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28/02/1968 | MONACO | N°27485

Monaco | Tribunal Suprême, 28 février 1968, demoiselle S. c/ Ministre d'Etat


Abstract

Compétence

Compétence en matière constitutionnelle - Conditions - Contrat - Rupture abusive d'un contrat de travail - Incompétence du Tribunal Suprême - Recours en appréciation de validité - Exigence d'une décision de la juridiction judiciaire ordonnant le renvoi de la décision attaquée devant le Tribunal Suprême

Droits et libertés constitutionnels

Égalité devant la loi - Domaine d'application du principe - Personnes placées dans des situations identiques

Fonctionnaires et agents publics

Agent contractuel - Engagement à durée

indéterminée - Possibilité pour l'Administration de rompre à tout moment l'engagement dans l'intérêt...

Abstract

Compétence

Compétence en matière constitutionnelle - Conditions - Contrat - Rupture abusive d'un contrat de travail - Incompétence du Tribunal Suprême - Recours en appréciation de validité - Exigence d'une décision de la juridiction judiciaire ordonnant le renvoi de la décision attaquée devant le Tribunal Suprême

Droits et libertés constitutionnels

Égalité devant la loi - Domaine d'application du principe - Personnes placées dans des situations identiques

Fonctionnaires et agents publics

Agent contractuel - Engagement à durée indéterminée - Possibilité pour l'Administration de rompre à tout moment l'engagement dans l'intérêt du service, en l'absence de toutes dispositions subordonnant le licenciement des agents de cette catégorie à certaines conditions

Motifs

Le Tribunal Suprême

Vu la requête en date du 10 août 1967, tendant à ce qu'il plaise au Tribunal Suprême, saisi en vertu de l'article 90 A, 2e et B, 1e et 3e de la Constitution, d'annuler la décision en date du 15 juin 1967 par laquelle Monsieur le Ministre d'État a rejeté la demande présentée par la demoiselle S., le 26 avril 1967 et tendant à la réintégration dans l'administration à la suite de la notification à elle faite le 25 avril 1967 que son engagement en qualité d'attachée au Commissariat au Tourisme prendrait fin le 30 avril 1967, de condamner Monsieur le Ministre d'État à lui faire payer tous salaires, avantages et prestations qui lui sont dus depuis le 30 avril 1967, d'ordonner sa réintégration dans son poste ou son reclassement dans un poste similaire, subsidiairement de condamner Monsieur le Ministre d'État à lui faire payer une Indemnité compensatrice des dommages subis du fait des agissements administratifs critiqués, ladite indemnité à évaluer à dire d'expert, et de condamner tout contestant aux dépens ;

Motifs pris de la rupture abusive du contrat de travail en violation de la loi n° 729 du 16 mars 1963 ainsi que des droits acquis résultant pour elle de l'exercice de ses fonctions ;

De la violation de l'article 25 de la Constitution et de la Loi du 17 juillet 1957 stipulant une priorité aux monégasques pour l'accession aux emplois publics et privés, en tant que des situations équivalentes à celle qu'occupait la requérante ont été offertes à des étrangères ;

De la violation de l'article 17 de la Constitution stipulant l'égalité des monégasques devant la loi, en tant que la dame Q., engagée et licenciée dans des conditions identiques à celles de la requérante, a été reclassée dans l'administration monégasque après la cessation de ses fonctions au Commissariat Général au Tourisme ;

Vu la contre-requête du Ministre d'État, en date du 12 octobre 1967, tendant au rejet de la requête, en premier lieu pour incompétence s'agissant d'un litige en matière contractuelle ; en second lieu, pour irrecevabilité du recours fondé sur l'alinéa 3 B de l'article 90 de la Constitution, cette disposition concernant exclusivement le règlement de questions préjudicielles à l'occasion d'un litige soumis à une autre juridiction ; en dernier lieu et subsidiairement, en tant que la requête n'est pas fondée, la requérante ne pouvant se prévaloir d'aucun droit acquis au maintien en qualité d'agent temporaire ou à titularisation, n'apportant pas la preuve de l'abus de droit

qu'elle invoque et ne pouvait prétendre, en sa qualité d'agent temporaire, à son maintien en fonction, en dépit des augmentations de salaires dont elle a bénéficié, l'administration étant libre de toute obligation à son égard en vertu de son pouvoir d'appréciation ; en outre, les articles 25 et 17 de la Constitution n'ayant pas été violés dès lors que, d'une part, les élèves de l'École d'Hôtesses de Monaco avaient une qualification supérieure à celle de la requérante, et que, d'autre part, la dame Q. avait été réintégrée à la suite d'un concours ;

Vu la réplique présentée par la requérante le 11 novembre 1967 tendant aux mêmes fins que la requête par les motifs d'une part que le Tribunal Suprême est compétent s'agissant d'un litige ayant trait à la participation à un service public ; d'autre part que l'article 90 B 3e de la Constitution concerne la légalité des décisions administratives, quel que soit leur objet ; enfin que le Ministre d'État ne prouve pas que le contrat ait été conclu pour une durée déterminée, qu'il devait respecter le délai de préavis et l'obligation de versement d'une indemnité de licenciement prévus par la loi du 16 mars 1963 ainsi que l'obligation résultant de l'article 25 de la Constitution ;

Vu la duplique déposée le 14 décembre 1967 par le Ministre d'État, persistant dans ses précédentes conclusions par les motifs que le contentieux du contrat n'est pas de la compétence du Tribunal Suprême, que l'interprétation de l'article 90 B 3e de la Constitution est confirmée par l'article 16 de l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963, enfin, au fond, qu'aucun droit acquis ne peut être invoqué par la requérante ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu l'Ordonnance Constitutionnelle du 17 décembre 1962, et notamment ses articles 17, 25 et 90 ;

Vu l'Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême, modifiée ;

Vu la loi n° 729 concernant le contrat de travail ;

Ouï Monsieur Louis Pichat, membre du Tribunal Suprême, en son rapport ;

Ouï Maître Marquilly, et Maître Jean-Charles Marquet, en leurs observations ;

Ouï Monsieur le Procureur Général en ses conclusions ;

Sur les conclusions de la requête fondées sur l'article 90 B, 3e de la Constitution :

Considérant que l'article 90 B, 3° de la Constitution attribue compétence au Tribunal Suprême pour statuer « sur les recours en interprétation et les recours en appréciation de validité des décisions des diverses autorités administratives et des Ordonnances Souveraines prises pour l'exécution des Lois » ; qu'aux termes de l'article 16 de l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963 sur l'organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême « les recours en appréciation de validité et les recours en interprétation sur renvoi doivent être formés dans les deux mois de la date à laquelle la décision de la juridiction judiciaire est devenue définitive » ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les recours dont s'agit, qui doivent tendre à l'interprétation ou à l'appréciation de validité d'une décision administrative ou d'une ordonnance souveraine, ne peuvent être formés que sur renvoi par une juridiction judiciaire pour qu'il soit statué par le Tribunal Suprême sur une question préjudicielle relevant de sa compétence ;

Considérant que la demoiselle S. invoque l'article 90 B, 3° de la Constitution à l'appui de conclusions tendant non à l'appréciation de validité de la décision qu'elle attaque, mais à son annulation ; qu'elle ne justifie, d'autre part, d'aucun jugement d'une juridiction judiciaire ordonnant le renvoi, pour question préjudicielle, de la décision attaquée, devant le Tribunal Suprême ; que, dans les conditions où il est saisi, le Tribunal Suprême n'est dès lors pas compétent ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision attaquée, au paiement des salaires, avantages et prestations dus depuis le 30 avril 1967, ainsi qu'à la réintégration de la demoiselle S. dans ses fonctions ou à son reclassement dans des fonctions similaires, lesdites conclusions fondées sur la rupture abusive du contrat de travail en violation de la Loi n° 729 du 16 mars 1963 :

Considérant qu'en invoquant la violation de la loi du 16 mars 1963 « concernant le contrat de travail » en tant qu'il a été mis fin à son engagement sans délai de préavis ni indemnité de licenciement, la demoiselle S. soulève une question qui relève du Juge du contrat ; que le Tribunal Suprême n'est, par suite, pas compétent pour en connaître ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision attaquée et l'allocation d'une indemnité pour préjudice subi :

Considérant qu'il résulte du dossier que l'engagement verbal en vertu duquel la demoiselle S. exerçait les fonctions d'Hôtesse au Commissariat Général au Tourisme la plaçait à l'égard de cette administration dans la situation d'un agent contractuel recruté à titre temporaire ; qu'il appartenait, par suite, à l'administration, en l'absence de toute disposition applicable aux agents de cette catégorie, subordonnant leur licenciement à certaines conditions et bien qu'aucune durée n'ait été fixée à l'engagement de la requérante de mettre fin à tout moment et sans autre formalité à son engagement dans le seul intérêt du service ; qu'il n'est pas soutenu par la requérante et qu'il ne résulte pas du dossier qu'en mettant fin aux fonctions exercées par celle-ci, l'administration ait agi autrement que dans l'intérêt du service ; que, dans ces conditions, la demoiselle S., qui ne peut se prévaloir d'aucune disposition légale lui conférant un droit au maintien en fonctions auquel la décision attaquée aurait porté atteinte n'est pas fondée à soutenir que ladite décision serait entachée d'excès de pouvoir ; que les conclusions présentées par la requérante aux fins d'annulation de cette décision et d'allocation d'une indemnité pour préjudice subi doivent, par suite, être rejetées ;

Sur les conclusions aux fins d'indemnité fondées sur la violation de l'article 17 de la Constitution :

Considérant que la requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision attaquée pour violation du principe de l'égalité des Monégasques devant la loi, posé par l'article 17 de la Constitution, dès lors que, si la dame Q. avait été engagée et licenciée dans les mêmes conditions que la demoiselle S., elle n'a, par contre, été à nouveau recrutée qu'à la suite d'un concours et se trouvait ainsi placée dans une situation dont ne peut se prévaloir la requérante ;

Sur les conclusions aux fins d'indemnité fondées sur la violation de l'article 25 de la Constitution :

Considérant que le moyen tiré de la violation de l'article 25 de la Constitution est expressément fondé sur son article 90 A, 2°, que cet article subordonne la compétence du Tribunal Suprême en matière constitutionnelle à la double condition que le recours ait pour objet une atteinte aux libertés et droits consacrés par le Titre III de la Constitution et qu'il ne soit pas visé au paragraphe B du même article ;

Considérant que la décision attaquée relève de la compétence du Tribunal Suprême statuant en matière administrative, quels que soient les moyens invoqués ; que le Tribunal Suprême est, dès lors, incompétent pour en connaître en matière constitutionnelle ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

La requête est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente, pour en connaître, en tant qu'elle est fondée, d'une part, sur les articles 90 A, 2° et 90 B, 3°, de la Constitution et, d'autre part, sur la rupture abusive du contrat de travail en violation de la loi du 16 mars 1963 ;

Article 2

Le surplus des conclusions de la requête est rejeté comme non fondé ;

Article 3

Les dépens sont mis à la charge de la demoiselle S. ;

Article 4

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État ;

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27485
Date de la décision : 28/02/1968

Analyses

Rupture du contrat de travail ; Fonction publique civile et militaire


Parties
Demandeurs : demoiselle S.
Défendeurs : Ministre d'Etat

Références :

article 90 de la Constitution
loi n° 729 du 16 mars 1963
article 17 de la Constitution
Vu l'Ordonnance Constitutionnelle du 17 décembre 1962
Ordonnance Souveraine n° 2984 du 16 avril 1963
article 90 B, 3° de la Constitution
article 16 de l'Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963
loi du 16 mars 1963
article 25 de la Constitution
articles 25 et 17 de la Constitution
Loi du 17 juillet 1957


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;1968-02-28;27485 ?

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