La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/09/2023 | MONACO | N°30153

Monaco | Tribunal du travail, 15 septembre 2023, Monsieur b. A. c/ La société en commandite simple dénommée C. sous l’enseigne commerciale « B. »


Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 21 avril 2022, reçue le 26 avril 2022 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 56-2021/2022 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 24 mai 2022 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Stéphan PASTOR, avocat au nom de Monsieur b. A., en date du 7 juin 2023 ;

Vu les conclusions ré

capitulatives de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur au nom de la C. sous l'enseigne « B. », en date d...

Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 21 avril 2022, reçue le 26 avril 2022 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 56-2021/2022 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 24 mai 2022 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Stéphan PASTOR, avocat au nom de Monsieur b. A., en date du 7 juin 2023 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur au nom de la C. sous l'enseigne « B. », en date du 26 juin 2023 ;

Après avoir entendu Maître Sophie MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substituant Maître Stéphan PASTOR, avocat près la même Cour, pour Monsieur b. A., et Maître Grégoire GAMERDINGER, avocat-stagiaire, substituant Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco pour la C. sous l'enseigne « B. », en leurs plaidoiries à l'audience du 29 juin 2023 ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs

Monsieur b. A. a été embauché par la société en commandite simple C. sous l'enseigne commerciale « B. » en qualité de Coiffeur par un contrat à durée indéterminée à compter du 1er juillet 2018. Il a été licencié sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963.

Monsieur b. A. a saisi le Tribunal du travail par requête reçue le 26 avril 2022, afin d'obtenir :

* • 25.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif en son principe et sa mise en œuvre en indemnisation du préjudice moral et matériel,

* • 5.315,28 euros brut d'indemnité de préavis,

* • 2.657,64 euros de dommages et intérêts pour violation du droit de repos,

* • 10.000 euros au titre des frais irrépétibles,

* • les intérêts légaux,

* • la remise de la documentation sociale rectifiée sous astreinte de 200 euros par jour de retard,

* • l'exécution provisoire,

* • les dépens.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions récapitulatives du 7 juin 2023, Monsieur b. A. sollicite la nullité de la pièce adverse n° 6 et la communication du registre du personnel, il ne sollicite plus de dédommagement pour violation du droit de repos. Il fait valoir, ainsi qu'à l'audience de plaidoirie, pour l'essentiel que :

* • le licenciement est en réalité fondé sur une suppression de poste, Monsieur b. A. n'ayant jamais été remplacé,

* • en éludant les dispositions relatives au licenciement économique l'employeur a rompu abusivement le contrat de travail,

* • les prétendues embauches concernent en réalité des salariés déjà présents dans les effectifs au moment du licenciement,

* • les autres sont très éloignées de la date du licenciement,

* • le registre du personnel démontre que Monsieur b. A. n'a jamais été remplacé,

* • en outre, le licenciement a été mis en œuvre de manière abusive,

* • aucun exemplaire de sa lettre de licenciement ne lui a été remis,

* • il a été licencié le jour de son retour de congés, en fin de journée, de façon brutale et soudaine,

* • la lettre de licenciement n'a pas été établie dans une langue comprise par le salarié,

* • alors que la lettre de licenciement est datée du 31 mars 2021, il a été apposé de façon manuscrite la date du 26 février 2021,

* • Monsieur b. A. travaillait pourtant toujours postérieurement au 26 février,

* • l'employeur a privé le salarié de l'indemnité compensatrice de préavis en prétendant qu'il aurait demandé à solder ses congés payés durant cette période,

* • aucune preuve du prétendu accord du salarié n'est rapportée,

* • l'indemnité compensatrice de deux mois est en conséquence due,

* • les documents de fin de contrat ont été adressés tardivement,

* • l'employeur a perduré dans ses agissements fautifs, en imputant plus de deux mois après la rupture du contrat de travail des prétendus faits de vol à Monsieur b. A.,

* • le terrain disciplinaire n'a aucune incidence dans le cadre d'un licenciement sur le fondement de l'article 6,

* • Monsieur b. A. n'a pas retrouvé d'emploi et n'est plus indemnisé par Pôle Emploi depuis le 16 mai 2022,

* • la précarité financière de Monsieur b. A. exige que l'exécution provisoire soit ordonnée.

Par conclusions récapitulatives du 26 juin 2023, la C. sous l'enseigne commerciale « B. » sollicite le débouté de Monsieur b. A., outre 5.000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.

Elle fait valoir, ainsi qu'à l'audience de plaidoirie, pour l'essentiel que :

* • le registre du personnel est communiqué,

* • au mois de février 2021 Monsieur b. A. a décidé de s'installer à Dubaï et a démissionné,

* • néanmoins, l'employeur n'a pas pris acte de cette démission comme étant une volonté claire et univoque du salarié et a accepté qu'il reprenne son poste à son retour,

* • cependant, les relations se sont détériorées, conduisant à son licenciement,

* • le 26 février 2021, Monsieur b. A. a été convoqué à la fin de son service accompagné d'un prestataire chargé de traduire les échanges et sa lettre de licenciement lui a été remise,

* • Monsieur b. A. inverse la charge de la preuve, celui-ci devant démontrer que le licenciement est fondé sur un faux motif,

* • or, il ne fait qu'alléguer une suppression de poste sans le prouver,

* • en outre, des embauches sont démontrées,

* • Monsieur b. A. ne démontre pas avoir été licencié à son retour de congés,

* • la date de fin de préavis mentionnée dans la lettre signée par Monsieur b. A. démontre la date de sa remise,

* • les publications Instagram dont il se prévaut n'ont pas de date certaine,

* • elles se justifient par la renommée de la personne y figurant,

* • elles ont été publiées à une date où Monsieur b. A. faisait toujours partie des effectifs,

* • les attestations de témoins démontrent avec certitude la date à laquelle l'entretien a eu lieu et l'attitude de Monsieur b. A. à cette occasion,

* • la pièce n° 6 est conforme, faisant ressortir le lien entre l'attestante et l'employeur,

* • la lettre signée par Monsieur b. A. formalise sa demande de solder ses congés payés afin de quitter le salon le jour même,

* • dans le cas où le salarié a pris ses congés pendant la durée du préavis, il ne peut obtenir d'indemnité complémentaire,

* • l'entretien de licenciement s'est déroulé avec traduction, en sorte que Monsieur b. A. a parfaitement compris les termes de la lettre,

* • le reliquat de congés payés a été réglé,

* • les éléments relatifs à la personnalité de Monsieur b. A. qui sont communiqués ne justifient pas le licenciement mais sont des éléments de contexte en défense à ses allégations.

SUR CE,

* Sur la demande de nullité de pièce

La pièce n° 6 produite par la C. est une attestation de Madame n.E indiquant que sa société travaille aux intérêts de l'employeur. Elle est en conséquence conforme aux exigences de l'article 324 du Code de procédure civile et la demande de nullité sera rejetée.

* Sur l'indemnité de préavis

Aux termes de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, le contrat de travail à durée indéterminée peut toujours cesser par la volonté de l'une des parties, il prend fin au terme du préavis. Aux termes de l'article 9, le délai-congé doit être signifié par lettre recommandée avec accusé de réception, la date de présentation de la lettre fixant le point de départ du délai de préavis.

En l'espèce, la lettre de licenciement a été remise en main propre à Monsieur b. A. et n'a jamais été envoyée par recommandé. Sa date a été mentionnée de manière manuscrite au 26 février 2021.

Face à la contestation quant à la date de remise de Monsieur b. A., l'employeur communique des attestations de trois personnes déclarant avoir été présentes lors de l'annonce du licenciement et que celui-ci avait bien eu lieu le 26 février 2021. L'employeur considère également que la date du 30 avril 2021 mentionnée comme celle de la remise du solde de tout compte permettrait de déduire que le licenciement a bien eu lieu au mois de février en application d'un délai-congé de deux mois.

Or, Monsieur b. A. communique une attestation affirmant que le licenciement a eu lieu en mars 2021, au retour de ses congés. De plus, la date du 30 avril 2021 ne permet pas de déduire une quelconque date, puisqu'elle ne correspond à rien. En effet, la fin de la période de préavis aurait dû être fixée au 25 avril 2021.

Surtout, le bulletin de salaire de Monsieur b. A. ne fait apparaître aucun congé payé au cours du mois de février 2021. Or, celui-ci étant constitué de 28 jours, Monsieur b. A. aurait dû être placé un jour en congés payés (le samedi 27 février, jour de travail conformément au contrat) si le licenciement avait bien été prononcé le 26 février avec dispense d'exécution du préavis et acceptation de pose de congés payés par le salarié.

Compte tenu de ces incohérences et du non-respect par l'employeur des dispositions de l'article 9 susvisé, la date mentionnée sur la lettre de licenciement n'est pas probante. L'employeur étant défaillant à contredire la version du salarié selon laquelle le licenciement a été annoncé le 31 mars 2021 c'est cette date qui sera retenue. Dans ces conditions le préavis courrait jusqu'au 30 mai 2021.

Monsieur b. A. sollicite une indemnité compensatrice de préavis de 5.315,28 euros brut, correspondant à deux mois de salaire. Or, il a été placé en congés payés du 1er au 30 avril 2021. En effet, aux termes de la lettre de licenciement, il était stipulé « nous prenons en compte votre demande de solder durant ledit préavis tous vos congés payés restant ». Si Monsieur b. A. conteste avoir demandé à solder ses congés pendant le préavis, seule hypothèse permettant à l'employeur de procéder ainsi, il convient de rappeler, d'une part, qu'il a signé la lettre et que d'autre part, le français est la langue officielle de la Principauté de Monaco, langue d'ailleurs également utilisée pour la rédaction de son contrat de travail, signé par ses soins.

Ainsi, Monsieur b. A. ne démontre pas qu'il n'aurait pas été d'accord pour solder ses congés. Seul le mois de mai lui est en conséquence dû et l'employeur sera condamné à lui verser la somme de 2.657,64 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

* Sur le licenciement

L'employeur dispose, sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729, d'un droit autonome et unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celle-ci.

Ce texte n'instaurant toutefois pas un droit discrétionnaire et absolu, il appartient au Tribunal du travail de vérifier, non pas la cause de la rupture, mais le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié, d'une part, et les circonstances ayant entouré la rupture, d'autre part.

Concernant le respect des droits du salarié, il convient de s'assurer que le licenciement ne soit pas intervenu sur un faux motif ou avec intention de nuire.

En l'espèce, Monsieur b. A. considère que l'employeur a dissimulé un motif économique, celui d'une suppression de poste, derrière son licenciement.

La lecture du registre du personnel fait apparaître que suite au licenciement de Monsieur b. A., aucun recrutement n'a eu lieu. En effet, l'embauche de Monsieur F. comme Coiffeur, intervenue en septembre 2021, faisait suite à la sortie des effectifs de Monsieur G. en juillet 2021. De même, l'embauche de Monsieur H. faisait suite à la sortie concomitante des effectifs de Madame I. et de Madame J.. Une suppression effective d'un poste a en conséquence bien eu lieu en avril 2021, sans qu'aucun remplacement ne soit jamais réalisé.

La volonté de supprimer un poste est d'ailleurs renforcée par la lecture du bulletin de salaire de Monsieur b. A., faisant apparaître qu'au cours des mois précédents son licenciement il a été très régulièrement en activité partielle (totalement d'octobre 2020 à janvier 2021 et partiellement en février 2021).

Le licenciement de Monsieur b. A. sur le fondement de l'article 6 dissimulant en réalité un licenciement économique individuel, il est abusif et ouvre droit à réparation du préjudice matériel subi par le salarié.

Or, en l'espèce, Monsieur b. A. n'apporte strictement aucun élément pour justifier de sa situation. S'il a été inscrit à Pôle Emploi, il ne démontre nullement avoir accompli une quelconque démarche de recherche d'emploi. Dans ces conditions, son préjudice matériel ne sera pas indemnisé.

Concernant les circonstances ayant entouré la rupture, il convient de s'assurer que le licenciement n'a pas été mis en œuvre de façon brutale, vexatoire ou avec légèreté blâmable.

En l'espèce, il est établi que le licenciement a été prononcé au retour de congés de Monsieur b. A. sans aucun signe annonciateur. Le salarié n'a pas été intégralement rempli de ses droits. Il convient en conséquence de réparer son préjudice moral, en tenant compte de son âge au moment du licenciement (31 ans) et de son ancienneté de moins de trois ans, et de condamner la C. à lui verser la somme de 7.000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

Il convient d'ordonner à la C. de rectifier la documentation sociale, dans un délai de trois mois à compter du prononcé du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai.

La C. succombant, elle sera condamnée aux entiers dépens. Dans ces conditions sa demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée.

En revanche, il convient de condamner la C. à verser à l'avocat de Monsieur b. A. la somme de 1.500 euros au titre des frais qu'il aurait exposés s'il n'avait bénéficié de l'assistance judiciaire.

La nécessité que l'exécution provisoire soit ordonnée n'étant pas caractérisée, il n'y a pas lieu de l'ordonner.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant par mise à disposition, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Rejette la demande de nullité de la pièce n° 6 produite par la C. sous l'enseigne « B. » ;

Condamne la société en commandite simple C. sous l'enseigne commerciale « B. » à verser à Monsieur b. A. la somme de 2.657,64 euros brut (deux mille six cent cinquante-sept euros et soixante-quatre centimes) à titre d'indemnité compensatrice de préavis, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Rejette le surplus de la demande ;

Dit que le licenciement est fallacieux ;

Dit que le licenciement a été mis en œuvre de manière abusive ;

Condamne la société en commandite simple C. sous l'enseigne commerciale « B. » à verser à Monsieur b. A. la somme de 7.000 euros (sept mille euros) de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Rejette le surplus de la demande ;

Ordonne la rectification de la documentation sociale, dans un délai de trois mois à compter du prononcé du jugement, et sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai ;

Condamne la société en commandite simple C. sous l'enseigne commerciale « B. » aux entiers dépens de l'instance, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions applicables en matière d'assistance judiciaire ;

Condamne la société en commandite simple C. sous l'enseigne commerciale « B. » à verser à Maître Stéphan PASTOR, avocat, la somme de 1.500 euros (mille cinq cents euros) au titre des frais qu'il aurait exposés s'il n'avait bénéficié de l'assistance judiciaire ;

Rejette la demande de la société en commandite simple C. sous l'enseigne commerciale « B. » au titre des frais irrépétibles ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Carol MILLO et Monsieur Jean-François MUFRAGGI, membres employeurs, Messieurs Jean-Pierre MESSY et Maximilien AGLIARDI, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le quinze septembre deux mille vingt-trois.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30153
Date de la décision : 15/09/2023

Analyses

Rupture du contrat de travail


Parties
Demandeurs : Monsieur b. A.
Défendeurs : La société en commandite simple dénommée C. sous l’enseigne commerciale « B. »

Références :

article 324 du Code de procédure civile
article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 26/09/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2023-09-15;30153 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award