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15/12/2023 | MONACO | N°30302

Monaco | Tribunal du travail, 15 décembre 2023, Monsieur e. A. c/ La SAM B.


Abstract

Demande indemnitaire - objet clairement identifiable de la demande - recevabilité de la demande (oui)

Mauvaises conditions de travail - dommages et intérêts (non)

Licenciement - article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 - caractère abusif du licenciement (oui)

Résumé

Le salarié, engagé en qualité d'Assistant Supply Chain, a été licencié en application de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963. Il formule des prétentions indemnitaires au titre de ses mauvaises conditions de travail et du caractère abusif de son licenciement.


Ces demandes visent un objet clairement identifiable et sont donc recevables.

La détermination...

Abstract

Demande indemnitaire - objet clairement identifiable de la demande - recevabilité de la demande (oui)

Mauvaises conditions de travail - dommages et intérêts (non)

Licenciement - article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 - caractère abusif du licenciement (oui)

Résumé

Le salarié, engagé en qualité d'Assistant Supply Chain, a été licencié en application de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963. Il formule des prétentions indemnitaires au titre de ses mauvaises conditions de travail et du caractère abusif de son licenciement.

Ces demandes visent un objet clairement identifiable et sont donc recevables.

La détermination de l'éventuel préjudice du salarié s'apprécie au fond.

L'intéressé soutient avoir eu de mauvaises conditions de travail. Il n'établit cependant pas la réalité des griefs invoqués à l'encontre de l'employeur (modification de poste, mauvaise ambiance de travail, refus injustifié d'un changement d'horaires, décalage abusif de la perception de son augmentation). Le Tribunal rejette en conséquence ses prétentions indemnitaires au titre de ses mauvaises conditions de travail.

En revanche, l'annonce du licenciement, sans aucun signe annonciateur, a été brutale. Il a été convoqué à un entretien, qualifié de préalable, devant se tenir le même jour. Par ailleurs, son licenciement lui a été annoncé à cette occasion et la formalisation ultérieure d'un courrier n'est pas de nature à établir que l'employeur aurait pris un délai de réflexion. La dispense d'exécution de préavis relève du pouvoir de direction de l'employeur et n'a rien de vexatoire en soi.

En réparation du préjudice moral consécutif au caractère abusif du licenciement, le Tribunal lui alloue des dommages et intérêts dont le montant de 5000 euros tient compte de son âge de 42 ans et de son ancienneté de 3 ans.

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 15 DÉCEMBRE 2023

N° 38-2021/2022

* En la cause de Monsieur e. A., demeurant x1 à MENTON (06500) ;

Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

* La société anonyme monégasque dénommée B., dont le siège social se situe « x2 », x2 à MONACO (98000), prise en la personne de son représentant légal en exercice ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

* Vu la requête introductive d'instance en date du 2 novembre 2021, reçue le 7 décembre 2021 ;

* Vu la procédure enregistrée sous le numéro 38-2021/2022 ;

* Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 18 janvier 2022 ;

* Vu les conclusions récapitulatives de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de Monsieur e. A., en date du 11 mai 2023 ;

* Vu les conclusions récapitulatives de Maître Christophe BALLERIO, avocat-défenseur au nom de la S. A. M. B., en date du 12 janvier 2023 ;

* À l'audience publique du 19 octobre 2023, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, l'affaire était mise en délibéré pour être rendue le 15 décembre 2023, sans opposition des parties par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, ces dernière en ayant été avisées par Madame le Président ;

* Vu les pièces du dossier ;

Motifs

Monsieur e. A. a été embauché le 6 août 2018 en qualité d'Assistant Supply Chain par la société anonyme monégasque B.. Il a été licencié par lettre du 30 mars 2021 au visa de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963.

Par requête reçue le 7 décembre 2021, Monsieur e. A. a saisi le Tribunal du travail afin d'obtenir 50.000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat et mauvaises conditions de travail, avec intérêts au taux légal et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions récapitulatives du 11 mai 2023, Monsieur e. A. sollicite 3.500 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.

Il fait valoir pour l'essentiel que :

* la demande de dommages et intérêts toute cause de préjudice confondue est recevable,

* le licenciement est intervenu en infraction aux droits de Monsieur e. A. dans des circonstances abusives,

* il n'a pas été convoqué à un entretien préalable,

* il a reçu un simple message interne le matin,

* il a été surpris et choqué de cette convocation brutale,

* le message ne précisant pas que le but de la rencontre était d'évoquer un potentiel licenciement, cela a été trompeur,

* sa supérieure lui a volontairement caché l'objet de l'entretien,

* le licenciement a été notifié dès cet entretien,

* la brutalité du procédé est démontrée par le message adressé par sa supérieure hiérarchique,

* il a cru qu'il pourrait exécuter son préavis au regard de la teneur des échanges mais cela lui a finalement été refusé,

* il a subi de mauvaises conditions de travail,

* alors qu'il avait été engagé comme Assistant Supply Chain, il s'est vu imposer une modification de son poste quelques mois après l'embauche,

* en ajoutant à ses fonctions la S. A. M. B. a créé une confusion et ajouté une pression sur Monsieur e. A. sans pour autant reconnaître son travail,

* Monsieur e. A. ne travaillait pas dans des conditions de travail sereines,

* les menaces de licenciement étaient courantes et fréquentes,

* il n'a perçu sa juste augmentation de salaire qu'après intervention,

* sa demande d'aménagement horaire pour prendre soin de sa petite fille atteinte d'une grave maladie auto-immune lui a été initialement refusée sans explication,

* les tentatives de dénigrement de Monsieur e. A. sont inutiles dans le cadre d'un licenciement sur le fondement de l'article 6 et infondées,

* la demande de l'employeur au titre des frais irrépétibles est inéquitable.

Par conclusions récapitulatives du 12 janvier 2023, la S. A. M. B. soulève l'irrecevabilité de la demande de dommages et intérêts. Elle sollicite le débouté de l'intégralité des demandes de Monsieur e. A., 3.000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

* la demande de dommages et intérêts a deux fondements juridiques distincts sans qu'aucune distinction du quantum ne soit faite,

* elle est en conséquence irrecevable,

* Monsieur e. A. n'a pas subi de mauvaises conditions de travail,

* il n'a jamais changé de poste ou subi d'évolution quelconque,

* il n'a subi aucune pression,

* il est totalement défaillant dans l'administration de la preuve,

* il n'a jamais émis la moindre doléance,

* il se plaint de manière incompréhensible relativement à sa demande d'aménagement horaire alors qu'elle a été acceptée, alors qu'il bénéficiait déjà d'une souplesse horaire,

* le licenciement a été prononcé dans le respect des droits du salarié,

* il a été convoqué à un entretien préalable, et ce alors qu'aucune obligation légale ne l'imposait,

* aucune décision de licenciement ne lui a été annoncée au cours de cet entretien contrairement à ce qu'il prétend,

* le message privé adressé par une salariée en dehors de ses horaires de travail n'est pas probant,

* la dispense d'exécution de préavis a été prononcée à la demande du salarié,

* la teneur des échanges de messages postérieurement au licenciement démontre que Monsieur e. A. n'a aucunement été surpris, déstabilisé ou affecté,

* il avait fait l'objet de plusieurs rappels concernant son travail et son manque d'implication au cours des trois années de relation,

* il ne peut soutenir n'avoir en aucune manière pu anticiper son licenciement,

* il ne produit aucun document permettant de tenter de justifier le quantum de sa demande financière plus que conséquente.

SUR CE,

* Sur la recevabilité de la demande de dommages et intérêts

Aux termes de l'article 37 alinéa 2 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, la requête devant le Bureau de Conciliation doit contenir l'objet de la demande. En l'espèce, tel est le cas, la demande portant sur des dommages et intérêts pour mauvaises conditions de travail et licenciement abusif, soit un objet clairement identifiable.

Quant à la question de savoir si le montant de l'éventuel préjudice de Monsieur e. A. est déterminable, elle s'appréciera au fond.

La demande d'irrecevabilité sera en conséquence rejetée.

* Sur les mauvaises conditions de travail

Monsieur e. A. soutient avoir exercé ses fonctions dans des conditions de travail délétères et expose divers griefs à l'égard de son ancien employeur.

Concernant la modification de poste, Monsieur e. A. prétend qu'il se serait vu imposer de nouvelles fonctions, ce qui aurait engendré de la pression et de la confusion. Il démontre qu'il a pu utiliser deux signatures mails, d'une part, « Supply chain assistant », d'autre part, « Customer service DPT ». Si ces deux intitulés sont différents, Monsieur e. A. n'explique pas, et ne démontre pas plus, en quoi ils recouperaient deux postes différents. La seule documentation probante quant à la réalité de ses fonctions est constituée par ses évaluations, démontrant que dès l'année 2018, sa fonction était « Assistant service client et commercial ». En 2020, il était « Customer service assistant », c'est-à-dire « Assistant service client ». En conséquence, quel que soit l'intitulé de son poste sur son contrat de travail, son permis de travail ou sa signature mail, il a toujours exercé la même fonction et est défaillant à démontrer le contraire.

Concernant l'ambiance au travail, les avis internet anonymes n'ont aucune valeur probante, ce d'autant qu'ils ne sont pas corroborés. Quant au mail du 25 juin 2020, il est isolé, ne comporte pas de propos outrageants ou vexatoires.

Concernant le refus d'aménagements horaires, il convient, en préambule, de rappeler que l'employeur n'a aucune obligation d'accepter une telle demande. En outre, en l'espèce, si l'employeur avait initialement refusé la requête de Monsieur e. A., dès que celle-ci a été motivée, il y a été fait droit.

Concernant la perception de son augmentation, s'il est exact qu'elle n'a été réglée qu'avec un mois de décalage, Monsieur e. A. ne démontre aucun abus de l'employeur, ni, comme il le soutient, avoir dû intervenir.

La demande au titre des mauvaises conditions de travail étant infondée, Monsieur e. A. sera débouté.

* Sur le licenciement

L'employeur dispose, sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, d'un droit autonome et unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celle-ci.

Ce texte n'instaurant toutefois pas un droit discrétionnaire et absolu, il appartient au Tribunal du travail de vérifier, non pas la cause de la rupture, mais le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié, d'une part, et les circonstances ayant entouré la rupture, d'autre part.

Constitue ainsi un licenciement abusif, celui prononcé pour un faux motif ou avec intention de nuire ainsi que celui mis en oeuvre de manière abusive.

En l'espèce, Monsieur e. A. déplore les circonstances de mise en oeuvre de son licenciement.

Il est établi qu'il a été convoqué, par mail du 26 mars 2021, à un entretien préalable devant se tenir l'après-midi même. L'utilisation du vocable « entretien préalable » laissait peu de doute quant à la teneur dudit entretien. Suite à cet entretien, il recevait, de la part de la salariée l'ayant conduit, un message de soutien, lui proposant ses services pour l'aider à retrouver un emploi. Dans ces conditions, la version de Monsieur e. A. selon laquelle son licenciement lui aurait été annoncé à cette occasion est corroborée et la formalisation d'un courrier le 30 mars n'est pas de nature à établir que l'employeur aurait pris un délai de réflexion.

L'annonce du licenciement, sans aucun signe annonciateur, a dès lors été brutale.

Monsieur e. A. déplore également la mesure de dispense d'exécution de préavis. Or, elle relève du pouvoir de direction de l'employeur et n'a rien de vexatoire en soi, Monsieur e. A. étant défaillant à démontrer en quoi elle lui aurait porté atteinte.

Monsieur e. A. sollicite la condamnation de son employeur à lui verser la somme de 50.000 euros de dommages et intérêts. Contrairement à ce qu'il affirme, cette somme n'est nullement ventilée entre le préjudice subi du fait des mauvaises conditions de travail et causé par le licenciement abusif. Dans ces conditions, seul le préjudice moral de principe du fait d'avoir été évincé brutalement à 42 ans après 3 ans d'ancienneté sera réparé. La société B. sera en conséquence condamnée à lui verser la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

* Sur les autres demandes

La société B. étant condamnée, elle doit être condamnée aux entiers dépens. Elle est en outre condamnée à verser à Monsieur e. A. la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles. Dans ces conditions sa demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée.

La nécessité que l'exécution provisoire soit prononcée n'étant pas caractérisée, il n'y a pas lieu de l'ordonner.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Rejette l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société anonyme monégasque B. ;

Rejette la demande de dommages et intérêts pour mauvaises conditions de travail de Monsieur e. A. ;

Dit que le licenciement a été mis en oeuvre de manière brutale ;

Condamne la S. A. M. B. à verser à Monsieur e. A. la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) de dommages et intérêts pour licenciement abusif, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Condamne la S. A. M. B. aux entiers dépens ;

Condamne la S. A. M. B. à verser à Monsieur e. A. la somme de 1.500 euros (mille cinq cents euros) au titre des frais irrépétibles ;

Rejette le surplus des demandes respectives des parties ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Cédric CAVASSINO et Jean-Pierre DESCHAMPS, membres employeurs, Messieurs Cédrick LANARI et Silvano VITTORIOSO, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le quinze décembre deux mille vingt-trois.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30302
Date de la décision : 15/12/2023

Analyses

Rupture du contrat de travail ; Conditions de travail


Parties
Demandeurs : Monsieur e. A.
Défendeurs : La SAM B.

Références :

article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963
article 37 alinéa 2 de la loi n° 446 du 16 mai 1946


Origine de la décision
Date de l'import : 07/05/2024
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2023-12-15;30302 ?

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