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06/03/1967 | MONACO | N°27482

Monaco | Tribunal Suprême, 6 mars 1967, Condor Financiera Panama c/ Ministre d'Etat


Abstract

Droits et libertés constitutionnels

Égalité devant la loi - domaine d'application du principe - personnes se trouvant dans une situation identique

Propriété privée

Privation - garanties constitutionnelles - loi assurant à l'État une participation au capital d'une société commerciale - absence de dépossession de la société - inapplicabilité des garanties constitutionnelles - Restrictions à l'exercice du droit de propriété des actionnaires d'une société - motifs d'intérêt général - appréciation des motifs par le Tribunal Suprême - né

cessité d'une compensation suffisante

Motifs

Le Tribunal Suprême

Vu la requête déposée par Con...

Abstract

Droits et libertés constitutionnels

Égalité devant la loi - domaine d'application du principe - personnes se trouvant dans une situation identique

Propriété privée

Privation - garanties constitutionnelles - loi assurant à l'État une participation au capital d'une société commerciale - absence de dépossession de la société - inapplicabilité des garanties constitutionnelles - Restrictions à l'exercice du droit de propriété des actionnaires d'une société - motifs d'intérêt général - appréciation des motifs par le Tribunal Suprême - nécessité d'une compensation suffisante

Motifs

Le Tribunal Suprême

Vu la requête déposée par Condor Financiera Panama le 19 août 1966 ;

Vu la contre-requête de Monsieur le Ministre d'État déposée le 18 octobre 1966 ;

Vu la réplique déposée par Condor Financiera Panama, le 5 novembre 1966 ;

Vu la duplique déposée par Monsieur le Ministre d'État, le 22 novembre 1966 ;

Attendu que les requête et réplique déposées par Condor Financiera Panama tendent à l'annulation de la loi n° 807, en date du 23 juin 1966, pour violation des articles 17, 24 et 30 de la Constitution de la Principauté.

Attendu que le requérant déclare qu'il entend démontrer que la loi qu'il attaque porterait atteinte à la fois aux droits de la S.B.M. et aux droits des actionnaires de cette Société, qu'il conclut, en premier lieu, à l'annulation de la loi attaquée, pour violation au détriment du principe de la S.B.M. de l'égalité devant la loi, par les motifs que en édictant notamment que le capital social de la S.B.M. serait porté de cinq millions à huit millions de francs, par création de six cent mille actions nouvelles attribuées à l'État et que quatre membres du Conseil d'Administration seraient nommés par le Gouvernement Princier, la loi attaquée a transformé la S.B.M., Société privée, en une société d'économie mixte et ainsi établi une discrimination entre cette société et les autres sociétés anonymes à monopole existant dans la Principauté - qu'en outre, en modifiant par voie d'autorité un contrat passé entre l'État et la S.B.M., dont les clauses figuraient dans les Statuts et dans le Cahier des Charges de la S.B.M., la loi n'a pas respecté le principe reconnu par le Code Civil Monégasque, d'après lequel les conventions font la loi des parties et ainsi rompu l'égalité qui doit exister entre la S.B.M. et les autres Monégasques auxquels ce principe a été et demeure toujours applicable.

Attendu que le requérant invoque, en second lieu, la violation du même texte, à son détriment, en sa qualité d'actionnaire de la S.B.M., par les motifs que l'égalité entre les actionnaires est rompue au sein même de la S.B.M., chaque actionnaire ancien continuant à ne pouvoir disposer de plus de cent voix dans les votes qu'il émettra à l'Assemblée Générale, alors que l'État actionnaire se trouve dispensé de cette limitation - qu'en outre, les actionnaires anciens de la S.B.M., qui avaient adhéré à une Société de droit privé sont contraints, sans leur consentement, de se soumettre aux mesures qui transforment la S.B.M. en une Société d'économie mixte, mesures qui ne sont pas applicables aux actionnaires des autres Sociétés anonymes de monopole installées dans la Principauté.

Attendu que le requérant conclut, en troisième lieu, à l'annulation de la loi pour violation de l'article 24 de la Constitution et du droit de propriété de la S.B.M. sur son patrimoine, par les motifs que du fait de la transformation opérée par la loi attaquée d'une société privée en Société d'économie mixte, la S.B.M. sera dépossédée de son patrimoine par voie de transfert de celui-ci à une société nouvelle - qu'en tout état de cause, l'intrusion de six cent mille actions dans le capital social et la création de quatre postes d'Administrateurs nommés par le Gouvernement aura nécessairement pour résultat d'assurer à l'État actionnaire la majorité à l'Assemblée Générale et au Conseil d'Administration, de telle sorte que l'État deviendra maître absolu du patrimoine social, dont il disposera à son gré - qu'il s'agit là, en réalité, d'une expropriation, réalisée sans que l'utilité publique ait été légalement déclarée et sans qu'une juste indemnité ait été allouée à la S.B.M.

Attendu que le requérant invoque, en quatrième lieu, la violation du même texte et du même droit, à son détriment, par les motifs qu'il est actionnaire de la S.B.M. - que tout actionnaire d'une société anonyme est propriétaire de ses actions, que cette qualité lui confère des droits corporels et incorporels, qu'il a droit à la possession matérielle de ses titres, qu'il a droit à une part des dividendes distribués proportionnelle au nombre de ses actions, ainsi qu'à une part du patrimoine social existant au moment de la liquidation de la Société, qu'il a droit de vote à l'Assemblée Générale réunie en vue soit de procéder à la nomination des Administrateurs, soit de se prononcer sur les questions sociales de sa compétence, que l'intrusion imposée par la loi de six cent mille actions dans le capital social, aura nécessairement pour effet de réduire le montant de la part des actionnaires anciens, aussi bien dans les dividendes que dans le capital social, que ceux-ci se trouveront frustrés, au moins partiellement, de leurs droits corporels de propriété - que la loi attaquée accorde à l'État actionnaire un droit de vote illimité, à raison d'une voix par cent actions, tandis que chacun des actionnaires anciens ne disposera que d'un maximum de cent voix, qu'un tel système de votation aura inévitablement pour résultat d'attribuer à l'État actionnaire la majorité à l'Assemblée Générale et au Conseil d'Administration, qui pourront discrétionnairement user du patrimoine social, qu'ainsi le droit de vote des actionnaires anciens devenant illusoire et inefficace, il est permis de considérer qu'il en sont « privés », que ces violations du droit de propriété ne sont pas justifiées par une déclaration d'utilité publique et ne sont pas compensées par l'attribution d'une juste indemnité.

Attendu que le requérant conclut, en cinquième lieu, à l'annulation de la loi pour violation de l'article 30 de la Constitution - par le motif que ladite loi n'a pas respecté le principe de la liberté d'association, en Principauté, reconnu par le texte invoqué.

Attendu que Monsieur le Ministre d'État, en ses contre-requête et duplique, conclut au rejet de la requête, par les motifs :

En réponse au moyen, tiré de la violation de l'article 17 de la Constitution, au détriment de la S.B.M., que le principe de l'égalité devant la loi ne joue entre personnes physiques ou morales de nationalité monégasque, que si celles-ci se trouvent dans une situation identique de fait ou de droit - que la S.B.M. tient une place à part dans l'économie de la Principauté - qu'elle était soumise, antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi attaquée, à un régime juridique et financier différent de celui des autres sociétés anonymes monégasques de monopole - qu'enfin, les mesures législatives nouvelles ont été prises dans l'intérêt général de la Principauté.

En réponse au moyen tiré de la violation du même texte, au détriment du requérant, que les actionnaires anciens n'ignoraient pas qu'ils étaient entrés dans une société régie par des Statuts particuliers qui les différenciaient des autres sociétés anonymes Monégasques de monopole que la Constitution n'interdit pas au Législateur d'accorder, à l'intérieur d'une Société, des droits préférentiels à certains actionnaires - qu'enfin, aucune contrainte n'a été imposée aux anciens actionnaires de la S.B.M. qui ont conservé entièrement le droit de disposer de leurs titres.

En réponse au moyen tiré de la violation de l'article 24 de la Constitution au détriment de la S.B.M. - que ledit article concerne uniquement la privation totale du droit de propriété, qu'il résulte de l'intitulé même de la loi attaquée qu'elle n'a pas pour objet de déposséder la S.B.M. de son patrimoine, mais uniquement d'assurer à l'État une participation à l'activité de cette Société, qu'aucune disposition de ladite loi ne porte atteinte à ce patrimoine et encore moins n'opère transfert de propriété à un tiers, que le texte sur lequel est fondé le moyen n'est pas applicable en l'espèce.

En réponse au moyen tiré de la violation du même texte, au détriment du requérant, qu'en dehors de son droit à la possession matérielle de ses titres, l'actionnaire d'une société anonyme n'a qu'un droit de créance éventuel sur les bénéfices et sur le patrimoine social à l'époque de sa liquidation, que, d'après la loi, les actionnaires anciens de la S.B.M. conservent leurs titres, sous réserve de la faculté qui leur est accordée de les négocier en Bourse ou de les céder à l'État dans les délais et conditions prévus par l'article 4 de la loi attaquée - qu'ils continuent d'avoir vocation aux dividendes et à une part du patrimoine social, qu'ils sont maintenus dans leur droit de vote, qu'ils ne sont donc pas privés de leur droit de propriété, au sens de l'article 24 de la Constitution, que l'existence prétendue d'atteintes à ce droit repose sur des hypothèses dont le juge chargé d'apprécier la constitutionnalité d'une loi n'a pas à tenir compte.

En réponse au moyen tiré de la violation de l'article 30 de la Constitution - qu'une société commerciale ne peut être assimilée à une association.

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la loi n° 807 ;

Vu la Constitution de la Principauté ;

Vu l'Ordonnance Souveraine portant organisation du Tribunal Suprême ;

Ouï Monsieur Jean Brouchot, Président du Tribunal Suprême en son rapport ;

Ouï Maître Celice, au nom de la requérante, en ses moyens à l'appui du recours ;

Ouï Maîtres Marquet et George en leurs observations pour Son Excellence Monsieur le Ministre d'État ;

Ouï Monsieur le Procureur Général, en ses conclusions ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 17 de la Constitution au détriment, d'une part, de la S.B.M., d'autre part, du requérant :

Considérant que le principe de l'égalité devant la loi, posé par cet article, n'est applicable qu'aux personnes physiques ou morales se trouvant dans une situation identique quant à leurs droits et à leurs obligations ;

Considérant que, sous le régime antérieur à la publication de la loi attaquée, l'objet social de la S.B.M. (Société soumise à la législation monégasque) et les privilèges dont elle était bénéficiaire imprimaient à ses activités un caractère particulier, que des franchises fiscales lui étaient accordées, qu'elle exerçait certains pouvoirs de police, qu'en outre, en ce qui concernait son fonctionnement intérieur, le Gouvernement princier pouvait s'opposer à l'entrée en fonction des administrateurs élus par l'Assemblée générale des actionnaires, que la désignation du Président, du Vice-Président et de l'Administrateur délégué, devait être approuvée par le Gouvernement, que sa gestion était surveillée et contrôlée par un Commissaire du Gouvernement, investi de pouvoirs étendus ;

Considérant que la situation de la S.B.M. n'était pas identique à celle des autres sociétés régies par la Législation monégasque, même à celle des Sociétés de monopole ;

Considérant, dès lors, que le législateur à pu prendre des dispositions spécifiques à l'égard de la S.B.M. ;

Considérant, enfin, compte tenu de la situation de la S.B.M., telle qu'elle vient d'être précisée, que cette Société n'est pas fondée à soutenir, nonobstant le contrat dont elle se prévaut, que l'intervention du législateur et les dispositions de la loi n° 807 constituent une violation du texte visé par le moyen ;

Considérant que les motifs ci-dessus développés s'appliquant, par voie de conséquence, aux actionnaires de la S.B.M., le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 24 de la Constitution, au détriment de la S.B.M. :

Considérant que ledit article dispose : « La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité établie et versée dans les conditions prévues par la loi » ;

Considérant que, selon son intitulé, la loi a pour objet « d'assurer la participation de l'État à la S.B.M. », que cet objet est exclusif de toute dépossession, qu'aucune disposition de la loi n'autorise le Tribunal à déclarer que le patrimoine de la S.B.M. a subi une amputation quelconque, que cette société est une personne morale, qui conservera, jusqu'à sa dissolution, ses droits sur ce patrimoine, dont elle demeure propriétaire ; que la Société restera gérée par des administrateurs responsables devant elle-même, devant les actionnaires et devant les tiers ;

Considérant que la S.B.M. n'étant ni directement, ni indirectement privée de son droit de propriété, l'article 24 de la Constitution n'est pas applicable en l'espèce, et que, par suite, ce moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen tiré de la violation du même texte au détriment du requérant :

Considérant que l'article 24 de la Constitution est relatif à la privation du droit de propriété ;

Considérant que l'inviolabilité de la propriété garantie par ledit article ne met pas obstacle à certaines restrictions au plein exercice de ce droit dans l'intérêt de l'ordre public ou de la chose publique, ou en raison des circonstances économiques ou sociales qui l'exigent ;

Considérant qu'il appartient au Tribunal Suprême, statuant en matière constitutionnelle, d'apprécier si les atteintes apportées au droit de propriété pour les motifs ci-dessus rappelés, sont compatibles avec le principe garanti par la Constitution ;

Considérant que les dispositions de la loi du 23 juin 1966, n° 807, comportent notamment, au profit de l'État Monégasque, la création d'actions nouvelles pourvues, en outre, d'une vocation au partage des bénéfices et de l'actif social, d'un privilège de vote, ainsi qu'une représentation particulière au Conseil d'Administration et que ces dispositions constituent des atteintes aux droits attachés à la propriété des actions existant antérieurement ;

Considérant que la S.B.M., Société à monopole, est un élément essentiel de la prospérité de la Principauté, notamment en raison des missions qu'elle a reçues lors de sa constitution et des modifications ultérieures de ses statuts, missions indispensables à la vie de la Principauté ;

Considérant que la loi attaquée s'est inspirée de motifs légitimes, présentant un caractère d'intérêt général ;

Considérant que cette loi frappe exclusivement les actionnaires de la S.B.M., que les atteintes ainsi portées aux droits desdits actionnaires, au nom de l'intérêt général, et les dommages qu'elles ont causés doivent être compensés ; qu'il y a lieu de rechercher si les compensations prévues par la loi sont suffisantes ;

Considérant, d'une part, que le privilège de vote établi au profit de l'État ne lui attribue pas nécessairement une prépondérance majoritaire ;

Considérant, d'autre part, que les dispositions légales comportent à la charge de l'État diverses contreparties, qui réduisent d'autant l'importance des atteintes aux droits patrimoniaux des actionnaires ;

Considérant que pour une Société, telle que la S.B.M., chargée de missions d'intérêt général, la consistance des droits patrimoniaux des actionnaires ne peut être calculée en prenant pour base la valeur liquidative du patrimoine social ;

Considérant que ni la prime ni le taux de rachat des actions n'ont été fixés contrairement aux usages ;

Considérant que d'autres dispositions ont été prises en faveur des actionnaires, notamment l'inaliénabilité des actions créées, l'offre de rachat des actions anciennes, la garantie des emprunts obligatoires que la Société serait appelée à émettre ;

Considérant, compte tenu de ces divers avantages accordés aux actionnaires, que la preuve n'est pas rapportée, qu'il ait été fait, en ce qui concerne la compensation aux atteintes à leurs droits patrimoniaux, une inexacte application de l'article 24 de la Constitution ;

Considérant, en conséquence, que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen tiré de la violation de l'article 30 de la Constitution ;

Considérant que la S.B.M. est une Société commerciale à but exclusivement lucratif, qu'elle ne peut être assimilée à une Association qui constitue un groupement à but désintéressé ;

Attendu que le requérant n'est pas fondé à invoquer la violation de l'article visé par le moyen ;

Dispositif

DÉCIDE :

Article 1er

La requête présentée par Condor Financiera Panama est rejetée ;

Article 2

Les dépens sont mis à la charge du requérant.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 27482
Date de la décision : 06/03/1967

Analyses

Parts sociales ; Libertés publiques ; Loi et actes administratifs unilatéraux


Parties
Demandeurs : Condor Financiera Panama
Défendeurs : Ministre d'Etat

Références :

articles 17, 24 et 30 de la Constitution
article 24 de la Constitution
article 17 de la Constitution
loi du 23 juin 1966
Vu la Constitution
Code Civil
article 30 de la Constitution


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.supreme;arret;1967-03-06;27482 ?

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