'arrêté lui-même, plus de neuf ans après l'expiration du délai de recours contentieux ; que cet arrêté, qui présente le caractère d'une décision individuelle devenue définitive, ne peut être contesté par la voie de l'exception d'illégalité ;

titre subsidiaire, comme non fondée, par les motifs que la jurisprudence Battifoglio ne justifierait l'annulation de la décision attaquée que dans le cas où les motifs de cette décision ne seraient pas communiqués au Tribunal Suprême ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ; qu'en effet le refus de rapporter l'arrêté d'expulsion a été motivé par le fait que M. De C. n'a pas fourni à l'administration des éléments de nature à établir que, depuis son éloignement du territoire en 1995, son comportement se serait modifié, en sorte que sa présence sur le territoire monégasque n'aurait plus été indésirable ; que M. De C. était et reste un personnage trouble du milieu des jeux, soit comme dirigeant d'établissement, soit comme apporteur d'affaires ou agent prêteur, maniant des fonds importants d'origine suspecte ; que ce manque de transparence quant à l'origine des fonds utilisés par lui a entraîné le retrait de la licence du casino de Beaulieu et le refus opposé à sa demande de reprise du casino des Fleurs à Menton ; que c'est au moment où il est apparu que d'importantes opérations de blanchiment de fonds issus de la criminalité se réalisaient au sein des casinos que le gouvernement monégasque a écarté du territoire les individus suspectés de prendre part à ces opérations ; que c'est pour ce motif qu'a été pris l'arrêté du 22 mai 1995 expulsant M. De C. ; que, depuis lors, la situation n'a pas changé ; que les affirmations du requérant liées à une prétendue homonymie ne sont pas établies par les documents qu'il produit, qui sont de simples courriers entre ses avocats ; qu'il n'est pas devenu le citoyen au-dessus de tout soupçon que la requête présente complaisamment ; qu'eu égard à l'opacité persistante de ses activités, c'est à bon droit que le Ministre d'État a considéré qu'en dépit de l'ancienneté de la mesure d'éloignement prise à son encontre, sa présence sur le territoire monégasque restait indésirable.

Vu, enregistrée comme ci-dessus le 28 octobre 2004, la réplique présentée par M. De C. tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et en outre par les motifs :

que la requête est recevable, la décision attaquée n'étant pas l'arrêté du 22 mai 1995, mais la décision du 18 juin 2004 refusant de le rapporter, que la requête a été enregistrée moins de deux mois après cette décision ; que l'arrêté d'expulsion étant illégal est toujours susceptible d'être rapporté, la décision qui refuse de le rapporter est également illégale ;

que la requête, qui explicite suffisamment les moyens qu'elle invoque est fondée ; que l'administration n'a pas produit d'éléments permettant au Tribunal Suprême de vérifier l'exactitude des motifs invoqués dans sa contre-requête à l'appui de la décision attaquée ; que ces motifs sont inexacts et à tout le moins insuffisants ; que M. De C. est un industriel du Nord de l'Italie qui n'a jamais eu le moindre rapport avec une organisation criminelle ; que sa fortune provient de ses activités professionnelles parfaitement légales ; qu'il connaît nombre d'industriels italiens fortunés, qui partagent avec lui la passion du jeu ; que c'est pourquoi, lorsqu'il a interrompu ses activités professionnelles, il a accepté de travailler pour la Société des Bains de Mer, qui lui versait 3,5 % du chiffre d'affaires obtenu par le casino grâce aux clients qu'il lui apportait ; que le revenu qu'il dégageait ainsi était intégralement utilisé pour jouer au casino et donc au bénéfice de celui-ci ; que toutes les personnes qu'il a amenées au casino étaient, comme lui, des industriels italiens parfaitement respectables ; que les poursuites engagées contre lui dans les années 1990 pour complicité de faux en écriture n'avaient aucun rapport avec le blanchiment et se sont achevées par un non-lieu ; que le retrait de l'autorisation du casino de Beaulieu est intervenu huit ans après qu'il eut abandonné volontairement ses fonctions au sein de ce casino ; qu'il n'a jamais assumé la fonction d'agent prêteur ni constitué une garantie pour un joueur de casino et n'a donc pas pu manipuler des fonds suspects ; qu'à l'appui de ses allégations l'Administration s'est bornée à produire deux articles du journal « Nice Matin » de 1993 et 1994, qui ne citent à aucun moment le nom de M. De C. ; que contrairement à ce qu'affirme la contre-requête, le requérant n'a pas attendu neuf ans pour contester son expulsion ; que par courrier du 25 avril 1997, le Ministre d'État avait rejeté une demande de suspension de la mesure d'expulsion faisant suite à de nombreuses démarches verbales ; qu'à l'époque il avait été expliqué verbalement au défenseur de M. De C. que son expulsion était la conséquence d'informations fournies par Interpol suivant lesquelles il aurait été condamné pénalement ; que le document établi par la Questure de Rome prouve que les informations détenues par Interpol ont été rectifiées, qu'ainsi les motifs invoqués par l'administration pour refuser de rapporter la mesure d'éloignement sont non seulement faux, mais contradictoires ;

Vu, enregistrée comme ci-dessus le 25 novembre 2004, la duplique présentée par le Ministre d'État tendant aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens et en outre par les motifs que l'ensemble des pièces du dossier, y compris celles produites par le requérant et notamment sa lettre au Ministre d'État du 4 avril 1997, établissent qu'il était un personnage douteux du milieu des jeux, ayant fait l'objet de multiples procédures pénales, tant en France qu'en Italie et qu'il n'a, à plusieurs reprises, évité des condamnations pénales qu'en raison de la prescription de l'action publique, qu'il a reconnu avoir fait l'objet d'un mandat d'arrêt international fondé sur les rapports qu'il entretenait avec une organisation criminelle, même s'il semble n'avoir pas été condamné de ce chef ; que le moyen tiré de l'illégalité de l'arrêté d'expulsion du 22 mai 1995, qui constitue un acte individuel devenu définitif, n'est pas recevable ; que pour demander le retrait de cet arrêté par lettre du 16 mars 2004, il se bornait à invoquer les années écoulées, ainsi qu'une erreur due à une prétendue homonymie qui n'a jamais été établie ; qu'il n'a fait état d'aucun changement postérieur à 1995 de nature à faire revenir l'Administration sur sa décision d'expulsion ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 90 B1°.

Vu l'ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 modifiée sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'ordonnance souveraine n° 3153 du 19 mars 1964 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers dans la Principauté ;

Vu la loi n° 1103 du 12 juin 1987 relative aux jeux de hasard ;

Vu l'ordonnance, en date du 13 décembre 2004 par laquelle le Président du Tribunal Suprême a renvoyé la cause à l'audience du 8 mars 2005 ;

Ouï M. Michel Bernard, membre du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Michel, avocat-défenseur, pour M. De C. ;

Ouï Maître Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour l'État de Monaco ;

Ouï Monsieur le Procureur général, en ses conclusions ;

Après en avoir délibéré,

Considérant que la décision attaquée, par laquelle le Ministre d'État a rejeté la demande de M. De C. tendant à la « révision » de l'arrêté d'expulsion pris à son encontre le 22 mai 1995, doit être regardée comme ayant refusé à la fois de retirer rétroactivement cet arrêté et de l'abroger pour l'avenir ;

En ce qui concerne le refus de retirer l'arrêté d'expulsion :

Considérant que M. De C. a eu connaissance de l'arrêté, en date du 22 mai 1995, par lequel le Ministre d'État a décidé de l'expulser du territoire monégasque, au plus tard le 4 avril 1997, date à laquelle il a formé contre lui un recours gracieux ; qu'il a eu connaissance de la décision, en date du 20 avril 1997, rejetant ce recours au plus tard le 14 juin 2000, date à laquelle il a présenté un deuxième recours gracieux, qui n'a pu conserver le délai du recours contentieux ; que ce délai, qui a expiré le 15 juin 2000, n'a pas été rouvert par la décision du 1er août 2000 rejetant ce recours gracieux, laquelle a eu un caractère purement confirmatif, non plus que par un troisième recours gracieux, en date du 16 mars 2004, ou par la décision du 18 juin 2004, qui l'a rejeté et qui est, elle aussi, purement confirmative ; que, dès lors, les conclusions de la requête dirigées contre cette dernière décision, en tant qu'elle refuse de retirer l'arrêté du 22 mai 1995, ne sont pas recevables ;

En ce qui concerne le refus d'abroger l'arrêté d'expulsion :

Considérant qu'un arrêté d'expulsion, même devenu définitif, peut être abrogé à tout moment, s'il apparaît que la présence sur le territoire monégasque de l'étranger qui en a fait l'objet ne constitue plus une menace pour l'ordre public ;

Considérant que, en tant qu'elle refuse d'abroger l'arrêté du 22 mai 1995, la décision attaquée n'est pas purement confirmative de cet arrêté ; que, dès lors, les conclusions dirigées contre le refus d'abroger ledit arrêté sont recevables ;

Considérant que le Ministre d'État déclare dans sa contre-requête que, pour refuser, par la décision attaquée, d'abroger l'arrêté d'expulsion de M. De C., il s'est fondé sur ce que celui-ci n'a pas fourni d'éléments de nature à établir que son comportement se serait modifié depuis que son expulsion a été prononcée par l'arrêté du 22 mai 1995 ; que cet arrêté a été motivé par le fait que M. De C. avait été mis en cause dans des enquêtes relatives à la mafia italienne, le faisant apparaître comme un personnage trouble du milieu des casinos, maniant des fonds importants d'origine suspecte ;

Considérant qu'il ressort de documents établis par le procureur de la République près le tribunal de San Rémo qu'à la date du 10 mars 2004, M. De C. avait un casier judiciaire vierge et ne faisait l'objet d'aucune poursuite ; que le Ministre d'État ne fournit aucun élément de nature à établir que le requérant se serait livré depuis son expulsion à des pratiques de nature à justifier légalement le refus d'abroger cette mesure ; qu'il appartiendrait aux autorités compétentes, si elles s'y croient fondées, de l'exclure des maisons de jeux de la Principauté par application de la loi susvisée ; qu'en estimant que la présence de M. De C. sur le territoire de Monaco, après en avoir été éloigné pendant plus de neuf ans, constituerait encore une menace pour l'ordre public, le Ministre d'État a commis une erreur manifeste d'appréciation ; que, dès lors, M. De C. est fondé à soutenir qu'en tant qu'elle refuse d'abroger l'arrêté d'expulsion du 22 mai 1995, la décision attaquée est entachée d'excès de pouvoir ;

Dispositif

Décide

Article 1er

- La décision du Ministre d'État, en date du 18 juin 2004 est annulée en tant qu'elle refuse d'abroger l'arrêté en date du 22 mai 1995.

Article 2

- Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3

- Les dépens sont partagés par moitié.

Article 4

- Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27209
Date de la décision : 08/03/2005

Analyses

Loi et actes administratifs unilatéraux ; Droit des étrangers


Parties
Demandeurs : Sieur P. A. De C.
Défendeurs : Ministre d'État

Références :

Vu la Constitution
loi n° 1103 du 12 juin 1987
ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963
ordonnance souveraine n° 3153 du 19 mars 1964


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;2005-03-08;27209 ?

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