Visa
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 6 décembre 2023, reçue le 16 janvier 2024 ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 34-2023/2024 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le bureau de jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 30 janvier 2024 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de Madame d.E, en date du 9 avril 2025 ;
Vu les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Patricia REY, avocat-défenseur au nom de la SA ZB, en date du 20 mars 2025 ;
À l'audience publique du 8 mai 2025, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 17 juillet 2025, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces derniers en ayant été avisées par Madame le Président ;
Vu les pièces du dossier ;
Motifs
Madame d.E a été embauchée en 2006 par la société française ZA et affectée en qualité d'agent de service étranger à la ZB à Monte-Carlo. Elle a été licenciée pour inaptitude avec impossibilité de reclassement par courrier du 28 mars 2023.
Par requête déposée le 16 janvier 2024, Madame d.E a attrait la SA ZB MONACO devant le bureau de conciliation du Tribunal du travail afin d'obtenir :
* • 33.187,81 euros de rappel d'indemnité de licenciement en application des dispositions de la convention collective monégasque des banques,
* • 5.000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive,
* • 3.500 euros de frais non compris dans les dépens,
* • la délivrance de la documentation sociale conforme au jugement,
* • les intérêts au taux légal,
* • l'exécution provisoire.
À l'audience devant le bureau de conciliation du 29 janvier 2024, la société française a comparu pour sa succursale en Principauté de Monaco.
À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le bureau de jugement.
Par conclusions récapitulatives du 9 avril 2025, Madame d.E sollicite en outre les dépens et fait valoir pour l'essentiel que :
* • les tribunaux de la Principauté sont compétents lorsque le défendeur y a son domicile en application de l'article 4 de la loi n° 1.448 du 28 juin 2017,
* • c'est la succursale à Monaco qui a été citée,
* • les tribunaux de la Principauté sont également compétents lorsque le salarié y accomplit habituellement son travail en application de l'article 6 de la loi susvisée,
* • elle a accompli habituellement son travail à Monaco entre 2006 et 2023,
* • la clause attributive de juridiction au bénéfice de la juridiction française n'est pas opposable puisque l'article L1221-5 du Code du travail français dispose que toute clause attributive de juridiction incluse dans un contrat de travail est nulle et de nul effet,
* • il n'est pas revendiqué l'application de la loi étrangère française, mais constaté le caractère inopposable de cette clause en droit français puisque la ZB en revendique l'application,
* • en outre, lorsqu'une clause attributive de compétence a été stipulée dans l'intérêt exclusif de l'une des parties, celle-ci a la possibilité d'y renoncer,
* • l'article 53 de la loi n° 446 du 16 mai 1946 dispose que la compétence du tribunal du travail est fixée par la situation de l'établissement,
* • les dispositions concernant les litiges entre salariés et employeurs répondent à des normes distinctes et les jurisprudences concernant un litige de clause attributive dans le cadre d'autres contentieux ne sont pas applicables,
* • l'alinéa 2 de l'article 1er de la convention de voisinage du 18 mai 1963 stipule que les ressortissants français ou monégasques exercent une activité professionnelle sur le territoire de l'autre partie dans le cadre de sa législation en vigueur,
* • la notion de détachement n'est pas opposable,
* • elle n'a jamais travaillé en France,
* • aucun contrat français n'est produit, ni de document qui démontrerait qu'il aurait été mis fin au détachement de la salariée et qu'elle aurait été rapatriée en France,
* • les attestations pôle emploi sont signées par la ZB Monaco,
* • il n'était pas prévu que l'inaptitude du salarié entraînerait de facto son rapatriement au sein de la société française,
* • il n'est pas fait mention de la convention collective française, mais de la convention collective applicable,
* • la procédure de licenciement a été mise en oeuvre et instruite sous le régime de la loi monégasque,
* • la commune intention des parties doit être recherchée,
* • une lettre du 7 mars 2006 exprime clairement que l'exercice de l'activité à la ZB la place sous la convention collective monégasque de travail du personnel des banques,
* • elle doit percevoir les indemnités conventionnelles en vertu des stipulations monégasques,
* • le dernier traitement à prendre en considération est calculé sans supplément sauf la prime d'ancienneté, et uniquement la prime d'ancienneté,
* • le texte ne prévoit en rien l'exclusion de la prime bancaire,
* • le traitement est de 3.898,47 euros, un demi-traitement correspondant à 1.949,23 euros,
* • elle a été engagée pour 32 semestres complets de service,
* • les articles 38 et 40 concernant l'indemnité de licenciement sont à lire de manière interdépendante, entre eux, mais également avec l'article 32 relatif aux licenciements individuels et collectifs,
* • l'article 38 stipule l'indemnité de licenciement pour la suppression d'emploi ou l'insuffisance professionnelle et renvoi de manière générale à l'article 32 concernant les motifs de licenciement visés, à savoir la suppression d'emploi, l'insuffisance résultant d'une incapacité physique, intellectuelle ou professionnelle,
* • il est illogique qu'un salarié déclaré inapte en raison d'une maladie indépendante de sa volonté n'ait pas droit au bénéfice de l'indemnité conventionnelle de licenciement contrairement à un salarié licencié pour insuffisance professionnelle,
* • la ZB a fait preuve d'une mauvaise foi certaine,
* • la demande de la ZB au titre des frais irrépétibles est inappropriée,
* • il convient de s'interroger sur l'opportunité de sanctionner pécuniairement un salarié ou indirectement de l'exposer au risque de le dissuader d'introduire une action pour tenter de faire valoir ses droits.
Par conclusions considérées comme récapitulatives du 20 mars 2025, la Société anonyme française ZB soulève l'incompétence du Tribunal et de surseoir dans l'attente de la saisine du conseil des prud'hommes de Paris. Subsidiairement, elle sollicite le débouté des demandes. À titre infiniment subsidiaire, elle sollicite de limiter le reliquat d'indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 31.321,88 euros. En tout état de cause, elle réclame 2.500 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
* • aux termes des articles 8 et 9 de la loi n° 1448 du 28 juin 2017 rela.tive au droit international privé, les parties peuvent, d'un commun accord, déroger aux règles de compétence,
* • en l'espèce, Madame d.E a été recrutée par la ZB par contrat de travail de droit français et détachée au sein de la succursale monégasque de la société française,
* • l'avenant de détachement au sein de la succursale monégasque n'était qu'une modalité d'exécution du contrat français qui n'était, pendant la durée du détachement, ni rompu, ni suspendu,
* • aux termes de cet avenant de détachement les parties ont expressément convenu de régler leurs potentiels différends devant les juridictions françaises,
* • la clause attributive de juridiction s'apprécie au regard du seul droit du juge saisi, c'est-à-dire le droit monégasque,
* • elle est parfaitement valable en droit monégasque,
* • Madame d.E n'étant pas domiciliée en Principauté elle ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 9 de la loi susvisée,
* • elle ne peut renoncer au bénéfice de la clause attributive de juridiction car elle n'a pas été stipulée dans son intérêt exclusif,
* • en outre, l'article 9 de la loi susvisée qui limite les exceptions à l'application de la clause, ne prévoit pas la possibilité pour une partie d'y renoncer unilatéralement,
* • quant à la convention de voisinage elle porte uniquement sur l'exercice de l'activité professionnelle sur le territoire de l'autre parie et non sur la compétence de la juridiction en cas de litige,
* • subsidiairement, Madame d.E a été remplie de ses droits,
* • l'indemnité de licenciement a été calculée à bon droit sur le fondement de la convention collective française,
* • le fait que la convention collective monégasque du travail du personnel des banques ait été appliquée pendant la durée du détachement n'y change rien,
* • il a uniquement été fait application des dispositions légales françaises relatives à la mise à disposition, prévoyant expressément que les conditions d'exécution du contrat sont déterminées, pendant la durée de la mise à disposition, par les dispositions conventionnelles applicables au lieu de travail,
* • pour autant, cette application commandée par le principe de parité était nécessairement limitée à l'exécution du contrat en Principauté,
* • l'application temporaire des droits afférents au détachement en Principauté est confirmée par l'article 3 du contrat de détachement,
* • nul ne conteste que Madame d.E a bénéficié au cours de son détachement des dispositions de la convention collective monégasque des banques,
* • néanmoins, en application de l'article III du contrat, l'impossibilité pour la salariée de tenir les fonctions mettait fin, sans préavis, au détachement,
* • l'inaptitude définitive de la salariée sans possibilité de reclassement rendait impossible la poursuite de la mission et mettait fin sans délai au détachement et en conséquence à l'application des dispositions conventionnelles applicables au cours du détachement,
* • rien ne justifiait que ces dispositions conventionnelles propres à l'exécution de la mission au sein de la succursale monégasque, trouvent à s'appliquer lors de la rupture de son contrat de travail de droit français conclu avec une société françaises soumise aux dispositions de la convention collective française de la banque,
* • en tout état de cause, Madame d.E ne peut prétendre au paiement de l'indemnité conventionnelle demandée,
* • les articles 38, 39 et 40 de la convention collective monégasque du travail du personnel des banques s'appliquent de manière combinée,
* • à l'inverse, ils ne se lisent pas de manière combinée avec l'article 32 lequel évoque uniquement les cas dans lesquels l'employeur est autorisé à licencier, et non ceux dans lesquels le salarié est légitime à percevoir l'indemnité conventionnelle de licenciement,
* • or, les motifs visés par l'article 32 sont plus larges que ceux prévus par l'article 38 déterminant l'ouverture du droit à l'indemnité de licenciement,
* • seuls les salariés licenciés pour suppression d'emploi ou insuffisance professionnelle peuvent bénéficier de l'indemnité conventionnelle de congédiement,
* • l'inaptitude ne fait pas partie des motifs listés par l'article 38,
* • à titre subsidiaire si le tribunal reconnaissait le bénéficie de l'indemnité de licenciement prévue à la convention collective monégasque du personnel des banques, il ne pourrait lui être accordé à ce titre une somme supérieure à 31.321,88 euros,
* • en effet, aux termes de l'article 40, l'indemnité doit être calculée sur la base du dernier traitement perçu, sans supplément d'aucune sorte, à l'exception de la prime d'ancienneté,
* • seul le salaire de base et la prime d'ancienneté doivent être pris en compte et non pas une prime bancaire, qui n'est pas une prime d'ancienneté,
* • il importe peu que le texte n'exclut pas expressément la prime bancaire dans la mesure où le texte est très clair sur les seuls éléments à prendre en compte,
* • ainsi, l'indemnité devra être calculée à partir d'un demi mois de salaire de base, hors prime, soit 1.866,09 euros,
* • les dommages et intérêts demandés sont injustifiés,
* • Madame d.E n'apporte la preuve d'aucun préjudice,
* • l'application de l'article 238-1 du Code de procédure civile ne vise pas à sanctionner un salarié mais à compenser, partiellement, les frais exposés pour assurer sa défense.
SUR CE,
Il convient au préalable de prendre acte de la comparution de la société anonyme française ZB comme représentant de la succursale en Principauté de Monaco, comparution qui n'a donné lieu à aucune remarque de Madame d.E.
Il convient par ailleurs de constater qu'aucun élément ne permet de considérer qu'une société monégasque existerait. D'une part, la dénomination utilisée par la demanderesse pose déjà difficulté, puisqu'elle évoque une « SA » et non une « SAM », seule dénomination existant à Monaco pour définir une société anonyme monégasque. D'autre part, le RCI démontre qu'il n'existe qu'une ZB enregistrée à Monaco, sous l'enseigne ZB Monaco, mais en tant que société étrangère domiciliée x1 à Paris, celle qui comparaît.
Quant à la SAM ZA Monaco, elle n'a aucun lien avec le présent litige.
Aux termes de l'article 6 du Code de droit international privé, les tribunaux de la Principauté sont compétents, quel que soit le domicile du défendeur, pour les contrats individuels de travail, lorsque le salarié y accomplit habituellement son travail.
Toutefois, aux termes des articles 8 et 9 dudit Code, les parties peuvent convenir de la compétence d'une juridiction étrangère dans une matière où elles peuvent disposer librement de leurs droits en vertu du droit monégasque.
En l'espèce, aux termes du contrat de détachement entre la SA ZB, la ZB en Principauté de Monaco et Madame d.E, signé le 22 mars 2006 par cette dernière, le contrat est soumis à la loi française et aux tribunaux français.
La validité de cette clause n'est pas discutable en droit monégasque, puisqu'elle est stipulée dans une matière où les personnes peuvent librement disposer de leurs droits.
En outre, il ne peut y être fait échec par la renonciation unilatérale de Madame d.E. S'il est de principe que, lorsqu'une clause attributive de compétence a été stipulée dans l'intérêt exclusif de l'une des parties, celle-ci a la possibilité d'y renoncer, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, la société anonyme française ZB a intérêt à la mise en oeuvre de la clause, puisque les juridictions françaises constituent son juge naturel.
Il ne peut, par ailleurs, pas être fait échec à cette clause au motif qu'elle serait nulle en droit français puisqu'elle s'apprécie au regard de la loi du juge saisi. En outre, les juridictions françaises disposent, en l'espèce, de plusieurs critères de compétence au regard de la nationalité et des domiciles des parties, ce qui ne rend pas leur saisine impossible ni ne constitue un risque de rendu d'une décision dans un délai déraisonnable ou non susceptible de reconnaissance.
Il convient en conséquence de surseoir à statuer dans l'attente que la juridiction française soit saisie ou, après avoir été saisie, décline sa compétence. En effet, un tel dispositif est prévu par le Code du droit international privé, qui ne permet pas de trancher la compétence avant que le juge choisi par les parties ne se soit lui-même prononcé.
Madame d.E succombant, elle est condamnée aux entiers dépens. En équité, la demande de la ZB au titre des frais irrépétibles est rejetée.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, par jugement avant-dire-droit, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Le Tribunal prend acte de la comparution de la société anonyme de droit français dénommée ZB, en sa qualité de représentant de sa succursale en Principauté de Monaco ;
Ordonne le sursis à statuer dans l'attente que la juridiction française soit saisie ou, après avoir été saisie, décline sa compétence ;
Ordonne le retrait de la procédure du rang des affaires en cours et dit qu'elle sera rappelée à la première audience utile, à la demande de l'une quelconque des parties ou d'office par le Tribunal, dès que la juridiction française aura été saisie ou, après avoir été saisie, aura décliné sa compétence ;
Réserve la demande d'incompétence ;
Réserve les demandes des parties ;
Condamne Madame d.E aux dépens du présent jugement ;
Rejette la demande de la SA ZB au titre des frais irrépétibles ;
Composition
Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame c.C et Monsieur c.D, membres employeurs, Madame a.A et Monsieur a.B, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le dix-sept juillet deux mille vingt-cinq.
^