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05/05/2022 | MONACO | N°20511

Monaco | Tribunal du travail, 5 mai 2022, M. A. c/ SAM B.


En la cause de Monsieur A., demeurant X1à MONACO ;

Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Philippe-Bernard FLAMANT, avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée B. (MONACO), dont le siège social se situe X2 à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie MARQUET, avocat près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat ;

d'autre part ;

Visa

L

E TRIBUNAL DU TRAVAIL,

 

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

 

Vu la requête introductive d'instan...

En la cause de Monsieur A., demeurant X1à MONACO ;

Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Philippe-Bernard FLAMANT, avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée B. (MONACO), dont le siège social se situe X2 à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sophie MARQUET, avocat près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat ;

d'autre part ;

Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

 

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

 

Vu la requête introductive d'instance en date du 13 décembre 2018, reçue le 14 décembre 2018 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 64-2018/2019 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 22 janvier 2019 ;

Vu les conclusions de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur au nom de Monsieur A. en date des 14 mars 2019, 13 février 2020, 21 octobre 2020 et 17 juin 2021 ;

Vu les conclusions de Maître Sophie MARQUET, avocat-défenseur au nom de la S.A.M. B. (MONACO), en date des 14 novembre 2019, 9 juillet 2020, 11 février 2021 et 14 octobre 2021 ;

Après avoir entendu Maître Philippe-Bernard FLAMANT, avocat au barreau de Nice, pour Monsieur A. et Maître Sophie MARQUET, avocat près la Cour d'appel de Monaco, pour la S.A.M. B. (MONACO), en leurs plaidoiries à l'audience du 24 février 2022 ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs

Monsieur A. a été embauché par la société anonyme monégasque B. (MONACO), par contrat à durée indéterminée le 13 décembre 2016 en qualité de Gestionnaire Clientèle Privée. Il était licencié par courrier du 26 septembre 2017 remis en main propre pour insuffisance professionnelle.

Par requête du 13 décembre 2018, reçue le 14 décembre 2018 Monsieur A. saisissait le Bureau de Conciliation du Tribunal du travail aux fins d'obtenir le paiement de :

* -        6.666,67 euros d'indemnité de licenciement (avant déduction de l'indemnité de congédiement),

* -        10.000 euros de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement,

* -        250.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel, en ce compris la perte du bonus performance,

* -        140.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral,

* le tout avec intérêts au taux légal et sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

À défaut de conciliation à l'audience du 21 janvier 2019 Monsieur A. saisissait le Bureau de Jugement.

Par conclusions des 14 mars 2019, 13 février 2020, 21 octobre 2020 et 17 juin 2021, Monsieur A. conclut à l'absence de motif valable et au caractère abusif et brutal du licenciement. Il ne reprend pas sa demande d'indemnité de licenciement. Il soutient pour l'essentiel que :

* -        la pièce n° 11 n'est pas nulle car elle permet de comprendre l'absence de lien d'alliance de l'absence de lien de parenté ; elle est complétée par une attestation mentionnant clairement l'absence de lien d'alliance,

* -        les articles 25 et 27 de la Convention Collective du Personnel des Banques n'ont pas été respectés,

* -        ils s'appliquent pourtant clairement à l'insuffisance professionnelle,

* -        pour que le licenciement soit valable il convient que l'insuffisance de résultats soit imputable à une insuffisance professionnelle ou à une carence fautive du salarié,

* -        l'employeur doit accompagner son salarié dans sa recherche de résultat et lui laisser suffisamment de temps pour devenir performant,

* -        Monsieur A. n'a jamais fait l'objet de quelque avertissement ou mise en garde de nature à établir une quelconque insuffisance professionnelle,

* -        contrairement à ce qu'elle affirme, la B. ne rapporte pas la preuve d'une quelconque mise en garde ou mesure d'accompagnement,

* -        l'employeur évoque des difficultés pour la première fois dans des courriers postérieurs au licenciement,

* -        le 3 mai 2017, son supérieur hiérarchique le félicitait d'ailleurs pour ses qualités professionnelles et son implication,

* -        ces propos ne sont nullement un encouragement, mais une reconnaissance claire et précise de ses qualités professionnelles,

* -        le 26 septembre 2017 Monsieur A. recevait avec stupéfaction un courrier de licenciement pour insuffisance professionnelle,

* -        il contestait immédiatement ce licenciement en apportant la contradiction à l'employeur,

* -        il n'a nullement reconnu la validité du motif du licenciement et a simplement fait part de son désarroi à son employeur,

* -        l'employeur fait référence dans sa lettre de licenciement à des résultats non atteints alors qu'aucune condition n'était prévue dans son contrat de travail,

* -        aucun objectif individuel précis ne lui avait été assigné,

* -        par ailleurs, sa mission ne portait pas sur des résultats immédiats mais sur sa capacité à construire l'avenir par des projets commerciaux,

* -        d'ailleurs, dans les mois suivant le licenciement des avoirs importants étaient crédités sur des comptes ouverts à l'initiative de Monsieur A.

* -        en le licenciant avec brutalité et soudaineté, la B. lui a fait perdre le bénéfice du bonus de performance à quatre jours près,

* -        le licenciement lui a fait perdre le bénéfice de sa réputation professionnelle et remet en cause la progression de sa carrière,

* -        il rencontre de grandes difficultés à retrouver un emploi,

* -        il subit une perte de revenus de 337.200 euros jusqu'à sa retraite,

* -        le licenciement lui fait perdre également le bénéfice de Cotisations Retraites et Assurance Maladie, le contraignant à contracter une Assurance Privée,

* -        le licenciement a eu des effets importants sur la santé de Monsieur A. ayant entraîné un état dépressif et aggravé des problèmes cardio-vasculaires.

Par conclusions des 14 novembre 2019, 9 juillet 2020, 11 février 2021 et 14 octobre 2021, la S.A.M. B. (MONACO), sollicite la nullité des pièces adverses nos 11 et 55 et le débouté de l'intégralité des demandes de Monsieur A. Elle fait valoir essentiellement que :

-        lors de l'embauche, il était convenu entre les parties un « business plan » établissant les performances commerciales et le développement clientèle privée attendus du salarié,

-        Monsieur A. était rapidement alerté sur son niveau de performance particulièrement bas,

-        il était mis en œuvre un suivi et des mesures destinées à pallier ses insuffisances,

-        l'insuffisance professionnelle persistait en sorte que Monsieur A. était reçu une dernière fois en entretien à ce sujet ainsi qu'à celui de l'avenir de la relation de travail,

-        le lendemain, il lui était notifié son licenciement pour insuffisance professionnelle,

-        le 29 septembre 2017, Monsieur A. écrivait à la B. pour l'avertir de son placement en arrêt de travail, sans contester aucun des termes de la lettre de licenciement,

-        la formulation de cet e-mail démontrait que Monsieur A. s'attendait à une mauvaise nouvelle et avait été averti de ses insuffisances avant son licenciement,

-        ce n'est que plusieurs jours plus tard qu'il changeait de positon et contestait le motif du licenciement et niait la situation de fait,

-        l'insuffisance professionnelle est caractérisée par le fait que Monsieur A. en huit mois d'activité, n'a ouvert que quelques comptes, générant un niveau d'actifs extrêmement faible, bien en deçà de ce qui peut être raisonnablement attendu de la part d'un Gestionnaire de Clientèle Privée cadre hors classe,

-        les dispositions de l'article 27 de la Convention Collective du Personnel des Banques n'est applicable qu'aux cas limitatifs relevant de la mauvaise volonté de l'intéressé, pour tout manquement aux règles de la discipline et pour toute faute,

-        la procédure disciplinaire n'est pas applicable aux licenciements pour insuffisance professionnelle,

-        l'article 25 de ladite Convention instaure une procédure « d'observation de la Direction » en cas d'insuffisance professionnelle, ce qui fait référence aux alertes et mesures mises en place par la B. pour tenter de pallier aux insuffisances de Monsieur A.

-        contrairement à ce qu'il affirme, il n'a pas perdu le bénéfice d'un bonus garanti à quatre jours prêts, puisque le versement était prévu au mois de mars 2018, à la condition qu'il soit toujours employé à la date de paiement mais également qu'à cette date la résiliation du contrat n'ait pas été notifiée,

-        les conséquences financières dont le demandeur fait état sont le résultat de la perte de son emploi et non d'un quelconque abus de l'employeur dans sa mise en œuvre, et ne peuvent être prises en considération en l'état de la seule contestation de la mise en œuvre du licenciement,

-        les problèmes cardiaques de Monsieur A. sont antérieurs à son licenciement, même antérieurs à son embauche,

-        le certificat médical relatif à un état dépressif important est établi par un Psychiatre qui suit Monsieur A. depuis janvier 2020, sur la base des seules affirmations de son patient,

-        en tout état de cause cette attestation est nulle pour ne pas répondre aux dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile,

-        de plus, elle ne correspond pas aux règles d'établissement des certificats médicaux de l'Ordre des Médecins et doit être écartée des débats,

-        l'indemnité de rupture perçue par Monsieur A.(41.464,44 euros) est supérieure aux indemnités légales de congédiement et licenciement, en sorte qu'il a été intégralement rempli de ses droits,

-        les sommes réclamées par Monsieur A. sont astronomiques et représentent vingt-six mois de salaire par année d'ancienneté.

 

SUR CE,

 

Sur la nullité de pièces

 

La pièce n° 11 produite par Monsieur A. est une attestation qui ne mentionne pas s'il existe ou non un lien d'alliance entre l'attestant et les parties. Elle doit en application de l'article 324 du Code civil être déclarée nulle.

La pièce n° 55 produite par Monsieur A. est un certificat médical, qui, comme son intitulé l'indique, n'est pas une attestation devant répondre aux préconisations de l'article 324 du Code de procédure civile. L'appréciation de son contenu ne peut donner lieu à une quelconque nullité et n'aura d'incidence que sur son caractère probant. Il n'y a dès lors pas lieu de prononcer la nullité de cette pièce.

Sur la procédure préalable au licenciement

 

Monsieur A. conteste la validité de son licenciement au motif que les dispositions des articles 25 et 27 de la Convention Collective du Travail du Personnel des Banques, c'est-à-dire la procédure disciplinaire conventionnelle, n'auraient pas été respectées.

Or, les dispositions relatives aux sanctions disciplinaires, au rang desquelles la plus grave est la révocation, ne sont pas applicables à l'insuffisance professionnelle.

Si l'article 25 alinéas 1 et 2 régit les obligations de l'employeur en cas d'insuffisance de travail ou d'insuffisance professionnelle, les alinéas 3 et 4 ne réservent la possibilité de sanction disciplinaire qu'à l'insuffisance de travail résultant de la mauvaise volonté de l'intéressé, aux manquements aux règles de la discipline et pour toute faute.

Aux termes de l'article 32 de ladite Convention Collective, les motifs de licenciements sont, indépendamment de l'application des dispositions relatives aux sanctions disciplinaires, notamment l'insuffisance résultant d'une incapacité physique, intellectuelle ou professionnelle.

En l'espèce, le salarié ne s'est pas vu reprocher une insuffisance de travail, des manquements à la discipline ou des fautes professionnelles de sorte que la procédure disciplinaire n'avait pas à être mise en œuvre et que le licenciement est régulier de ce chef. En conséquence, sa demande de dommages et intérêts doit être rejetée.

 

Sur le motif du licenciement

 

Monsieur A. a été licencié par lettre du 26 septembre 2017 pour les motifs suivants :

* -        « à l'occasion de votre embauche et lors des différents échanges ayant conduit à celle-ci, nous avons évoqué ensemble, au regard de votre profil et de vos conditions d'emploi, un » business plan « devant permettre de mesurer vos performances et de fixer un objectif de développement de clientèle privée »,

* -        « constatant que vous ne parveniez pas à atteindre le niveau requis au poste que vous occupez, nous vous avons reçu afin de vous alerter une première fois sur le niveau insuffisant de vos performances professionnelles »,

* -        « la B. a rapidement mis en œuvre plusieurs mesures de soutien et d'adaptation à votre travail, face aux difficultés rencontrées et dans le but de vous aider à rétablir la situation (...)  »,

* -        « près de cinq mois se sont écoulés depuis la mise en place de ces mesures, et nous ne constatons toujours aucune amélioration de vos résultats, qui restent en deçà des performances que notre établissement peut légitimement attendre compte tenu de votre profil, pour le poste que vous occupez »,

* -        « (...) vous ne pouvez-vous prévaloir à ce jour que d'une collecte nette d'actifs extrêmement faible, et en tout cas, sans rapport avec les perspectives de développement qui ont justifié l'ouverture de votre poste »,

* -        « (...) au terme du huitième mois consécutif à votre entrée dans nos effectifs, il est malheureusement établi que vous n'êtes pas parvenu à assurer le développement et le niveau de performance attendu pour le poste que vous occupez au regard notamment de votre profil et de vos conditions d'embauche (...) »,

* -« nous sommes désormais contraints de vous notifier la rupture de votre contrat de travail pour insuffisance professionnelle (...) ».

Il appartient à l'employeur d'établir la réalité et la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de licenciement.

Pour constituer une cause de licenciement, l'insuffisance professionnelle doit en effet être caractérisée par des faits objectifs et matériellement vérifiables. Elle est constituée par l'inaptitude du salarié à exercer sa prestation de travail dans des conditions que l'employeur pouvait légitimement attendre en application du contrat de travail.

En l'espèce, le contrat de travail du 13 décembre 2016 n'a fixé aucun objectif au salarié, ni repris le « business plan » qui aurait été évoqué entre les parties. Pour autant, Monsieur A. a été embauché en qualité de « Gestionnaire, clientèle privée, cadre Hors classe », de sorte que la B. pouvait légitimement attendre un développement commercial significatif au regard de la qualification professionnelle du salarié et de son niveau de rémunération.

La B. soutient que les performances du salarié étaient extrêmement faibles. Elle les quantifie, dans ses conclusions, à 5 millions d'euros, alors qu'elle attendait un minimum de 150 millions.

Elle ne produit toutefois aucun élément sur les résultats de Monsieur A. Elle ne produit pas non plus d'éléments relatifs aux « attentes légitimes » vis-à-vis d'un salarié placé dans une situation identique à la sienne.

Le fait que ce montant ne soit pas contesté formellement par le demandeur ne dédouane pas la B. sur laquelle la charge de la preuve repose, de soumettre à l'appréciation du Tribunal les éléments à même de lui permettre de vérifier si l'incompétence alléguée était bien caractérisée et si elle pouvait constituer un juste motif de licenciement.

En outre, aux termes de l'article 25 de la Convention Collective du Travail des Personnels de B. « toute insuffisance professionnelle donne lieu à une observation de la Direction. Si l'insuffisance persiste, la Direction en recherche la cause. Si cette insuffisance résulte d'une mauvaise adaptation de l'intéressé à ses fonctions, la Direction recherche le moyen de lui confier un travail qui réponde mieux à ses capacités ».

En l'espèce, la B. évoque dans ses échanges relatifs au licenciement avec le salarié un certain nombre d'alertes et de mesures qui auraient été mises en œuvre.

Or, elle n'apporte la preuve d'aucune remarque, proposition, conseil ou autre élément permettant de démontrer, d'une part, qu'elle ait signalé à son salarié que son niveau professionnel était insuffisant et, d'autre part, qu'elle aurait essayé de l'accompagner dans une perspective d'amélioration.

Le seul élément antérieur au licenciement est constitué par le fameux mail du supérieur hiérarchique du 3 mai 2017 qui, à supposer qu'il s'agisse d'un encouragement et non d'une félicitation, ne constitue pas une observation de la Direction au sens de l'article 25 de la Convention précitée, ni une recherche de cause ou de moyen.

L'employeur, qui ne rapporte pas la preuve qu'au cours des huit mois de relation de travail, elle ait pu déplorer une insuffisance professionnelle de son salarié, ne rapporte pas plus la preuve qu'elle était caractérisée au moment du licenciement. Il ne démontre en outre pas avoir respecté les obligations de l'article 25 de la Convention Collective.

En conséquence, le motif du licenciement n'était pas justifié.

Sur le caractère abusif du licenciement

 

Toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts, en application de l'article 13 de la loi n° 729, pour autant que le salarié rapporte la preuve de l'abus commis par l'employeur dans son droit de résiliation et du préjudice qui en est résulté.

Constitue un licenciement abusif, le licenciement prononcé pour un motif fallacieux ou celui mis en œuvre dans des conditions de précipitation, de brutalité ou de légèreté abusives.

Le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué, conjugué à la volonté de tromperie et de nuisance au salarié. En l'espèce, s'il est établi que le licenciement n'est pas fondé sur un motif valable, il n'est aucunement établi, ni même soutenu, qu'autre motif caché aurait présidé à la décision de l'employeur. En effet, Monsieur A. ne démontre pas que le licenciement serait intervenu pour une autre cause que celle visée dans la lettre de licenciement.

Dans ces circonstances, la décision de rupture n'est pas fondée sur un motif fallacieux et ne présente donc pas en elle-même un caractère fautif. Ainsi, le préjudice matériel et financier résultant du licenciement ne peut être indemnisé. En effet, les difficultés financières dont Monsieur A. fait état sont le résultat du licenciement, dont les conséquences de l'absence de validité de motif sont indemnisées par l'allocation d'une indemnité de licenciement aux termes de l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968. En l'espèce, l'indemnité conventionnelle versée à Monsieur A. étant supérieure à l'indemnité de licenciement, elle ne lui a pas été versée et il a d'ailleurs abandonné cette prétention, mais son préjudice matériel a déjà été pris en charge.

Au sujet du préjudice financier, il peut être précisé que la perte du bonus performance n'est pas intervenue à quatre jours prêts, comme le soutient le demandeur. En effet son versement est, aux termes de l'article 5 du contrat du travail, doublement conditionné au fait que le salarié soit toujours employé à la date du paiement (mars) mais également qu'à cette même date la résiliation du contrat de travail n'ait pas été notifiée quelle que soit la cause et l'auteur de la résiliation. Dès lors, seul un licenciement postérieur au mois de février 2018 aurait permis à Monsieur A.de percevoir ce bonus et il ne peut être reproché à l'employeur de s'être précipité pour se décharger du paiement du bonus.

Si à ce titre les conditions ayant entouré la mise en œuvre du licenciement ne sont pas abusives, il convient d'en apprécier les autres.

Monsieur A. a été convoqué pour un entretien préalable s'étant déroulé le 25 septembre 2017, à l'issue duquel l'employeur a notifié le licenciement par lettre du 26 septembre.

Il a été préalablement développé que, contrairement à ce qu'elle affirme, la B.ne démontre nullement avoir averti ou accompagné Monsieur A. dans ses compétences professionnelles. Au regard des pièces produites au débat, il a, après huit mois de fonctions sans remarque, fait l'objet d'un licenciement immédiat.

En ne cherchant pas des mesures d'accompagnement pour pallier aux récriminations faites pour la première fois le 25 septembre 2017 auprès d'un salarié qui ne pouvait s'attendre à une telle décision, la B. a fait preuve de précipitation et de brutalité dans la mise en œuvre du licenciement. Elle a également fait preuve de légèreté blâmable en ne mettant pas en œuvre les dispositions d'accompagnement prévues par l'article 25 de la Convention Collective du Travail des Personnels de B.

Il en résulte que Monsieur A. a nécessairement supporté un préjudice moral du fait de la situation générée par cette rupture exercée avec légèreté et brutalité.

Au titre de l'évaluation de son préjudice doivent être retenus son âge au moment de la rupture (54 ans) et son ancienneté (8 mois). Son expérience professionnelle auprès d'autres employeurs n'a pas à être retenue, la B. B. n'en étant pas responsable et Monsieur A. ayant volontairement pris la décision de rompre une ancienneté importante auprès d'une autre B. pour commencer un nouveau contrat avec les risques que cela implique.

Les conséquences psychologiques du licenciement sur le salarié sont en revanche un élément d'appréciation. Sans qu'il ne soit besoin de s'attarder sur l'objectivité de la rédaction du certificat médical du Docteur RICCIARDI, il n'en demeure pas moins que, dès le 29 septembre 2017, Monsieur A. s'est vu prescrire un arrêt maladie. Il expliquait en effet ne plus dormir et ne pas avoir la force de reprendre le travail. Le choc émotionnel provoqué par l'annonce du licenciement est dès lors établi.

Pour l'ensemble de ces raisons, le préjudice moral sera équitablement réparé par l'allocation à Monsieur A. d'une somme de 40.000 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compte de la présente décision.

La défenderesse succombant dans ses prétentions, elle sera condamnée aux dépens.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

 

Prononce la nullité de la pièce n° 11 produite par Monsieur A. ;

Rejette la demande de nullité de la pièce n° 55 produite par Monsieur A. ;

Dit que le licenciement de Monsieur A.ne repose pas sur un motif valable ;

Dit que licenciement de Monsieur A. revêt un caractère abusif ;

Condamne la société anonyme monégasque B. (MONACO) à payer à Monsieur A. la somme de 40.000 euros (quarante mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

Déboute Monsieur A. du surplus de ses demandes ;

Rejette le surplus des demandes de la société anonyme monégasque B. J. B B. (MONACO) ;

Condamne la S.A.M. B. (MONACO) aux entiers dépens de l'instance ;

Composition

Ainsi jugé par Mademoiselle Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Francis GRIFFIN et Jean-François RIEHL, membres employeurs, Messieurs Fabrizio RIDOLFI et Karim TABCHICHE, membres salariés, et lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique au Palais de Justice, le cinq mai deux mille vingt-deux, par Mademoiselle Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Francis GRIFFIN, Jean-François RIEHL, Fabrizio RIDOLFI et Karim TABCHICHE, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 20511
Date de la décision : 05/05/2022

Analyses

En application de l'article 13 de la loi n° 729 concernant le contrat de travail : « Toute rupture abusive d'un contrat de travail peut donner lieu à des dommages-intérêts qui seront fixés par le juge à défaut d'accord des parties. Le jugement devra mentionner expressément le motif allégué par la partie qui aura rompu le contrat ».M. A. a été embauché en contrat à durée indéterminé par la Société Anonyme Monégasque B. en qualité de gestionnaire de clientèle privé puis licencié pour insuffisance professionnelle. Il saisit le Tribunal du Travail pour contester le caractère abusif et brutal de son licenciement. S'agissant des attestations produites par le requérant, la pièce n°11 présentée ne correspond pas aux exigences de l'article 324 du Code de procédure civile qui doit notamment : « mentionner les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur, ainsi que l'existence ou l'absence de liens de parenté, d'alliance, de subordination ou d'intérêt avec les parties », elle est donc déclarée nulle par le Tribunal. Quant à la pièce n° 55, il s'agit d'un certificat médical qui n'est pas au nombre des attestations devant répondre aux exigences posées par le Code de procédure civile et le Tribunal en rejette donc la nullité.S'agissant du fond, il revient à l'employeur de rapporter la preuve de l'insuffisance professionnelle, ce qui ne peut être établi par l'employeur. En effet, les échanges relatifs au licenciement de M. A. ne permettent pas de démontrer d'une part qu'une remarque ou un conseil lui ait été signalé à propos de son insuffisance, que la preuve celle-ci n'a pas été caractérisée et, d'autre part, il n'est pas rapporté que l'entreprise aurait essayé de l'accompagner dans une perspective d'amélioration. Le Tribunal considère donc comme injustifié le motif du licenciement. De plus, le licenciement est considéré comme abusif dans la mesure où il a été mis en œuvre dans des conditions de brutalité et de légèreté, ce qui constitue un préjudice moral du fait de l'âge de M.A. et des conséquences psychologiques qui en ont découlé. Le Tribunal condamne l'employeur à payer à M. A. la somme de 40.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.

Contrats de travail  - Rupture du contrat de travail.

Contrat de travail - Contrat à durée indéterminée - Licenciement - Insuffisance professionnelle - Motif valable (non) - Rupture abusive (oui) - Dommages et intérêts - Préjudice moral (oui).


Parties
Demandeurs : M. A.
Défendeurs : SAM B.

Références :

article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968
article 324 du Code de procédure civile
Code de procédure civile
article 324 du Code civil


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2022-05-05;20511 ?

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