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20/06/1989 | MONACO | N°25260

Monaco | Tribunal Suprême, 20 juin 1989, Association des propriétaires de la Principauté de Monaco


Abstract

Droits et libertés constitutionnels

Droit de propriété - Conciliation avec des règles et principes de valeur constitutionnelle - Exigences résultant de caractères géographiques particuliers du territoire - Action des requérants non fondée

Procédure

Association - Président - Représentation de l'association - Recevabilité du recours formé par le président

Propriétaires et Association représentant des propriétaires - Intérêts identiques - Conclusions conjointes - Recevabilité

Procédure

Dispositions nouvelles de la loi

moins rigoureuses - Interdiction (non) de contester la loi devant le juge juridictionnel - Intérêt à agir

Ass...

Abstract

Droits et libertés constitutionnels

Droit de propriété - Conciliation avec des règles et principes de valeur constitutionnelle - Exigences résultant de caractères géographiques particuliers du territoire - Action des requérants non fondée

Procédure

Association - Président - Représentation de l'association - Recevabilité du recours formé par le président

Propriétaires et Association représentant des propriétaires - Intérêts identiques - Conclusions conjointes - Recevabilité

Procédure

Dispositions nouvelles de la loi moins rigoureuses - Interdiction (non) de contester la loi devant le juge juridictionnel - Intérêt à agir

Association des propriétaires de la Principauté de Monaco

Motifs

Le Tribunal Suprême

Siègeant et délibérant en Assemblée Plénière,

Vu la requête présentée par l'Association des Propriétaires de la Principauté de Monaco, les sieurs G., F., F., S., R. et la dame C., le 22 septembre 1988, tendant à l'annulation de la loi n° 1118 du 18 juillet 1988 relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation,

Ce faire,

Attendu que l'article 24 de la Constitution consacre le principe de l'inviolabilité de la propriété et précise à quelles conditions un particulier peut en être privé ;

Qu'il résulte de la loi déférée au Tribunal Suprême que l'obligation faite aux propriétaires de louer leurs locaux à des locataires qui leur sont imposés par l'administration constitue une atteinte grave au droit de propriété ;

Que si des considérations d'ordre général ont inspiré cette restriction au droit de propriété, il en résulte un préjudice spécial aux propriétaires visés par la loi et que celle-ci n'a pas prévu les conditions de réparation de ce préjudice en violation des principes consacrés par l'article 24 de la Constitution ;

Vu la contre-requête de Monsieur le Ministre d'État, déposée le 25 novembre 1988 et tendant au rejet de la requête avec condamnation aux dépens pour les motifs que,

Ladite requête est irrecevable car elle émane collectivement de l'Association des Propriétaires et de six personnes physiques se prévalant de la qualité de propriétaires alors que les requérants défendent des intérêts distincts ;

que la jurisprudence dite du premier requérant nommé n'est même pas applicable, l'Association n'étant pas régulièrement représentée, le président n'ayant pas été autorisé à ester en justice ;

que, en toute hypothèse, la requête n'est pas recevable pour un autre motif : que les requérants sont sans intérêt à critiquer la loi dès lors qu'elle institue un régime plus libéral que la législation précédente et que son annulation contraint à soumettre les propriétaires aux dispositions incomparablement plus contraignantes de cette législation ;

à titre subsidiaire, que la loi n'a pas porté atteinte à un droit consacré par le Titre III de la Constitution ; que pour que cette atteinte existe il faut qu'elle soit suffisamment grave et aboutisse à une amputation du droit de propriété ; qu'au surplus la loi nouvelle ne comporte pas privation du droit de propriété, cette privation appelant seule compensation ; que, même, des atteintes au droit de propriété ne comportant pas privation doivent être d'une gravité telle qu'elles aboutissent à une privation au moins partielle ; qu'il n'en est pas ainsi du fait de la loi attaquée qui n'institue qu'une limitation temporaire au libre choix du preneur par le propriétaire ; que l'existence d'une vaste catégorie de personnes protégées n'ampute pas le droit de propriété et est exclusive de toute dépossession ;

qu'en tout état de cause le préjudice subi n'est pas certain et spécial et que la requête n'en apporte pas la preuve d'autant plus que les catégories protégées sont suffisamment amples pour que les propriétaires soient en mesure de trouver un locataire au prix souhaité ;

Vu la réplique déposée le 23 décembre 1988 par les requérants et tendant aux mêmes fins que la requête initiale ;

en ce qui concerne la recevabilité, en ce que les requêtes collectives sont recevables dès lors que l'action d'un au moins des requérants est recevable et que tous les requérants ont intérêt à agir pour la défense du droit de propriété ;

qu'en tout état de cause, la requête de l'Association est recevable dès lors que, selon ses statuts, son président est apte à la représenter dans tous les actes de la vie civile ; que, à titre superfétatoire, est produite une délibération, en date du 19 décembre 1988, autorisant le président à représenter l'Association dans l'instance ;

que c'est en dénaturant le sens de la requête que le Ministre d'État prétend que les requérants seraient sans intérêt à critiquer la loi ; que ceux-ci ne contestent, en effet, pas la loi en ce qu'elle est plus libérale que le régime antérieur et que ne sont critiquées que les dispositions impliquant l'absence de liberté de choix des propriétaires ; que les requérants acceptent bien volontiers de restreindre leurs conclusions à l'annulation de ces seules dispositions ;

que sur le fond, les observations du Ministre d'État ne conduisent pas les requérants à modifier leurs conclusions ; que l'absence du libre choix du locataire constitue une atteinte indirecte au droit de propriété, le propriétaire ne pouvant refuser d'accepter un locataire, même pour des raisons légitimes ; que le propriétaire ne dispose d'aucune marge de choix puisqu'il est tenu d'accepter comme locataire la première personne qui se présente dans l'ordre établi par l'Administration ;

que, au surplus, la liberté de fixer le montant du loyer n'est qu'une illusion car le jeu du marché est faussé par la limitation du nombre des propriétaires ; que le propriétaire n'est pas libre de ne pas louer son bien ; que le préjudice est donc certain ; qu'au surplus il est spécial dès lors que la loi ne concerne que les seuls propriétaires du secteur réglementé ;

Vu la duplique déposée par le Ministre d'État le 25 janvier 1989 et tendant à nouveau au rejet de la requête :

En ce qui concerne la recevabilité, parce que les requérants ont des intérêts distincts ;

qu'en ce qui concerne le recours de l'Association, un recours en matière constitutionnelle n'est pas un acte de la vie civile ; que le mandat donné au président est postérieur à l'introduction du recours ;

Que dans leur réplique, les requérants limitent la portée de leur recours aux dispositions de la loi qui leur font grief mais que l'annulation de ces dispositions remettrait en vigueur le droit antérieur plus contraignant, ce qui les prive d'intérêt pour agir ; que les dispositions attaquées sont, en outre, inséparables des autres dispositions de la loi de sorte que seule une annulation totale pourrait être prononcée alors que le juge ne peut statuer « ultra petita » ;

Au fond que la limitation prévue ne constitue pas une atteinte suffisamment grave au droit de propriété ; qu'une contestation légitime est toujours possible de la part du propriétaire ;

que la spécialité du préjudice n'est pas établie, la pratique des loyers demandés en 1988 montrant que leur montant n'est pas négligeable ;

Vu la loi attaquée,

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier,

Vu la Constitution et notamment ses articles 24 et 32,

Vu l'Ordonnance du 16 avril 1963 modifiée,

Vu l'Ordonnance de Monsieur le Président du Tribunal Suprême en date du 1er mars 1989 par laquelle il a ordonné le renvoi de la cause,

Oui Monsieur Roland Drago, Membre du Tribunal Suprême en son rapport,

Oui Maîtres Blanc et Piwnica, Avocats au Conseil d'État français et à la Cour de Cassation en leurs observations,

Oui Monsieur le Procureur Général en ses conclusions,

Siégeant et délibérant en matière constitutionnelle :

Sur la recevabilité

En ce qui concerne la qualité pour agir du sieur G. en tant que président en exercice de l'Association des Propriétaires de la Principauté de Monaco,

Considérant qu'il ressort de l'article 10 des statuts de l'Association en date du 6 mai 1977 que le président « a pour mission de représenter l'Association dans tous les actes de la vie civile » ; qu'on doit compter au nombre de ces actes les actions engagées au nom de l'Association devant les juridictions ; que le recours déposé au nom du sieur G. en tant que président de l'Association requérante est donc recevable ;

En ce qui concerne l'intérêt pour agir,

Considérant, en premier lieu, que l'Association des Propriétaires de la Principauté de Monaco, d'une part, et les sieurs G., F., F., S., R. et la dame C., d'autre part invoquent à rencontre de la loi déférée au Tribunal Suprême des intérêts identiques en tant que propriétaires ou représentants les propriétaires ;

Considérant que l'appréciation des conclusions présentées conjointement par les requérants comporte l'examen de ces intérêts au regard des atteintes invoquées au droit de propriété ; que ces conclusions sont donc recevables à ce titre ;

Considérant, en second lieu, que les requérants ont intérêt à invoquer, devant le Tribunal Suprême, la non conformité de la loi attaquée à la Constitution ; que le fait que des dispositions nouvelles soient moins rigoureuses que les dispositions en vigueur ne saurait par lui-même interdire que la constitutionnalité d'une loi soit contestée devant le juge constitutionnel ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants sont recevables à déférer la loi du 18 juillet 1988 devant le Tribunal Suprême.

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 24 de la Constitution,

Considérant que cet article dispose : « La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité établie et versée dans les conditions prévues par la loi » ;

Considérant que le libre exercice du droit de propriété consacré par ce texte doit être concilié avec les autres règles et principes de valeur constitutionnelle applicables dans l'État monégasque ; qu'il en est ainsi des exigences résultant des caractères géographiques particuliers du territoire de l'État ainsi que du principe accordant une priorité aux citoyens monégasques, consacré notamment par l'article 32 de la Constitution ;

Considérant que la loi déférée au Tribunal Suprême est justifiée par les difficultés exceptionnelles que les candidats à un logement rencontrent pour habiter sur le territoire de l'État monégasque ; que, dès lors, et tant que ces difficultés continueront à revêtir ce caractère exceptionnel, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la loi attaquée n'est pas conforme à la Constitution.

Dispositif

Décide :

Article 1er

La requête présentée par l'Association des Propriétaires de la Principauté de Monaco, les sieurs G., F., F., S., R. et la dame C. est rejetée ;

Article 2

Les dépens sont mis, à parts égales, à la charge des requérants ;

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 25260
Date de la décision : 20/06/1989

Analyses

Constitution ; Associations et fondations


Références :

Vu la Constitution
article 32 de la Constitution
article 24 de la Constitution
loi n° 1118 du 18 juillet 1988


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;1989-06-20;25260 ?

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