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19/12/1989 | MONACO | N°25469

Monaco | Tribunal Suprême, 19 décembre 1989, Sieur A. D. c/ Ministre d'État


Abstract

Fonctionnaires et agents publics

Fonctionnaires - Discipline - Révocation - Garanties - Respect des droits de la défense - Conseil de discipline - Avis - Notification à l'intéressé et motivation obligatoires

Droits et obligations - Rémunération - Règle du service fait

Procédure

Principe du respect des droits de la défense - Moyen d'ordre public

Recours pour excès de pouvoir

Recevabilité - Acte préparatoire - Décision insusceptible de recours contentieux

Violation de la loi - Absence de contrôle de l'adéquation de

la sanction à la faute - Erreur manifeste d'appréciation non établie

Compétence

Injonctions aux autorités adm...

Abstract

Fonctionnaires et agents publics

Fonctionnaires - Discipline - Révocation - Garanties - Respect des droits de la défense - Conseil de discipline - Avis - Notification à l'intéressé et motivation obligatoires

Droits et obligations - Rémunération - Règle du service fait

Procédure

Principe du respect des droits de la défense - Moyen d'ordre public

Recours pour excès de pouvoir

Recevabilité - Acte préparatoire - Décision insusceptible de recours contentieux

Violation de la loi - Absence de contrôle de l'adéquation de la sanction à la faute - Erreur manifeste d'appréciation non établie

Compétence

Injonctions aux autorités administratives - Incompétence du Tribunal Suprême

Motifs

LE TRIBUNAL SUPRÊME,

Siégeant et délibérant en Assemblée Plénière,

Vu la requête présentée par le sieur A. D., demeurant [adresse], ladite requête enregistrée au Greffe Général de la Principauté de Monaco le 13 décembre 1988 et tendant à ce qu'il plaise au Tribunal Suprême d'annuler l'Ordonnance Souveraine n° 9621 du 11 octobre 1988 par laquelle il a été révoqué de ses fonctions d'agent de la Sûreté Publique, et, en tant que de besoin, la décision prise la décision prise par le Conseil de Gouvernement ainsi que l'avis émis par le Conseil de discipline ;

Ce faisant, attendu que par arrêté ministériel du 10 août 1988, l'exposant a été cité à comparaître le 29 septembre 1988 devant le conseil de discipline ; qu'il lui était reproché un abandon de poste, le 2 mai 1988, alors qu'il s'est borné à aller au devant de celui qui le remplaçait, au lieu de l'attendre sur place ; qu'à titre subsidiaire il lui était également reproché d'avoir :

* le 26 novembre 1985, emprunté un sens interdit, alors qu'il conduisait son véhicule personnel ; faute, en l'espèce, sans rapport avec le service ;

* le 17 novembre 1986, en un comportement agressif envers un automobiliste, auteur d'un accident touchant un de ses proches, alors qu'il n'était pas en service ;

* le 12 janvier 1987, fait preuve d'une totale passivité et d'une indifférence manifeste aux difficultés du trafic qu'il était chargé de régler ; griefs seulement présumés à travers des déclarations faites sur ondes radio ;

* le 7 février 1987, abandonné son poste, alors qu'il était seulement allé boire un café ; traduit devant le conseil de discipline, il a été sanctionné par une exclusion de 15 jours ;

Qu'à la suite d'autres griefs analogues, il a été traduit une seconde fois devant le conseil de discipline et frappé d'une mesure de révocation par une ordonnance dont il n'a pas reçu notification et qu'il sait ne pas être motivée ;

Qu'aucun des griefs articulés contre lui n'est fondé ni ne constitue une faute de service et ne saurait entraîner une telle sanction ; qu'on ne saurait l'accuser d'inaptitude alors qu'il a reçu des félicitations lors de plusieurs arrestations périlleuses ; que, d'ailleurs, les sanctions antérieures relèvent des niveaux les plus bas ; que la plupart des faits retenus sont sans rapport avec le service ; qu'ainsi, la mesure de révocation prise contre lui doit être annulée, au moins parce que disproportionnée par rapport aux faits reprochés et entachée de nullité parce que non motivée ;

Ordonner la réintégration du sieur D. dans ses fonctions avec reconstitution de carrière, paiement de la solde qu'il aurait dû recevoir et une indemnité d'un franc symbolique pour préjudice moral ;

Vu l'ordonnance, la décision et l'avis attaqués ;

Vu la contre-requête présentée pour le Ministre d' État, ladite contre-requête enregistrée comme ci-dessus le 18 février 1989 et tendant au rejet de la requête par les motifs que :

1) depuis novembre 1985, le sieur D. a fait preuve d'un comportement incompatible avec ses fonctions ; qu'en effet, dès le 2 novembre 1985, il manifestait une agressivité inadmissible à l'égard d'un automobiliste, et le 19 du même mois se permettait, étant en tenue, au volant de sa voiture, de circuler en sens interdit ; que ces fautes, liées au service, ont été sanctionnées par un avertissement ;

2) que le 2 août 1986, il récidivait, faisant preuve d'une agressivité inadmissible tant par la violence de ses actes que par celle de son langage ; qu'ayant appuyé ses violences en faisant état de sa qualité de « flic à Monaco » et proféré des menaces fondées sur cette qualité, il a manqué à l'obligation de réserve à laquelle il était tenu et a commis une faute se rattachant au service, faute dont il a été sanctionné par un blâme ;

3) que le 18 décembre 1986, étant chargé de régler la circulation à un carrefour, il s'est désintéressé complètement des graves perturbations du trafic malgré les injonctions qu'il a reçues deux fois par radio ; que cette faute a été sanctionnée par un blâme ;

4) que le 7 février 1987, effectuant une ronde avec un autre agent, il a abandonné ce poste pendant une demi-heure, ce qui lui a valu, après comparution devant le conseil de discipline, d'être suspendu pendant 15 jours ;

5) qu'à peine sorti du conseil de discipline, le sieur D. s'est adressé à un touriste de manière agressive et discourtoise, le 2 août 1987, puis a commis trois fautes de service consécutives, le 21 septembre, et que, réprimandé par son supérieur, il lui a répondu de façon inadmissible ; qu'enfin, le 2 mai 1988, il a une nouvelle fois abandonné son poste ; que l'ensemble de ces derniers faits, de même que son comportement général, ont conduit à le traduire devant le conseil de discipline qui a reconnu la gravité d'un tel comportement, a jugé le sieur D., à l'expérience, insusceptible d'amendement et a proposé que l'intéressé soit révoqué ; qu'il a été révoqué par Ordonnance Souveraine du 11 octobre 1988 dont l'annulation est demandée ; que la matérialité des faits n'est ni contestable ni sérieusement contestée ; que d'ailleurs, l'intéressé n'a formé aucun recours contre les sanctions dont il a été frappé ; que toutes sanctionnaient des fautes de service ou des fautes que l'intéressé a lui-même rattachées au service par son comportement ; qu'il en est de même des fautes commises le 2 août 1987 ou à des dates postérieures ; que l'ensemble du comportement de l'intéressé justifiait qu'une sanction sévère lui soit infligée ; qu'il n'appartient pas au juge de l'excès de pouvoir apprécier l'adéquation d'une sanction aux fautes commises ; qu'en tout état de cause, le comportement répété du sieur D. depuis novembre 1985, la fréquence des incidents qu'il a créés, son agressivité et son absence de discipline comme de respect de la hiérarchie nécessitaient son élimination des cadres de police ;

Vu le mémoire complémentaire présenté pour le Ministre d'État, ensemble les nouvelles pièces produites, ledit mémoire et lesdites pièces enregistrées comme ci-dessus le 22 mai 1989 et tendant aux mêmes fins que la contre-requête par les mêmes moyens et, en outre, par les motifs que, contrairement à ce que soutient le sieur D., l'ordonnance le révoquant de ses fonctions n'avait pas à être motivée ; qu'au surplus, les modalités de publication et de notification de l'acte attaqué, étant postérieures à cet acte, sont sans influence sur sa légalité ;

Vu la note en date du 4 décembre 1989 par laquelle le Tribunal Suprême ordonne un complément d'instruction sur la question de savoir si le sieur D. a ou non reçu notification régulière de l'avis motivé du conseil de discipline, dans l'affirmative à quelle date ;

Vu le nouveau mémoire présenté par le Ministre d'État, ledit mémoire enregistré comme ci-dessus le 17 décembre 1989 et faisant connaître que le sieur D. n'a pas reçu notification de l'avis émis par le conseil de discipline ; que d'ailleurs, aucune disposition n'obligeait l'administration à faire cette notification, ni non plus, à motiver l'ordonnance de révocation ; qu'au surplus il n'a jamais été de tradition que les Princes de Monaco motivent leur décision ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la constitution ;

Vu la loi n° 975 du 12 juillet 1975 et l'ordonnance n° 6365 du 17 août 1978 prise pour son application ;

Vu l'ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963, modifiée ;

Ouï Monsieur Jean Mottin, membre du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Cardix, avocat au barreau de Nice et Maître Piwnica, avocat au Conseil d'État et à la Cour de Cassation en France, dans leurs observations ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

Siégeant et délibérant en matière administrative,

Décide

Sur le moyen tiré de ce qu'une partie des fautes retenues aurait déjà fait l'objet de sanctions :

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que la sanction dont le sieur D. demande l'annulation a été précédée d'un premier avertissement, suivi de deux blâmes et d'une suspension d'activité de quinze jours pour fautes commises dans le service ou rattachables au service ; que le sieur D. soutient que ces manquements à la discipline avaient déjà fait l'objet de sanctions et ne pouvaient plus, dès lors, être retenus à l'occasion d'autres griefs pour une nouvelle sanction ;

Considérant que, contrairement à ce que prétend le requérant, l'autorité investie du pouvoir disciplinaire peut retenir des faits, qui ont servi de base à des sanctions antérieures, si ces faits font apparaître déjà une manière de servir incompatible avec l'exercice d'une fonction lorsque ce grief est invoqué pour la première fois contre l'intéressé à l'occasion de fautes postérieures ; qu'en l'espèce, les fautes nouvelles relevées contre le sieur D. établissent que l'intéressé a persisté dans une attitude envers ses supérieurs et un comportement dans le service qui ont légitimé une nouvelle sanction contre lui ; que n'ayant pas contesté les premières sanctions dans les délais du recours contentieux, l'intéressé n'est pas recevable à le faire à l'occasion du présent recours ;

Sur les autres moyens de légalité :

Considérant, d'une part, que l'avis émis par le conseil de discipline ne constitue pas une décision susceptible d'un recours contentieux et que les modalités de publication ou de notification d'un acte administratif sont sans effet sur sa régularité ;

Considérant, d'autre part, qu'il n'appartient pas à la juridiction administrative de se prononcer sur l'importance d'une sanction par rapport aux fautes reprochées dès lors que la décision attaquée n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'en l'espèce aucune erreur de cette nature n'est établie ;

Mais considérant que les principes généraux du droit et, notamment, le respect des droits légitimes de la défense obligent l'autorité investie du pouvoir disciplinaire à faire connaître à l'intéressé les motifs de la sanction qu'elle est amenée à prendre contre lui ; que le sieur D. n'a pas reçu notification régulière de l'avis motivé du conseil de discipline qui s'est prononcé sur son cas ; que, dès lors, l'ordonnance du 11 octobre 1988, le révoquant de ses fonctions manque de base légale et, par ce motif, doit être annulée ;

Sur les conclusions du sieur D. tendant à sa réintégration dans ses fonctions et à la reconstitution de sa carrière :

Considérant qu'il n'appartient pas à la juridiction administrative d'adresser des injonctions à l'administration sur le rétablissement de la carrière d'un fonctionnaire ;

Qu'il convient de renvoyer l'intéressé devant l'administration pour qu'il soit statué sur ces conclusions de la requête ;

Sur les conclusions à fin d'indemnité :

Considérant qu'en l'absence de service fait le sieur D. n'est pas fondé à demander le paiement des salaires qu'il aurait perçus s'il n'avait pas été frappé de la sanction qui lui fait grief ; qu'il convient de le renvoyer devant l'administration pour qu'il soit statué sur cette demande ;

Considérant que, compte tenu de tout ce qui précède, le sieur D. n'est pas fondé à demander que lui soit allouée la somme d'un franc à titre d'indemnité en réparation du préjudice moral qu'il allègue ; qu'il convient, toutefois, de mettre les dépens à la charge de l'État  ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

L'ordonnance n° 9261 du 11 octobre 1988 révoquant le sieur D. est annulée ;

Article 2

Le sieur D. est renvoyé devant l'administration pour qu'il soit statué sur sa situation administrative et sur l'indemnité à laquelle il serait susceptible de prétendre ;

Article 3

Les dépens sont mis à la charge de l'Etat ;

Article 4

Le surplus des conclusions de la requête est rejeté ;

Article 5

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'Etat.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25469
Date de la décision : 19/12/1989

Analyses

Fonction publique ; Fonction publique civile et militaire ; Compétence ; Justice (organisation institutionnelle) ; Pouvoir disciplinaire


Parties
Demandeurs : Sieur A. D.
Défendeurs : Ministre d'État

Références :

arrêté ministériel du 10 août 1988
ordonnance n° 6365 du 17 août 1978
ordonnance n° 9261 du 11 octobre 1988
Vu la constitution
Ordonnance Souveraine du 11 octobre 1988
ordonnance souveraine n° 2984 du 16 avril 1963
Ordonnance Souveraine n° 9621 du 11 octobre 1988
loi n° 975 du 12 juillet 1975


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;1989-12-19;25469 ?

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