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LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 11 mai 2023, reçue le 12 mai 2023 ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 57-2022/2023 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 13 juin 2023 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur au nom de feu Monsieur a j I, représenté par Madame e.H, en date du 13 juin 2024 ;
Vu les conclusions récapitulatives de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur au nom de la SAM C, en date du 14 novembre 2024 ;
À l'audience publique du 28 novembre 2024, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 24 janvier 2025, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces dernières en ayant été avisées par Madame le Président ;
Vu les pièces du dossier ;
Motifs
Monsieur a j I a été embauché à compter du 6 mai 2002 en qualité de maçon par la SAM C. Il a été déclaré inapte définitif à son poste par la Médecine du travail le 9 août 2022. Suite au refus de proposition de reclassement, il a été licencié pour « inaptitude médicale » avec refus abusif de reclassement et privation de l'indemnité de préavis par courrier du 30 septembre 2022 remis en main propre le 4 octobre 2022.
Par requête déposée le 12 mai 2023, Monsieur a j I a attrait la SAM C devant le Bureau de Conciliation du Tribunal du travail afin d'obtenir :
* • 4.960 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
* • 496 euros au titre de congés payés afférents au préavis,
* • 1.043,10 euros au titre de reliquat d'indemnité de congédiement,
* • la régularisation des documents de fin de contrat,
* • 2.067 euros au titre des indemnités journalières dues pour la période du 9 septembre 2022 au 4 octobre 2022,
* • 5.000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la résistance abusive de l'employeur,
* • les intérêts à compter de la convocation devant le Bureau de Conciliation,
* • l'exécution provisoire,
* • les entiers dépens.
À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.
Monsieur a j I est décédé en cours de d'instance, le jma.
L'acte de notoriété établi le 20 février 2024, par Maître s.M, notaire à Beausoleil (06240), précise que Monsieur a j I a laissé son épouse comme héritière pour lui succéder, Madame e.H.
Par conclusions récapitulatives du 13 juin 2024, feu Monsieur a j I décédé, représenté par Madame e.H, ramène sa demande d'indemnités journalières à la somme de 795,80 euros et sollicite, en outre, au titre des frais irrépétibles pour Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur et Maître Maeva ZAMPORI, avocat, le paiement de la somme de 2.500 euros chacun. Il fait valoir pour l'essentiel que :
* • le refus de poste de reclassement n'était pas abusif,
* • il ne peut être déclaré abusif dès lors que la proposition de reclassement entrainait une modification du contrat de travail,
* • une baisse de rémunération caractérise une modification du contrat que le salarié est légitime à refuser sans pour autant que cela soit abusif,
* • l'absence de motif de refus n'est pas suffisante pour s'exempter du paiement de l'indemnité de préavis,
* • il est bien fondé à solliciter le règlement des deux mois de préavis et des congés y afférents,
* • la date de fin de contrat étant fixée au 4 décembre 2022, il convient de rectifier les documents de fin de contrat,
* • et de calculer l'indemnité de congédiement sur une ancienneté de 20 ans et 7 mois,
* • en droit monégasque les périodes de suspension du contrat de travail sont exclues uniquement pour la détermination de la durée d'ancienneté requise ouvrant droit à la perception d'une indemnité de congédiement,
* • il aurait dû percevoir la somme de 2.067 euros d'indemnité journalière pour la période allant du 9 septembre au 4 octobre 2022,
* • il ne s'agit pas d'un salaire, mais des indemnités versées par l'employeur en lieu et place de la CCSS ou de l'assureur-loi lorsqu'il a tardé pour le reclassement ou le licenciement,
* • ces indemnités ne sont pas versées à l'occasion du travail mais à l'occasion de la maladie,
* • elles doivent donc suivre le même régime que les indemnités journalières versées par la CCSS, lesquelles sont exonérées de cotisations sociales,
* • les sommes ont été réclamées dès le 29 mars 2023 sans qu'aucune réponse ne soit jamais apportée,
* • la demande au titre des frais irrépétibles est recevable, seules les demandes dérivant du contrat de travail étant soumises au préliminaire de conciliation obligatoire.
Par conclusions récapitulatives du 14 novembre 2024, la SAM C sollicite le débouté de Monsieur a j I, 3.000 euros au titre des frais irrépétibles et les entiers dépens. Elle fait valoir pour l'essentiel que :
* • lorsque le refus de reclassement est abusif, l'indemnité de préavis n'est pas due,
* • elle a recherché, en étroite collaboration avec le Médecin du travail, un poste de reclassement et en a proposé un en adéquation parfaite avec les préconisations émises,
* • Monsieur a j I a purement et simplement refusé sans la moindre raison ou explication le poste, qui était pourtant conforme à son état de santé et sa capacité résiduelle de gain,
* • compte tenu des préconisations du Médecin du travail il ne pouvait être proposé qu'un poste à mi-temps,
* • le mi-temps a été imposé à la société par le Médecin du travail,
* • cela ne peut lui être reproché par le salarié,
* • en l'absence de toute motivation ou explication sur le refus, le salarié a rendu impossible toute éventuelle nouvelle appréciation de sa situation et donc toute chance qu'un reclassement puisse aboutir,
* • les absences pour maladie ne doivent pas être prises en compte dans le calcul de l'ancienneté pour déterminer le montant de l'indemnité de licenciement,
* • il est sorti des effectifs le 30 septembre 2022 avec une ancienneté de 20 ans, 4 mois et 24 jours,
* • toutefois, au cours de sa carrière, il a été absent pour maladie pour un total de 1 an, 7 mois et 19 jours,
* • après déduction de ces périodes, c'est une ancienneté de 18 ans, 9 mois et 9 jours qui a justement été retenue,
* • le calcul a été opéré sous le contrôle du service de l'Inspection du travail qui n'a pas formulé la moindre difficulté,
* • le licenciement étant intervenu le 30 septembre 2022, il lui appartenait de régler une indemnité journalière à Monsieur a j I pour la période du 10 au 30 septembre,
* • le calcul a pris en compte le montant du salaire brut pour 117 heures, duquel ont été déduites les différentes cotisations sociales,
* • puis, sous la supervision du service de l'Inspection du travail, il a été réglé de quatre jours et donc deux jours ouvrés supplémentaires les 3 et 4 octobre 2022,
* • Monsieur a j I ne démontre pas avoir subi le moindre préjudice,
* • la demande au titre des frais irrépétibles est irrecevable pour ne pas avoir été soumise au préliminaire de conciliation.
SUR CE,
* Sur l'indemnité de préavis
Aux termes de l'article 10 de la loi n° 1.348 du 25 juin 2008 relative au reclassement des salariés déclarés inaptes par le Médecin du travail, l'indemnité de préavis n'est pas due lorsque l'employeur établi que le refus par le salarié du reclassement proposé est abusif.
En l'espèce, Monsieur a j I a refusé sans motivation la proposition de reclassement en qualité d'agent de surveillance d'entrée de chantier à mi-temps, le matin, en station assise ne nécessitant aucun effort physique intense.
Cette proposition correspondait strictement à l'avis du Médecin du travail ; qui l'avait déclaré inapte définitif à son poste de maçon et préconisait un reclassement sur un poste à temps partiel, sans marche ni station debout prolongée avec possibilité d'alterner position assise et debout, sans taches nécessitant la position accroupie ou à genoux, sans manipulation de charge de plus de 10 kilos. Elle avait été validée par le Médecin du travail qui avait confirmé que même sur un poste de surveillance d'entrée de chantier en position assise, il préconisait un travail à mi-temps, de préférence le matin.
Pour considérer le refus comme abusif, il ne suffit pas de constater que l'employeur a respecté ses obligations et a formulé une proposition de reclassement adaptée à la situation du salarié. En effet, lorsque le reclassement implique une modification du contrat de travail, il se met en œuvre à l'aune des dispositions qui lui sont applicables mais également en conformité avec celles générales relatives à la modification des éléments substantiels du contrat de travail. Or, lorsqu'une proposition de modification du contrat de travail, en l'espèce la proposition de reclassement, implique une modification d'un élément substantiel du contrat de travail, le salarié est toujours libre de la refuser sans que cela soit constitutif d'un quelconque abus. En l'espèce, la proposition de reclassement impliquant une diminution du temps de travail et, par conséquent, de la rémunération, le salarié n'a pas commis d'abus en la refusant.
Dans ces conditions l'indemnité de préavis était due et la SAM C est condamnée à payer à Monsieur a j I la somme de 4.960 euros net, outre 496 euros net de congés payés y afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la convocation devant le Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
* Sur l'indemnité de congédiement
Aux termes de l'article 1er de la loi n° 845 du 27 juin 1968 « Tout salarié, lié par un contrat de travail à durée indéterminée et qui est licencié alors qu'il compte deux ans d'ancienneté ininterrompue au service du même employer, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de congédiement dont le montant minimum ne pourra être inférieur à celui des indemnités de même nature versées aux salariés dans les mêmes profession, commerces ou industries de la région économique voisine. Les circonstances qui entraînent légalement la suspension du contrat de travail ne sont pas regardées comme interrompant l'ancienneté du salarié pour l'application du présent article. Toutefois, la période de suspension n'entre pas en compte dans la durée d'ancienneté exigée pour bénéficier des dispositions qui précèdent. ».
Les parties sont en désaccord sur les modalités de computation de l'ancienneté, passé le délai de deux ans ; Monsieur a j I estimant que les périodes de maladie suspendant le contrat de travail n'interrompent pas l'ancienneté, tandis que l'employeur considère le contraire.
En préambule, il peut être noté que le droit ne s'interprète pas a contrario. Ce n'est ainsi pas parce que la période de suspension du contrat est décomptée de l'ancienneté pour bénéficier de l'indemnité de congédiement qu'elle ne l'est pas pour la durée totale de l'ancienneté.
Il convient en réalité de déterminer qu'elle est la définition de la suspension légale du contrat de travail, qui selon la lettre du texte n'interrompt pas l'ancienneté.
Une première réponse se trouve dans les textes monégasques, certains, faisant une référence spécifique à la conservation des droits à l'ancienneté pendant la période de suspension du contrat. Ainsi, à titre d'exemple, les lois sur le congé paternité (articles 5 et 7 « pendant la durée légale du congé de paternité, le salarié conserve ses droits d'ancienneté dans l'entreprise »), le travail des femmes salariées en cas de grossesse ou de maternité (article 6 « pendant la durée légale du congé de maternité, la femme salariée conserve ses droits d'ancienneté dans l'entreprise »), le congé d'adoption (articles 4 et 6 « pendant la durée légale du congé d'adoption, le salarié conserve ses droits d'ancienneté »).
Or, rien de tel n'est prévu en cas de maladie. Ainsi, si l'article 16 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 dispose que « Le contrat de travail est suspendu pendant une durée limitée à six mois en cas d'empêchement du travailleur dû à une maladie ou à un accident médicalement constatés », il ne prévoit aucune conservation des droits d'ancienneté. À défaut de disposition spécifique, l'ancienneté est dès lors bien interrompue.
Une seconde réponse se profile en droit comparé. En effet, en présence de textes strictement identiques, la comparaison avec le droit français peut être pertinente. En l'espèce, l'article L.234-11 du Code du travail français relatif à l'ancienneté pour le calcul de l'indemnité de licenciement dispose que « Les circonstances entraînant la suspension du contrat de travail, en vertu soit de dispositions légales, soit d'une convention ou d'un accord collectif du travail, soit de stipulations contractuelles, soit d'usages, ne rompent pas l'ancienneté du salarié appréciée pour la détermination du droit à l'indemnité de licenciement. ». Or, en application de cette disposition, il est communément admis par la jurisprudence française constante que les périodes de suspension du contrat de travail pour maladie n'entrent pas en compte pour le calcul de l'ancienneté dont le salarié peut se prévaloir.
Une analyse plus poussée des textes permet de comprendre cette position. En effet, de nombreux textes écartent expressément l'interruption de l'ancienneté dans certaines hypothèses de suspension du contrat. Il en est ainsi par exemple en matière d'accident du travail ou de maladie professionnelle (article L.1226-7 du Code du travail), de congé maternité (article L.1225-24 du Code du travail), de congé individuel de formation (article L.6322-13, abrogé).
Or, aucun texte similaire n'est prévu en matière de maladie non professionnelle.
Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'employeur a décompté les périodes de maladie du salarié et la demande au titre du reliquat d'indemnité de congédiement est rejetée.
* Sur l'indemnité journalière
Aux termes de l'article 5 de la loi n° 1.348 du 25 juin 2008 relative au reclassement des salariés déclarés inaptes par le Médecin du Travail, « Si, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la déclaration d'inaptitude médicale définitive rendue par le médecin du travail, accompagnée du rapport mentionné au chiffre 10 de l'article 2-1 de la loi n° 637 du 11 janvier 1958 tendant à créer et à organiser la médecine du travail, modifiée, le salarié n'est pas reclassé dans l'entreprise ou si l'employeur n'a pas mis fin au contrat de travail, l'employeur est tenu de verser au salarié, dès l'expiration de ce délai et jusqu'au reclassement du salarié dans l'entreprise, ou à la notification au salarié de la rupture du contrat de travail, une indemnité journalière correspondant aux salaires et avantages de toute nature que celui-ci percevait avant la suspension de son contrat de travail. ».
Monsieur a j I a bien perçu une indemnité pour la période du 9 septembre (un mois après la déclaration d'inaptitude) au 4 octobre 2022 (date de la notification du licenciement). Il prétend toutefois que la somme versée par l'employeur serait erronée car elle déduirait à tort des cotisations sociales alors qu'elle devrait se calculer comme une indemnité, soit sans déduction de cotisations comme peuvent les faire les Caisses Sociales.
Or, le texte de loi dispose que l'indemnité correspond aux salaires et avantages de toute nature. Face à une disposition aussi limpide, la réclamation du salarié étant infondée elle est rejetée.
En outre, la demande faite par Monsieur a j I n'a aucun sens. À supposer que ce soit une indemnité au sens de celle versée par les Caisses Sociales qui soit due, elle ne correspondrait pas au salaire sans déduction des cotisations sociales, mais bien à l'indemnité journalière qui après plusieurs mois d'arrêt de travail ne représente plus que 50 % du salaire.
* Sur les autres demandes
Si le refus de versement de l'indemnité de préavis a pu causer un préjudice au salarié, encore faut-il qu'il caractérise l'abus commis par son employeur. Or, une appréciation erronée du refus de poste de reclassement n'est pas constitutive en soi d'une résistance abusive. Quant au dommage qui aurait été causé par le refus injustifié de lui verser l'indemnité de préavis, aucune demande n'est formée à ce titre. Dès lors la demande de dommages et intérêts est rejetée.
Chacune des parties succombant partiellement, elles conserveront la charge de leurs propres dépens. Dans ces conditions, les demandes au titre des frais irrépétibles sont rejetées.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Condamne la SAM C à verser à feu Monsieur a j I la somme de 4.960 euros net (quatre mille neuf cent soixante euros) à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 496 euros net (quatre cent quatre-vingt-seize euros) de congés payés y afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la convocation devant le Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;
Rejette l'intégralité des autres demandes de feu Monsieur a j I ;
Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens ;
Rejette les demandes des parties au titre des frais irrépétibles ;
Composition
Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame l.J et Monsieur c.AA, membres employeurs, Madame a.B et Monsieur t.N, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le vingt-quatre janvier deux mille vingt-cinq.
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