La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/01/2023 | MONACO | N°20904

Monaco | Tribunal du travail, 20 janvier 2023, Monsieur A. c/ La société anonyme monégasque dénommée B.


TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 20 JANVIER 2023

En la cause de Monsieur A., demeurant X1 à NICE (06000) ;

Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Arnaud CHEYNUT, avocat-défenseur près la même Cour ;

d'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée B., dont le siège social se situe X2 à MONACO ;

Défenderesse, ayant primitivement élu domicile en l'étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, puis en

celle de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Laurent ...

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 20 JANVIER 2023

En la cause de Monsieur A., demeurant X1 à NICE (06000) ;

Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Arnaud CHEYNUT, avocat-défenseur près la même Cour ;

d'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée B., dont le siège social se situe X2 à MONACO ;

Défenderesse, ayant primitivement élu domicile en l'étude de Maître Sophie LAVAGNA, avocat-défenseur, puis en celle de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Laurent HIETTER, avocat au barreau de Lille ;

d'autre part ;

Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 11 mars 2021, reçue le même jour ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 75-2020/2021 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 29 mars 2021 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur au nom de Monsieur A. en date du 14 juillet 2022 ;

Vu les conclusions récapitulatives de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur au nom de la S.A.M. B. en date du 10 mars 2022 ;

Après avoir entendu Maître Arnaud CHEYNUT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substituant Maître Arnaud ZABALDANO, avocat-défenseur près la même Cour, pour Monsieur A. et Maître Laurent HIETTER, avocat au barreau de Lille, pour la S.A.M. B. en leurs plaidoiries à l'audience du 24 novembre 2022 ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs

Monsieur A. a été embauché par la société anonyme monégasque B. (ci-après B.) à compter du 4 février 2019 en qualité de Directeur de magasin. Il a été licencié par courrier du 10 août 2020.

Par requête reçue le 11 mars 2021, Monsieur A. saisissait le Tribunal du travail en sollicitant :

* 24.006,94 euros en rappel de salaire au titre des heures supplémentaires,

* 2.400,70 euros d'indemnité compensatrice de congés payés sur heures supplémentaires,

* 18.750 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

* 1.875 euros d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

* 878,67 euros de solde d'indemnité de licenciement,

* 4.122 euros en rappel de salaire au titre de la rémunération variable,

* 412,20 euros d'indemnité compensatrice de congés payés sur rappel de salaire,

* 200.000 euros de dommages et intérêts pour préjudice économique et moral,

* La rectification des bulletins de salaire et de la documentation sociale sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement, avec intérêts au taux légal à compter de la tentative de conciliation et le tout sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

À défaut de conciliation l'affaire était renvoyée devant le Bureau de Jugement.

Par conclusions récapitulatives du 14 juillet 2022, Monsieur A. soulève l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle de la S.A.M. B. le débouté de sa demande et la nullité des pièces adverses nos 3, 10, 19 et 24. Il sollicite en outre la somme de 40.000 euros au titre des frais irrépétibles. Il fait valoir pour l'essentiel que :

* la demande reconventionnelle de B. au titre du remboursement de l'indemnité de congédiement est irrecevable pour ne pas avoir été soumise à la tentative obligatoire de conciliation,

* les pièces n°10 et 19 sont nulles respectivement pour ne pas faire mention des sanctions encourues en cas de fausse attestation et ne pas être traduites en langue française,

* Monsieur A. a accompli une durée moyenne de travail de 44 heures sur cinq jours au regard des horaires d'ouverture de la boutique, sans jamais être réglé de ses heures supplémentaires,

* il devait faire remonter chaque soir le chiffre d'affaires journalier au siège après la fermeture,

* il a saisi sa Direction de cette problématique à plusieurs reprises sans réponse,

* la société B. était parfaitement informée des horaires effectivement réalisés par son salarié et ne s'y est pas opposée,

* la prétendue pratique de récupération des heures supplémentaires n'est pas démontrée et est contraire aux dispositions d'ordre public,

* des primes mensuelles et semestrielles étaient dues en cas d'atteinte d'objectifs,

* les objectifs ont été atteints au mois d'août 2020 et au premier semestre 2020, Monsieur A. est en droit de prétendre au versement de primes,

* le plan de rémunération produit en défense ne lui est pas opposable et les modalités de calculs ne sont pas démontrées,

* le licenciement n'est pas valable,

* l'employeur, qui s'est prévalu de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 a pourtant choisi de préciser les motifs justifiant sa décision,

* en évoquant les motifs de la rupture l'employeur a renoncé au bénéfice de l'article 6 comme le consacre la jurisprudence en la matière,

* il a ensuite réglé l'indemnité de licenciement et admis que le licenciement n'était pas justifié par un motif valable,

* ce n'est qu'après réception d'une mise en demeure que l'employeur a prétendu opportunément que le versement de l'indemnité de licenciement procéderait d'une erreur,

* la demande de remboursement de l'indemnité de licenciement est infondée,

* son versement était la conséquence de l'application de l'article 6 de la loi n° 729,

* en outre, les faits reprochés au salarié ne sont pas établis,

* les reproches d'avoir fait pleurer des collaborateurs et de faire des réflexions à caractère sexuel sont mensongers,

* ils auraient pu être contredits par le visionnage des caméras de vidéosurveillance ce que l'employeur a refusé de faire,

* les attestations des employés tous sous la subordination de l'employeur sont insuffisantes pour caractériser une faute,

* de surcroît il n'est pas démontré en quoi ces prétendus faits auraient mis en cause la bonne marche de la boutique et l'image de la société,

* Monsieur A. a au contraire toujours été soucieux de concilier les intérêts de ses collaborateurs et du groupe,

* la responsable des ressources humaines a attendu un mois entre les prétendues dénonciations et la convocation de Monsieur A. à un entretien préalable ce qui interroge quant à la gravité des faits qui lui sont reprochés,

* en présence du règlement spontané de l'indemnité de licenciement il est établi que le motif est fallacieux puisque l'employeur reconnaît que le grief n'est pas avéré,

* Monsieur A. a en réalité été sanctionné pour avoir porté des revendications syndicales,

* Monsieur A. doit se voir réparer son préjudice économique,

* il s'est trouvé privé de ressources puis a subi une perte de revenus importante au regard du montant de ses allocations chômage,

* il est toujours en recherche d'emploi,

* en dispensant le salarié de préavis après avoir procédé à son licenciement sur la base de rumeurs l'employeur a jeté le discrédit sur Monsieur A. lui occasionnant un préjudice moral,

* l'employeur a en outre commis une erreur de calcul de l'indemnité de licenciement,

* Monsieur A. devait bénéficier d'un préavis de trois mois selon l'usage pour le cadre, il n'a néanmoins perçu qu'un mois d'indemnité compensatrice de préavis,

* Monsieur A. a été contraint d'engager des frais pour assurer sa défense.

Par conclusions récapitulatives du 10 mars 2022, la S.A.M. B. sollicite le débouté de l'intégralité des demandes de Monsieur A. outre sa condamnation à rembourser la somme de 7.681,67 euros versée à tort.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

* les demandes reconventionnelles n'ont pas à être soumises au préalable obligatoire de conciliation,

* en outre, la demande de remboursement de l'indemnité de congédiement découle du procès et non du contrat de travail,

* les pièces contestées ont été régularisées, quant à la pièce n°19 elle est constituée essentiellement de chiffres,

* le solde de tout compte comporte une mention erronée due aux erreurs commises par le service de paie,

* l'indemnité de rupture a été improprement nommée licenciement alors qu'il s'agissait du congédiement,

* Monsieur A. n'avait pas droit à une indemnité de congédiement n'ayant pas atteint deux ans d'ancienneté,

* la lettre de licenciement expose les motifs de rupture,

* l'employeur ne s'étant pas exonéré de l'énonciation du motif, l'indemnité de licenciement n'était pas due,

* seule une juridiction peut décider que le motif de licenciement n'est pas valable et ordonner le versement de l'indemnité de licenciement,

* le licenciement est régulier,

* la société B. a engagé une mesure de licenciement suite aux informations recueillies et déclarations faites par les salariés,

* elle a pris le soin de convoquer Monsieur A. et de l'entendre de manière contradictoire,

* les propos humiliants et discriminants de Monsieur A., ses plaisanteries et propos à caractère sexuel et son attitude générale étaient parfaitement inadmissibles,

* de nombreux salariés témoignent de ce comportement,

* la société B. n'a pas renoncé aux dispositions de l'article 6 de la loi n° 729,

* le fait de motiver la lettre de licenciement ne peut pas entraîner la reconnaissance du caractère non valable du licenciement,

* les motifs de rupture étant parfaitement valables, Monsieur A. n'est pas fondé à solliciter une somme complémentaire d'indemnité de licenciement,

* le préjudice de Monsieur A. n'est aucunement étayé,

* la société B. ayant versé à tort une indemnité de congédiement alors que Monsieur A. ne disposait pas de deux ans d'ancienneté, il convient qu'elle soit remboursée,

* au regard de l'ancienneté de Monsieur A. le délai-congé était d'un mois,

* Monsieur A. ne démontre l'existence d'un quelconque usage en la matière,

* Monsieur A. ne démontre pas la réalité des heures supplémentaires revendiquées, ni qu'il était présent aux ouvertures et fermetures de la boutique,

* le reporting du chiffre d'affaires était automatique et la clôture de caisse pouvait se faire en alternance avec le Department Manager,

* en outre les heures supplémentaires des cadres étaient récupérées au mois le mois,

* Monsieur A. n'a jamais réclamé le paiement d'heures supplémentaires et n'a jamais établi de relevé le concernant,

* Monsieur A. ne peut prétendre au versement de la rémunération variable pour le mois d'août 2020 car il n'a pas participé à l'atteinte des objectifs, ayant été placé en dispense d'activité à compter du 29 juillet,

* concernant la prime semestrielle, les règles précisent qu'il faut être présent à l'effectif lors de la date de versement de celle-ci pour en bénéficier, ce qui n'a pas été son cas.

SUR CE,

Sur la nullité des pièces

La pièce produite par la société B. sous le numéro 3 est conforme aux exigences légales.

La pièce n°10 est une attestation de Madame o. K. qui ne mentionne pas de sa main les sanctions encourues en cas de fausse attestation. Elle est en conséquence nulle.

Les pièces n°19 et 24 sont en anglais, traduites en pièces n°19 et 24 bis. Elles sont dès lors régulières.

Sur les heures supplémentaires

Monsieur A. prétend avoir réalisé des heures supplémentaires tout au long de la relation de travail, plus précisément avoir réalisé un horaire hebdomadaire de 44 heures au lieu des 39 heures légales et n'avoir jamais été rémunéré.

Il expose par ailleurs que la société B. avait mis en place un système illégal de récupération des heures supplémentaires pour les cadres afin d'éviter de les rémunérer conformément aux dispositions de l'Ordonnance-loi n° 677 du 2 décembre 1959.

Aux termes de l'article 1162 du Code civil, celui qui soutient une prétention doit la prouver.

Monsieur A. se fonde sur les horaires d'ouverture de la boutique pour en déduire qu'il travaillait cinq jours par semaine de 10 heures à 19 heures ou de 11 heures à 19 heures. Il produit par ailleurs la capture d'écran de SMS adressés sur trois jours en décembre 2019 à son épouse pour démontrer son départ tardif de son travail. Il se fonde enfin sur un décompte d'heures établi par ses soins.

Contrairement à ce que Monsieur A. indique, la hiérarchie n'a jamais validé de système de récupération d'heures. Au contraire, par deux mails d'août 2019 et avril 2020, Madame c. F. lui précisait bien que les heures supplémentaires des cadres étaient payées. Elle indiquait uniquement qu'il convenait de les lisser sur la semaine, notamment en répartissant les ouvertures et fermetures et en évitant de faire des heures pendant les heures collectives. Surtout, elle lui expliquait qu'elle ne comprenait pas sa méthode de gestion.

La production du reporting d'heures de Madame s. V., rempli par Monsieur A. en sa qualité de Responsable, démontre que les heures étaient comptabilisées au jour le jour.

Or, aucun décompte du temps de travail n'a jamais été établi par Monsieur A. Le tableau établi pour les besoins de la cause par ses soins ne peut pallier cette carence. Par ailleurs, les seuls plannings communiqués concernent la période de réouverture suite au confinement et ne correspondent pas aux affirmations du salarié quant à l'amplitude des horaires.

Monsieur A. étant défaillant à démontrer la réalité et l'amplitude d'heures supplémentaires, il sera débouté de ses demandes à ce titre.

Sur le licenciement

Aux termes de la lettre de licenciement du 10 août 2020, l'employeur a notifié sa décision « pour cause réelle et sérieuse ». Cette notion de droit français inconnue de la législation monégasque sous-entend que l'employeur considère avoir un motif valable de licenciement. L'employeur poursuivait en indiquant « bien que nous n'y soyons pas tenus par la réglementation monégasque, voici les motifs qui justifient cette décision » avant de détailler plusieurs paragraphes relatifs aux doléances des équipes et de conclure que le comportement du salarié est inapproprié, intolérable et met en cause la bonne marche de la boutique ainsi que l'image de la société.

L'employeur concluait en indiquant « nous sommes contraints de procéder à la rupture de votre contrat de travail pour cause réelle et sérieuse, conformément à l'article 6 de la loi monégasque n° 729 du 16/03/1963 ».

Aux termes de l'article 6 de la loi n° 729 « le contrat de travail à durée indéterminée peut toujours cesser par la volonté d'une des parties ».

Cette disposition offre la faculté à l'employeur de congédier un salarié sans se référer de façon implicite ou explicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci. Elle a pour corollaire l'obligation de versement de l'indemnité de licenciement conformément aux dispositions de l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, l'employeur ne s'étant pas fondé sur un motif valable.

Par ailleurs, le fait pour l'employeur de s'acquitter de l'indemnité prévue par le texte implique la reconnaissance que le licenciement n'est pas fondé sur un motif valable.

Au titre du solde de tout compte, Monsieur A. a bénéficié de la somme de 7.681,11 euros intitulée « indemnité licenciement légale » .

L'employeur prétend qu'il aurait en réalité versé l'indemnité de congédiement.

Aux termes de l'article 1er de la loi n° 845 du 27 juin 1968 " Tout salarié, lié par un contrat de travail à durée indéterminée et qui est licencié alors qu'il compte deux ans d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de congédiement dont le montant minimum ne pourra être inférieur à celui des indemnités de même nature versées aux salariés dans les mêmes professions, commerces et ou industries de la région économique voisine (...). "

Cette disposition légale monégasque renvoie au montant minimum légal de la région économique voisine (Cour de révision, 26 mars 1998, société E c/ I), qui est la France, si bien que l'indemnité légale de congédiement monégasque doit correspondre à son équivalent français, l'indemnité légale de licenciement (articles L. 1234-9, R. 1234-2, R. 1324-4 du Code du travail français), depuis le 25 septembre 2017 (décret n° 2017-1398), les taux applicables étant :

* 1/4 de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans,

* 1/3 de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.

Par ailleurs, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité est le 1/12ème de la rémunération des douze derniers mois précédant le congédiement ou, selon la formule la plus avantageuse pour l'intéressé, le tiers des trois derniers mois comme s'il avait travaillé normalement.

Les douze derniers mois sont août 2019 à juillet 2020, soit un salaire moyen de 8.797,19 euros et les trois derniers mois sont mai à juillet 2020, soit un salaire moyen de 9.201,85 euros.

Si Monsieur A. n'avait pas droit à l'indemnité de congédiement pour ne pas remplir la condition d'ancienneté, elle se calculait néanmoins de la manière suivante : 9.201,85 / ¼ x 1,75, pour arriver à un total de 4.025,81 euros. Même en retenant deux ans d'ancienneté, l'indemnité se montait à 4.600,93 euros.

Dès lors, l'argumentation de la société B. selon laquelle elle aurait commis une erreur causée par le logiciel de paie français et aurait improprement intitulé l'indemnité de congédiement est totalement dénué de fondement.

En procédant au versement spontané de l'indemnité de licenciement, l'employeur a renoncé à se prévaloir d'un motif valable et ne peut dès lors prospérer dans son argumentation.

En revanche, il n'est pas interdit à l'employeur qui exerce le droit de rompre le contrat sans motif suffisant d'énoncer des griefs, à condition que les termes de la lettre ne comportent ni termes de mépris, ni invectives, et que cette lettre ne fasse pas état de faits inexacts ou d'une interprétation malveillante de faits matériellement exacts.

En l'espèce, l'employeur a énoncé les griefs suivants dans sa lettre de licenciement :

* ambiance de travail détériorée,

* nombreuses moqueries en public,

* nombreux commentaires déplacés à l'encontre de vos collaboratrices,

* accès de colère,

* comportements inappropriés.

L'ensemble de ces faits, étayés par des exemples précis divers et variés sont dénoncés par neuf salariés dans des mails confirmant la teneur des propos relayés auprès de la hiérarchie lors d'entretiens individuels, ainsi que par huit attestations reprenant les termes précis des comportements inappropriés de Monsieur A. (la 9ème salariée ayant simplement produit une attestation nulle). Ils dénoncent en effet, sans être exhaustif, ses accès de colère, le fait d'avoir fait pleurer certaines collaboratrices, des remarques connotées envers deux collègues féminines et des moqueries envers les différences culturelles ou linguistiques de certains employés.

Tel que cela ressort des plannings, la boutique B. Monaco était composée de neuf employés et de deux cadres, dont Monsieur A. La totalité des employés de la boutique a dénoncé les agissements du directeur. La thèse de la vengeance de salariés incompétents s'effondre pas ce seul constat. Elle était en tout état de cause contredite par les pièces du dossier, Monsieur A. n'ayant fait état de reproches qu'à l'encontre d'un seul d'entre eux, Monsieur a. D., le 20 juillet 2020, soit postérieurement aux dénonciations de l'ensemble des salariés.

Les griefs énoncés dans la lettre de licenciement sont exacts et ne comportent aucun mépris ni invective. Au contraire, au regard de la gravité du comportement de Monsieur A. l'employeur a fait preuve de mesure dans les termes employés.

Si l'article 6 de la loi n° 729 octroie un droit unilatéral de résiliation, il n'instaure pas pour autant un droit discrétionnaire ou absolu. En effet, les droits et prérogatives du salarié doivent être respectés et les circonstances entourant la résiliation doivent être exemptes de tout abus (cause illicite ou illégale, détournement des dispositions d'ordre public, intention de nuire, précipitation, brutalité, légèreté blâmable).

En revanche, l'absence de motif valable n'est pas caractéristique d'un abus, simplement d'une modalité de rupture du contrat de travail prévue par la loi.

En l'espèce, aucun motif fallacieux n'a présidé à la décision de licenciement, l'employeur n'étant animé par aucune intention de nuire à son salarié et ayant pris la juste mesure face à la situation.

Concernant les circonstances de mise en oeuvre, l'employeur a pris le soin de convoquer le salarié à un entretien préalable, au cours duquel ils ont pu échanger sur la question de la rupture et ce alors que Monsieur A. a pu bénéficier de l'assistante du collègue de son choix.

Suite au recueil des explications du salarié, l'employeur a pris un temps de réflexion.

L'employeur a la faculté de dispenser son salarié de l'exécution de son préavis, à condition de le rémunérer. En optant pour cette possibilité l'employeur n'a commis aucun abus. Il a exercé son pouvoir de direction dans l'intérêt de son établissement et des salariés y exerçant.

Aucun abus ne ressort dans les circonstances de mise en oeuvre du licenciement.

Concernant les exigences de Monsieur A. (connaître le nom des dénonciateurs, confronter les images de vidéosurveillance...), elles ne reposent sur aucune disposition légale. Elles accréditent en revanche les dénonciations des salariés quant au comportement de leur directeur puisque, comme l'a justement rappelé la société B., la vidéosurveillance est un système de protection et aucunement de contrôle des salariés, ce que Monsieur A. n'a manifestement pas bien intégré.

Monsieur A. considère enfin ne pas avoir été rempli intégralement de ses droits.

Concernant la rémunération variable, il est stipulé que « pour être éligible au paiement d'une prime, le participant doit être toujours salarié et actif dans la société à la date de versement de la prime ». Monsieur A. n'étant plus actif dans la société depuis le 10 août 2020, il n'avait pas droit aux primes devant être versées en septembre de l'année N et en avril de l'année N+1. Il sera en conséquence débouté de sa demande.

Monsieur A. prétend à un préavis de trois mois en arguant d'un usage qui existerait pour les cadres. L'usage ne se présume pas et doit être prouvé par celui qui s'en prévaut. En l'espèce, Monsieur A. ne produit aucun élément pour justifier de la généralité, la constance et la fixité d'un tel avantage. Au contraire, aux termes de l'article 21 de son contrat de travail il est expressément renvoyé aux dispositions légales. Aux termes de l'article 7 de la loi n° 729 le préavis étant d'un mois pour les salariés bénéficiant d'une ancienneté comprise entre six mois et deux ans, l'employeur a fait une juste application de la loi et Monsieur A. sera débouté de sa demande.

La demande de reliquat d'indemnité de licenciement de Monsieur A. étant fondée sur une ancienneté de vingt et un mois, alors qu'elle était de dix-huit mois au moment du licenciement, est mal fondée et sera rejetée.

Si le fait d'avoir mal formulé la lettre de licenciement puis d'avoir contesté la nature de l'indemnité de licenciement est constitutif d'une faute de l'employeur, elle doit avoir causé un préjudice au salarié pour ouvrir droit à indemnisation.

En l'espèce, Monsieur A. qui fonde sa demande de dommages et intérêts sur la perte de son emploi et le préjudice à son image, ne développe aucunement le préjudice qui aurait découlé de ces erreurs.

En conséquence, il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes

Aucune indemnité de congédiement n'ayant été versée, la société B. sera déboutée de sa demande de remboursement.

La documentation sociale de Monsieur A. devra être rectifiée en tenant compte du reliquat d'indemnité de licenciement. L'employeur n'ayant fait preuve d'aucun abus il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une quelconque astreinte.

Chacune des parties succombant partiellement, elles conserveront la charge de leurs propres dépens. Dans ces conditions la demande Monsieur A. au titre des frais irrépétibles sera rejetée.

La nécessité à ce que l'exécution provisoire soit ordonnée n'étant pas caractérisée il n'y a pas lieu de l'ordonner.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Prononce la nullité de la pièce n°10 produite par la société anonyme monégasque B. ;

Rejette la demande de nullité des pièces n°3, 19 et 24 produites par la S.A.M. B. ;

Rejette la demande de Monsieur A. au titre des heures supplémentaires ;

Constate que le licenciement a été prononcé sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 ;

Constate que l'employeur a procédé au versement de l'indemnité de licenciement ;

Dit que le licenciement n'est pas abusif ;

Rejette la demande de Monsieur A. au titre de la rémunération variable ;

Rejette la demande de Monsieur A. au titre du préavis ;

Rejette la demande de Monsieur A. au titre du reliquat d'indemnité de licenciement ;

Ordonne la rectification de la documentation sociale ;

Rejette le surplus de la demande ;

Dit que le licenciement n'a pas été mis en oeuvre de manière abusive ;

Rejette la demande de dommages et intérêts de Monsieur A. ;

Rejette la demande de remboursement d'indemnité de congédiement de la S.A.M. B. ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens ;

Rejette la demande de Monsieur A. au titre des frais irrépétibles ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Composition

Ainsi jugé par Madame Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Diane GROULX et Monsieur Bernard HERNANDEZ, membres employeurs, Messieurs Benjamin NOVARETTI et Silvano VITTORIOSO, membres salariés, assistés de Madame Céline RENAULT, Secrétaire adjoint, et - en l'absence d'opposition des parties - mis à disposition au Secrétariat du Tribunal du Travail, le vingt janvier deux mille vingt-trois.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 20904
Date de la décision : 20/01/2023

Analyses

En application de l'article 1162 du Code civil, il appartient au salarié de démontrer la réalité et l'amplitude d'heures supplémentaires.Aux termes de l'article 6 de la loi n° 729 « le contrat de travail à durée indéterminée peut toujours cesser par la volonté d'une des parties ». Cette disposition offre la faculté à l'employeur de congédier un salarié sans se référer de façon implicite ou explicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci. Elle a pour corollaire l'obligation de versement de l'indemnité de licenciement conformément aux dispositions de l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, l'employeur ne s'étant pas fondé sur un motif valable. Par ailleurs, le fait pour l'employeur de s'acquitter de l'indemnité prévue par le texte implique la reconnaissance que le licenciement n'est pas fondé sur un motif valable.Aux termes de l'article 1er de la loi n° 845 du 27 juin 1968 « Tout salarié, lié par un contrat de travail à durée indéterminée et qui est licencié alors qu'il compte deux ans d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de congédiement dont le montant minimum ne pourra être inférieur à celui des indemnités de même nature versées aux salariés dans les mêmes professions, commerces et ou industries de la région économique voisine (...) ». Cette disposition légale monégasque renvoie au montant minimum légal de la région économique voisine (CR, 26 mars 1998, société E c/ I), qui est la France, si bien que l'indemnité légale de congédiement monégasque doit correspondre à son équivalent français, l'indemnité légale de licenciement (C. trav., art. L. 1234-9, R. 1234-2 et R. 1324-4), depuis le 25 septembre 2017 (D. n° 2017-1398, 25 sept. 2017), les taux applicables étant : 1/4 de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans ; 1/3 de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans. Par ailleurs, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité est le 1/12ème de la rémunération des douze derniers mois précédant le congédiement ou, selon la formule la plus avantageuse pour l'intéressé, le tiers des trois derniers mois comme s'il avait travaillé normalement.En procédant au versement spontané de l'indemnité de licenciement, l'employeur a renoncé à se prévaloir d'un motif valable et ne peut dès lors prospérer dans son argumentation.Il n'est pas interdit à l'employeur qui exerce le droit de rompre le contrat sans motif suffisant d'énoncer des griefs, à condition que les termes de la lettre ne comportent ni termes de mépris, ni invectives, et que cette lettre ne fasse pas état de faits inexacts ou d'une interprétation malveillante de faits matériellement exacts.

Contrats de travail  - Rupture du contrat de travail.

Contrat de travail - Heures supplémentaires - Preuves - Licenciement - Indemnité - Motif valable.


Parties
Demandeurs : Monsieur A.
Défendeurs : La société anonyme monégasque dénommée B.

Références :

CR, 26 mars 1998, société E c/ I
article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963
Ordonnance-loi n° 677 du 2 décembre 1959
article 1162 du Code civil
article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968
article 1er de la loi n° 845 du 27 juin 1968


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2023-01-20;20904 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award