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20/06/1979 | MONACO | N°27515

Monaco | Tribunal Suprême, 20 juin 1979, Association Syndicale des Fonctionnaires c/ Ministre d'État


Abstract

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Ordonnance souveraine prise pour l'exécution d'une loi - Recours pour excès de pouvoir - Moyens tirés de la violation de dispositions constitutionnelles - Recevabilité.

Droits et libertés constitutionnels

Égalité devant la loi - Champ d'application - Personnes se trouvant dans des situations identiques - Priorité des Monégasques pour l'accession aux emplois publics - Possibilité pour la loi d'en écarter l'application compte tenu des nécessités de l'organisation et du fonctionnement

des services

Fonctionnaires et agents publics

Droits et obligations - Domaine légi...

Abstract

Compétence

Contentieux administratif - Recours en annulation - Ordonnance souveraine prise pour l'exécution d'une loi - Recours pour excès de pouvoir - Moyens tirés de la violation de dispositions constitutionnelles - Recevabilité.

Droits et libertés constitutionnels

Égalité devant la loi - Champ d'application - Personnes se trouvant dans des situations identiques - Priorité des Monégasques pour l'accession aux emplois publics - Possibilité pour la loi d'en écarter l'application compte tenu des nécessités de l'organisation et du fonctionnement des services

Fonctionnaires et agents publics

Droits et obligations - Domaine législatif - Délégation du législateur pour l'édiction par la voie réglementaire des mesures nécessaires à l'application des dispositions législatives - Exercice normal d'un pouvoir général

Procédure

Conclusions - Étendue - Appréciation par le Tribunal Suprême

Motifs

Le Tribunal Suprême

Réuni en Assemblée Plénière et statuant en matière administrative,

Vu la requête présentée le 24 octobre 1978 par l'Association Syndicale des Fonctionnaires tendant à l'annulation pour cause d'inconstitutionnalité de la loi n° 975 du 12 juillet 1975, ainsi que de l'Ordonnance Souveraine n° 6364 du 17 août 1978 et des textes subséquents ; à défaut et si les textes considérés devaient être reconnus conformes à la Constitution, à l'annulation de l'Ordonnance Souveraine n° 6364 du 17 août 1978 pour violation de l'article 4 de la loi n° 975 ;

Ce faire, attendu que la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État dispose dans son article 4 que « l'accès aux emplois visés à l'article 2 ne peut avoir lieu que dans les conditions prévues au présent statut. Toutefois, une Ordonnance Souveraine déterminera les emplois supérieurs pour lesquels les nominations sont laissées à la seule décision de l'autorité compétente » ;

Qu'au titre de ces dispositions législatives, l'Ordonnance n° 6364 énumère d'abord les emplois supérieurs auxquels la nomination est délaissée à l'autorité compétente puis applique le même régime de recrutement aux « collaborateurs personnels et directs du Ministre d'État et des Conseillers du Gouvernement » ; que ces dispositions apparaissent comme entachées d'illégalités ; qu'en effet :

1° les textes sus énoncés enfreignent l'article 51 de la Constitution aux termes duquel « les obligations, droits et garanties fondamentaux des fonctionnaires, ainsi que leur responsabilité civile et fiscale, sont fixés par la loi » ; en effet, les conditions de nomination rentrent dans les catégories énoncées par cet article ; la loi n° 975 ne pouvait donc, en la matière des nominations, déléguer à une Ordonnance Souveraine le pouvoir de déroger à ses propres dispositions ;

2° les textes énoncés enfreignent l'article 7 de la Constitution aux termes duquel « les Monégasques sont égaux devant la loi. Il n'y a pas entre eux de privilège » ; en effet, lesdits textes instaurent une inégalité entre les citoyens monégasques devant la loi en permettant au Gouvernement de dispenser les candidats à certaines fonctions de subir les dispositions générales de recrutement définies tant par la loi n° 975 que par la Section II de l'Ordonnance n° 6364 ;

3° les textes sus énoncés enfreignent l'article 25 de la Constitution aux termes duquel « la priorité est assurée aux Monégasques pour l'accession aux emplois publics et privés dans les conditions prévues par la loi ou les » conventions internationales « ; lesdits textes en effet, en ouvrant à » l'autorité compétente « un pouvoir de nomination qui n'est subordonné à aucune condition, permettent à cette autorité de méconnaître la priorité des citoyens Monégasques ;

4° à supposer que par impossible la loi n° 975 doive être regardée comme conforme à la Constitution, il resterait à considérer que l'Ordonnance n° 6364 enfreint l'article 4 de la loi n° 975, puisque la mission de » déterminer « les emplois supérieurs auxquels la nomination est délaissée à l'autorité compétente impose nécessairement au Gouvernement l'obligation soit de dresser une liste exhaustive de ces emplois, soit de formuler les critères permettant de les définir, alors que l'Ordonnance attaquée, après l'énumération d'un certain nombre d'emplois, énonce en une formule vague » les collaborateurs personnels et directs « éludant ainsi l'obligation de limiter un pouvoir discrétionnaire dévolu au Gouvernement.

Vu la contre-requête en date du 26 décembre 1978, par laquelle le Ministre d'État conclut au rejet de la requête pour les motifs :

Qu'en premier lieu, les conclusions de l'Association requérante tendant à l'annulation pour cause d'inconstitutionnalité de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 doivent être rejetées comme tardives puisque l'Association requérante a saisi le Tribunal Suprême de ces conclusions le 24 octobre 1978 alors que la loi a été publiée au Journal de Monaco, le 18 juillet 1975 ; en second lieu et au fond, le moyen tiré d'une prétendue violation de l'article 51 de la Constitution par l'article 4 de la loi n° 975 n'est pas recevable. En effet, le Tribunal Suprême, étant saisi d'un recours en appréciation de validité de l'article 4 de la loi, est appelé à se prononcer en matière constitutionnelle ; il ne saurait donc connaître d'un moyen tiré de la violation de l'article 51 de la Constitution, puisque cet article ne concerne pas les libertés et droits consacrés par le Titre III de la Constitution ; le moyen d'annulation de l'Ordonnance Souveraine n° 6364, pris par l'Association requérante, par voie de conséquence de l'inconstitutionnalité de l'article 4 de la loi, doit donc être écarté ; surabondamment, l'Ordonnance Souveraine attaquée n'est entachée d'aucun vice d'incompétence, puisque l'énoncé des emplois supérieurs prévus à l'article 4 de la loi ne concerne pas les obligations, droits et garanties fondamentaux des fonctionnaires, ni leur responsabilité civile et pénale ;

Que le principe d'égalité des citoyens devant la loi, institué par l'article 17 de la Constitution n'a d'effet qu'à l'égard des personnes se trouvant dans des conditions identiques ; que si deux modes de recrutement sont institués, il n'en résulte pas que les candidats à l'un ou l'autre des deux types d'emplois se trouvent placés entre eux dans des conditions différentes ; dans ces conditions, il n'y a pas de violation de principe ;

Que la priorité de recrutement des citoyens Monégasques n'est pas non plus enfreinte ; l'article 4 de la loi n° 975 ne préjuge en rien de la nationalité des personnes susceptibles d'être nommées à des emplois supérieurs. Il n'en exclut nullement les nationaux Monégasques et ne fait pas davantage obligation à l'autorité compétente de choisir par priorité des ressortissants étrangers ; l'article 4 est étranger à l'article 25 de la Constitution ; la priorité ne peut intervenir que si le candidat possède les titres requis ; or, la nomination à un emploi supérieur n'est pas subordonnée à la possession de titres déterminés, l'autorité compétente appréciant dans chaque cas et intuitu personae si le candidat correspond bien au profil exigé ; le moyen tiré de la prétendue violation de l'article 25 de la Constitution ne peut donc être retenu, et par voie de conséquence, la légalité à ce titre de l'Ordonnance n'est pas contestable ;

Que le dernier moyen concerne la seule légalité de l'Ordonnance ; il est tiré de ce que l'Ordonnance, en assimilant aux titulaires d'emplois supérieurs » les collaborateurs personnels et directs du Ministre d'État et des Conseillers de Gouvernement « aurait manqué à l'obligation que lui faisait la loi de déterminer les emplois supérieurs ; or, en précisant les seules activités dont il s'agit, et en faisant référence au caractère personnel et direct des liens qui doivent unir les agents considérés à leurs chefs immédiats, l'Ordonnance a fait de ces emplois une détermination suffisante ; à Monaco, comme en France, les membres des Cabinets Ministériels constituent un ensemble d'agents parfaitement distincts des fonctionnaires faisant statutairement partie des directions et services de l'Administration. La critique de l'Association requérante ne vise d'ailleurs pas le principe même de tels emplois, mais l'application abusive qui pourrait être faite des dispositions de l'ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en réplique de l'Association Syndicale requérante en date du 24 janvier 1979, persistant dans les conclusions de sa requête par les mêmes moyens et, en outre, par les motifs :

Que le recours est essentiellement dirigé contre l'Ordonnance n° 6364 publiée au Journal de Monaco du 18 août 1978, mention étant faite de l'inconstitutionnalité de la loi n° 975 d'une façon médiate découlant de la demande d'annulation de l'Ordonnance ; il est évident que le Tribunal Suprême est saisi en matière administrative dans les termes de l'article 90 § A alinéa 2 de la Constitution puisque la requête tend à l'annulation d'une Ordonnance Souveraine prise pour l'exécution d'une loi. Il s'ensuit que les divers moyens d'inconstitutionnalité sont recevables, l'inconstitutionnalité invoquée en matière administrative devant s'interpréter comme une variété du contrôle de légalité ; cela étant :

a) l'Ordonnance attaquée viole l'article 51 de la Constitution puisque les obligations, droits et garanties fondamentaux des fonctionnaires sont engagés dans les conditions de la nomination et dans le développement de carrière qui procède de cette dernière ; qu'ainsi, c'est toute la carrière du fonctionnaire qui échappe à l'application des dispositions légales du statut ;

b) le défaut d'application du statut fait disparaître les critères de recrutement, empêchant ainsi de vérifier l'existence de conditions identiques entre les citoyens. Il n'est pas possible de prétendre que toute personne a vocation à présenter sa candidature dès lors que cette possibilité est assortie de la justification de qualités qui sont laissés à l'arbitraire du Gouvernement. La vocation à présenter une candidature ne peut d'ailleurs être exercée faute de publication de la vacance d'emploi. L'Ordonnance n° 6364 enfreint donc l'article 17 de la Constitution ;

c) la priorité de recrutement en faveur des Monégasques est rendue vaine par l'institution d'un choix intuitu personae, d'une part, parce que la loi ne fixe pas les conditions d'exercice de cette priorité dans le cas de nomination délaissée aux choix de l'autorité compétente, d'autre part, parce que les candidats éventuels ne sont pas informés de la vacance de l'emploi. L'Ordonnance enfreint donc l'article 25 de la Constitution.

Qu'en ce qui concerne la violation de l'article 4 de la loi n° 975 par l'Ordonnance attaquée, il est à remarquer que les deux dispositions consécutives de l'Ordonnance impliquent une différence entre les emplois supérieurs, qui sont énumérés, et les emplois évoqués globalement dont la nature n'est pas définie, les termes » collaborateurs personnels et directs « pouvant à la limite s'appliquer au chauffeur personnel du Ministre ou à un huissier ou à un autre membre du personnel de catégorie inférieure. L'Ordonnance ne satisfait donc pas à l'exigence de l'article 4 de la loi qui prescrit que les emplois dont il s'agit soient déterminés. L'Ordonnance est donc entachée d'illégalité ;

Vu le mémoire en duplique en date du 22 février 1979 par lequel le Ministre d'État persiste dans les conclusions de la contre-requête par les mêmes moyens et, en outre, par les motifs :

Que les conclusions de la requête tendent réellement à l'annulation de la loi n° 975 ; que la tardiveté de ces conclusions est évidente ; qu'elles doivent, en conséquence, être rejetées comme irrecevables ;

Que l'illégalité de l'Ordonnance résulterait par voie de conséquence de l'inconstitutionnalité prétendue de l'article 4 de la loi n° 975 ; le Tribunal Suprême ne pourrait se prononcer sur la validité de ce texte que dans le cadre de l'article 90 A de la Constitution, c'est-à-dire en Assemblée plénière et sur un moyen pris d'une atteinte aux droits consacrés par le Titre III de la Constitution ; le Tribunal Suprême n'est donc pas compétent pour statuer sur le moyen pris de la violation de l'article 51 de la Constitution ; de surcroît la requérante ne démontre pas que l'article 4 de la loi n° 975 contreviendrait à l'article 51 de la Constitution ; que l'Ordonnance n° 6364, en plaçant hors statut un certain nombre d'emplois ne met pas en cause les droits que les autres agents tiennent du statut général ; que la compétence dévolue au législateur s'étend non seulement à l'édiction des règles fondamentales du statut, mais tout autant à la détermination des emplois supérieurs dont les titulaires ne pourront prétendre à l'intégralité des garanties statutaires ;

Que le législateur a pu, sans enfreindre le principe d'égalité, prévoir des conditions de recrutement spéciales aux emplois supérieurs qui comportent des responsabilités particulières ; qu'ainsi la loi n° 975 n'a pas enfreint l'article 51 de la Constitution ;

Que l'article 4 de la loi n° 975 ne met pas en cause le principe, formulé dans l'article 25 que » la priorité est assurée aux Monégasques pour l'accession aux emplois publics et privés dans les conditions prévues par la loi ou les conventions internationales « ; qu'en effet cette priorité ne s'exerce qu'autant que le candidat possède les titres requis pour accéder à l'emploi vacant ; que la nomination à un emploi supérieur n'étant pas, par définition, subordonnée à la possession d'un titre déterminé, le Gouvernement ne saurait se voir opposer la possession d'un titre quelconque par un candidat prétendant au bénéfice de la priorité ;

Qu'enfin, l'Ordonnance Souveraine n'est pas entachée d'illégalité en tant qu'elle énoncerait sans une précision suffisante » les collaborateurs personnels et directs du Ministre d'État et les Conseillers du Gouvernement « ; qu'il est vain de critiquer cette disposition en anticipant les applications abusives qui pourraient, par pure hypothèse, en être faites ;

Vu l'acte attaqué ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu l'Ordonnance Constitutionnelle du 19 décembre 1962, notamment ses articles 17, 25 et 51 ;

Vu la loi n° 975 du 12 Juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963, modifiée, sur l'Organisation et le Fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance de M. le Président du Tribunal Suprême en date du 26 Mars 1979, par laquelle il a ordonné le renvoi de la cause devant l'Assemblée Plénière du Tribunal Suprême ;

Ouï M. Alfred Potier, Membre du Tribunal Suprême en son rapport ;

Ouï Maîtres Sbarrato et G.H. George en leurs observations ;

Ouï M. le Procureur Général en ses conclusions ;

Sur l'étendue des conclusions :

Considérant, en premier lieu, que, dans le texte de la requête, les conclusions du recours tendaient formellement, au moins en tant que de besoin, à l'annulation pour inconstitutionnalité de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État, mais que, dans le dernier état de l'instruction, le recours ne conclut plus à cette annulation, et se borne à tirer, de l'inconstitutionnalité supposée de l'article 4 de la loi susmentionnée, des moyens à l'appui de conclusions qui tendent seulement à ce que l'Ordonnance Souveraine n° 6364 du 17 août 1978 déterminant les emplois supérieurs visés par l'article 4 de la loi susmentionnée soit annulée comme étant inconstitutionnelle, tant en elle-même que par voie de conséquence ; que par suite, le Tribunal Suprême n'a pas à statuer sur des conclusions en annulation de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 portant statut des fonctionnaires de l'État ;

Considérant en deuxième lieu que les conclusions tendant subsidiairement à ce que l'Ordonnance Souveraine n° 6364 du 17 août 1978 soit annulée, non plus pour inconstitutionnalité, mais pour violation de l'article 4 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 susmentionné, ne sont assorties d'aucun moyen concernant le premier alinéa de cette Ordonnance Souveraine ; que, par suite, ces conclusions ne sont recevables qu'en ce qui concerne le deuxième alinéa de ladite ordonnance ;

Considérant, en définitive que le Tribunal Suprême se trouve saisi ;

d'une part, de conclusions en annulation de l'Ordonnance Souveraine n° 6364 en son entier par des moyens d'inconstitutionnalité ;

d'autre part, de conclusions en annulation du seul deuxième alinéa de la même ordonnance par des moyens d'illégalité ;

Sur les moyens d'inconstitutionnalité :

I. - Sur la recevabilité :

Considérant que, d'une part, le Tribunal Suprême est saisi par l'Association requérante d'un recours en annulation pour excès de pouvoirs dirigé contre l'Ordonnance Souveraine n° 6364 du 17 août 1978 ; que, d'autre part, cette Ordonnance Souveraine est prise pour l'exécution de la loi n° 975 du 12 juillet 1975 ; qu'il en résulte que le recours entre dans la catégorie des » recours en annulation pour excès de pouvoirs formés contre les Ordonnances Souveraines prises pour l'exécution des lois «, telle que cette catégorie est définie par l'article 90 § B - 1°) de la Constitution ; que ce dernier texte, à la différence du paragraphe A - 1°) du même article qui ne concerne que » les recours en annulation qui ne sont pas visés au paragraphe B du présent article «, ne limite pas la recevabilité des moyens à ceux qui sont tirés d'une atteinte aux libertés et droits consacrés par le Titre II de la Constitution ; qu'il s'ensuit que tous les moyens tirés de la violation de dispositions constitutionnelles quelconques peuvent être soulevés à l'appui de recours et peuvent être examinés par le Tribunal Suprême statuant en matière administrative dans les conditions prévues au paragraphe B - 3°) de l'article 20 de la Constitution ;

II. - Sur la constitutionnalité :

Considérant en premier lieu, que si, aux termes de l'article 51 de la Constitution, » les obligations, droits et garanties fondamentaux des fonctionnaires ainsi que leur responsabilité civile et pénale, sont fixés par la loi «, cette disposition n'a ni pour objet, ni pour effet d'exclure le pouvoir général, que le législateur exerce conformément à la Constitution, d'habiliter le Gouvernement pour l'édiction, par la voie réglementaire des mesures qu'il est nécessaire de prendre à l'effet d'assurer l'application des dispositions législatives ; que, notamment, dans le domaine du statut des fonctionnaires, les conditions particulières de nomination exigées par la nature de certains emplois font partie des modalités d'application des dispositions législatives générales régissant cette matière des nominations ; que les mesures d'application à prendre en la matière peuvent donc être déléguées au Gouvernement ; que la loi peut apporter elle-même des exceptions aux règles qu'elle institue ; qu'il s'ensuit que si, après avoir érigé en règle générale le recrutement » dans les conditions prévues au présent statut «, l'article 4 de la loi n° 975 dispose que » toutefois une Ordonnance Souveraine déterminera les emplois supérieurs pour lesquels les nominations sont laissées à la seule décision de l'autorité compétente «, une telle habilitation ne constitue que l'exercice normal d'un pouvoir général ; que dès lors, ni l'article 4 de la loi n° 975 ni l'Ordonnance Souveraine n° 6364 se sont entachées d'une violation de l'article 51 de la Constitution ;

Considérant, en deuxième lieu, que si, aux termes de l'article 17 de la Constitution » les monégasques sont égaux devant la loi. Il n'y a pas entre eux de privilèges «, le respect de cette disposition constitutionnelle dans le domaine du statut des fonctionnaires exige seulement qu'il ne soit institué aucune discrimination soit entre les fonctionnaires d'un même cadre, corps ou grade, soit entre les candidats au même emploi, ; pourvu que les uns et les autres se trouvent dans des situations identiques ; qu'entre les candidats à des emplois qui sont respectivement pourvus par des systèmes de nomination différents, il y a une différence de situation qui fait que la règle de l'égalité ne peut trouver à s'appliquer ; que dès lors, ni l'article 4 de la loi n° 975 ni l'Ordonnance Souveraine n° 6364 ne sont entachés d'une violation de l'article 17 de la Constitution ;

Considérant, en troisième lieu, que si, aux termes de l'article 25 de la Constitution » la priorité est assurée aux monégasques pour l'accession aux emplois publics dans les conditions prévues par la loi ou les conventions internationales «, il résulte de ces termes mêmes que la priorité des monégasques ne s'exerce pas dans la mesure où la loi n'en écarte pas l'application, compte tenu des nécessités de l'organisation et du fonctionnement des services et des possibilités techniques qui en découlent ; que si, en l'espèce, l'article 4 de la loi n° 975, tout en n'écartant pas expressément le principe de la priorité des monégasques, n'en réserve cependant pas une application qu'il peut même rendre, en fait, impossible dans certains cas, une telle situation est précisément au nombre de celles dont l'éventualité est prévue par le texte constitutionnel précité ; que dès lors, ni l'article 4 de la loi n° 975, ni l'Ordonnance Souveraine n° 6364 ne sont entachées d'une violation de l'article 25 de la Constitution ;

Considérant que, de tout ce qui précède, il résulte que ni l'article 4 de la loi n° 975 ni l'Ordonnance Souveraine n° 6364 ne sont entachées d'excès de pouvoir, au titre des violations de la Constitution d'où sont tirés les moyens du recours ;

Sur le moyen d'illégalité

Considérant que la disposition attaquée, aux termes de laquelle » sont également laissées à la seule décision de l'autorité compétente les nominations des collaborateurs personnels et directs du Ministre d'État et des Conseillers de Gouvernement ", ne comporte ni la dénomination, l'énumération et l'effectif des emplois ou fonctions auxquels seraient nommés ces collaborateurs, ni l'énoncé de critères par rapport auxquels ces emplois ou fonctions auraient pu être déterminés ; que si la disposition attaquée fait état du caractère personnel et direct des collaborateurs dont il s'agit, la référence à ce seul caractère ne peut tenir lieu d'une détermination au sens de l'alinéa 2 de l'article 4 de la loi n° 975 ; qu'ainsi la disposition attaquée est rédigée en des termes dont l'imprécision et la généralité ne permettent pas de délimiter le champ d'application ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la disposition attaquée est entachée d'illégalité et doit être annulée ;

Dispositif

Décide :

Article 1er

le deuxième alinéa de l'Ordonnance Souveraine n° 6364 du 17 août 1978, déterminant les emplois supérieurs visés par l'article 4 de la loi n° 975 portant statut des fonctionnaires de l'État est annulé ;

Article 2

le surplus des conclusions du recours est rejeté ;

Article 3

les dépens sont mis à la charge de l'État ;

Article 4

expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27515
Date de la décision : 20/06/1979

Analyses

Fonction publique ; Droit des étrangers


Parties
Demandeurs : Association Syndicale des Fonctionnaires
Défendeurs : Ministre d'État

Références :

loi n° 975 du 12 juillet 1975
Vu l'Ordonnance Constitutionnelle du 19 décembre 1962
article 90 A de la Constitution
article 4 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975
Ordonnance Souveraine n° 6364 du 17 août 1978
article 7 de la Constitution
article 20 de la Constitution
article 51 de la Constitution
article 17 de la Constitution
article 25 de la Constitution
Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;1979-06-20;27515 ?

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