Abstract
Acte de gouvernement
Critères
Droits et libertés constitutionnels
Droit à pension - Droit patrimonial - Privation du droit à pension - Garanties constitutionnelles - Annulation
Motifs
Le Tribunal Suprême,
Vu la requête introductive d'instance, en date du 31 mai 1948, poursuivant l'annulation de l'Ordonnance Souveraine n° 3655 du 27 mars 1948 pour violation des droits et libertés reconnus et protégés par les articles 6, 7 et 9 du Titre II de la Constitution Monégasque.
Vu le mémoire en réponse en date du 21 juin 1948, présenté au nom de Son Excellence Monsieur le Ministre d'État et tendant au rejet de ladite requête ;
Ouï en son rapport Monsieur Louis Trotabas, membre du Tribunal Suprême ;
Ouï Me Gauthier et Me Fourcade, tous deux autorisés à présenter des observations orales à l'appui des mémoires susvisés déposés au nom du sieur L. et de Son Excellence Monsieur le Ministre d'État ;
Ouï Monsieur le Procureur Général Portanier, en ses conclusions ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi :
Sans qu'il y ait lieu de statuer sur la recevabilité, ce moyen ayant été abandonné par conclusions verbales au cours des débats.
Sur la compétence :
Considérant qu'aux termes de l'article 14 de la Constitution du 5 janvier 1911, le Tribunal Suprême est compétent pour statuer sur les recours ayant pour objet une atteinte aux droits et libertés consacrés par le titre II de la Constitution ;
Considérant que si le Tribunal Suprême n'est pas compétent pour apprécier les conditions dans lesquelles les règles administratives établies pour la sauvegarde du Statut des fonctionnaires dans l'exercice de la fonction publique, notamment en matière disciplinaire, ont été appliquées, il lui appartient, par contre, de rechercher si les actes qui lui sont déférés portent atteinte aux droits et libertés consacrés par la Constitution ;
Considérant qu'une pension de retraite, concédée sans conditions ni réserves, constitue pour le fonctionnaire un droit patrimonial dont il est fondé à se prévaloir au titre des droits et libertés consacrés par la Constitution, aussi longtemps qu'il ne tombe pas sous le coup des lois relatives à la privation du droit à pension ;
Sur le moyen tiré de ce que l'acte attaqué aurait le caractère d'un acte de gouvernement :
Considérant, sans qu'il y ait à rechercher si certains actes, qualifiés actes de Gouvernement par la contre-requête, échappent à la compétence du Tribunal Suprême en raison de leur nature politique, que la requête invite le Tribunal Suprême à examiner, en l'espèce, un acte qui relève exclusivement de l'Administration intérieure de l'État Monégasque et qui ne saurait perdre ce caractère par l'effet des motifs qui ont pu le provoquer ou des circonstances dans lesquelles il est intervenu ;
Sur le bien-fondé de la requête ;
Considérant que si le caractère provisoire des décisions prises à l'égard du sieur L. pour son admission à la retraite et la concession de sa pension, a pu être envisagé au sein du Conseil de Gouvernement, au cours d'une séance demeurée secrète ; l'absence de toute mention de cette nature, dans l'acte de concession de la pension et dans les notifications officielles faites au requérant, impliquait au contraire le caractère définitif de l'octroi de la pension ; que dès lors la circonstance ci-dessus rappelée n'est pas opposable au requérant ;
Qu'il suit de là que le sieur L. s'est trouvé par la liquidation de sa pension, titulaire d'un droit patrimonial de la nature de ceux que garantit le titre II de la Constitution, qu'il n'a été frappé par aucune juridiction de la Principauté, d'une peine entraînant la perte du droit à pension ; que dès lors, sans avoir à rechercher si les règles administratives concernant la privation de la pension ont été légalement observées en l'espèce, il y a lieu de prononcer l'annulation de la décision qui a privé le sieur L. de sa pension, en tant que ladite décision a porté atteinte à l'un des droits garantis par les articles 6, 7 et 9 du titre II de la Constitution de la Principauté :
Dispositif
Par ces motifs :
Se déclare compétent ;
Et admettant la requête, annule l'Ordonnance Souveraine n° 3655 du 27 mars 1948 et ce qui en a été la suite ;
Condamne le défendeur aux dépens.
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