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04/12/1974 | MONACO | N°27501

Monaco | Tribunal Suprême, 4 décembre 1974, sieur B. c/ Ministre d'Etat


Abstract

Fonctionnaires et agents publics

Agents publics - Statut des fonctionnaires - Non-application aux agents contractuels - Discipline - Garanties - Principe du respect des droits de la défense - Application même sans texte - Discipline - Sanctions - Indépendance des sanctions disciplinaires et des sanctions pénales - Suspension - Caractère de sanction disciplinaire (non)

Motifs

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en section administrative ;

Vu la requête en date du 12 avril 1974, présentée par le sieur B. et tendant à ce qu'

il plaise au Tribunal Suprême :

annuler, pour excès de pouvoirs la décision en date du 13 février...

Abstract

Fonctionnaires et agents publics

Agents publics - Statut des fonctionnaires - Non-application aux agents contractuels - Discipline - Garanties - Principe du respect des droits de la défense - Application même sans texte - Discipline - Sanctions - Indépendance des sanctions disciplinaires et des sanctions pénales - Suspension - Caractère de sanction disciplinaire (non)

Motifs

Le Tribunal Suprême

Siégeant et délibérant en section administrative ;

Vu la requête en date du 12 avril 1974, présentée par le sieur B. et tendant à ce qu'il plaise au Tribunal Suprême :

annuler, pour excès de pouvoirs la décision en date du 13 février 1974, par laquelle le Directeur de la Fonction Publique a mis fin à compter du même jour à l'engagement du requérant en qualité de professeur de lettres au Collège d'Enseignement secondaire et technique de Monte-Carlo,

condamner le Gouvernement Princier aux dépens ;

Ce faire, attendu que la décision attaquée qui a le caractère d'une sanction, a été prise en violation, d'une part, du principe de respect des droits de la défense et, d'autre part, des dispositions de l'ordonnance n° 84 du 11 octobre 1940, et, notamment, de ses articles 24, 25, 26 et 27 ;

Qu'en effet, d'une part, alors qu'une telle décision doit être motivée et que l'intéressé doit avoir été mis à même de présenter sa défense, en l'espèce, il n'a pas été fait d'instruction, et le dossier n'a pas été communiqué au requérant qui n'a pas eu la possibilité de discuter l'inculpation ;

Que, d'autre part, le requérant, bien que contractuellement lié à l'Administration, avait le droit de bénéficier des garanties prévues au statut des fonctionnaires en ce qu'elles n'étaient pas incompatibles avec sa situation individuelle ; qu'en appliquant au requérant la peine de la suspension avec privation de traitement, prévue par l'Ordonnance n° 84 du 11 octobre 1949, l'Administration a, implicitement, consenti à appliquer en l'espèce, les garanties procédurales instituées par cette ordonnance ;

Vu la contre-requête du Ministre d'Etat, en date du 14 juin 1974, tendant au rejet de la requête par les motifs,

que, d'une part, le requérant, ayant été cité le 4 décembre 1973 à comparaître devant le Tribunal correctionnel de Monaco pour répondre d'infractions aux articles 58, 164 et 165 du Code pénal, a été avisé, le même jour, qu'il était suspendu de ses fonctions en raison de cette citation ; qu'à la suite d'une protestation syndicale contre cette suspension, le Directeur de la Fonction Publique a, le 6 décembre 1973, reçu le sieur B., accompagné des représentants du syndicat, et l'a informé que l'Administration tirerait sur le plan administratif les conséquences définitives de son comportement quand la juridiction pénale aurait statué ; qu'ayant comparu à l'audience du 20 décembre 1973, le sieur B. s'est vu déclarer atteint et convaincu du délit d'offense envers la personne du prince et du délit d'outrage à personne chargée d'un service public et a été du premier chef, condamné à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis, ainsi qu'à la peine de deux mille francs d'amende, et du deuxième chef, condamné à la peine de deux mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à la peine de mille francs d'amende ; que ces deux jugements de condamnation ont été signifiés à l'intéressé le 29 décembre 1973 ; que c'est seulement par décision en date du 13 février 1974 qu'a été prononcé le licenciement du sieur B. ; qu'il résulte de ces circonstances que le sieur B., à qui l'Administration n'avait pas d'obligation légale de communiquer son dossier, a été mis à même de présenter sa défense et a disposé des délais nécessaires à cette fin ;

Que, d'autre part, l'Administration ne peut, du fait de la suspension qu'elle a prononcée, être regardée comme s'étant placée volontairement dans le cadre des dispositions du Titre V de l'Ordonnance du 11 octobre 1949 ; qu'en effet, la mesure de suspension a été prise par l'Administration, non pas, sur le fondement de ce texte spécial, mais en vertu du pouvoir général appartenant à tout chef de service d'écarter provisoirement du service l'agent à qui parait pouvoir être imputée une faute disciplinaire ;

Vu la réplique en date du 15 juillet 1974, présentée par le sieur B., tendant aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens et, en outre, par les motifs :

que, d'une part, même en l'absence de règle légale formelle, l'Administration est tenue au respect des principes généraux du droit ; que la décision suspendant l'intéressé de ses fonctions ne lui faisait pas prévoir l'éventualité d'une autre sanction ultérieure ; qu'ayant été frappé de la sanction que constituait cette suspension, l'intéressé ne pouvait être l'objet d'une autre sanction disciplinaire prise sur le fondement d'une condamnation pénale ; que le pouvoir disciplinaire est distinct de la répression pénale ; que la décision de licenciement, venant aggraver la situation de l'agent, était contraire à l'usage et imprévisible, de sorte qu'il n'a pas été permis au sieur B. de présenter utilement sa défense ;

et que, d'autre part, en privant le sieur B. de son traitement entre la date de sa suspension et celle de son licenciement, l'Administration a appliqué une sanction dérogatoire au droit privé et trouvant nécessairement son fondement dans les dispositions de l'Ordonnance du 11 octobre 1949 ;

Vu la duplique en date du 14 août 1974, présentée par le Ministre d'Etat, tendant aux mêmes fins que la contre-requête par les mêmes moyens et, en outre, par les motifs, que la décision de suspension du 3 décembre 1973 précisait expressément qu'elle intervenait « à la suite de la citation à comparaître devant le Tribunal correctionnel de Monaco, pour répondre d'infraction aux articles 58, 164 et 165 du Code pénal » ; que le requérant, éclairé de surcroît par l'entrevue du 6 décembre 1973 avec le directeur de la Fonction publique, ne pouvait ignorer ni l'imminence, ni les motifs de la sanction à laquelle son comportement délictueux l'exposait ; qu'il était donc à même de faire valoir, en temps utile, ses moyens de défense ; que la suspension n'est pas une mesure disciplinaire ; et, enfin, que le statut des fonctionnaires n'est pas applicable aux agents contractuels ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu l'Ordonnance constitutionnelle du 17 décembre 1962, et notamment son article 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963 sur l'Organisation et le Fonctionnement du Tribunal Suprême ;

Vu l'Ordonnance du Président du Tribunal Suprême en date du 30 août 1974, renvoyant la cause et les parties devant le Tribunal Suprême délibérant en section administrative ;

Ouï Monsieur Alfred Potier, Membre du Tribunal Suprême en son rapport ;

Ouï Maîtres Sbarrato et George, en leurs plaidoiries ;

Ouï Monsieur le Procureur Général, en ses conclusions ;

Considérant que le sieur B. qui était employé comme professeur de lettres au Collège d'enseignement secondaire et technique de Monte-Carlo, aux termes d'un engagement annuel et renouvelé pour la dernière fois à compter de la rentrée scolaire 1973-1974, a été licencié par la décision du Ministre d'Etat en date du 13 février 1974, en raison d'un comportement qui avait donné lieu à deux condamnations prononcées le 20 décembre 1973 par le Tribunal correctionnel de Monaco, l'une, pour offense à la personne du Prince, à un an d'emprisonnement avec sursis et 2 000 F d'amende, l'autre, pour outrage à personne chargée d'un service public, à deux mois d'emprisonnement avec sursis et 1 000 F d'amende ;

Considérant, d'une part, que les faits constitutifs des deux délits retenus à la charge du sieur B. ont été commis le 9 novembre 1973 ; qu'en raison de ces faits, le sieur B. a été suspendu de ses fonctions par une décision du Directeur de la Fonction Publique en date du 3 décembre 1973 ; que cette décision indique expressément que la mesure de suspension est prise « à la suite de la citation », délivrée à l'intéressé aux fins de comparution devant le Tribunal correctionnel pour répondre des délits susmentionnés ; qu'il est constant que, consécutivement à une protestation syndicale contre la mesure de suspension, le sieur B., accompagné de représentants du syndicat, a été reçu le 6 décembre 1973 par le Directeur de la Fonction Publique ; qu'il résulte de ces circonstances, ainsi que des condamnations prononcées contre lui le 20 décembre 1973, que le sieur B. qui ne fut licencié qu'à la date du 13 février 1974, a été mis à même de présenter sa défense sur les griefs retenus contre lui ;

Considérant, d'autre part, que la mesure suspendant le sieur B. de ses fonctions, quelqu'effet que l'Administration ait pu lui faire porter sur le traitement de l'intéressé, trouve son fondement, non pas dans l'article 27 de l'Ordonnance n° 84 du 11 octobre 1949, constituant le statut des fonctionnaires et agents de l'ordre administratif, mais dans le pouvoir général appartenant à l'autorité hiérarchique, même en l'absence de texte, d'écarter provisoirement du service, en attendant qu'il soit statué sur son cas, l'agent dont le comportement paraît de nature à entraîner une sanction disciplinaire ; qu'en tout état de cause, l'Administration ne pouvait être légalement tenue d'observer envers un agent contractuel, alors même que sa situation relevait du Droit Public, les dispositions de procédure disciplinaire prévues par l'ordonnance précitée dont l'article 1 dispose qu'elle s'applique seulement « aux personnes qui, nommées dans un emploi permanent des cadres de l'Administration... ont été titularisées par Ordonnance Souveraine ou arrêté ministériel » ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le sieur B. n'est pas fondé à soutenir que la mesure prononçant son licenciement aurait été prise sur une procédure irrégulière ;

Considérant, enfin, qu'une mesure de suspension prise dans l'intérêt du service, ne constitue pas une sanction disciplinaire et que les sanctions disciplinaires sont distinctes de la répression pénale qu'il s'ensuit que le sieur B. n'est fondé à invoquer ni la mesure de suspension antérieurement prise à son encontre, ni les condamnations pénales qu'il a encourues pour soutenir que son licenciement serait entaché d'illégalité comme constituant une seconde sanction prononcée en raison des mêmes faits ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requête ne saurait être accueillie ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

La requête du sieur B. est rejetée ;

Article 2

Les dépens sont mis à la charge du sieur B. ;

Article 3

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'Etat.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27501
Date de la décision : 04/12/1974

Analyses

Pouvoir disciplinaire ; Fonction publique ; Infractions - Généralités


Parties
Demandeurs : sieur B.
Défendeurs : Ministre d'Etat

Références :

ordonnance n° 84 du 11 octobre 1940
Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963
Ordonnance du 11 octobre 1949
articles 58, 164 et 165 du Code pénal
Ordonnance n° 84 du 11 octobre 1949
Vu l'Ordonnance constitutionnelle du 17 décembre 1962
article 27 de l'Ordonnance n° 84 du 11 octobre 1949


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;1974-12-04;27501 ?

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