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01/02/1994 | MONACO | N°26219

Monaco | Tribunal Suprême, 1 février 1994, Association des propriétaires de la Principauté de Monaco c/ État de Monaco


Abstract

Compétence

Contentieux constitutionnel - Recours en annulation - Loi n° 1159 du 29 décembre 1992 - Location de locaux à usage d'habitation - Rejet

Droits et libertés constitutionnels

Droit de propriété - Conciliation avec des règles et principes de valeur constitutionnelle - Exigences résultant de caractères géographiques particuliers du territoire - Droit de priorité accordé aux monégasques - Non-rétroactivité de dispositions pénales d'application immédiate

Responsabilité de la puissance publique

Responsabilité du fait des

lois - Principe d'égalité devant les charges publiques - Préjudice anormal et spécial

Motifs

Le Trib...

Abstract

Compétence

Contentieux constitutionnel - Recours en annulation - Loi n° 1159 du 29 décembre 1992 - Location de locaux à usage d'habitation - Rejet

Droits et libertés constitutionnels

Droit de propriété - Conciliation avec des règles et principes de valeur constitutionnelle - Exigences résultant de caractères géographiques particuliers du territoire - Droit de priorité accordé aux monégasques - Non-rétroactivité de dispositions pénales d'application immédiate

Responsabilité de la puissance publique

Responsabilité du fait des lois - Principe d'égalité devant les charges publiques - Préjudice anormal et spécial

Motifs

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière et en matière constitutionnelle,

Vu la requête présentée par l'Association des propriétaires de la Principauté de Monaco le 26 février 1993 et tendant à l'annulation de la loi n° 1159 du 29 décembre 1992 modifiant certaines dispositions de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation ;

Ce faire,

Attendu que la loi attaquée porte atteinte au droit de propriété reconnu par l'article 24 de la Constitution en ce qu'elle institue des mesures nouvelles par rapport à la loi du 18 juillet 1988 sans que les difficultés exceptionnelles, qui, selon la décision du Tribunal Suprême du 20 juin 1989, justifiaient les restrictions à ce droit soient ni modifiées, ni aggravées ; que notamment la loi revient sur la mesure de libération des loyers en instituant des plafonds et en restreignant la liste des locataires protégés ;

Attendu, au surplus, que la loi contient des dispositions pénales rétroactives en violation de l'article 20, alinéa 4, de la Constitution puisque celles-ci s'appliquent aux locaux loués sur la base de la loi du 18 juillet 1988 avant sa modification ;

Attendu, enfin, que la loi, portant une atteinte directe et indirecte au droit de propriété, elle doit entraîner une indemnisation par l'État des propriétaires justifiant un préjudice spécial ;

Vu la contre-requête de Monsieur le Ministre d'État déposée le 30 avril 1993 et tendant au rejet de la requête avec condamnation aux dépens pour les motifs que, l'atteinte au droit de propriété ne peut être reconnue dès lors que la loi nouvelle, au regard de la jurisprudence du Tribunal Suprême, ne comporte pas privation du droit de propriété en raison des caractères géographiques de territoire de l'État et est justifiée par la hausse importante des loyers provoquée par l'application de la loi du 18 juillet 1988 ;

Qu'il ne peut être prétendu que la loi revient à un blocage des loyers puisque le régime de limitation des taux ne concerne que les locaux vacants à la date de son entrée en vigueur ;

Que le droit de reprise des propriétaires ne pourra s'exercer que dans le respect de la procédure instituée par la loi du 18 juillet 1988 et que le régime est plus libéral que le précédent ;

Que la loi n'institue pas une reconduction automatique du bail, que cette reconduction ne constitue qu'une possibilité et qu'il y a lieu à l'application d'une procédure permettant de négocier le renouvellement du bail dans le cadre de la loi ;

Que le droit à réparation du préjudice auquel pourraient prétendre les propriétaires ne peut être reconnu puisque ce préjudice n'est ni certain ni spécial ;

Que l'affirmation selon laquelle la loi serait rétroactive dans ses dispositions pénales est inexacte et que l'association confond rétroactivité et application immédiate de la loi ;

Vu la réplique déposée le 28 mai 1993 par l'Association requérante et tendant aux mêmes fins que la requête initiale ;

Attendu que le Tribunal Suprême, qui a compétence pour interpréter les dispositions législatives attaquées, peut adopter à leur sujet le procédé des réserves d'interprétation ;

Que la spécialité du préjudice ne concernera que la moitié environ des propriétaires appartenant au secteur réglementé ;

Que la contre-requête contient des inexactitudes concernant la baisse excessive des loyers selon les informations qu'elle fournit dans sa réplique ;

Qu'il est inexact de prétendre que la loi ne comporte aucun retour au blocage des loyers dès lors que, pendant les deux périodes de six ans pendant lesquelles elle s'appliquera, les loyers ne pourront être augmentés au-delà des seuils fixés ;

Vu la duplique déposée par le Ministre d'État le 5 juillet 1993 et tendant à nouveau au rejet de la requête en ce que :

La simple lecture de la loi permet de montrer que les atteintes au droit de propriété n'existent pas ; que ses dispositions visent simplement à concilier les intérêts des propriétaires et des locataires ;

Que le préjudice spécial invoqué concernerait 25 % des propriétaires et qu'une telle affirmation viderait de tout sens le concept même de rupture qui fonde cette condition du préjudice ;

Vu la loi attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution et notamment ses articles 20 alinéa 4, 24 et 90-A-2° ;

Vu l'Ordonnance du 16 avril 1963 modifiée, sur le Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance de Monsieur le Président du Tribunal Suprême, en date du 27 décembre 1993, par laquelle il a ordonné le renvoi de la cause ;

Ouï Monsieur Roland Drago, Vice-Président du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Balat, avocat à la Cour d'appel de Paris, assisté de Maître Blot, avocat-défenseur ;

Ouï Maître Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, assisté de Maître Sanita, avocat-défenseur ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

Statuant et délibérant en matière constitutionnelle,

Considérant que l'Association requérante a déféré au Tribunal Suprême la loi n° 1159 du 29 décembre 1992 modifiant certaines dispositions de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988, sur la base de l'article 90-A-2° de la Constitution ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 24 de la Constitution,

Considérant que cet article dispose : « la Propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité établie et versée dans les conditions prévues par la loi » ;

Considérant que le libre exercice du droit de propriété consacré par ce texte doit être concilié avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle applicables dans l'État Monégasque ; qu'il en est ainsi des exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l'État ainsi que du principe accordant une priorité aux citoyens monégasques, consacré notamment par l'article 32 de la Constitution ;

Considérant que l'article 3 de la loi déférée au Tribunal Suprême modifiant l'article 5 de la loi du 18 juillet 1988 réduit la liste des attributaires prioritaires qui figurait dans ce texte ;

Considérant que l'article 4 de la loi attaquée modifiant l'article 8 de la loi du 18 juillet 1988 décide que le prix de location, pendant la première période de six ans, ne pourra être supérieur de plus de 50 % à celui qui aurait été pratiqué en application de l'article 14 de l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 ; que le même texte décide que le prix de location, pendant la seconde période de six ans, ne pourra être supérieur de plus de 155 % à celui qui aurait été pratiqué en application de l'article 14 de l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 ;

Considérant que l'article 9 de la loi attaquée dispose : « Les locaux ayant fait l'objet d'une location en vertu de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 préalablement à la promulgation de la présente loi sont soumis aux dispositions de cette dernière.

Toutefois, la location de ces locaux, lorsqu'ils deviennent vacants ou lorsque le bail est reconduit, n'est pas soumise aux dispositions du premier alinéa du chiffre II de l'article 8 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 modifiée. En toute hypothèse, le montant du loyer en cours de bail ne peut être augmenté qu'en application d'une clause d'indexation usuelle insérée dans le bail.

Nonobstant les dispositions de l'article 5 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 modifiée, les locataires, entrés dans les lieux préalablement à la promulgation de la présente loi peuvent bénéficier, avec l'accord de leurs propriétaires, de la reconduction de leurs baux ».

Considérant qu'il ressort de ce texte ainsi que des travaux préparatoires que les articles 3 et 4 de la loi ne concernent pas les locaux ayant fait l'objet d'une location avant sa promulgation, même lorsque ces locaux deviennent vacants ou lorsque le bail est reconduit ; que les locataires entrés dans les lieux préalablement à la promulgation de la loi peuvent bénéficier, avec l'accord de leurs propriétaires, de la reconduction des baux dans les conditions antérieures à cette promulgation ;

Considérant qu'il ne peut être fait application des dispositions des articles 3 et 4 de la loi que dans le cadre tracé par l'article 9 ; que, dans ces conditions, ces dispositions ne portent pas à l'exercice du droit de propriété une atteinte excédant celles qui peuvent lui être apportées au regard des règles et principes ci-dessus rappelés ;

Sur le caractère rétroactif des dispositions pénales contenues dans l'article 7 de la loi,

Considérant que l'article 7 de la loi dispose : « L'article 16 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes : le propriétaire qui n'aura pas fait la déclaration prescrite par les articles 2 ou 8 sera puni de l'amende prévue au chiffre 3° de l'article 29 du Code pénal. Si la déclaration n'est pas effectuée dans les huit jours suivant le prononcé de la condamnation, le contrevenant sera puni de l'amende prévue au chiffre 1° de l'article 26 de ce code et le tribunal ordonnera, sous astreinte civile définitive au profit du Trésor, que la formalité soit accomplie dans les huit jours de la décision ».

Considérant que ce texte se contente d'affirmer le caractère d'application immédiate de la loi ; que le moyen tiré de son effet rétroactif manque en fait ;

Sur la responsabilité éventuelle de l'État du fait de l'application de la loi,

Considérant qu'il est loisible aux propriétaires des locaux auxquels la loi s'appliquera dans les conditions précédemment définies, au cas où cette application leur occasionnerait un préjudice anormal et spécial, d'en demander, s'ils s'y croient fondés, réparation sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité de tous devant les charges publiques ;

Dispositif

Décide :

Article 1er

La loi n° 1159 du 29 décembre 1992 modifiant certaines dispositions de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 est déclarée conforme à la Constitution ;

Article 2

L'Association requérante supportera les dépens ;

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 26219
Date de la décision : 01/02/1994

Analyses

Public - Général ; Responsabilité (Public) ; Droit de propriété


Parties
Demandeurs : Association des propriétaires de la Principauté de Monaco
Défendeurs : État de Monaco

Références :

article 20, alinéa 4, de la Constitution
loi n° 1118 du 18 juillet 1988
Ordonnance du 16 avril 1963
article 8 de la loi du 18 juillet 1988
article 8 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988
article 24 de la Constitution
article 14 de l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959
article 32 de la Constitution
article 90-A-2° de la Constitution
article 16 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988
article 5 de la loi du 18 juillet 1988
Vu la Constitution
Loi n° 1159 du 29 décembre 1992
loi du 18 juillet 1988
article 5 de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988
article 29 du Code pénal


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;1994-02-01;26219 ?

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