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31/01/2023 | MONACO | N°20937

Monaco | Tribunal du travail, 31 janvier 2023, Madame v. A c/ SAM B.


TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 31 JANVIER 2023

En la cause de Madame v. A., demeurant X1à MENTON (06500) ;

Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée B. (MONACO), dont le siège social se situe X2 à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avo

cat-défenseur ;

d'autre part ;

Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ...

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 31 JANVIER 2023

En la cause de Madame v. A., demeurant X1à MENTON (06500) ;

Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée B. (MONACO), dont le siège social se situe X2 à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie MARQUET, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 31 août 2021, reçue le 1er septembre 2021 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 15-2021/2022 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 12 octobre 2021 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur au nom de Madame v. A. en date du 14 juillet 2022 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Sophie MARQUET, avocat-défenseur au nom de la S.A.M. B. (MONACO), en date du 13 octobre 2022 ;

Après avoir entendu Maître Régis BERGONZI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, pour Madame v. A. et Maître Sophie MARQUET, avocat-défenseur près la même Cour, pour la S.A.M. B.(MONACO), en leurs plaidoiries à l'audience du 1er décembre 2022 ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs

Madame v. A. a été embauchée par contrat à durée indéterminée du 26 juillet 2013 en qualité d'Assistante de gestion par la société anonyme monégasque B. (MONACO). Elle démissionnait par courrier du 10 mai 2021.

Par requête reçue le 1er septembre 2021, Madame v. A. saisissait le Tribunal du travail en sollicitant la reconnaissance d'une exécution déloyale du contrat travail, la reconnaissance d'une iniquité et d'une discrimination, la requalification de la démission en licenciement abusif et en conséquence :

* 31.862,64 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 15.294,06 d'indemnité légale de licenciement,

* 9.080,37 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

* 908,03 euros d'indemnité de congés payés y afférente,

* 2.138,65 euros de rappel de salaire sur gratification 13ème mois,

* 3.863,40 euros de rappel de salaire sur gratification 14ème mois,

* 758,88 euros de rappel de salaire sur gratification ¼ de septembre,

* 6.000 euros de rappel de salaire sur bonus contractuel 2020,

* 35.000 euros de rappel de salaire sur subsidizing 2020,

* 25.000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

* 25.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

le tout avec intérêts légaux, outre la remise de la documentation sociale rectifiée sous astreinte de 150 euros par jour de retard, le tout assorti de l'exécution provisoire.

À l'audience de conciliation, Madame v. A. ajoutait « Dire et juger que le licenciement est nul ». À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions récapitulatives du 14 juillet 2022, Madame v. A. sollicite la communication des bulletins de salaire justifiant le quantum du bonus perçu par Mesdames C. D.et E.au cours de l'année précédant leur congé maternité et au cours de l'année affectée par leur situation de congé maternité. Elle renonce à l'indemnité légale de licenciement. Elle fixe son indemnité de préavis à 6.209,70 euros, outre 620,97 euros de congés payés y afférents. Elle sollicite en outre 15.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Madame A. fait valoir pour l'essentiel que :

* la B. (MONACO) a exécuté le contrat de travail de manière déloyale, en ne lui versant pas son bonus individuel variable contractuel pour l'année 2020, alors que les conditions de versement étaient remplies,

* les résultats du groupe étaient excellents et le travail fourni par Madame v. A. l'avait été dans le respect de ses obligations contractuelles,

* l'exigence de présence invoquée par l'employeur n'est aucunement mentionnée dans les conditions d'attribution du bonus,

* Madame v. A. a été victime d'une discrimination salariale dans l'attribution de son bonus,

* elle a subi une iniquité de traitement au regard d'autres salariés placés dans une situation identique,

* en effet, d'autres salariées en congé maternité ont perçu leur bonus individuel variable au titre de l'année 2020,

* aucun élément objectif ne justifie la différence de traitement entre Madame v. A. et ces autres salariées,

* Madame v. A. a en outre été privée de son bonus subsidizing, versé par le responsable d'équipe, à titre de sanction de son absence de l'entreprise, laquelle était justifiée par sa situation de santé et de maternité,

* en agissant ainsi son responsable a commis une discrimination,

* cet acte de discrimination a rendu impossible la poursuite du contrat de travail,

* la démission étant intervenue ensuite d'une discrimination fondée sur l'état de grossesse et la santé, la démission doit être requalifiée en licenciement nul, ou subsidiairement abusif,

* le comportement de son supérieur hiérarchique avait en outre était fautif tout au long de la relation de travail,

* il exerçait des pressions, tenait des propos désobligeants et adoptait un comportement inadapté s'apparentant à du harcèlement,

* ces agissements ont eu des répercussions importantes sur sa santé psychologique,

* Madame v. A. a subi un lourd préjudice moral du fait de la rupture du contrat de travail et des conditions discriminatoires dans lesquelles elle est intervenue,

* du fait de la requalification de la démission en licenciement, Madame v. A. est éligible au paiement de l'indemnité de rupture conventionnelle.

Par conclusions récapitulatives du 13 octobre 2022 la S.A.M. B. (MONACO) sollicite le débouté de l'intégralité des demandes de Madame v. A. outre sa condamnation à 15.000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral et d'image ainsi que 15.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

* la demande de nullité du licenciement est mal fondée,

* la nullité d'un licenciement ne peut être prononcée qu'en cas de mise en œuvre vis-à-vis d'un salarié protégé, statut que n'avait pas Madame v. A. lors de sa démission, ou lorsqu'il a subi, refusé de subir, relaté ou dénoncé un harcèlement, ce qui n'est pas le cas en l'espèce,

* aucune disposition monégasque ne vient sanctionner par la nullité un licenciement fondé sur un motif discriminatoire, lequel ne peut donner lieu qu'à une indemnisation en dommages et intérêts,

* la banque n'a commis aucune faute,

* le bonus individuel variable est purement discrétionnaire, tant en son principe qu'en son quantum,

* l'existence de conditions d'attribution n'ôte pas le caractère discrétionnaire,

* les décisions françaises invoquées en demande concernaient des bonus dont le caractère discrétionnaire était limité au montant du bonus et non à son principe,

* Madame v. A. n'a subi aucune iniquité de traitement,

* aucune des salariées ayant bénéficié de bonus l'année où elles étaient en congé maternité n'avaient le même statut, le même coefficient et la même ancienneté que la demanderesse,

* elle est défaillante à démontrer que le travail qu'elle accompli est égal ou de valeur égale à celui effectué par les collègues auxquelles elle se compare,

* elle ne peut dès lors renverser la charge de la preuve,

* les propos tenus par le supérieur hiérarchique de Madame v. A. témoignent simplement de sa surprise face à une réclamation injustifiée d'une salariée dont les doléances avaient été prises en compte par des promotions,

* la promotion accordée juste avant son départ en congé maternité démontre que son état de grossesse n'a fait l'objet d'aucune discrimination,

* le prétendu comportement fautif du supérieur hiérarchique n'est pas évoqué au soutien de la lettre de démission, preuve qu'il n'en ait pas le motif,

* il remonte en outre à deux ans avant la démission,

* il s'agit du seul événement relaté en sept ans de relation contractuelle, ce qui ne peut nullement constituer un quelconque harcèlement,

* en tout état de cause aucun manquement grave susceptible de justifier une prise d'acte n'est caractérisé,

* les prétendues difficultés liées au comportement de son supérieur hiérarchique n'ont jamais été dénoncées à la banque,

* Madame v. A. n'a pas permis qu'une issue favorable soit trouvée à sa réclamation,

* surabondamment les sommes sollicitées sont injustifiées en leur quantum,

* les rappels de congés payés et de gratification ne sont pas calculés à la date de la démission mais sur l'ensemble de l'année 2021,

* elle estimait elle-même n'être éligible qu'à la somme de 7.000 euros au titre du bonus et non pas 41.000 euros,

* elle ne justifie d'aucun préjudice,

* Madame v. A. a proféré des accusations particulièrement graves à l'encontre de son employeur, lui occasionnant un préjudice d'image ainsi que celui d'avoir à engager des frais pour assurer sa défense.

SUR CE,

Sur le bonus

Aux termes du contrat de travail du 26 juillet 2013, Madame v. A. avait droit à une rémunération variable outre un bonus individuel variable tel que stipulé comme suit :

« L'employeur a mis en place un système de bonus individualisé dont la nature, le paiement et le montant (si attribution il y a), sont à la discrétion de l'employeur. Si toutes les conditions d'attribution sont réunies, le Salarié pourra en bénéficier.

L'attribution au Salarié d'un bonus demeure discrétionnaire et dépend notamment des performances du Groupe B. des conditions d'exécution de son travail par le Salarié, et de son respect des valeurs, procédures et standards de la Banque qui lui sont applicables.

Il est précisé que le bonus ne pourra être attribué, au moment de sa mise en versement, qu'aux salariés dont le contrat de travail est en vigueur à la date du versement de ce dernier et qu'il n'aura pas fait l'objet d'une notification de rupture, quel que soit l'auteur ou la cause de la rupture à ladite date.

L'année de référence qui sert de base au calcul de l'éventuel bonus correspond à l'année civile précédant l'année de mise en versement.

La mise en paiement d'un bonus éventuel est généralement effectuée au terme du 1ertrimestre de l'année suivant l'année de référence.

Il est rappelé et parfaitement accepté et compris par le Salarié que le bonus tel que visé dans le présent article demeure une possibilité. Elle demeure totalement discrétionnaire et l'Employeur ne prend aucun engagement contractuel, ni obligation. Il n'est tenu à aucune explication, tant en cas de versement que de non-versement du bonus. Le fait de verser ledit bonus durant une ou plusieurs années ne constituera à aucun moment un droit contractuel acquis au Salarié.

La Banque peut décider de modifier le moment ou les conditions d'attribution du bonus, ou même sa nature, sans qu'il s'agisse d'une modification du présent contrat ».

La rédaction très générale des modalités d'attribution d'une rémunération variable ne correspond pas à la définition d'un bonus contractualisé, qui doit reposer sur des critères clairs imposant le versement en cas de réunion.

En outre, l'introduction dans les critères d'attribution d'une condition relative aux conditions d'exécution du travail, implique qu'il n'y aucune garantie pour le salarié du versement d'un bonus quand bien même les deux autres critères (performances du groupe, respect des valeurs, procédures et standards) seraient remplis.

La banque était en conséquence totalement discrétionnaire à apprécier que les conditions d'exécution de son travail par Madame v.A.au cours de l'année 2020 ne lui permettaient pas de prétendre au versement d'un bonus dans son principe.

Sur l'inégalité salariale

En application des accords internationaux engageant la Principauté de Monaco (notamment le Pacte International relatif aux droits civiques et politiques), consacrés par l'article 1 de la Constitution, tous les salariés doivent recevoir une rémunération égale en contrepartie d'un travail égal ou de valeur égale, la rémunération s'entendant non seulement du salaire proprement dit, mais également des divers avantages et accessoires y afférents.

En application de ce principe, la S.A.M. B. (MONACO) a donc l'obligation d'assurer l'égalité de rémunération entre les employés de son entreprise qui, placés dans des conditions identiques, accomplissent un même travail ou un travail de valeur égale.

La notion de travail égal peut se définir comme des travaux exigeant des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charges physiques ou nerveuses.

La disparité de traitement entre employés requiert un examen individualisé de chaque situation. Il appartient donc au salarié qui se prétend victime de discrimination salariale de soumettre au Tribunal des éléments de nature à établir que le travail qu'il accomplit est égal ou de valeur égale à celui qu'effectue un collègue de travail clairement désigné, disposant d'un niveau de connaissances professionnelles, de qualification et de responsabilités comparable au sien et que la rémunération qui lui est versée est inférieure à celle dont bénéficie le salarié de référence.

Si cette deuxième condition n'est pas contestée, la S.A.M. B. (MONACO) admettant que les salariées auxquelles la salariée se réfère ont bien reçu un bonus alors qu'elles avaient été absentes, il convient d'analyser la seconde. Madame v. A. prétend se comparer à :

* deux Assistantes de gestion classe IV coefficient 483,

* un Conseiller en investissement, classe VI coefficient 562.

Si aucune information détaillée n'est communiquée sur le travail du Conseiller en investissement, il ne fait pas débat que les deux assistantes de gestion font le même travail que Madame v. A. La seule distinction entre elles réside dans leur classe et coefficient.

Or, la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage.

La différence doit en réalité reposer sur des raisons objectives. En l'espèce, aucune raison objective n'est développée par la S.A.M. B. (MONACO) pour justifier de la pertinence de la différence de traitement entre des salariés exerçant une même activité.

Plus encore, la teneur de la conversation du 24 mars 2021 entre la salariée et son responsable Monsieur b. F. permet de comprendre que le refus de versement du bonus est lié au fait qu'elle a obtenu un avancement juste avant son congé maternité. Une telle motivation est évidemment parfaitement injustifiée.

Il est en conséquence établi que Madame v. A. a été victime d'une inégalité salariale et qu'elle avait droit au versement du bonus discrétionnaire.

Sur le montant du bonus, si Madame v. A. prétend au versement de 35.000 euros et 6.000 euros de bonus pour l'année 2020, soit le montant qu'elle avait perçu pour l'année 2019, il convient de noter les éléments suivants :

* elle ne réclamait initialement que 7.000 euros, au titre des deux mois et demi travaillés au cours de l'année 2020,

* le bonus est discrétionnaire dans ses conditions d'attribution et dans son montant,

* le critère relatif aux conditions d'exécution du travail par le salarié permet une modulation du montant,

* Madame v. A. ne démontre pas que les salariées auxquelles elle se compare ont perçu le maximum du bonus malgré leur absence,

* le témoignage en faveur de Madame v. A. d'un ancien Managing Director n'évoque nullement un versement maximum de bonus en cas d'absence, mais uniquement le fait qu'il n'est en aucun cas réduit à zéro.

Pour l'ensemble de ces raisons, c'est la somme de 7.000 euros brut à laquelle Madame v. A. avait droit au titre du bonus de l'année 2020, somme que la S.A.M. B. (MONACO) sera condamnée à lui verser avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, s'agissant d'un élément de rémunération.

Le Tribunal ayant été à même de trancher les questions de l'inégalité salariale et du montant du bonus sans la communication des bulletins de salaire de collègues sollicités par Madame v. A.et compte tenu de leur caractère attentatoire à la vie privée, il n'y a pas lieu d'en ordonner la production par l'employeur.

Le fait de priver un salarié de sa juste rémunération est constitutif d'une faute de l'employeur. Le simple fait d'en avoir été privé et d'avoir eu à réclamer son dû, en l'espèce à deux reprises auprès de son employeur puis par l'introduction d'une action en justice, engendre un préjudice moral pour le salarié. Ce préjudice s'inscrit en outre dans le cadre d'une inégalité de traitement entre salariés.

En revanche, l'inégalité de traitement n'est pas synonyme d'une discrimination, qui se défini comme une distinction opérée en fonction notamment de l'appartenance ethnique, sociale ou politique, de l'orientation sexuelle ou du sexe.

En l'espèce, Madame v. A. n'a pas été discriminée en fonction de son état de grossesse, mais victime d'une inégalité de traitement causée par le fait qu'elle venait de bénéficier d'un avancement avant sa prise de congés, comme l'indiquait Monsieur b. F.

En réparation du préjudice moral causé par l'exécution déloyale du contrat de travail, la S.A.M. B. (MONACO) sera condamnée à verser à Madame v. A. une somme qu'il est équitable de fixer à 2.500 euros, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement.

Sur la démission

La démission doit être l'expression d'une volonté libre et réfléchie, exprimée librement en dehors de toute contrainte ou pression exercée par l'employeur.

Lorsque le salarié la remet en cause en raison de faits ou manquements imputables à l'employeur, elle doit être analysée en licenciement s'il rapporte la preuve que la rupture du contrat de travail est imputable au non-respect par l'employeur de ses obligations substantielles rendant impossible la poursuite du contrat de travail.

Le lien de causalité entre les manquements imputés à l'employeur et l'acte de démission est établi si les manquements sont antérieurs ou au moins contemporains de la démission et s'ils avaient donné lieu à une réclamation, directe ou indirecte du salarié.

En l'espèce, les accusations de comportement inapproprié et pressions exercées par son supérieur hiérarchique n'ont jamais donné lieu à la moindre remarque de Madame v. A. Elle n'en fait par ailleurs nullement état lors de sa démission. En l'absence de lien de causalité il n'y a pas lieu de les analyser.

En revanche, Madame v. A. a motivé sa démission par le refus de dialogue de l'établissement et le refus de paiement du bonus qu'elle analysait comme des discriminations répétées.

Il a déjà été déterminé que le non-paiement du bonus était constitutif d'une inégalité salariale exercée au détriment de Madame v. A. Elle avait bien, comme elle l'indiquait dans son courrier, porté sa revendication dans un premier temps auprès de son responsable le 24 mars 2021, puis auprès de la Direction des Ressources Humaines le 29 mars 2021, et essuyer des fins de non-recevoir.

Le versement de la rémunération est une obligation substantielle de l'employeur dans le cadre de l'exécution du contrat de travail. Le refus de versement était injustifié et reposait sur des motifs inégalitaires. Il a en outre été formulé de manière totalement fermée, par le supérieur hiérarchique direct, puis par la Direction des Ressources Humaines. Personne n'a apporté la moindre attention à la légitime revendication de la salariée, qui s'est vue ordonner de patienter des mois, après son retour de congés, avant de pouvoir espérer demander un entretien. Dans ces conditions, la démission de Madame v. A. intervenue dans un délai proche du refus de versement de son bonus, délai qui implique nécessairement un temps de réflexion par la salariée victime d'une inégalité salariale, a donc été contrainte et ne peut que s'analyser en un licenciement, la poursuite de la relation de travail auprès notamment de son supérieur hiérarchique direct étant devenu impossible au regard de son comportement.

Contrairement à ce que Madame v. A. soutient, la requalification de la démission en un licenciement ne s'analyse pas en un licenciement nul, dont les hypothèses sont strictement limitées par la loi et au titre desquelles l'inégalité salariale n'est pas prévue, mais produit les effets d'un licenciement abusif.

Sur les conséquences du licenciement

La démission de Madame v. A. s'analysant en un licenciement abusif, elle est droit de prétendre au bénéfice de l'ensemble des indemnités légales et conventionnelles de rupture.

En application de l'article 29 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques, Madame v. A. Cadre, avait droit à un préavis de 3 mois. Elle n'a bénéficié que de quarante-cinq jours d'indemnité compensatrice de congés payés et doit en conséquence percevoir l'indemnité correspondant aux quarante-cinq jours restants pour une fin de préavis au 10 août 2021. Sur la base d'un dernier salaire de 4.139,79 euros, il lui reste à percevoir la somme de 6.209,70 euros brut, outre 620,97 euros brut de congés payés y afférents, sommes que la S.A.M. B.(MONACO) sera condamnée à lui verser avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, s'agissant d'un élément de rémunération.

Madame v. A. prétend à la régularisation des indemnités de 13ème et 14ème mois. En application de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques, la gratification est proportionnelle au nombre de mois de service réglés par la banque au jour de leur départ. Le traitement servant de base de calcul pour les agents licenciés ou démissionnaires étant celui du dernier salaire payé, il s'établit à 4.139,79 euros en l'espèce. La date de départ de la banque de Madame v. A. se fixant au 10 août 2021, ses indemnités de 13ème et 14ème mois auraient dû être calculées sur une proportion de service de sept mois.

L'indemnité de 13ème mois s'élevait dès lors à 2.414,88 euros. Madame v. A. ayant perçu 2.000,71 euros, il lui reste à percevoir un reliquat de 414,17 euros brut, que la S.A.M. B.(MONACO) sera condamnée à lui verser avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, s'agissant d'un élément de rémunération. Le surplus de la demande est rejeté, étant calculé sur une année pleine de service.

L'indemnité de 14ème mois était payée par avance sur chaque bulletin de salaire. Madame v. A. qui prétend avoir été privée de la quasi-totalité de son 14ème mois, avait en réalité perçu des avances mensuelles complètes jusqu'au mois de mai 2021, outre une proratisation pour le mois de juin 2021 au regard d'une date de sortie fixée au 24 juin 2021. Il lui reste dès lors à percevoir l'avance sur 14ème mois pour les quarante-cinq jours de préavis restants jusqu'au 10 août 2021, soit la somme de 517,43 euros brut (344,95 euros x 1,5), que la S.A.M. B. (MONACO) sera condamnée à lui verser avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, s'agissant d'un élément de rémunération. Le surplus de la demande est rejeté, étant calculé sur une année pleine de service et ne tenant pas compte des avances déjà versées.

Madame v. A. sollicite également le reliquat de prime de quart de mois de septembre. Aux termes de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques, cette allocation est calculée au prorata du nombre de jours ayant comporté l'attribution d'un traitement plein dans les quatre mois précédant les dates de versement (1er juin au 30 septembre pour le versement au 15 octobre). Madame v. A. ayant perçu la somme de 206,97 euros pour vingt-quatre jours de service, alors qu'elle aurait dû être réglée sur quarante-cinq jours supplémentaires, il lui reste à devoir la somme de 388,07 euros brut, que la S.A.M. B. (MONACO) sera condamnée à lui verser avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, s'agissant d'un élément de rémunération. Le surplus de la demande est rejeté, étant calculé sur une année pleine de service.

Aux termes des articles 39 et 40 de la Convention Collective Monégasque du Travail du Personnel des Banques, les cadres ont droit à une indemnité de licenciement correspondant à un demi-mois de traitement par semestre de service, calculé sur la base du dernier mois de traitement perçu, sans supplément d'aucune sorte, à l'exception de la prime d'ancienneté. En l'espèce, le dernier traitement étant de 3.982,83 euros et Madame v. A. disposant de quinze semestres complets de service au 10 mai 2021 (date du licenciement), elle a droit à une indemnité conventionnelle de licenciement de 29.871,26 euros, somme que la S.A.M. B.(MONACO) est condamnée à lui verser avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement. Le surplus de la demande est rejeté, calculé sur la date de fin du préavis.

Madame v. A. ayant subi un licenciement abusif, elle est en droit de prétendre au dédommagement de l'ensemble du préjudice qu'elle a subi. À défaut de préjudice matériel argumenté ou étayé, seul le préjudice moral sera indemnisé.

Il convient de rappeler que la perte de son emploi a été causée par une inégalité de traitement. En outre, Madame v. A. qui exerçait depuis 8 ans, donnait pleine satisfaction dans son emploi comme en atteste ses évaluations et venait de bénéficier d'un avancement avec des perspectives épanouissantes de déroulement de carrière. Il est en conséquence équitable de condamner la S.A.M. B. (MONACO) à lui verser la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement.

Sur les autres demandes

Compte tenu de la requalification de la démission en licenciement il convient d'ordonner à la S.A.M. B. (MONACO) de rectifier l'intégralité de la documentation sociale de Madame v. A. Néanmoins, il ne ressort pas de l'attitude de la banque une quelconque mauvaise foi, simplement la défense d'une position mal fondée. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

La S.A.M. B. (MONACO) succombant dans l'intégralité de ses demandes, il convient de rejeter sa demande de dommages-intérêts ainsi que celle relative aux frais irrépétibles et de la condamner aux entiers dépens de l'instance.

Aux termes de l'article 238-1 du Code de procédure civile, la partie tenue aux dépens est condamnée à payer à l'autre partie une somme au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens. La S.A.M. B.(MONACO) sera en conséquence condamnée à verser à Madame v. A. la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles.

La nécessité que l'exécution provisoire soit prononcée n'étant pas établie il n'y a pas lieu de l'ordonner.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Dit que le bonus est discrétionnaire ;

Constate que Madame v. A. a été victime d'une inégalité de traitement salariale ;

Condamne la société anonyme monégasque B. (MONACO) à verser à Madame v. A. la somme de 7.000 euros bruts (sept mille euros bruts) à titre de bonus pour l'année 2020, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Bureau de Conciliation et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Rejette le surplus de la demande ;

Rejette la demande de communication des bulletins de salaires de Mesdames C. D.et E. ;

Condamne la S.A.M. B. (MONACO) à verser à Madame v.A.la somme de 2.500 euros (deux mille cinq cents euros) de dommages et intérêts pour inexécution fautive du contrat de travail, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Rejette le surplus de la demande ;

Constate que la démission est imputable au comportement fautif de la S.A.M. B. (MONACO) ;

Requalifie la démission en un licenciement ;

Rejette la demande de nullité du licenciement ;

Dit que le licenciement est abusif ;

Condamne la S.A.M. B. (MONACO) à verser à Madame v. A. la somme de 6.209,70 euros brut (six mille deux cent neuf euros et soixante-dix centimes) à titre de reliquat d'indemnité compensatrice de préavis, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Condamne la S.A.M. B. (MONACO) à verser à Madame v. A. la somme de 620,97 euros brut (six cent vingt euros et quatre-vingt-dix-sept centimes) à titre de reliquat de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Condamne la B. à verser à Madame v. A. la somme de 414,17 euros brut (quatre cent quatorze euros et dix-sept centimes) à titre de reliquat d'allocation de 13ème mois, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Rejette le surplus de la demande ;

Condamne la S.A.M. B. (MONACO) à verser à Madame v. A. la somme de 517,43 euros brut (cinq cent dix-sept euros et quarante-trois centimes) à titre de reliquat d'allocation de 14ème mois, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Rejette le surplus de la demande ;

Condamne la S.A.M. B. (MONACO) à verser à Madame v. A. la somme de 388,07 euros brut (trois cent quatre-vingt-huit euros et sept centimes) à titre de reliquat d'allocation de quart de mois de septembre, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;

Rejette le surplus de la demande ;

Condamne la S.A.M. B. (MONACO) à verser à Madame v. A. la somme de 29.871,26 euros (vingt-neuf mille huit cent soixante et onze euros et vingt-six centimes) à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Rejette le surplus de la demande ;

Condamne la S.A.M. B. (MONACO) à verser à Madame v. A. la somme de 20.000 euros (vingt mille euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement ;

Rejette la demande de dommages et intérêts de la S.A.M. B. (MONACO) ;

Ordonne la rectification de la documentation sociale de Madame v. A. ;

Rejette la demande d'astreinte ;

Condamne la S.A.M. B. (MONACO) aux entiers dépens de l'instance ;

Rejette la demande de la S.A.M. B. (MONACO) au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la S.A.M. B. (MONACO) à verser à Madame v. A. la somme de 2.500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre des frais irrépétibles ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Mesdames Virginia BUSI et Anne-Marie MONACO, membres employeurs, Messieurs Thierry PETIT et Fabrizio RIDOLFI, membres salariés, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le trente et un janvier deux mille vingt-trois.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 20937
Date de la décision : 31/01/2023

Analyses

La rédaction très générale des modalités d'attribution d'une rémunération variable ne correspond pas à la définition d'un bonus contractualisé, qui doit reposer sur des critères clairs imposant le versement en cas de réunion. En outre, l'introduction dans les critères d'attribution d'une condition relative aux conditions d'exécution du travail, implique qu'il n'y aucune garantie pour le salarié du versement d'un bonus quand bien même les deux autres critères (performances du groupe, respect des valeurs, procédures et standards) seraient remplis.En application des accords internationaux engageant la Principauté de Monaco (notamment le Pacte International relatif aux droits civiques et politiques), consacrés par l'article 1 de la Constitution, tous les salariés doivent recevoir une rémunération égale en contrepartie d'un travail égal ou de valeur égale, la rémunération s'entendant non seulement du salaire proprement dit, mais également des divers avantages et accessoires y afférents. En application de ce principe, l'employeur a donc l'obligation d'assurer l'égalité de rémunération entre les employés de son entreprise qui, placés dans des conditions identiques, accomplissent un même travail ou un travail de valeur égale. La notion de travail égal peut se définir comme des travaux exigeant des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charges physiques ou nerveuses. La disparité de traitement entre employés requiert un examen individualisé de chaque situation. Il appartient donc au salarié qui se prétend victime de discrimination salariale de soumettre au Tribunal des éléments de nature à établir que le travail qu'il accomplit est égal ou de valeur égale à celui qu'effectue un collègue de travail clairement désigné, disposant d'un niveau de connaissances professionnelles, de qualification et de responsabilités comparable au sien et que la rémunération qui lui est versée est inférieure à celle dont bénéficie le salarié de référence. La seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage. La différence doit en réalité reposer sur des raisons objectives.Le fait de priver un salarié de sa juste rémunération est constitutif d'une faute de l'employeur. Le simple fait d'en avoir été privé et d'avoir eu à réclamer son dû, en l'espèce à deux reprises auprès de son employeur puis par l'introduction d'une action en justice, engendre un préjudice moral pour le salarié. Ce préjudice s'inscrit en outre dans le cadre d'une inégalité de traitement entre salariés. En revanche, l'inégalité de traitement n'est pas synonyme d'une discrimination, qui se défini comme une distinction opérée en fonction notamment de l'appartenance ethnique, sociale ou politique, de l'orientation sexuelle ou du sexe.La démission doit être l'expression d'une volonté libre et réfléchie, exprimée librement en dehors de toute contrainte ou pression exercée par l'employeur. Lorsque le salarié la remet en cause en raison de faits ou manquements imputables à l'employeur, elle doit être analysée en licenciement s'il rapporte la preuve que la rupture du contrat de travail est imputable au non-respect par l'employeur de ses obligations substantielles rendant impossible la poursuite du contrat de travail. Le lien de causalité entre les manquements imputés à l'employeur et l'acte de démission est établi si les manquements sont antérieurs ou au moins contemporains de la démission et s'ils avaient donné lieu à une réclamation, directe ou indirecte du salarié.La démission de Madame v. A. s'analysant en un licenciement abusif, elle est droit de prétendre au bénéfice de l'ensemble des indemnités légales et conventionnelles de rupture, et au dédommagement de l'ensemble du préjudice qu'elle a subi.

Contrats de travail  - Rupture du contrat de travail.

Contrat de travail - Rémunération variable - Bonus contractualisé (non) - Principe d'égalité en matière de rémunération - Rupture du contrat de travail - Qualification - Démission (non) - Licenciement abusif (oui).


Parties
Demandeurs : Madame v. A
Défendeurs : SAM B.

Références :

article 238-1 du Code de procédure civile
article 1 de la Constitution


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2023-01-31;20937 ?

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