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31/05/2023 | MONACO | N°30017

Monaco | Tribunal du travail, 31 mai 2023, Madame A. c/ La société à responsabilité limitée dénommée B.


TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 31 MAI 2023

En la cause de Madame A., demeurant x1 à MONACO ;

Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

La société à responsabilité limitée dénommée B., dont le siège social se situe x2 à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant

par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformémen...

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 31 MAI 2023

En la cause de Madame A., demeurant x1 à MONACO ;

Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

La société à responsabilité limitée dénommée B., dont le siège social se situe x2 à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 2 novembre 2021, reçue le 7 décembre 2021 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 40-2021/2022 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 18 janvier 2022 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur au nom de Madame A., en date du 16 mars 2023 ;

Vu les conclusions considérées comme récapitulatives de Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur au nom de la S. A. R. L. B., en date du 9 février 2023 ;

Après avoir entendu Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice, pour Madame A., et Maître Bernard BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour la S. A. R. L. B., en leurs plaidoiries à l'audience du 30 mars 2023 ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs

Madame A. a été embauchée par la société à responsabilité limitée B. par contrat à durée indéterminée à compter du 5 avril 2019 en qualité de Commis de restaurant. Elle bénéficiait d'un congé sans solde à compter du 16 octobre 2019, prolongé jusqu'au 17 avril 2021. Elle était licenciée par courrier du 19 avril 2021 pour suppression de poste.

Madame A. a saisi le Tribunal du Travail par requête reçue le 7 décembre 2021 afin d'obtenir :

* 200 euros de rappel d'indemnité nourriture,

* 600 euros d'indemnité de licenciement,

* 30.000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail, le tout avec intérêts au taux légal et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions récapitulatives du 16 mars 2023, Madame A. fixe sa demande d'indemnité nourriture à 190,75 euros, renonce à sa demande d'indemnité de licenciement et sollicite 3.500 euros au titre des frais irrépétibles.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

* le solde de tout compte a été accepté avec réserves, en sorte que l'action en rappel de salaire n'est pas forclose,

* l'indemnité nourriture est due même pour les jours de repos et de congés,

* le caractère économique du licenciement n'est pas démontré,

* au contraire, la situation de la société s'est améliorée au moment du licenciement,

* en outre, les charges de personnel ont augmenté,

* l'employeur a bénéficié du C. T. T. R.,

* le poste n'a pas été supprimé,

* il n'est pas démontré qu'aucune embauche n'a eu lieu postérieurement au licenciement,

* le licenciement a été brutal,

* Madame A. avait annoncé son retour plus de deux mois plus tôt,

* elle a été convoquée sans explication pour se voir annoncer verbalement la suppression de son poste,

* elle a attendu plusieurs semaines avant de recevoir sa lettre de licenciement, demeurant dans l'expectative et l'angoisse,

* le motif de licenciement est faux,

* Madame A. n'a jamais été contactée pour bénéficier d'une priorité de réembauchage,

* l'équité et la situation économique de Madame A. commandent qu'il ne soit pas fait droit à la demande de l'employeur au titre des frais irrépétibles.

Par conclusions récapitulatives du 9 février 2023, la S. A. R. L. B. sollicite 2.500 euros au titre des frais irrépétibles.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

* le reçu pour solde de tout compte a un effet libératoire pour les sommes qui y apparaissent,

* n'ayant contesté le solde de tout compte que lors de la saisine du Bureau de Conciliation, six mois après sa signature, l'action relative à l'avantage en nature repas est forclose,

* la situation économique du restaurant C. était déficitaire,

* la restructuration de la société était nécessaire,

* la salariée ne démontre aucunement avoir été remplacée,

* les pièces produites sont illisibles et remontent à l'année 2019,

* le licenciement a été mis en oeuvre dans le respect des droits de la salariée,

* elle a été convoquée à un entretien préalable,

* elle a été dispensée d'exécution de son préavis afin de faciliter ses recherches d'emploi,

* la salariée ne démontre aucun préjudice.

SUR CE,

Sur l'indemnité nourriture

Madame A. a signé un solde de tout compte le 7 juin 2021 qui mentionne, dans des caractères aussi apparents que le reste du texte, le délai de deux mois imparti au salarié à peine de forclusion.

En ajoutant la mention « sous réserve de tous mes droits » la salariée a manifesté son désaccord, emportant comme conséquence la dénaturation du reçu et sa transformation en simple reçu uniquement libératoire des sommes y figurant.

Si le désaccord de la salariée n'était pas dûment motivé, il n'existe aucune sanction de l'inobservation de cette obligation, la forclusion ne s'appliquant que dans le cas où le délai de dénonciation n'est pas observé.

En dénonçant le reçu le jour même de sa remise, Madame A. a respecté le délai de deux mois qui lui était imparti et sa demande est recevable. Aux termes de la documentation d'embauchage, valant accord des parties sur les éléments essentiels du contrat de travail, Madame A. bénéficiai d'un salaire mensuel brut de 2.018,07 euros, outre une indemnité nourriture en avantage en nature.

En l'espèce, les bulletins de salaire font apparaître que cette indemnité nourriture n'a été versée que pour les journées de travail effectif.

Or, en application de l'article 20 de la Convention Collective de l'Hôtellerie, les employés nourris ont la faculté, soit de venir prendre leur repas pendant le repos hebdomadaire et les congés payés, soit de recevoir l'indemnité compensatrice correspondante. La convention collective ayant été étendue par Arrêté ministériel n° 68-367 du 22 novembre 1968, ainsi que l'accord relatif à l'indemnité nourriture enregistré le 26 juillet 2011, par Arrêté ministériel n° 2011-556 du 10 octobre 2011, ses dispositions sont applicables à l'ensemble des relations de travail entre les restaurateurs et leurs employés.

En conséquence, il convient de condamner la S. A. R. L. B. à verser à Madame A. la somme de 190,75 euros de rappel d'indemnité nourriture, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

Sur le licenciement

Madame A. a été licenciée par lettre du 19 avril 2021 aux motifs que « la situation des restaurants durant cette période de pandémie, la suppression de poste que vous occupiez pendant votre congé sabbatique ».

L'employeur, sur lequel la charge de la preuve incombe, doit démontrer à la fois les nécessités économiques conduisant à la décision mais également la réalité de la suppression de poste.

Or, il ne produit aucun élément permettant de déterminer que le poste de Madame A. a été supprimé.

Dans ces conditions, et sans qu'il ne soit besoin d'analyser si le restaurant subissait des difficultés économiques réelles et non passagères et si aucune solution de maintien de l'emploi n'était envisageable, le motif de licenciement n'est pas valable.

Madame A. soutient que le motif non valable démontrerait le caractère fallacieux du licenciement. Or, le licenciement pour un motif non valable ne se confond pas avec le licenciement fallacieux, celui-ci supposant qu'il soit prononcé pour un faux motif ou avec intention de nuire.

En l'espèce, Madame A. ne rapporte pas la preuve que le motif serait faux, l'attestation qu'elle produit étant imprécise et ne permettant pas de caractériser le remplacement effectif de la salariée. Aucune volonté de nuisance n'est par ailleurs caractérisée.

Le licenciement peut toutefois être qualifié d'abusif s'il est exercé de manière vexatoire, avec précipitation ou légèreté blâmable.

En l'espèce, il est constant que, le 10 février 2021, Madame A. a annoncé une réintégration de son poste de travail à l'issue d'un congé sans solde accordé à sa demande de 18 mois, pour le 17 avril 2021. Le 25 mars 2021, elle a été reçue en entretien sur convocation, afin de se voir notifier oralement que son poste était supprimé et qu'elle allait être licenciée. Le 12 avril 2021, elle recevait une convocation pour le 16 avril libellée ainsi « nous envisageons à votre encontre une éventuelle mesure de licenciement ».

Or, il n'est pas contesté que la décision était prise dès le 25 mars 2021. Dès lors, en convoquant la salariée à un entretien aux termes d'un courrier sous-entendant que la décision de rupture n'était pas actée, l'employeur a commis une légèreté blâmable.

À ce titre, il convient de réparer le préjudice moral de la salariée, constitué par le fait d'avoir eu à subir un second entretien inutile. L'indemnisation tiendra également compte de l'ancienneté effective de six mois au sein de l'entreprise. Il convient en conséquence de condamner la S. A. R. L. B. à verser à Madame A. la somme de 500 euros de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes

La S. A. R. L. B. succombant, il convient de la condamner aux entiers dépens.

Il convient en outre de la condamner à verser à Madame A. une somme qu'il est équitable de fixer à 1.500 euros au titre des frais irrépétibles.

La nécessité que l'exécution provisoire soit prononcée n'étant pas caractérisée, il n'y a pas lieu de l'ordonner.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Condamne la société à responsabilité limitée B. à verser à Madame A. la somme de 190,75 euros (cent quatre-vingt-dix euros et soixante-quinze centimes) de rappel d'indemnité nourriture, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Dit que le motif de licenciement n'est pas valable ;

Dit que le licenciement n'est pas fallacieux ;

Dit que le licenciement a été mis en oeuvre avec légèreté blâmable ;

Condamne la S. A. R. L. B. à verser à Madame A. la somme de 500 euros (cinq cents euros) de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement ;

Rejette le surplus de la demande ;

Condamne la S. A. R. L. B. aux entiers dépens ;

Condamne la S. A. R. L. B. à verser à Madame A. la somme de 1.500 euros (mille cinq cents euros) au titre des frais irrépétibles ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Leïla TRABÉ-CHIHA et Monsieur Régis MEURILLION, membres employeurs, Messieurs Cédrick LANARI et Marc RENAUD, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le trente et un mai deux mille vingt-trois.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 30017
Date de la décision : 31/05/2023

Analyses

Madame A. a signé un solde de tout compte le 7 juin 2021 qui mentionne, dans des caractères aussi apparents que le reste du texte, le délai de deux mois imparti au salarié à peine de forclusion. En ajoutant la mention « sous réserve de tous mes droits » la salariée a manifesté son désaccord, emportant comme conséquence la dénaturation du reçu et sa transformation en simple reçu uniquement libératoire des sommes y figurant. Si le désaccord de la salariée n'était pas dûment motivé, il n'existe aucune sanction de l'inobservation de cette obligation, la forclusion ne s'appliquant que dans le cas où le délai de dénonciation n'est pas observé. En dénonçant le reçu le jour même de sa remise, Madame A. a respecté le délai de deux mois qui lui était imparti et sa demande est recevable. Aux termes de la documentation d'embauchage, valant accord des parties sur les éléments essentiels du contrat de travail, Madame A. bénéficiai d'un salaire mensuel brut de 2.018,07 euros, outre une indemnité nourriture en avantage en nature. En l'espèce, les bulletins de salaire font apparaître que cette indemnité nourriture n'a été versée que pour les journées de travail effectif. Or, en application de l'article 20 de la Convention Collective de l'Hôtellerie, les employés nourris ont la faculté, soit de venir prendre leur repas pendant le repos hebdomadaire et les congés payés, soit de recevoir l'indemnité compensatrice correspondante. La convention collective ayant été étendue par Arrêté ministériel n° 68-367 du 22 novembre 1968, ainsi que l'accord relatif à l'indemnité nourriture enregistré le 26 juillet 2011, par Arrêté ministériel n° 2011-556 du 10 octobre 2011, ses dispositions sont applicables à l'ensemble des relations de travail entre les restaurateurs et leurs employés. En conséquence, il convient de condamner la S. A. R. L. B. à verser à Madame A. la somme de 190,75 euros de rappel d'indemnité nourriture, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.Madame A. a été licenciée par lettre du 19 avril 2021 aux motifs que « la situation des restaurants durant cette période de pandémie, la suppression de poste que vous occupiez pendant votre congé sabbatique ». L'employeur, sur lequel la charge de la preuve incombe, doit démontrer à la fois les nécessités économiques conduisant à la décision mais également la réalité de la suppression de poste. Or, il ne produit aucun élément permettant de déterminer que le poste de Madame A. a été supprimé. Dans ces conditions, et sans qu'il ne soit besoin d'analyser si le restaurant subissait des difficultés économiques réelles et non passagères et si aucune solution de maintien de l'emploi n'était envisageable, le motif de licenciement n'est pas valable.Madame A. soutient que le motif non valable démontrerait le caractère fallacieux du licenciement. Or, le licenciement pour un motif non valable ne se confond pas avec le licenciement fallacieux, celui-ci supposant qu'il soit prononcé pour un faux motif ou avec intention de nuire. En l'espèce, Madame A. ne rapporte pas la preuve que le motif serait faux, l'attestation qu'elle produit étant imprécise et ne permettant pas de caractériser le remplacement effectif de la salariée. Aucune volonté de nuisance n'est par ailleurs caractérisée. Le licenciement peut toutefois être qualifié d'abusif s'il est exercé de manière vexatoire, avec précipitation ou légèreté blâmable. En l'espèce, il est constant que, le 10 février 2021, Madame A. a annoncé une réintégration de son poste de travail à l'issue d'un congé sans solde accordé à sa demande de 18 mois, pour le 17 avril 2021. Le 25 mars 2021, elle a été reçue en entretien sur convocation, afin de se voir notifier oralement que son poste était supprimé et qu'elle allait être licenciée. Le 12 avril 2021, elle recevait une convocation pour le 16 avril libellée ainsi « nous envisageons à votre encontre une éventuelle mesure de licenciement ». Or, il n'est pas contesté que la décision était prise dès le 25 mars 2021. Dès lors, en convoquant la salariée à un entretien aux termes d'un courrier sous-entendant que la décision de rupture n'était pas actée, l'employeur a commis une légèreté blâmable. À ce titre, il convient de réparer le préjudice moral de la salariée, constitué par le fait d'avoir eu à subir un second entretien inutile. L'indemnisation tiendra également compte de l'ancienneté effective de six mois au sein de l'entreprise. Il convient en conséquence de condamner la S. A. R. L. B. à verser à Madame A. la somme de 500 euros de dommages et intérêts.

Rupture du contrat de travail.

Contrat de travail – Indemnité nourriture – Licenciement – Motif valable (non) – Caractère abusif (oui).


Parties
Demandeurs : Madame A.
Défendeurs : La société à responsabilité limitée dénommée B.

Références :

Arrêté ministériel n° 2011-556 du 10 octobre 2011
Arrêté ministériel n° 68-367 du 22 novembre 1968


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2023-05-31;30017 ?

Source

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