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29/09/2023 | MONACO | N°30156

Monaco | Tribunal du travail, 29 septembre 2023, Monsieur A. c/ La société anonyme monégasque dénommée E


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LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 22-2012/2013 ;

Vu le jugement du Tribunal du Travail en date du 10 mars 2016 ayant notamment ordonné une expertise confiée à Monsieur C., Expert-Comptable ;

Vu le rapport d'expertise en date du 31 août 2020, déposé par cet expert le 11 septembre 2020 ;

Vu le renvoi subséquent de la cause et des parties à l'audience du Tribunal du travail du 12 novembre 2020 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Frank

MICHEL, avocat-défenseur au nom de Monsieur A., en date du 16 mars 2023 ;

Vu les conclusions récapitulativ...

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LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 22-2012/2013 ;

Vu le jugement du Tribunal du Travail en date du 10 mars 2016 ayant notamment ordonné une expertise confiée à Monsieur C., Expert-Comptable ;

Vu le rapport d'expertise en date du 31 août 2020, déposé par cet expert le 11 septembre 2020 ;

Vu le renvoi subséquent de la cause et des parties à l'audience du Tribunal du travail du 12 novembre 2020 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur au nom de Monsieur A., en date du 16 mars 2023 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur au nom de la S. A. M. E. (en abrégé E.), en date du 15 juin 2023 ;

Après avoir entendu Maître Frank MICHEL, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Monsieur A. et Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la même Cour, pour la S. A. M. E., en leurs plaidoiries à l'audience du 6 juillet 2023 ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs

Dans un litige opposant les « Caissiers manipulateurs » au D. à la société anonyme monégasque E. (ci-après E.) afin d'obtenir le versement d'une rémunération équivalente à celle perçue par les salariés Changeurs des appareils automatiques du « B. » occupant un poste similaire, par jugement du 10 mars 2016, le Tribunal du travail a :

* • déclaré recevable la demande de rappel de salaire formée par Monsieur A. sur la période du 1er avril 2012 au 3 juillet 2012,

* • avant-dire-droit sur le montant du rappel de salaires dû sur la période du 3 juillet 2007 au 3 juillet 2012, ordonné une expertise aux frais avancés de Monsieur A. ;

* • désigné pour y procéder Monsieur C. lequel aura pour mission :

* • de se faire communiquer par la E. les simulations établies par ses soins, les grilles de classification des Caissiers manipulateurs et Changeurs ainsi que tout document nécessaire,

* • de déterminer, en fonction de la méthode de calcul de la E. (création d'un Caissier Changeur de référence) et de la correspondance d'échelon tirée de l'analyse des grilles de classification susvisées, le rappel de salaires dû à Monsieur A. sur la période du 3 juillet 2007 au 3 juillet 2012, incluant tous les éléments de rémunération affectés par la disparité salariale,

* • de fournir toutes explications techniques sur les écarts de jours de travail (« brut corrigé », « écart corrigé » et « écart cumulé »), dont la moyenne annuelle devra être déterminée sur toute la période concernée du 3 juillet 2007 au 3 juillet 2012, ainsi que sur le « trop-perçu », et de préciser leur incidence salariale de manière séparée,

* • de fournir toutes indications et éléments utiles à la solution du litige,

* • débouté Monsieur A. du surplus de ses demandes,

* • réservé les dépens en fin de cause.

Monsieur C. déposait son rapport le 11 septembre 2020.

Par conclusions récapitulatives du 16 mars 2023, Monsieur A. sollicite la condamnation de la E. à :

* • 89.400 euros de différence de rémunération minimale pour la période du 3 juillet 2007 au 3 juillet 2012,

* • ou a minima 77.301,20 euros,

* • 15.000 euros de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de l'absence de reprise d'ancienneté,

* • 55.000 euros de dommages et intérêts pour les préjudices subis du fait de la privation des points retraite,

* • 10.000 euros de dommages et intérêts pour les préjudices complémentaires découlant du manque à gagner et de la perte des points retraite,

* • les dépens, en ce compris les frais d'expertise taxés à hauteur de 9.327 euros,

* • 10.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Il fait valoir pour l'essentiel que :

* • contrairement à ce qu'a écarté l'expert, l'ancienneté au poste d'Aide-caissier convient d'être valorisée afin de placer correctement la situation de Monsieur A. sur la grille des Changeurs aux appareils automatiques,

* • l'intitulé même de cette expérience indique que le poste consiste à assister le Caissier manipulateur et induit qu'en travaillant à ses côtés il va apprendre,

* • suivant l'accord du 23 mai 2005, les durées d'expériences professionnelles différentes de celles propres au poste assuré devaient être prises en compte, en tout ou partie, s'il est considéré qu'elles ont concouru à une meilleure maîtrise du poste occupé,

* • l'expert a constaté que la E. n'a absolument pas tenu compte de l'ancienneté d'Aide-caissier, ni à 33 %, ni à 100 % dans ses simulations,

* • l'expert a donc dû procéder lui-même au calcul d'écart salarial,

* • la proportion à laquelle cette expérience au poste d'Aide-caissier ne saurait être de 33 % comme le propose la E., dès lors qu'il s'agit d'un quantum totalement arbitraire,

* • la Convention Collective applicable pour les années 2007 à 2012 (celle de 1946) ne plafonnait nullement à 33 % l'ancienneté à prendre en considération,

* • l'occupation de la fonction d'Aide-caissier, lui permettant d'acquérir des connaissances et de l'expérience relativement à la caisse devenant son outil principal de travail en tant que Caissier manipulateur justifie que la totalité de cette expérience préalable soit valorisée dans sa reconstitution de carrière,

* • quant à l'expérience acquise en qualité de Changeur aux appareils automatiques, préalablement à l'occupation du poste de Caissier manipulateur, elle doit être retenue à hauteur de 100 %, puisqu'il a été définitivement jugé que le travail réalisé est équivalent,

* • le montant d'au moins 82.100,93 euros doit ainsi être retenu,

* • la E. doit être condamnée à verser 89.400 euros, cela correspondant aux calculs de Monsieur A.,

* • l'ancienneté dans l'entreprise n'ayant pas fait l'objet d'une reprise par l'expert, il convient d'allouer la somme de 15.000 euros de dommages et intérêts complémentaires,

* • cette demande complémentaire est recevable, puisqu'il n'a pas été rempli de ses droits dans le cadre de l'expertise,

* • l'expert a en effet à tort procédé à ses calculs comme si, au 3 juillet 2007, le salarié venait de commencer ses fonctions, ce qui a faussé le résultat,

* • Monsieur A. ne pouvait anticiper au stade de la conciliation l'erreur qu'aurait pu commettre l'expert,

* • en raison de la discrimination salariale subie, Monsieur A. a également été victime d'une privation de points de retraite,

* • le rattrapage de la totalité des points manqués n'est pas possible même par la condamnation de la E. au paiement d'un montant correspondant au préjudice subi relativement à cette discrimination salariale,

* • les points retraite étant mathématiquement liés au salaire erronément réglé, Monsieur A. a réactualisé le quantum de ses prétentions dès lors qu'il ne disposait pas préalablement de l'ensemble des éléments de comparaison,

* • le préjudice principal relatif au manque à gagner exigible est particulièrement ancien,

* • l'attitude déloyale adoptée par la E. au cours de la mesure expertale, refusant de contribuer à la manifestation de la vérité, doit donner lieu à dommages et intérêts complémentaires pour les préjudices nés de la présente procédure et de la résistance abusive.

Par conclusions récapitulatives du 15 juin 2023, la E. sollicite :

* • l'irrecevabilité des demandes de dommages et intérêts,

* • la valorisation de l'ancienneté à 33 %,

* • s'engage à verser 77.301,20 euros,

* • le débouté des demandes de Monsieur A.,

* • 5.000 euros au titre des frais irrépétibles,

* • les dépens, en ce compris les frais d'expertise taxés à hauteur de 9.327 euros.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

* • les demandes nouvelles de Monsieur A. sont irrecevables pour ne pas avoir été soumises au préliminaire de conciliation,

* • si les quantums peuvent être réactualisés dans certaines hypothèses, encore faut-il qu'une demande ait été formulée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce,

* • la demande fondée sur les prétendus manquements de l'expert ne résulte pas d'une faute imputable à la E.,

* • le calcul d'écart salarial non contradictoire du salarié n'a aucune valeur probante,

* • la somme de 89.400 euros ne correspond à aucun des résultats du calcul de l'expert,

* • l'ancienneté globale dans l'entreprise n'a pas à être retenue, mais uniquement celles à des postes ayant permis au salarié une meilleure maîtrise du poste occupé,

* • seule la valorisation de l'ancienneté au poste d'Aide-caissier doit être déterminée,

* • cette expérience doit être prise en compte en tout ou en partie,

* • la E. a d'usage retenu, en accord avec les représentants du personnel, une partie de l'ancienneté du poste d'Aide-caissier dans le positionnement des Caissiers manipulateurs dans les grilles de salaires, à hauteur d'un tiers,

* • juger que cette expérience soit retenue à 100 % signifierait qu'elle est équivalente, ce qui est parfaitement incorrect,

* • le poste d'Aide-caissier ne concourt que partiellement à une meilleure maîtrise du poste de Caissier manipulateur,

* • il n'effectue pas d'opérations de change,

* • la E. s'engage à verser 77.301,20 euros,

* • ce montant correspond à 600 euros près à celui calculé par la E. dès le début de l'expertise,

* • elle a toujours fait preuve de grande diligence et transparence, raison pour laquelle les frais d'expertise et dépens n'ont pas à être supportés par ses soins.

SUR CE,

* Sur les irrecevabilités soulevées par la E.

En application de l'article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946, le Bureau de jugement du Tribunal du travail ne peut connaître que des demandes soumises préalablement à la tentative de conciliation, qu'il s'agisse de leur nature ou de leur quantum.

* Sur la demande de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de l'absence de reprise d'ancienneté

Monsieur A. forme une demande au titre du préjudice subi du fait de l'absence de reprise d'ancienneté.

Il reproche en effet à l'expertise de ne pas avoir pris en compte l'ensemble de son ancienneté au sein de l'entreprise, mais de n'avoir valorisé que l'ancienneté à des postes ayant contribué à une meilleure maîtrise du poste donnant lieu au rattrapage de différence de rémunération compte tenu de la discrimination salariale.

Si cette demande n'a pas été soumise au préliminaire de conciliation, elle ne pouvait exister au moment où le litige s'est formé. En effet, le désaccord quant à l'ancienneté à reprendre est apparu au cours de l'expertise. En revanche, la question de la reprise d'ancienneté existait lors de la phase de conciliation et a d'ailleurs été retenue par l'expert dans sa méthode de calcul, sans que cela ne soit contesté par la E.

Si la E. soulève à juste titre qu'une éventuelle erreur ne relèverait pas de sa responsabilité mais de celle de l'expert, il convient de rappeler que la demande initiale consistait en la réparation de la différence de rémunération minimale causée par la discrimination salariale.

Si, contrairement aux conclusions d'expertise, cette différence devait s'avérer plus importante que le montant fixé, du fait d'une mauvaise appréciation de l'ancienneté à prendre en compte, il s'agirait alors de la réparation du même préjudice, celui du manque à gagner subi par le salarié du fait d'un traitement discriminatoire imposé par l'employeur pendant des années.

Dans ces conditions, la demande complémentaire relève du même objet que celui soumis au préliminaire de conciliation. Elle découle de la responsabilité de la E., qui n'a pas rémunéré son salarié selon son juste traitement. Elle est en conséquence recevable, le salarié ne pouvant fixer le quantum précis au stade de la conciliation compte tenu des éléments d'appréciation dont il ne disposait pas et qui demeuraient entre les mains de son employeur.

Sur la demande de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la privation des points retraite

La demande au titre de la perte des points de retraite ne figurait pas dans le préliminaire de conciliation et n'a pas été débattue devant le Bureau de conciliation, ni au titre de leur valeur financière réelle, ni au titre du préjudice subi du fait d'une valorisation inférieure à ce qui aurait dû être en l'absence de discrimination salariale.

Le Tribunal en a d'ailleurs tiré les conséquences, dans le jugement avant-dire-droit du 10 mars 2016, en indiquant « aucune demande n'ayant été formulée dans le cadre de la présente instance sur le préjudice lié au rattrapage salarial, aucun chef de mission ne sera confié à l'expert sur la valeur financières des points retraite ARCCO ou sur les répercussions fiscales en cause (mission expertale réclamée par le salarié) ».

Ainsi, contrairement à ce que le salarié soutient, les points retraite ont été clairement écartés pour ne pas avoir été soumis à la conciliation obligatoire.

De plus, si cette demande se rapporte bien aux conséquences de la discrimination salariale dont le salarié a fait l'objet, il disposait de tous les éléments d'appréciation nécessaires pour présenter une demande à ce titre dans le cadre de la tentative obligatoire de conciliation.

Enfin, les dispositions relatives à la conciliation trouvent à s'appliquer quel que soit l'objet ou la nature de la demande. Dès lors, le fait qu'elle soit formulée sur un fondement indemnitaire n'est pas de nature à permette de contourner le caractère impératif de la tentative de conciliation.

La demande de dommages et intérêts pour la perte de la valeur des points retraite est en conséquence irrecevable.

* Sur la demande de dommages et intérêts pour les préjudices complémentaires

Monsieur A. forme une demande de 10.000 euros de dommages et intérêts pour le manque à gagner et la perte des points retraite.

Elle est irrecevable pour les mêmes raisons que celles développées ci-dessus, à savoir qu'elle n'a pas été soumise au préliminaire de conciliation alors qu'elle est fondée sur la même cause et que le salarié disposait des éléments nécessaires pour déterminer l'existence du préjudice qu'il invoque dorénavant.

Néanmoins, Monsieur A. soutient également à ce titre avoir subi un préjudice moral du fait et durant le cours de la procédure de l'attitude déloyale de la E. Cette action étant née pendant le cours de l'action, elle est à quant à elle recevable.

* Sur l'indemnisation de Monsieur A.

* Sur la différence de rémunération minimale

Aux termes d'un rapport d'expertise déposé le 11 septembre 2020, l'expert judiciaire, après avoir travaillé sur deux hypothèses à la demande du juge chargé du contrôle de l'expertise, a conclu à :

* • un rappel de salaire de 77.301,20 euros incluant tous les éléments de rémunération affectés par la disparité salariale et tenant compte d'une reprise de l'ancienneté du poste d'Aide caissier à hauteur de 33 %,

* • un rappel de salaire de 82.100,93 euros incluant tous les éléments de rémunération affectés par la disparité salariale et tenant compte d'une reprise de l'ancienneté du poste d'aide caissier à hauteur de 100 %.

Seuls trois points étaient discutés au cours de l'expertise :

* • la date d'ancienneté à reprendre : celle d'entrée dans l'entreprise ou de début aux fonctions de caisse, affectant la rémunération mais également le calcul des primes P1 et P2,

* • la portion d'ancienneté à reprendre au titre de l'expérience antérieure,

* • le calcul des heures supplémentaires.

Dorénavant, Monsieur A. ne soulève plus que les 2 difficultés relatives à l'ancienneté, ne contestant plus le calcul des heures supplémentaires, ce d'autant qu'il ne produit toujours pas les plannings faisant défaut lors de l'expertise.

Aux termes de l'accord du 23 mai 2005 « les durées d'expérience professionnelles différentes de celles propres au poste assuré seront prises en compte, en tout ou partie, s'il est considéré par la société qu'elles concourent à la meilleure maîtrise du poste occupé ». C'est donc à raison que l'expert a écarté l'expérience originelle de Monsieur A., un Garde d'intérieur ne concourant pas à une meilleure maîtrise du poste de Caissier manipulateur, et n'a pris en compte que celle d'Aide-caissier.

Au sujet des primes, aux termes de l'accord du 18 juin 2004, une prime de rendement a été mise en place au bénéfice du personnel affecté aux jeux automatiques. N'étaient néanmoins attributaires que les personnels de statut E. commissionné concourant directement au fonctionnement du service Jeux automatiques du Café de Paris et du Casino.

Dès lors, la critique de Monsieur A. selon laquelle il conviendrait de prendre en compte son ancienneté dans l'entreprise est mal-fondée et c'est à juste titre que l'expert n'a retenu que l'ancienneté au cours de laquelle le salarié avait été au service des Jeux automatiques.

Monsieur A. produit aux débats un tableau établi par ses soins concluant à une différence de rémunération de 90.593,69 euros ou 90.877,69 euros (en fonction d'une paie théorique changeur AA Casino différente à partir d'avril 2009 sans explication sur cette différence). Outre le fait qu'il ne tire pas de conséquences de ses propres calculs, ne sollicitant pas ces sommes, mais celle de 89.400 euros, ne correspondant à aucun calcul de quiconque, il n'explique pas sa méthode de calcul. Son exactitude n'étant pas vérifiable, il n'y a pas lieu de la retenir.

Concernant le pourcentage de reprise d'ancienneté, Monsieur A. estime que ses années d'expérience en qualité d'Aide-caissier doivent être prises en compte à 100 % dans le calcul de son ancienneté au poste de Caissier manipulateur, alors que la E.retient un pourcentage de 33 %.

Monsieur A. explique que l'Aide-caissier assiste le Caissier manipulateur, en sorte que l'ensemble des tâches qu'il accompli permet une meilleure maîtrise du poste de Caissier manipulateur. Il se fonde également sur la situation de Monsieur F. qui a d'abord été Changeur des appareils automatiques (équivalent Caissier manipulateur) de 1992 à 1998, puis Changeur de jeton (équivalent Aide-caissier), avant d'être nommé Caissier manipulateur à compter d'avril 1999.

Or, si le fait d'avoir exercé la fonction de Caissier manipulateur implique nécessairement une maîtrise totale du poste, cela n'établit pas l'acquisition de compétences permettant une meilleure maîtrise lors de l'exercice de fonctions différentes. Autrement dit, si Monsieur F. avait les compétences pour être Caissier manipulateur dès 1992, cela ne veut pas dire que les Aides-caissiers ayant travaillé à ses côtés disposaient de telles compétences.

Au regard de la procédure Grand change Casino, il apparaît que l'Aide-caissier :

* • assiste en général le Caissier dans toutes ses tâches,

* • annonce le coffre, vérifier le coffre, compte la totalité des valeurs à l'exception des devises étrangères, remet les coffres à niveau, sert au banc les échanges,

* • assiste le Caissier dans les relèves de table.

Les Caissiers-manipulateurs quant à eux :

* • échangent les jetons, plaques et espèces,

* • changent les valeurs étrangères,

* • gèrent les cartes bancaires,

* • cèdent les devises et arrêtent la caisse,

* • gèrent le paiement des appareils automatiques.

Il ressort de ces procédures que les Caissiers manipulateurs réalisent des tâches supplémentaires par rapport aux Aides-caissiers, particulièrement concernant les devises étrangères.

Ils ne disposent par ailleurs pas du même niveau de responsabilité, seuls les Caissiers gérant la sécurité, remplissant les fiches de caisse, faisant les rapports de caisse et tenant le journal de caisse sous leur responsabilité propre.

Dans ces conditions, la fonction d'Aide-caissier ne peut concourir à une meilleure maîtrise meilleure du poste de Caissier manipulateur à 100 %.

La E. considère que la proportion à retenir au titre de l'expérience antérieure serait de 33 %. Elle fonde sa position sur l'usage qui existerait au sein de l'entreprise. Elle ne communique toutefois aucun élément pour démontrer la généralité, la constance et la fixité d'un tel accord avec les représentants du personnel.

Néanmoins, Monsieur A., demandeur à l'action, se contente de dire qu'il conviendrait de retenir 100 %, ce qui ne peut être le cas, et sollicite subsidiairement les sommes calculées sur une reprise d'ancienneté à hauteur de 33 %. Il reconnaît ainsi le bien-fondé d'un tel ratio.

Dans ces conditions, et à défaut de critique pertinente du pourcentage proposé par la E., il convient de retenir le calcul réalisé par l'expert sur le fondement de la reprise d'ancienneté à hauteur de 33 %.

Quant aux années d'ancienneté aux postes d'Aide-caissier (3 ans et 2 mois) puis de Caissier manipulateur (9 ans) retenues par l'expert, elles sont conformes à la reconstitution de carrière de Monsieur A..

Il convient en conséquence de condamner la E. à verser à Monsieur A. la somme de 77.301,20 euros brut à titre de rappel de rémunération pour la période du 3 juillet 2007 au 3 juillet 2012, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

* Sur l'indemnisation de l'absence de reprise d'ancienneté

La méthode de reprise d'ancienneté retenue par l'expert étant conforme à la réalité de la carrière de Monsieur A. il n'a subi aucun préjudice et sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

* Sur la demande de dommages et intérêts pour les préjudices complémentaires

Monsieur A. soutient avoir subi un préjudice moral du fait et durant le cours de la procédure de l'attitude déloyale de la E.

En l'espèce, dès le 7 mai 2015, la E.offrait de verser à Monsieur A. la somme de 65.105,06 euros. Au cours de la mission d'expertise, elle a systématiquement répondu dans des délais diligents aux demandes de l'expert. Au cours de la procédure, elle a respecté les délais qui lui étaient impartis. Elle n'a dès lors pas agi avec déloyauté et la demande de dommages et intérêts sera rejetée.

* Sur les autres demandes

Les frais de mission d'expertise ont été avancés par Monsieur A. en application du jugement avant-dire-droit du 10 mars 2016 qui avait constaté qu'il s'était « contenté de critiquer le travail important réalisé par l'employeur – qui a souhaité proposer le règlement d'un rappel de salaires – sans toutefois fournir de des données chiffrées, initiales ou contraires, pertinentes ».

Le travail d'expertise a permis de constater que la E. n'avait pas justement évalué le montant du rappel de salaire, en ne tenant pas compte d'une reprise d'ancienneté. L'expertise était donc nécessaire pour remplir justement le salarié de ses droits. En conséquence, il convient de mettre à la charge de la E. les frais d'expertise.

La E. succombant, elle sera condamnée aux entiers dépens, en ce compris ceux réservés par jugement avant-dire-droit du 10 mars 2016 et ceux d'expertise taxés à hauteur de 9.327 euros.

Il convient en outre de la condamner à verser à Monsieur A. la somme de 6.000 euros au titre des frais irrépétibles.

L'ancienneté du litige commande que l'exécution provisoire soit prononcée.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition au Secrétariat du Tribunal du travail, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Déclare recevable la demande de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de l'absence de reprise d'ancienneté formée par Monsieur A. ;

Déclare recevable la demande de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait et durant le cours de la procédure de l'attitude déloyale de la société anonyme monégasque E. formée par Monsieur A. ;

Déclare irrecevable la demande de dommages et intérêts pour les préjudices subis du fait de la privation des points retraite formée par Monsieur A. ;

Déclare irrecevable la demande de dommages et intérêts pour les préjudices complémentaires découlant du manque à gagner et de la perte des points retraite formée par Monsieur A. ;

Condamne la société anonyme monégasque E. à verser à Monsieur A. la somme de 77.301,20 euros brut (soixante-dix-sept mille trois cent un euros et vingt centimes) à titre de rappel de rémunération pour la période du 3 juillet 2007 au 3 juillet 2012, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Rejette le surplus de la demande formée par Monsieur A. ;

Rejette la demande formée par Monsieur A. de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de l'absence de reprise d'ancienneté ;

Rejette la demande formée par Monsieur A. de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait et durant le cours de la procédure de l'attitude déloyale de la société anonyme monégasque E. ;

Condamne la société anonyme monégasque E. aux dépens, en ce compris ceux réservés par jugement avant-dire-droit au fond du 10 mars 2016 et ceux d'expertise taxés à hauteur de 9.237 euros (neuf mille deux cent trente-sept euros) ;

Condamne la société anonyme monégasque E. à verser à Monsieur A. la somme de 6.000 euros (six mille euros) au titre des frais irrépétibles ;

Rejette le surplus de la demande formée par Monsieur A. ;

Rejette la demande de la société anonyme monégasque E. au titre des frais irrépétibles ;

Ordonne l'exécution provisoire ;

Composition

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Michel GRAMAGLIA et Maurice COHEN, membres employeurs, Monsieur Pierre-Franck CRESPI et Madame Nathalie VIALE, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le vingt-neuf septembre deux mille vingt-trois.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30156
Date de la décision : 29/09/2023

Analyses

Contrats de travail


Parties
Demandeurs : Monsieur A.
Défendeurs : La société anonyme monégasque dénommée E

Références :

article 1er de la loi n° 446 du 16 mai 1946


Origine de la décision
Date de l'import : 07/10/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2023-09-29;30156 ?

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