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14/07/2023 | MONACO | N°30094

Monaco | Tribunal du travail, 14 juillet 2023, Monsieur f. m. A c/ La société anonyme monégasque H.


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LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 24 mai 2022, reçue le 25 mai 2022 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 67-2021/2022 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 28 juin 2022 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Pierre-Anne NOGHÈS-du MONCEAU, avocat-défenseur au nom de Monsieur f. m. A, en date du 12 janvier 2023 ;<

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Vu les conclusions récapitulatives de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur au nom de la S. A. M. H...

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LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 24 mai 2022, reçue le 25 mai 2022 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 67-2021/2022 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 28 juin 2022 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Pierre-Anne NOGHÈS-du MONCEAU, avocat-défenseur au nom de Monsieur f. m. A, en date du 12 janvier 2023 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur au nom de la S. A. M. H. (H.), en date du 9 février 2023 ;

Après avoir entendu Maître Pierre-Anne NOGHÈS-du MONCEAU, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Monsieur f. m. A, et Maître Alexis MARQUET, avocat-défenseur près la même Cour, pour la S. A. M. H. (H.), en leurs plaidoiries à l'audience du 1er juin 2023 ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs

Monsieur f. m. A a été embauché par la société anonyme monégasque H. (ci-après H.) en qualité d'Opérateur régleur en tôlerie à compter du 14 novembre 2016. Il a été licencié par courrier du 4 novembre 2020 pour suppression de poste dans le cadre d'un plan de licenciements collectifs.

Monsieur f. m. A a saisi le Tribunal du travail par requête reçue le 25 mai 2022, afin d'obtenir :

* • 3.330,27 euros d'indemnité de licenciement (déduction faite de l'indemnité de congédiement déjà versée),

* • 54.000 euros au titre du préjudice financier,

* • 15.000 euros au titre du préjudice moral,

* • les frais prévus par l'article 238-1 du Code de procédure civile,

* • les dépens,

* • la transmission des documents suivants : solde de tout compte à jour, attestation Pôle Emploi, certificat de travail.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions récapitulatives du 12 janvier 2023, Monsieur f. m. A sollicite 2.204,77 euros d'indemnité de licenciement, 30.000 euros pour le préjudice financier, 15.000 euros pour le préjudice moral ainsi que 19.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Il fait valoir pour l'essentiel que :

* • le licenciement pour motif économique avait pour précision une suppression pure et simple du poste,

* • or, dès le licenciement un autre salarié de l'entreprise est venu le remplacer à temps plein, avant d'être à son tour remplacé par d'autres salariés embauchés pour l'occasion,

* • les commandes au moment du licenciement nécessitaient bien la présence d'un salarié au poste du salarié,

* • la S. A. M. H. connaît habituellement une période de faible activité en janvier et février, avant une reprise plus forte en mars / avril,

* • l'employeur a profité d'une baisse passagère du chiffre d'affaires pour alléger sa masse salariale, avant de se presser de réembaucher des salariés en situation précaire,

* • c'est ainsi que Monsieur f. m. A s'est vu proposer un réembauchage en avril 2021 avec un salaire inférieur à ce qu'il percevait auparavant,

* • la nécessité de supprimer le poste n'apparaît aucunement fondée,

* • en outre le poste n'a jamais été supprimé,

* • l'Inspection du Travail n'a pas affirmé l'inverse, mais ne pouvait se prononcer avec certitude sur un seul déplacement dans l'entreprise,

* • l'employeur a en réalité usé d'un faux motif pour éviter d'avoir à verser l'indemnité de licenciement et payer un salarié bénéficiant d'une prime d'ancienneté,

* • par ailleurs, le licenciement a été abusif dans sa mise en œuvre,

* • le salarié disposait d'une priorité de réembauchage pendant un an,

* • or, ses fonctions ont été pourvues par d'autres salariés, notamment des intérimaires embauchés pour le faire,

* • quelle que soit sa dénomination, le poste était bien le même,

* • la S. A. M. H. a cherché à donner une apparente régularité aux embauches réalisées,

* • en outre, elle n'a absolument pas proposé un salaire équivalent,

* • enfin, cette offre ne portait que sur un contrat d'un mois,

* • Monsieur f. m. A s'est retrouvé au chômage à 58 ans et dans une situation financière délicate,

* • il n'a retrouvé qu'un emploi d'intérimaire au bout de vingt-quatre mois,

* • il a en outre développé une pathologie d'ordre psychologique.

* Par conclusions récapitulatives du 9 février 2023, la S. A. M. H. sollicite le débouté de la demande de Monsieur f. m. A outre 5.000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

* • compte tenu de la crise sanitaire et de la mise à l'arrêt du marché de la société H., elle a subi de graves difficultés économiques,

* • son chiffre d'affaires a diminué de plus de 38 %, et son bénéfice a été fortement impacté,

* • il était vital de réduire les charges d'exploitation et la masse salariale afin d'éviter la faillite,

* • malgré la mise en place de mesures pour éviter les licenciements (arrêt sous-traitance, accord sur le temps de travail et sur la rémunération, reclassement et départs volontaires), la suppression de dix postes a été nécessaire,

* • la visibilité sur la pandémie était insuffisante au vu de l'annonce de renouvellement de périodes de confinement et d'absence de décision sur la prorogation sur des aides aux entreprises,

* • à la date du licenciement, la catégorie professionnelle représentant les postes du service de tôlerie de coefficient 240 était uniquement composée de Monsieur f. m. A,

* • la réorganisation du service a abouti à la suppression du poste,

* • le poste a réellement été supprimé comme le démontre les observations de l'Inspection du Travail,

* • le salarié ayant pu travailler ponctuellement sur la même machine que celle de Monsieur f. m. A réalise des tâches supplémentaires et supervise plusieurs postes,

* • il a en effet été privilégié le maintien des postes les plus compétents,

* • en outre, si plusieurs salariés peuvent être amenés à travailler sur la même machine ils n'occupent pas le même poste,

* • parmi les embauches intervenues depuis le licenciement, un seul salarié a été embauché au service tôlerie mais à un coefficient bien inférieur,

* • Monsieur f. m. A ne caractérise nullement un faux motif ou une intention de nuire,

* • l'obligation de réembauchage a été respectée,

* • dès les premiers signes d'amélioration de la situation économique les salariés licenciés ont été avisés de la réouverture de postes,

* • Monsieur f. m. A s'est vu proposer un poste d'Opérateur sur machine à deux reprises,

* • il s'agissait d'une création d'un poste relevant d'une catégorie professionnelle différente de celui qu'il occupait auparavant,

* • elle proposait une rémunération équivalente,

* • la S. A. M. H. ne saurait être tenue responsable du préjudice financier de Monsieur f. m. A qui résulte uniquement de son choix de ne pas accepter l'offre de réembauchage.

SUR CE,

La rupture du contrat de travail pour un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression d'emploi rendue nécessaire par l'existence effective de la restructuration de l'entreprise constitue un licenciement économique.

Si le Tribunal ne peut apprécier la pertinence de la décision prise par l'employeur, il lui appartient néanmoins de contrôler la réalité du motif économique, soit la nécessité économique de la réorganisation et l'effectivité de la suppression du poste, dont la charge de la preuve revient à l'employeur.

Concernant les difficultés économiques, la société H. annonçait au cours des réunions des Délégués du Personnel dans le cadre du plan de licenciement une prévision annuelle de baisse de chiffre d'affaires de – 35 % pour 2020.

Ces données étaient confirmées lors de l'établissement du compte d'exploitation, actant d'une diminution du chiffre d'affaires de 7,6 millions d'euros et d'une perte de 468.265,08 euros.

Ces données ne sont pas contestées par le salarié, qui se limite à dire que les difficultés ne seraient liées qu'à certains mois de l'année, l'activité étant fluctuante et toujours plus faible au début d'année.

Or, la baisse du chiffre d'affaires n'était pas passagère, mais bien lissée sur toute l'année 2020. De même aucune perspective de reprise ne pouvait se profiler au mois de novembre 2020, date du licenciement, dans un contexte de pandémie dont l'issue était inconnue.

Dans ces conditions, l'annonce d'une baisse d'activité en 2021 de – 20 % par rapport à 2019 était conforme à la réalité économique de la société et la décision de l'employeur de prendre des mesures afin de sauvegarder l'entreprise se justifiait.

Par ailleurs, il n'est pas contesté que des mesures de réduction des charges ont été mises en œuvre par la société H. : arrêt de la sous-traitance, pas de dépenses complémentaires de formation, recours au chômage partiel, accord sur le travail payé différé, accord de 5 % salaire différé de six mois pour les ETAM et les personnels volontaires ; afin de diminuer le nombre de personnes concernées par la procédure de licenciement.

La nécessité économique de suppression de postes était ainsi bien justifiée.

Ces difficultés économiques justifiant une restructuration de l'entreprise ne sont pas contredites par les embauches réalisées ultérieurement, celles-ci étant survenues plusieurs mois après le licenciement et dans des services différents de celui qu'occupait Monsieur f. m. A.

Dès lors que la réorganisation de l'entreprise entraînant la suppression d'emploi était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, il convient de s'assurer de la réalité de la suppression du poste anciennement occupé par Monsieur f. m. A. Cela suppose que le salarié n'ait pas été remplacé dans le même emploi ou sur son poste après son congédiement.

En l'espèce, Monsieur f. m. A soutient qu'après son licenciement son travail a été confié à d'autres salariés puis à des intérimaires.

En effet, si la suppression d'emploi peut supposer l'adjonction des tâches de l'emploi supprimé à un salarié demeuré dans l'entreprise en sus des siennes, elle ne peut conduire au remplacement du salarié licencié par un autre salarié restant dans l'entreprise, auquel ses tâches d'origine auraient été retirées.

Ainsi, Monsieur d.C témoigne avoir travaillé sur le poste de travail en tôlerie de Monsieur f. m. A pendant plusieurs mois. Il convient de préciser que Monsieur f. m. A était, au regard de la liste du personnel, Opérateur régleur CN au service mécanique, coefficient 255, alors que Monsieur f. m. A était Opérateur régleur CN au service tôlerie, coefficient 240. À ce titre, Monsieur d.C réalisait en sus des missions de l'Opérateur au coefficient 240, les fonctions suivantes :

* • les changements des OF sur la machine,

* • la modification de la programmation,

* • le développement de nouveaux programmes,

* • l'analyse des défaillances et la réalisation des actions correctives complexes.

Néanmoins, aucune justification n'est apportée par l'employeur pour expliquer les raisons pour lesquelles Monsieur d. C aurait été déplacé de service, alors que le service tôlerie disposait toujours, après le licenciement de deux salariés dans le cadre de la procédure collective, de :

* • un technicien de machine numérique, coefficient 255,

* • deux régleurs et conducteurs de CN, coefficient 255.

Quant au sort du conducteur et programmateur de machines en tôlerie, coefficient 240, Monsieur j.D, apparaissant sur la liste du personnel éditée le 5 octobre 2020 et apparaissant comme « CDI / préavis », son sort est inconnu, n'apparaissant pas dans le registre du personnel communiqué au Tribunal.

Dès lors, il n'est pas justifié que Monsieur d.C n'ait pas remplacé Monsieur f. m. A, à défaut de démonstration que ses tâches antérieures ne lui auraient pas été retirées.

Par ailleurs, plusieurs personnes ont témoigné du fait que le poste de travail en service tôlerie a été occupé suite au licenciement de Monsieur f. m. A, notamment par des salariés intérimaires.

La lecture du registre du personnel ne fait apparaître aucune embauche au service tôlerie pour l'année 2021, ni aucun coefficient 240 et une seule en 2022, au coefficient 140.

Toutefois, ce registre ne compile que les contrats à durée indéterminée et à durée déterminée et ne recense pas les salariés intérimaires.

Face au témoignage précis de Monsieur m. E, Délégué syndical, l'employeur ne justifie pas qu'aucun salarié intérimaire n'aurait occupé le poste de Monsieur f. m. A, ni qu'il l'aurait fait sur d'autres tâches de travail.

De la même manière, l'employeur n'explique pas qu'elle était la fonction du salarié identifié comme occupant la machine de travail de Monsieur f. m. A lors de la visite de contrôle de l'Inspecteur du Travail.

Dans ces conditions, la réalité de la suppression de poste n'est pas justifiée et le motif de licenciement n'est en conséquence pas valable.

Monsieur f. m. A doit en conséquence recevoir l'indemnité de licenciement, dont le montant de 2.204,77 euros n'est pas contesté et que la société H. sera condamnée à lui payer avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation.

Si, en l'espèce, il est établi que le licenciement n'a pas été reconnu comme fondé sur un motif valable, il ne saurait en être déduit de facto le caractère abusif de la rupture, dès lors que le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué conjugué à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui s'en prévaut.

Monsieur f. m. A, sur lequel la charge de la preuve du caractère fallacieux repose, soutient qu'il aurait été évincé par souci d'économie. Or, il a, d'une part, été remplacé par un salarié bénéficiant d'un coefficient supérieur au sien et, d'autre part, ne disposait pas d'une ancienneté importante dans l'entreprise, celle-ci se limitant à quatre ans. Ainsi, la société H. ne tirait aucun bénéfice économique à son licenciement fondé sur un motif non valable.

Le préjudice financier lié à la perte de l'emploi ne sera en conséquence pas indemnisé.

En revanche, Monsieur f. m. A qui a été licencié sur un motif non valable, sans être rempli de son indemnité de licenciement, et ne s'est vu proposer des propositions de réembauchages que dans des conditions plus défavorables (CDD d'un mois, salaire brut minoré d'environ 200 euros, pas de garantie quant à la prime d'ancienneté) a subi un préjudice moral au regard des circonstances de mise en œuvre du licenciement et du comportement fautif de l'employeur.

Monsieur f. m. A était alors âgé de 57 ans et disposait de quatre ans d'ancienneté. Il allègue avoir développé une pathologie d'ordre psychologique mais n'en justifie pas. Il convient en conséquence de condamner la société H. la somme de 4.000 euros, au titre du préjudice moral avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

La société H. succombant, il convient de la condamner aux entiers dépens. Sa demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée.

Il est en revanche inéquitable de lui mettre à charge les frais que Monsieur f. m. A, bénéficiaire de l'assistance judiciaire, aurait exposé s'il n'avait eu cette aide, en sorte que la demande à ce titre sera rejetée.

La nécessité que l'exécution provisoire soit ordonnée n'étant pas caractérisée, il n'y a pas lieu de l'ordonner.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Dit que le motif du licenciement n'est pas valable ;

Condamne la société anonyme monégasque H. à verser à Monsieur f. m. A la somme de 2.204,77 (deux mille deux cent quatre euros et soixante-dix-sept centimes) à titre d'indemnité de licenciement ;

Dit que le licenciement n'est pas fallacieux ;

Rejette la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice financier ;

Dit que le licenciement a été mis en œuvre de manière abusive ;

Condamne la S. A. M. H. à verser à Monsieur f. m. A la somme de 4.000 (quatre mille euros) de dommages et intérêts au titre du préjudice moral ;

Rejette le surplus de la demande ;

Condamne la S. A. M. H. aux entiers dépens ;

Rejette les demandes au titre des frais irrépétibles ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Nicolas MATILE-NARMINO et Daniel CAVASSINO, membres employeurs, Messieurs Cédrick LANARI et Philippe LEMONNIER, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le quatorze juillet deux mille vingt-trois.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30094
Date de la décision : 14/07/2023

Analyses

Rupture du contrat de travail ; Procédures collectives et opérations de restructuration


Parties
Demandeurs : Monsieur f. m. A
Défendeurs : La société anonyme monégasque H.

Références :

article 238-1 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 03/08/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2023-07-14;30094 ?

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