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06/12/2024 | MONACO | N°30755

Monaco | Tribunal du travail, 6 décembre 2024, Monsieur r.I, c/ La société de droit monégasque O


Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 26 octobre 2022, reçue le 9 novembre 2022 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 30-2022/2023 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 13 décembre 2022 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur au nom de Monsieur r.I, en date du 13 juin 2024 ;

Vu

les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de ...

Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 26 octobre 2022, reçue le 9 novembre 2022 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 30-2022/2023 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 13 décembre 2022 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur au nom de Monsieur r.I, en date du 13 juin 2024 ;

Vu les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de la SARL J, en date du 14 mars 2024 ;

À l'audience publique du 17 octobre 2024, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 6 décembre 2024, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces dernières en ayant été avisées par Madame le Président ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs

Monsieur r.I a été embauché le 12 avril 2017 par la SARL J pour une durée indéterminée en qualité d'Ouvrier Paysagiste avec reprise d'ancienneté de treize ans et quatre mois de la SARL K société française. Il a été licencié pour inaptitude définitive avec impossibilité de reclassement par courrier du 22 mars 2022.

Par requête déposée le 9 novembre 2022, Monsieur r.I a attrait la SARL J devant le Bureau de Conciliation du Tribunal du travail afin d'obtenir :

* • 25.000 euros au titre de rappel de salaire / indemnités « frais de déplacement et de repas »,

* • 2.500 euros au titre de congés payés sur rappel de salaire,

* • l'annulation de l'avertissement du 14 septembre 2020,

* • 6.938,16 euros au titre de l'indemnité de licenciement avant déduction de l'indemnité de congédiement,

* • 50.000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

* • 2.500 euros au titre de dommages et intérêts pour sanctions abusives,

* • 3.500 euros au titre de frais exposés non compris dans les dépens,

* • les intérêts au taux légal,

* • l'exécution provisoire.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions récapitulatives du 13 juin 2024, Monsieur r.I ramène ses demandes de rappel de salaire et de congés payés aux sommes de 5.882,87euros et 588,29 euros et d'indemnité de licenciement à la somme de 2.696,84 euros après déduction de l'indemnité de congédiement. Il sollicite en outre les entiers dépens. Il fait valoir pour l'essentiel que :

* • la société relève de la Convention collective nationale française des entreprises du paysage du 10 octobre 2008, comme mentionné par les bulletins de salaire,

* • l'avenant n° 24 du 26 avril 2019 règlemente l'indemnisation des petits déplacements,

* • cette indemnité n'a jamais été versée par l'employeur,

* • elle ne se confond ni ne se cumule avec l'indemnité panier, qui semble avoir été versée,

* • l'employeur demeure redevable de la somme de 5.882,87 euros, outre 588,29 euros de congés payés y afférents,

* • il s'est vu infliger un avertissement injustifié le 14 septembre 2020,

* • il a fermement contesté cette sanction dès le 5 octobre 2020,

* • l'employeur ne rapporte pas la preuve des faits reprochés,

* • cette sanction injustifiée l'a placé dans une situation anxiogène et a créé un sentiment d'injustice,

* • le motif de licenciement n'est pas valable,

* • l'employeur n'a procédé à aucune recherche de reclassement,

* • il se devait de rechercher des mesures de mutation,

* • ou de proposer des formations,

* • en outre, lorsque l'inaptitude résulte directement de l'attitude de l'employeur, le licenciement ne repose pas sur un motif valable,

* • son état psychologique ne lui permettait plus de travailler au sein de la SARL Q,

* • l'employeur a adopté un comportement le mettant sous pression et tension,

* • il a subi un premier arrêt de travail en octobre 2021,

* • il a alors dénoncé les comportements de son employeur,

* • sa prime de panier n'était pas payée,

* • il a été menacé pour obtenir des témoignages et un nouveau contrat avec une clause de non-concurrence et de non-sollicitation de clientèle particulièrement lourde,

* • il s'est retrouvé dans l'incapacité de poursuivre normalement son travail et sera à nouveau arrêté,

* • le licenciement a eu lieu avec brutalité alors qu'il se trouvait dans un état de faiblesse,

* • aucun entretien n'a été organisé pour lui expliquer et l'accompagner,

* • il a été volontairement brimé et sanctionné abusivement dans un temps très voisin de la déclaration d'inaptitude,

* • l'inaptitude et le licenciement sont directement liés au comportement de l'employeur et son préjudice matériel en est la conséquence directe,

* • s'il a retrouvé un travail, il n'est plus jardinier,

* • il disposait d'une grande ancienneté.

Par conclusions considérées comme récapitulatives du 14 mars 2024, la SARL J sollicite le débouté de l'intégralité des demandes de Monsieur r.I, 3.500 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

* • l'employeur n'a aucune, obligation conventionnelle ou légale, d'indemniser un salarié lorsqu'il effectue des déplacements dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail,

* • Monsieur r.I ne rapporte pas la preuve de la réalisation des chantiers sur les lieux et dates qu'il mentionne,

* • subsidiairement, il convient de limiter l'indemnité à 3.017,38 euros au regard de la réalité des chantiers réalisés,

* • et ne tenir compte que de quatre-vingt-dix jours travaillés sur la période de novembre 2019 à mars 2020,

* • il n'y a pas lieu d'appliquer de congés payés à l'indemnité de déplacement, qui n'est qu'un remboursement de frais et non un complément de salaire,

* • l'avertissement du 14 septembre 2020 était parfaitement justifié,

* • il a été notifié à la suite de plusieurs rappels verbaux,

* • il a été en mesure de continuer à travailler et ne s'est pas retrouvé dans une situation anxiogène,

* • le motif de licenciement est valable,

* • l'état de santé du salarié ne permettait aucune proposition de reclassement selon le rapport du Médecin du Travail,

* • néanmoins une étude de poste a été réalisée,

* • or, aucun poste ne pouvait convenir, le salarié souffrant d'une dépression réactionnelle,

* • l'inaptitude ne résulte pas de l'attitude de l'employeur,

* • Monsieur r.I ne rapporte pas la preuve des prétendus manquements invoqués,

* • en outre, aucune pièce ne justifie de l'incidence de l'attitude de l'employeur ayant entraîné l'inaptitude,

* • l'avertissement a été prononcé plus d'un an avant la dépression,

* • le retrait du véhicule, la remise d'un projet de contrat et l'éventuelle suppression d'une prime non prouvée sont postérieurs à l'arrêt de travail initial,

* • dans le cadre de la réorganisation de l'entreprise, l'employeur a simplement décidé de mettre un terme aux faveurs qui avaient pu être consenties par le précédent gérant,

* • le licenciement est exempt d'abus,

* • le salarié ne pouvait être convoqué à un entretien préalable alors qu'il était inapte à tout poste dans l'entreprise avec impossibilité de reclassement,

* • il a été informé de l'ensemble de la procédure au fur et à mesure de son déroulement,

* • les affirmations péremptoires du salarié ne sont fondées sur aucune pièce,

* • après son licenciement, il est retourné travailler exactement au même endroit et pour le même travail.

SUR CE,

* Sur l'indemnisation pour petits déplacements

En application de la Convention collective nationale française des entreprises du paysage du 10 octobre 2008 et des dispositions propres aux ouvriers et aux employés :

« 6.1. Si les conditions d'organisation du travail au sein de l'entreprise répondent à la définition du temps de travail effectif, le temps de trajet, pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail, soit le chantier doit être considéré comme du temps de travail effectif.

Conformément au code du travail, le temps de travail effectif est défini comme " le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles ".

Dès lors que l'organisation de l'entreprise oblige les salariés à se rendre pour l'embauche et la débauche à l'entreprise ou au dépôt, les temps de trajets (de l'entreprise ou du dépôt au chantier, aller-retour) sont considérés comme du temps de travail effectif et sont donc rémunérés comme tel.

Lorsque le temps de trajet est considéré comme temps de travail effectif, le salarié perçoit dans ce cas pour ses frais de repas, s'il ne déjeune ni à l'entreprise ni à son domicile, une indemnité de panier d'un montant égal à la valeur de 2,5 MG en vigueur.

La rémunération du temps de trajet en temps de travail effectif et l'indemnité de panier ne se cumulent pas avec l'indemnité de petit déplacement fixée à l'article 6.2 b visé ci-après.

6.2. Si les conditions d'organisation ne répondent pas à la définition du temps de travail effectif, telles que fixée par les dispositions légales en vigueur, le temps normal de trajet pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail, soit le chantier, n'est pas un temps de travail effectif.

Ce temps normal de trajet est défini comme celui qui éloigne les salariés de moins de 50 km, en rayon, du siège, de l'agence ou du dépôt.

Le rayon à retenir est celui, aller ou retour, qui est le plus avantageux pour le salarié.

Dans les zones à faible densité de population, ce temps normal de trajet peut excéder 50 km sans dépasser un rayon de 70 km.

L'indemnisation des déplacements est fixée comme suit :

a) le salarié qui se rend par ses propres moyens sur le chantier assigné par son employeur perçoit pour prise en charge de ses frais de repas, s'il ne déjeune ni à l'entreprise ni à son domicile, une indemnité de panier, d'un montant égal à la valeur de 2,5 MG en vigueur ;

b) le salarié qui se rend sur les chantiers par les moyens de transport mis à sa disposition par l'entreprise au siège ou dans l'un de ses dépôts est indemnisé dans les conditions suivantes :

Dans la limite du temps normal de trajet visé ci-dessous, le salarié est globalement indemnisé de ses frais de panier et de déplacement par le biais d'une indemnité pour petit déplacement fixée comme suit… ».

Cette disposition a été modifiée par l'avenant n° 24 du 26 avril 2019, qui stipule en préambule que « deux situations non cumulatives, déraillées au 6.1 et 6.2, se distinguent ».

La Convention collective est applicable au contrat de travail entre Monsieur r.I et la SARL J, cette dernière s'y étant soumise volontairement en la mentionnant sur l'intégralité des bulletins de salaire.

Le salarié prétend avoir droit à une indemnité en application de l'article 6.2. Celui-ci prévoit deux situations ; celle où le salarié se rend par ses propres moyens sur le chantier (a) et celle où il se rend sur les chantiers par les moyens de transport mis à sa disposition par l'entreprise (b).

En l'espèce, il est constant que Monsieur r.I se rendait sur les chantiers au moyen d'un véhicule de la société J jusqu'à son arrêt maladie en octobre 2021. Il était dès lors en droit de bénéficier d'une « indemnité pour petit déplacement » visant à indemniser « ses frais de panier et de déplacement ». Les éléments apportés par l'employeur quant aux durées exactes des chantiers et à la distance entre le dépôt et les chantiers sont précis et documentés et contredisent les demandes globales formulées par le salarié. Il convient dès lors de les retenir. De plus, à compter du mois de novembre 2021, il est établi que Monsieur r.I se rendait par ses propres moyens sur le chantier. Il n'avait alors plus droit à l'indemnité pour petit déplacement, mais à « une indemnité panier » visée par l'article 6.2. a.

Après vérification des calculs de la SARL J c'est bien la somme de 3.017,38 euros net qu'elle est condamnée à versée à titre d'indemnité, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

La demande au titre des congés payés sur rappel de salaire est rejetée, l'indemnité n'étant pas un élément de salaire mais un remboursement de frais.

* Sur l'avertissement

Si l'employeur tient de son pouvoir de direction dans l'entreprise le droit de sanctionner un salarié pour un comportement fautif, il appartient au Tribunal du travail, saisi de la contestation d'une sanction disciplinaire d'en contrôler le bien-fondé et de l'annuler si elle apparaît irrégulière en la forme, injustifiée ou disproportionnée par rapport à la faute commise.

Par courrier du 14 septembre 2020, Monsieur r.I a fait l'objet d'un avertissement pour les motifs suivants :

« Le mardi 8 septembre, le client de la villa La Mauresque s'est plaint de votre absence de travail. En effet, il a remarqué à plusieurs reprises sur ses caméras que vous ne travaillez pas (vous avez pris 1h15 de pause-déjeuner au lieu des 30 minutes prévues), que vous preniez de nombreuses pauses et que vous quittiez votre poste bien avant l'heure d'interruption de travail en présence de M. p.AB et s.AC. Sachez qu'il nous a montré ces vidéos et, en effet, nous constatons ce qui est évoqué ci-dessus.

Par ailleurs, le 26/08/2020, vous entreteniez le jardin de la v.P à Saint-Jean-Cap-Ferrat, en remplacement de M. h.Z. Nous avons reçu un mail du client (que vous trouverez ci-joint) qui indique que vous ne respectiez pas les horaires de travail. Il précise même que, lors des 4 dernières visites, vous n'avez travaillé que 2h30 au lieu des 4h prévues.

Enfin, le client de la villa La Reinette s'est également plaint de votre attitude étant donné que vous étiez tout le temps au téléphone.

Sachez qu'il ne s'agit pas de la première fois que nous constatons de tels faits.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'un tel comportement nuit incontestablement tant à l'image qu'au sérieux de notre entreprise.

Ces faits constituent un manquement à la discipline de notre établissement. Ce comportement et ce manque de motivation s'avèrent inacceptables.

Nous vous adressons donc cet avertissement et nous vous rappelons que cela constitue une sanction à caractère disciplinaire.

À l'occasion de toute nouvelle faute, nous serions contraints d'envisager une sanction plus importante. ».

Par lettre du 5 octobre 2020, Monsieur r.I contestait l'avertissement dans les termes suivants :

« Par la présente je conteste votre avertissement car je suis salarié dans votre entreprise depuis presque 17 ans et je n'ai jamais reçu aucun courrier ni remontrances verbales. Je suis surpris de votre description car elle tout simplement erronée. J'ai toujours effectué mon travail consciencieusement et à aucun moment je me suis absenté de celui-ci. J'ai toujours respecté les horaires prévus par mon planning.

En conséquence je conteste l'avertissement que vous m'avez envoyé par RAR et je vous demande de l'annuler. ».

Par lettre du 15 octobre 2020, l'employeur maintenait sa décision en indiquant :

« Nous contestons vivement la réponse que vous nous avez apportée le 05/10/2020 au sujet de l'avertissement du 14/09/2020 que nous vous avions fait parvenir.

En effet, le fait que vous soyez salarié dans notre entreprise depuis presque 17 ans ne vous dispense pas de recevoir un avertissement.

Qui plus est, votre réponse n'est pas une justification. Ce n'est pas parce que vous n'avez pas reçu d'avertissement depuis 17 ans que, cette fois, celui-ci n'était pas motivé et mérité.

Notre avertissement est incontestable et vous n'apportez aucune preuve qui conteste les faits qui nous énumérons.

Nous avons en notre possession les vidéos du client de la villa La Mauresque qui attestent précisément ce que nous avons énoncé dans notre avertissement du 14/09/2020.

Aussi, concernant la v.P, nous avons en notre possession un mail du client (que nous vous avons communiqué dans l'avertissement) qui indique que vous ne respectiez pas les horaires de travail. Il précise même que, lors des 4 dernières visites, vous n'avez travaillé que 2h30 au lieu des 4h prévues. Sachez qu'il est prêt à témoigner si nécessaire.

Il en est de même pour le client de la villa La Reinette qui s'est plaint que vous étiez tout le temps au téléphone.

Enfin, cet avertissement ne survient pas au premier incident mais au bout du deuxième.

Nous-mêmes, nous vous avons aperçu à de nombreuses reprises hors de votre poste de travail bien avant l'heure d'interruption de travail par exemple. Nous vous l'avons signalé oralement à chaque fois, mais apparemment, sans avertissement écrit de notre part, cela n'a eu aucun effet.

Ainsi, nous regrettons que vous usiez du mensonge.

Nous espérons que vous ne contesterez plus des faits irréfutables, que vous tiendrez compter de l'avertissement du 14/09/2020 afin que nous puissions envisager une collaboration agréable et efficace. ».

En réponse, le 6 novembre 2020, Monsieur r.I maintenait sa contestation et précisait :

« Vous m'expliquez : " que l'avertissement est incontestable car je n'emmène pas de preuve du contraire ! "

Je n'ai pas à apporter des preuves contre vos affirmations, en revanche il vous convient de votre côté de prouver ce que vous avancez.

À ce jour ce n'est pas le cas, je vous confirme que je conteste l'avertissement que vous m'avez envoyé par RAR.

En ce qui concerne la v.P je ne quitte jamais les lieux si ce n'est pour des raisons professionnelles soit pour aller chercher le camion, soit pour tailler les gormonts en extérieur par exemple.

Pour la villa REINETTE, il est étonnant que le propriétaire soit mécontent de moi car m'offre très souvent des pourboires conséquents. ».

Au soutien de son avertissement, l'employeur produit un e-mail du 26 août 2020 de Monsieur r.N indiquant « Nous vous demandons également de respecter les horaires de travail. Factuellement les 4 dernières visites les jardiniers ont travaillé que 2.5h chaque visite au lieu de 4h ! On espère que c'était la dernière fois. Je vous prie de bien vouloir nous les envoyer pour effectuer une visite supplementaire pour compenser ces 6h manquantes svp. ».

Cet e-mail n'est aucunement hors contexte, il date de la quinzaine précédent le courrier d'avertissement et le nom du client « SOFIA » apparaît dans l'objet. Si Monsieur r.I n'était pas le jardinier ayant réalisé les quatre visites précédent le 26 août 2020 dans cette villa il avait parfaitement les moyens de le prouver. Or, non seulement il ne le fait pas, mais il ne l'a même jamais prétendu, ce qui confirme bien qu'il était visé par cette réclamation. Contrairement à ce qu'affirme Monsieur r.I l'employeur a dès lors bien apporté la preuve de ses accusations. En revanche, la défense qu'il invoque ne peut emporter la conviction car le fait d'aller chercher un camion ou de tailler une haie depuis l'extérieur ne peut justifier une absence d'une heure et demie, ce encore moins à quatre reprises d'affilée.

Ces faits sont dès lors matériellement établis. Ils justifiaient à eux seuls le prononcé d'une sanction disciplinaire compte tenu de l'importante insatisfaction du client. La sanction était proportionnée à la faute et à la personnalité du salarié, son ancienneté et l'absence d'antécédent étant pris en compte dans le prononcé de la sanction la plus légère du panel possible.

L'avertissement étant justifié, la demande de dommages et intérêts sera rejetée.

* Sur le licenciement

* Sur la validité du motif de licenciement

Monsieur r.I a été licencié par courrier du 22 mars 2022, pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

La validité du licenciement d'un salarié est subordonnée à la reconnaissance physique de son inaptitude définitive par le Médecin du Travail et à l'impossibilité démontrée par l'employeur de procéder à son reclassement ou au refus du reclassement proposé par le salarié.

Si la première condition ne fait aucune difficulté en l'espèce, la seconde impose que l'employeur rapporte la preuve de l'impossibilité où il se trouve de reclasser le salarié et ce après avoir étudié les possibilités existantes ou pouvant exister au sein de l'entreprise même dans l'hypothèse d'un avis déclarant le salarié définitivement inapte à tout emploi dans l'entreprise.

En l'espèce, l'employeur procède par voie d'affirmation quant à l'impossibilité de reclassement, en se contentant de fournir la liste du personnel pour démontrer que seuls des postes similaires à celui de Monsieur r.I existaient au sein de l'entreprise. Or, l'employeur n'a examiné la recherche de reclassement qu'en considération des seuls postes disponibles et ne justifie d'aucune démarche pour une éventuelle transformation de poste ou en vue de la proposition de formation adaptée ou d'un aménagement du temps de travail.

Le motif de licenciement n'était en conséquence pas valable. La SARL J est en conséquence condamnée à verser à Monsieur r.I la somme de 2.407,04 euros à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, cette somme étant justement calculée sur la base d'un salaire brut de 2.795,21 euros (et non pas 2.843,51 euros nullement justifié) et tenant compte de la limite maximale de six mois de salaire.

* Sur le caractère abusif du licenciement

Lorsque l'inaptitude est causée par un comportement fautif de l'employeur cela confère au licenciement un caractère abusif et doit entraîner l'indemnisation du préjudice moral et matériel.

En l'espèce Monsieur r.I relie son inaptitude au comportement déloyal que l'employeur aurait eu à son égard, en le mettant sous pression. Il a développé ses reproches dans deux courriers des 17 octobre 2021 et 5 janvier 2022, à savoir le non-versement de la prime panier, le retrait injustifié du véhicule de fonction pour le sanctionner d'avoir refusé de témoigner contre un salarié.

Monsieur r.I a été placé en arrêt maladie à compter du 11 octobre 2021 pour une « dépression réactionnelle ». À ce stade, les reproches qu'il adresse à son employeur ne sont pas corroborés par des éléments matériels vérifiables. En effet, les accusations relatives aux pressions et menaces subies ne sont pas prouvées.

En revanche, suite à la reprise du travail, il est établi que l'employeur va proposer, pour la première fois en dix-huit ans de collaboration, la signature d'un contrat de travail. Or, contrairement à ce qu'affirme l'employeur, ce contrat ne constitue pas une régularisation de la situation, mais comporte au moins une modification d'un élément substantiel du contrat, l'instauration d'une clause de non-concurrence. De même, l'employeur va mettre la pression sur son salarié, en exigeant une réponse sous 48 heures par courrier du 29 novembre 2021. Or, rien ne justifie cette urgence, ce d'autant qu'il n'est pas justifié que ce soudain souci pour mettre les choses par écrit ait concerné l'ensemble des salariés et non pas uniquement Monsieur r.I.

En parallèle, l'employeur ne daignait ni récupérer le courrier envoyé par le salarié ni répondre à ses légitimes interrogations concernant l'indemnité de panier. De même, il lui retirait sans aucune justification la possibilité de se rendre sur les chantiers avec le véhicule de la société.

Monsieur r.I était à nouveau placé en arrêt de travail à compter du 3 décembre 2021 jusqu'à être déclaré définitivement inapte à tout poste dans l'entreprise. Aux termes de deux certificats, il apparaissait qu'il faisait l'objet d'un suivi psychologique à compter du mois de décembre 2021 et que son état de santé ne lui permettait plus de travailler dans l'entreprise.

Si le lien de causalité entre le premier arrêt de travail et le comportement de l'employeur n'est pas établi, il est indéniable que les agissements de l'employeur à compter du mois de novembre 2021 ont contribué à l'aggraver, déclenchant un nouvel arrêt de travail le 3 décembre, puis à le rendre inapte.

En effet, alors qu'il était déjà fragilisé, l'employeur a voulu lui imposer une clause de non-concurrence, obligation particulièrement impactante et préjudiciable, lui a mis la pression pour y consentir, tout ne prenant même pas la peine de répondre à ses courriers.

Le licenciement est dès lors abusif dans son principe, les agissements fautifs de l'employeur étant à l'origine de la déclaration d'inaptitude et donc de la perte de l'emploi.

Pour le surplus, l'employeur a strictement respecté la procédure requise et a informé le salarié aux différentes étapes de la procédure. Quant à l'absence d'organisation d'un entretien préalable, cela n'est prévu par aucun texte, ne revêt aucun caractère obligatoire et n'avait pas à être mis en oeuvre au cas d'espèce, le licenciement ayant été par ailleurs accompagné.

Au titre du préjudice de Monsieur r.I en l'absence de tout justificatif quant à sa situation professionnelle et financière, seul le volet moral pourra être indemnisé. Il travaillait depuis plus de dix-huit ans et était âgé de bientôt 54 ans au moment du licenciement. Il a été licencié alors qu'il se trouvait fragilisé psychologiquement. L'ensemble de ces éléments justifie la condamnation de la SARL J à lui verser la somme de 25.000 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

* Sur les autres demandes

La SARL J succombant elle est condamnée aux entiers dépens. Elle est en outre condamnée à verser à Monsieur r.I la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.

La nécessité que l'exécution provisoire soit ordonnée n'étant pas établie il n'y a pas lieu de la prononcer.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Condamne la SARL J à verser à Monsieur r.I la somme de 3.017,38 euros net (trois mille dix-sept euros et trente-huit centimes) à titre d'indemnité, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Rejette le surplus de la demande ;

Rejette la demande au titre des congés payés y afférents ;

Rejette la demande d'annulation de l'avertissement du 14 septembre 2020 ;

Rejette la demande de dommages et intérêts pour sanctions abusives ;

Dit que le motif de licenciement n'est pas valable ;

Condamne la SARL J à verser à Monsieur r.I la somme de 2.407,04 euros (deux mille quatre cent sept euros et quatre centimes) à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Rejette le surplus de la demande ;

Dit que le licenciement est abusif ;

Condamne la SARL J à verser à Monsieur r.I la somme de 25.000 euros (vingt-cinq mille euros) au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Rejette le surplus de la demande ;

Condamne la SARL J aux entiers dépens ;

Condamne la SARL J à verser à Monsieur r.I la somme de 2.000 euros (deux mille euros) au titre des frais irrépétibles ;

Rejette le surplus des demandes respectives des parties ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Carol MILLO et Monsieur Anthony GUICHARD, membres employeurs, Messieurs Georges-Éric TRUCHON et Benjamin NOVARETTI, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le six décembre deux mille vingt-quatre.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30755
Date de la décision : 06/12/2024

Analyses

Rupture du contrat de travail


Parties
Demandeurs : Monsieur r.I,
Défendeurs : La société de droit monégasque O

Origine de la décision
Date de l'import : 24/01/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2024-12-06;30755 ?

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