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01/04/2022 | MONACO | N°20426

Monaco | Tribunal du travail, 1 avril 2022, M. A. c/ SAM B.


En la cause de Monsieur A., demeurant X1à NICE (06000) ;

Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée B., dont le siège social se situe X2à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Thomas BREZZO, avocat près la mêm

e Cour ;

d'autre part ;

Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

 

Après en avoir délibéré conformément à la ...

En la cause de Monsieur A., demeurant X1à NICE (06000) ;

Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

La société anonyme monégasque dénommée B., dont le siège social se situe X2à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substitué et plaidant par Maître Thomas BREZZO, avocat près la même Cour ;

d'autre part ;

Visa

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

 

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

 

Vu la requête introductive d'instance en date du 19 octobre 2018, reçue le 24 octobre 2018 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 45-2018/2019 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 11 décembre 2018 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de Monsieur A. en date des 9 mai 2019, 13 février 2020, 21 octobre 2020 reçues le 23 octobre 2020 et 8 avril 2021 ;

Vu les conclusions de Maître Thomas GIACCARDI, avocat-défenseur au nom de la S.A.M. B. en date des 14 novembre 2019, 15 juin 2020 reçues le 17 juin 2020, 11 février 2021 et 17 juin 2021 ;

Après avoir entendu Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice, pour Monsieur A. et Maître Thomas BREZZO, avocat près la Cour d'appel de Monaco, pour la S.A.M. B. en leurs plaidoiries à l'audience du 20 janvier 2022 ;

Vu les pièces du dossier ;

Motifs

Monsieur A. a été embauché le 26 février 1996 par la société anonyme monégasque C. puis par la S.A.M. C D. devenue S.A.M. B. en contrat à durée indéterminée, en dernier lieu en qualité de Directeur du Programme E.

Il était licencié au visa de l'article 6 de la loi n° 679 par courriel du 21 décembre 2017 le dispensant d'exécution de son préavis.

Le 19 octobre 2018 il saisissait le Tribunal du travail. À défaut de conciliation, il saisissait le Bureau de Jugement aux fins de voir :

 

* -        dire et juger que le contrat de travail n'a pas été exécuté de manière loyale,

* -        dire et juger que le licenciement revêt un caractère abusif,

* -        dommages et intérêts : 1.000.000 euros,

* -        17.000 euros bruts à titre de la part variable liée aux résultats de 2017, outre les congés payés y afférents à hauteur de 1.700 euros bruts et l'indemnité de licenciement à régulariser afin d'inclure ces sommes dans l'assiette,

* -        exécution provisoire du jugement,

* -        frais et dépens,

* -        intérêts au taux légal.

 

Par conclusions des 9 mai 2019, 13 février 2020, 23 octobre 2020 et 8 avril 2021, ainsi qu'à l'audience de plaidoirie, Monsieur A. sollicite avant-dire-droit qu'il soit fait injonction à la S.A.M. B.de communiquer le contrat de travail et la fiche de poste de Monsieur F. Au fond, il fait valoir pour l'essentiel que :

 

Sur le licenciement :

* -        le licenciement est abusif tant dans sa décision que dans sa mise en œuvre,

* -        le refus de l'employeur de motiver le licenciement malgré plusieurs demandes fait obstacle à ce que le Tribunal puisse vérifier que le licenciement ne se fonde pas sur une cause illicite, illégale ou détournant des dispositions d'ordre public, ce qui est contraire aux engagements internationaux souscrits par la Principauté de Monaco,

* -        le licenciement n'est pas fondé sur un motif personnel non contraire à l'ordre public, mais dissimule en réalité un licenciement économique et prend en considération l'âge et l'état de santé de Monsieur A.

* -        la qualité du travail et des appréciations de Monsieur A. démontre que seul un motif contraire à l'ordre public a pu conduire au licenciement,

* -        le 3 octobre 2017, le poste de Monsieur A. a été redimensionné et il ne lui a pas été proposé à l'issue de son arrêt de travail,

* -        suite à son départ, l'entreprise a été réorganisée et le successeur de Monsieur A. Monsieur F. ne s'est pas vu confier la totalité des tâches préalablement assumées,

* -        le nouvel organigramme, contesté sur la forme mais pas sur le fond, démontre cette réorganisation intervenue concomitamment avec la rupture du contrat de travail,

* -        à supposer que l'organigramme n'ait pas une force probante suffisante, il convient d'enjoindre à l'employeur de présenter l'organisation mise en place et la répartition des tâches entre les équipes, ainsi que le contrat de travail et la fiche de poste de Monsieur F.

* -        le poste, tel qu'occupé auparavant, ayant été supprimé au profit d'un nouveau poste au périmètre plus restreint, la rupture procède d'un licenciement pour une motivation économique, peu important que les tâches, elles, persistent dans l'entreprise,

* -        le licenciement ne pouvait intervenir alors que le contrat de travail était toujours suspendu depuis son arrêt de travail du 16 septembre, en effet, l'employeur a organisé une visite de reprise le 24 novembre 2017 à 11 heures 11 alors que l'arrêt était toujours en cours et le Médecin a émis un avis d'aptitude « à l'essai », ce qui ne permet pas de qualifier la visite comme ayant été de reprise,

* -        la date du contrat de travail de Monsieur F. démontrerait que la décision de licenciement était liée à l'état de santé de Monsieur A.

* -        la notification du licenciement est nulle pour avoir été adressée de manière précipitée par courriel et non signée par un représentant pourvu de l'autorité et du pouvoir nécessaire, Monsieur G. n'appartenant ni au personnel ni aux mandataires sociaux de la S.A.M. B.et Madame H. Responsable des Ressources Humaines, signant pour ordre de ce dernier,

* -        en outre, Monsieur G. a indiqué que ce n'était pas lui qui intervenait dans la procédure menée à l'encontre de Monsieur A.

* -        alors qu'il était en arrêt maladie jusqu'au 24 novembre 2017, puis en congés payés et ne devait reprendre le travail que le lundi 4 décembre 2017, Monsieur I. sollicitait une entrevue et insistait pour qu'ils se rencontrent dans un café à Nice le matin du 4 décembre,

* -        alors qu'une discussion au sujet de la réorganisation de son département était engagée par Monsieur A. Monsieur I. lui remettait une convocation à un entretien préalable prévu pour le 13 décembre 2017, avec dispense de présence jusqu'à l'entretien,

* -        l'insistance de Monsieur I. à se rencontrer dans un café à Nice visait à empêcher Monsieur A.de retourner sur son lieu de travail,

* -        le 13 décembre 2017 c'était à nouveau dans un café à Nice que, sur insistance de Monsieur I. Monsieur A. était reçu, et qu'il lui était annoncé que son licenciement était programmé,

* -        cet échange ne peut être considéré comme un entretien préalable, compte tenu de sa forme ; il a été mené par un simple Chargé des Ressources Humaines, dépourvu de tout pouvoir de licencier, de manière informelle, ne lui permettant pas d'échanger avec son employeur et de faire part de ses observations,

* -        par réponse de courriel, Monsieur I. lui confirmait qu'il demeurait dispensé d'activité dans l'attente d'un entretien suivant,

* -        or, aucun entretien n'aura lieu,

* -        pour autant, le 21 décembre il n'avait toujours pas de nouvelle et s'enquérait de la situation ; il était alors informé de son licenciement par retour de courriel, une lettre recommandée ayant suivi,

* -        en réalité, la décision de le licencier était prise bien avant le simulacre de premier entretien, l'employeur l'ayant déjà exclu de la liste des invités à la soirée de Noël du 21 décembre 2017, adressée tous les autres employés le 12 décembre,

* -        l'employeur lui confirmait d'ailleurs que sa présence n'était pas souhaitée et ce alors qu'il appartenait toujours au personnel et comptait près de vingt-deux ans d'ancienneté,

* -        en outre, son successeur a été embauché dès le 8 janvier 2018, alors qu'il était employé dans une autre entreprise jusqu'en décembre 2017, ce qui démontre que la décision avait été prise bien avant compte tenu des délais nécessaires,

* -        les circonstances entourant la rupture traduisent l'abus,

* -        en effet, Monsieur A. a été mis à l'écart de l'entreprise sans justification dès le 4 décembre 2017, date à laquelle il a été dispensé de présence,

* -        il a été contacté avec insistance pendant sa maladie puis ses congés,

* -        il a attendu en vain un second entretien, annoncé, lui faisant espérer une solution favorable,

* -        son licenciement lui a été annoncé par courriel, trois jours avant Noël,

* -        il a été exclu du dîner de Noël,

 

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail :

* -        les conditions de travail se sont dégradées, conduisant Monsieur A. à un burn out et son premier arrêt de travail en vingt-deux ans de carrière,

* -        la charge de travail, la fréquence des déplacements et la pression constante sont à l'origine de son épuisement,

* -        Monsieur A. a alerté son employeur qui a refusé de prendre les mesures nécessaires,

* -        à compter de 2012 il a dû encadrer trente-trois Collaborateurs, puis dix-huit à compter des réaménagements de 2014, dont un seul se trouvait à Monaco ; il devait ainsi voyager très fréquemment et se rendre disponible nuit et jour compte tenu des décalages horaires,

* -        lors de ses congés aucune solution de suppléance n'était proposée et il devait traiter des dizaines de courriels par jour, même les week-ends, et participer à des réunions, et cela sur sollicitation de sa hiérarchie,

* -        lors de son entretien du 4 avril 2017 il a alerté son employeur sur la charge de travail et sollicitait des renforts,

* -        deux salariés ayant fait un burn out, il a dû récupérer leur charge de travail jusqu'à lui-même s'épuiser,

* -        alors que l'employeur prétend ne pas avoir pu réorganiser la société compte tenu de sa taille en quelques semaines, elle a néanmoins pu le faire dès le 3 octobre 2017, soit deux semaines après l'arrêt de travail de Monsieur A.

* -        cela laisse à penser que la société B. l'a délibérément poussé à bout, et n'a pris la décision de l'alléger que pour le confier à un nouveau Directeur, Monsieur F. qui n'a d'ailleurs pas conservé son poste et l'a quitté au début de l'année 2020,

* -        Monsieur A. subit un préjudice conséquent,

* -        la seule perte de revenus compte tenu des périodes de chômage est de l'ordre de 50.000 euros par an, outre l'impact sur sa pension de retraite,

* -        âgé de cinquante-cinq ans et compétent dans un domaine spécifique peu implanté localement, il a dû élargir son périmètre de recherche d'emploi,

* -        il a accepté une offre d'emploi à Dieppe à compter du 22 octobre 2018 et se trouve privé de sa famille jusqu'en novembre 2019, date à laquelle il a été licencié,

* -        sa seule solution de reprise d'activité à proximité de sa famille demeure un projet de reprise d'entreprise locale compte tenu de son âge et du contexte économique,

* -        ses recherches sont particulièrement sérieuses et les évaluations qu'il a faites de ses possibilités de reprises sont documentées,

 

Sur les autres demandes financières :

* -        l'employeur n'a pas versé à Monsieur A.sa rémunération variable pour l'année 2017, représentant 19 de sa rémunération variable, soit 18.133,89 euros, qu'il limite à 17.000 euros, somme soumise au préliminaire de conciliation,

* -        cette rémunération est due compte tenu de son travail effectif au cours de l'année 2017, et ce peu important qu'il n'ait pas été présent dans l'entreprise au 31 mars de l'année suivante,

* -        la rémunération variable n'est pas pondérée par la performance individuelle de chaque salarié, ce d'autant que Monsieur A. a rempli ses objectifs et que son employeur s'est dispensé d'organiser son évaluation,

* -        les congés payés afférents à cette rémunération doivent être régularisés,

* -        ainsi que le calcul de l'indemnité de licenciement.

Par conclusions des 14 novembre 2019, 17 juin 2020, 11 février 2021 et 17 juin 2021 ainsi qu'à l'audience de plaidoirie la S.A.M. B. sollicite le rejet de l'intégralité des demandes de Monsieur A.et sa condamnation aux entiers dépens. Elle soutient pour l'essentiel que :

 

Sur le licenciement :

* -        l'absence d'évocation de motif de licenciement est légitime et se fonde sur les dispositions de l'article 6 de la loi n° 729,

* -        Monsieur A. sur lequel la charge de la preuve repose, ne procède à aucune démonstration et se contente de se fonder sur la longévité de sa carrière et ses dernières évaluations professionnelles,

* -        or, contrairement à ce qu'il affirme, ses évaluations de 2015 à 2017 démontraient que des points étaient à améliorer,

* -        aucun licenciement économique n'est dissimulé,

* -        l'organigramme du 3 octobre prévoyait Monsieur A. à la tête du nouveau département créé suite à la réorganisation de l'entreprise,

* -        le poste de Monsieur A. n'a pas été supprimé ensuite du licenciement, un successeur ayant été recruté sur le même poste de Directeur de Programmes E. le 8 janvier 2018,

* -        l'organigramme produit n'a aucune valeur probante et ne démontre pas de suppression de poste,

* -        de plus, la répartition des tâches d'un salarié licencié entre plusieurs autres salariés n'est pas une suppression de poste, mais démontre la persistance de ses fonctions dans l'entreprise,

* -        le licenciement n'est pas fondé sur une cause illégale ou illicite,

* -        la décision de licenciement n'était pas fondée sur l'état de santé du salarié, qui, à l'issue de son arrêt de travail, a été déclaré apte par le Médecin du Travail,

* -        son contrat de travail n'était pas suspendu au moment du licenciement, les dispositions d'une loi postérieure n'étant pas applicables, et la visite de reprise devait avoir lieu avant toute reprise d'activité,

* -        le signataire de la lettre de licenciement était bien le Directeur des Ressources Humaines du groupe C. qualité que Monsieur A. lui a toujours reconnu, et ressort d'ailleurs de l'organigramme dont il se prévaut,

* -        Madame H. Responsable des Ressources Humaines, tire de sa fonction le pouvoir de procéder aux embauches et aux licenciements et disposait de la délégation du pouvoir de licencier,

* -        la remise d'une convocation à un entretien préalable a été faite dans des circonstances informelles compte tenu des relations professionnelles entretenues entre Monsieur I. et Monsieur A.

* -        l'entretien était initialement fixé dans les locaux de l'entreprise,

* -        s'il s'est déroulé hors des locaux, c'était d'un commun accord,

* -        aucune intention de nuisance n'existait,

* -        l'entretien préalable n'est pas une obligation légale,

* -        il a néanmoins bien été mené par le Responsable des Ressources Humaines qui tenait de la nature de ses fonctions le pouvoir de mener un tel entretien,

* -        l'absence d'invitation au repas de Noël n'était pas une mesure vexatoire, mais paraissait préférable compte tenu de son avenir incertain dans l'entreprise,

* -        Monsieur A. sur lequel la charge de la preuve repose, ne démontre pas que son successeur avait été recruté avant son licenciement,

 

Sur l'exécution du contrat de travail :

* -        Monsieur A. occupait un poste à Responsabilité nécessitant des déplacements fréquents et impliquant une grande charge de travail,

* -        l'employeur a toujours pris la mesure de ce poste et a réduit de moitié le nombre des Collaborateurs qu'il avait sous sa responsabilité en 2014,

* -        au cours de l'évaluation de 2015 il s'est déclaré satisfait de la nouvelle organisation et en 2016 il n'a formulé aucune récrimination,

* -        lors de l'alerte d'avril 2017 l'employeur considérait que Monsieur A. devait s'organiser et faire des progrès sur la concision, l'anticipation, la gestion des priorités et le respect des consignes,

* -        au cours de l'été 2017 Monsieur A. a pris seul la décision de continuer à gérer ses courriels pendant ses congés, sans prendre en compte les observations qui lui étaient faites sur la manière qu'il avait de s'organiser et sans laisser cette tâche à ses Collaborateurs,

* -        à de très rares occasions il a géré une demande de déplacement ou attribué les tâches à ses subordonnés, sans qu'il ne lui soit demandé de fournir un quelconque travail de fond,

* -        l'employeur n'avait pas attendu les propositions de Monsieur A. du 23 novembre, pour prendre des mesures et réduire la charge de travail, puisque dans la présentation du 3 octobre le périmètre de son poste avait déjà été allégé,

* -        la réorganisation d'une société d'une taille aussi importante nécessite un délai important pour prévoir une action concrète et viable,

* -        cette réorganisation n'a pu se faire dans le laps de deux semaines écoulées depuis son arrêt maladie, ce qui démontre que la S.A.M. B. y réfléchissait depuis plusieurs mois,

 

Sur les demandes :

* -        Monsieur A. prétend être dans l'obligation de racheter une entreprise de deux millions d'euros pour maintenir son niveau de vie et justifier le montant de son préjudice, alors qu'il se fonde sur des calculs indicatifs et variables,

* -        le projet d'achat pour lequel il a formulé une offre représentait d'ailleurs 27.000 euros,

* -        la réparation du préjudice ne peut pas permettre une plus-value injustifiée du fait de l'acquisition d'une société,

* -        la perte de revenus n'est pas liée à son licenciement, mais à son refus de déménagement l'ayant fait perdre son emploi en novembre 2019,

* -        concernant la rémunération variable elle est pondérée par la performance individuelle de chaque salarié et conditionnée à la présence du salarié dans les effectifs du groupe au 31 mars de l'année suivant l'exercice concerné, ce qui n'était pas le cas de Monsieur A. dont le préavis a pris fin le 22 mars 2018.

 

SUR CE,

 

Sur les conditions d'exécution du contrat de travail

 

En application de l'article 989 du Code civil, l'employeur doit exécuter le contrat de travail de bonne foi et veiller à fournir à ses salariés des conditions de travail permettant une bonne exécution de celui-ci.

En l'espèce, Monsieur A. reproche à son employeur de lui avoir imposé un rythme de travail insoutenable, ayant conduit au déclenchement d'un syndrome anxio-dépressif.

Au moment des faits, Monsieur A. était Directeur des Programmes E. avec sous sa responsabilité dix-sept collaborateurs, selon l'organigramme arrêté au 11 avril 2017.

Le 23 novembre 2017, il a adressé un mail à sa Direction intitulé « analyse des causes de défaillance et propositions d'organisation ». Il y relatait les éléments suivants :

* -   « j'ai réfléchi aux problèmes d'organisation et de structuration de mon équipe qui, d'une part, nuisent à son efficacité et qui sont, d'autre part, à l'origine d'une surcharge de travail ayant pour conséquence un épuisement tant physique que psychique sur chacun de ses membres »,

* -        « l'organisation mise en place en 2012 pour le management des projets de la Business Unit E.Toyota-Fiat prévoyait que j'avais la responsabilité directe de l'ensemble de ce périmètre soit 29 personnes réparties entre Monaco, la France, la Turquie, l'Italie et le Japon »,

* -   « ce périmètre est même monté à 33 collaborateurs directs en mars 2013 par évolution d'organisation et aussi par l'intégration de l'Inde au périmètre »,

* -        « fort heureusement il est rapidement apparu que l'étendue de ce périmètre rendait l'exécution de la tâche absolument impossible »,

* -        « en conséquence, il fut finalement décidé de répartir différemment les projets et que je me dédie au seul périmètre de l'alliance E.»,

* -        « notre surcharge structurelle a déjà été à l'origine du burn out de deux de mes collaborateurs, à Lens. J'ai d'ailleurs dû les suppléer du fait de leurs arrêts maladie. Et je constate que d'autres collaborateurs sont sur le point de craquer eux aussi. »,

* -        «  heureusement que nous sommes parvenus à faire revenir deux anciens collaborateurs à Lens »,

* -        « ce problème est récurrent et présente de nombreux risques qui ne peuvent être ignorés. Il est donc de ma responsabilité, en tant que Manager, de vous en avertir »,

* -        « Je suis moi-même en arrêt de travail depuis mi-septembre 2017, en raison d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel du fait de mes conditions et de ma surcharge de travail »,

* -        « comme je vous le précisais, je ne suis pas le seul dans cette situation. »,

* -        « En effet, nous avons d'ailleurs pu constater la défaillance de M. J. en 2016 qui a fait l'objet d'une véritable cabale alors qu'il s'agissait avant tout d'un problème de charge (depuis son poste a été doublé) »,

* -        « Nous avons subi, de plus, la défaillance de K. absent plusieurs mois à partir de début juillet 2017 et qui a fait l'objet d'attaques verbales très rudes (...). »,

* -        « J'ai moi-même été l'objet, à de multiples reprises, de ces remarques assassines »,

* -        « Comme précédemment évoqué, ces problèmes d'organisation et de suractivité créent un risque sur la santé de mes collaborateurs et sur la mienne également »,

* -        « Pour mémoire, je vous rappelle que j'assure le traitement de plus de cinquante dossiers en cours. »,

* -        « Par ailleurs, mon activité déborde très largement et depuis longtemps sur mes week-end et mes congés (dossier BR10 pendant mes congés d'été 2016, dossier BJA pendant mes congés d'été 2017). »,

* -        « En effet, ne disposant de personne à qui il est possible de déléguer mes tâches et en l'absence de toute suppléance, je me trouve contraint de traiter, pendant mes temps de repos mes courriels nécessitant une action de ma part, 70 courriels en moyenne par jour ! Il en est de même concernant les appels téléphoniques et sms. »,

* -        « De plus, compte tenu du nombre de mes collaborateurs directs et de leur positionnement géographique éclaté, mes déplacements sont extrêmement fréquents. »,

* -        « L'accroissement de ma charge de travail et de celle de mon équipe a été forte en 2016 mais celle-ci a même encore augmentée en 2017. Jusqu'à ce qu'on me demande le 08 septembre dernier d'aller suppléer K. lui-même défaillant et en surcharge de travail et que la Direction Générale du groupe déclare dans cette même réunion vouloir me » sortir «. »,

* -        « Sur la base de ces éléments, vous conviendrez qu'il faille remédier à la situation au plus vite ».

L'analyse de ce mail fait apparaître que Monsieur A. fixe l'accroissement de sa charge de travail en 2016, avec encore une augmentation en 2017.

Il déplore également avoir dû travailler pendant ses congés d'été 2016 et 2017. Au sujet de cette dernière année et sans entrer de manière exhaustive dans le détail des centaines de pages constituées par sa pièce n° 33, il a effectivement été sollicité de manière importante entre le 30 juillet et le 19 août, à toutes heures, sur sollicitations tant de ses équipes que de sa hiérarchie et des réunions se sont tenues les dimanche 30 juillet, vendredi 4 août, mardi 8 août, vendredi et samedi 11 et 12 août et jeudi 17 août.

Les éléments factuels relatifs aux défaillances humaines dans l'équipe ne sont pas contredits par l'employeur, qui ne conteste pas que Monsieur A. ait dû pallier à l'absence de Collaborateurs, Monsieur J. en 2016 et Monsieur K.de juillet à septembre 2017.

Afin d'apprécier si l'employeur a commis une faute dans l'exécution du contrat de travail, il convient de déterminer si, d'une part, il avait connaissance de réelles difficultés et si, d'autre part, il n'a pas apporté le soutien et les solutions nécessaires à son employé.

Lors de l'entretien annuel d'appréciation du 11 mars 2015, Monsieur A.ne faisait état d'aucune difficulté relative à sa charge de travail. En revanche, l'employeur estimait que des améliorations de sa part étaient attendues sur son management. Monsieur A. reconnaissait quant à lui un manque de performance et pensait toutefois utile de pouvoir exprimer une position différente sur les sujets de travail et d'être écouté.

Lors de l'entretien du 22 mars 2016 son évaluation ressortait « conforme aux attentes ». Monsieur A.ne formulait aucune réserve sur sa charge de travail. L'employeur estimait que la confiance se rétablissait au vu des progrès et des efforts réalisés. Il notait toutefois que la démarche devait se poursuivre afin de régler les derniers détails de communication ou de priorisation. Il estimait l'item adaptabilité à 3/4 au motif « progrès notable en 2015 mais écoute et réactivité à adapter pour mieux répondre aux attentes management ».

Lors de l'entretien du 4 avril 2017 son évaluation était « conforme aux attentes ». Monsieur A. indiquait :

* -        « Je souhaite alerter sur la charge de travail non négligeable liée aux déplacements (je prends plus de 100 fois l'avion par an pour C. pour les réservations et le traitement des notes de frais. Le périmètre étant important (plus de 50 projets en simultané, pour comparaison 40 projets en 2014 avec Toyota) il faut faire monter le niveau de l'équipe et ajuster les ressources. Je ferai des propositions dans ce sens. ».

* L'employeur estimait quant à lui que :

* -        « Michel a effectué des progrès et beaucoup d'effort en 2016 pour se rapprocher des équipes. Les résultats sont au rendez-vous.

* -        De bons résultats sur des négos clients difficiles.

* -        Il faut poursuivre la démarche de renfort du niveau de professionnalisme des équipes et en particulier du pilotage programme pour éviter de ne faire que de la gestion de crise. 

* -        Michel doit prendre la mesure du positionnement du poste et donc s'organiser en conséquence.

* -        Des progrès restent à faire sur la concision, l'anticipation, la gestion des priorités et le respect des consignes.

* -        Il faut persévérer dans la démarche entreprise et aboutir sur un niveau de maîtrise permettant une meilleure gestion du temps. ».

L'item d'adaptabilité demeurait évalué à 3/4 au motif d'un comportement rigide sur certains sujets (parfois). L'item de communication baissait à 3/4 au motif d'une communication parfois choisie et unilatérale. En revanche, malgré les remarques précédentes son item planification et organisation était évalué à 4/4 et noté en « net amélioration ».

La comparaison de ces évaluations avec les doléances de Monsieur A. fait apparaître qu'il avait alerté sa hiérarchie sur son sentiment de dégradation de ses conditions de travail. L'employeur avait conscience des difficultés rencontrées par son salarié mais considérait néanmoins que sa gestion devait s'améliorer afin d'optimiser son temps de travail.

Le 3 octobre 2017, le groupe B. présentait un nouveau projet de management. Il en ressortait que le programme E. dirigé par Monsieur A. comptait dix-sept Collaborateurs répartis entre Monaco, la France, la Turquie et l'Inde. Il était alors proposé de subdiviser le programme avec, d'une part, une direction par Monsieur A. pour treize Collaborateurs répartis entre Monaco, la France et l'Inde et, d'autre part, une direction par Monsieur L. pour quatre Collaborateurs en Turquie.

Ce projet permettait un indéniable allégement du périmètre de fonctions de Monsieur A. ce qui faisait partie des propositions qu'il formulait d'ailleurs le 23 novembre 2017.

Il apparaît que la société B. a pris en considération les remarques de son salarié et a proposé une solution pour remédier à sa surcharge de travail identifiée en avril 2017. Si plusieurs mois se sont écoulés, il doit être pris en considération qu'un délai est nécessaire à toute restructuration et qu'un tel projet ne pouvait aboutir immédiatement après l'alerte de Monsieur A. Il a d'ailleurs lui-même fait des propositions, comme annoncé lors de son entretien, que presque deux mois après, ce qui démontre qu'une telle réflexion nécessite un temps certain.

En conséquence, si une surcharge indéniable a été subie par Monsieur A. à l'été 2017, l'employeur, qui a été alerté en avril 2017, a pris la mesure des difficultés et a apporté une solution adaptée dans un délai raisonnable en sorte qu'aucune faute ne peut lui être reprochée.

Monsieur A. qui prétend au versement d'une rémunération variable ne verse aucun élément au soutien de sa prétention (contrat de travail, bulletins de salaires antérieurs...) en sorte qu'il doit être débouté de sa demande.

 

Sur le licenciement

 

Sur la nullité du licenciement

 

La lettre de licenciement dont il est excipé la nullité est signée par Madame H. Responsable des Ressources Humaines, pour ordre de Monsieur G. Directeur des Ressources Humaines du groupe.

Il ressort de l'organigramme au 11 avril 2017 versé par le demandeur que Monsieur G. était le Vice-Président Groupe des Ressources Humaines.

Dans le cadre des échanges liés au licenciement, Monsieur A. en référera notamment à Monsieur G.

Si ce dernier, par message du 7 janvier 2018, indiquait que c'était « I. » « I. » qui gérait le dossier et le tenait régulièrement informé, cela n'affecte pas le pouvoir dont il disposait, tout comme la faculté de déléguer aux Membres de son équipe.

Par ailleurs, la loi monégasque n'entoure la notification du licenciement d'aucun formalisme particulier. Il s'ensuit que le salarié ne peut soulever des irrégularités de forme contenues dans la lettre de licenciement pour fonder une demande de nullité.

C'est à tort que le salarié indique qu'il ne pouvait être licencié pendant une période d'arrêt maladie, la protection prévue par l'article 16 de la loi n° 729 n'ayant pour effet de prohiber le licenciement pendant un tel arrêt maladie que dans les cas où la maladie est le motif du licenciement.

En outre, en application des dispositions en vigueur lors de l'arrêt de travail de Monsieur A. (Ordonnance n° 1857 du 3 septembre 1958 relative à l'organisation et au fonctionnement de la Médecine du Travail), le salarié, dont l'absence excède une durée de trois semaines, doit obligatoirement avant toute reprise du travail se soumettre à un examen médical.

La visite de reprise a été organisée le jour de la fin de son arrêt de travail. Il a été déclaré apte. La réserve « à l'essai » et « à revoir si besoin » ne constitue pas une quelconque inaptitude, même partielle, ni une prolongation de l'arrêt maladie, qui s'est échu le 24 novembre 2017.

Surtout, la procédure de licenciement a été initiée le 4 décembre 2017, soit une semaine après la reprise du point de vue médical, la période de congés payés de Monsieur A. étant bien une période d'activité au sens du contrat de travail.

Aucune nullité n'est en conséquence encourue.

 

Sur le caractère abusif du licenciement

 

Monsieur A. soutient qu'un licenciement sans motif est contraire à l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales dans la mesure où il ne peut utilement se défendre en l'absence d'évocation du motif.

Si l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 octroie à l'employeur un droit unilatéral de résiliation lui permettant de licencier un salarié sans se référer, de façon explicite ou implicite, à un motif inhérent à la personne de celui-ci, il n'instaure pas pour autant un droit discrétionnaire et absolu.

Le licenciement peut faire l'objet d'une contestation devant les Tribunaux, les juges du fond devant alors vérifier le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié ainsi que les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de tout abus (cause illicite ou illégale, détournement des dispositions d'ordre public, intention de nuire, précipitation, brutalité, légèreté blâmable).

Monsieur A. fonde en l'espèce ses demandes sur cet abus de droit. Il ne peut dès lors soutenir être privé de la possibilité de se défendre, puisque c'est l'usage de ce droit qui cause le présent litige.

De plus, la lettre de licenciement, par l'utilisation de la formule relative à l'article 6, implique que le motif est inhérent à sa personne et se défend donc d'un motif qui serait autre. Monsieur A. est donc parfaitement à même de se défendre en prouvant, comme il le soutient, que le motif serait un détournement des dispositions d'ordre public (économique) ou illicite et illégal (lié à son âge et son état de santé).

L'absence d'évocation du motif du licenciement n'est donc pas abusif.

Monsieur A. soutient que son licenciement serait fondé sur deux motifs fallacieux, le premier un motif économique et le second lié à son âge et son état de santé.

Le motif économique s'entend de difficultés économiques nécessitant une réorganisation de l'entreprise ou de la nécessité de sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise. Ainsi, constitue un motif économique le licenciement résultant d'une suppression effective d'emploi consécutive à des difficultés économiques et aux nécessités de restructuration de l'entreprise.

En l'espèce, la restructuration du Département E. n'était pas liée à une quelconque difficulté économique ou un manque de compétitivité, ce que Monsieur A.ne soutient d'ailleurs pas vraiment.

Par ailleurs, son poste n'a pas été supprimé. Lors de la réorganisation du service présentée le 3 octobre, il subsistait toujours un Directeur du Programme E.et il a été remplacé à ce poste immédiatement après son licenciement.

La mise en place d'un nouveau service en remplacement d'un autre ne constituant pas un motif économique, l'employeur n'a pas prononcé le licenciement pour un tel motif fallacieux.

La restructuration n'étant pas un motif économique, la demande de communication de la nouvelle organisation ainsi que de la fiche de poste de Monsieur F. n'est pas nécessaire à la solution du litige et sera rejetée.

Monsieur A. soutient par ailleurs que son licenciement serait lié à son âge et à son état de santé ; que l'employeur se serait débarrassé d'un salarié dont le burn out avait révélé qu'il n'était plus corvéable à merci.

Or, il ressort de ses propres écrits que l'employeur lui avait déclaré vouloir le « sortir » lors d'une réunion du 8 septembre, soit avant qu'un syndrome anxio-dépressif se déclare et qu'il ne soit placé en arrêt de travail le 16 septembre.

Ainsi, si effectivement la procédure de licenciement a été initiée après sa maladie, Monsieur A.ne démontre pas qu'elle en serait la cause.

Sur les conditions de mise en œuvre du licenciement

 

Il convient de vérifier les circonstances ayant présidé à la mise en œuvre du licenciement afin de vérifier si l'employeur n'a pas commis un abus dans l'exercice de son droit de rompre le contrat en agissant de manière brutale, vexatoire ou blâmable.

Il est soutenu à tort que le droit monégasque impose l'organisation d'un entretien préalable. En effet, les juridictions, qui s'attachent à s'assurer que le licenciement ne soit pas mis en œuvre avec précipitation ou de manière blâmable, déduisent généralement de l'absence d'un tel entretien un comportement brutal de l'employeur. Pour autant, elles n'imposent pas une formalité non prévue par le législateur et se contentent d'une appréciation in concreto des faits.

En l'espèce, Monsieur A. a été contacté par le Responsable des Ressources Humaines pendant ses congés afin d'organiser une rencontre. Monsieur I. lui écrivait le 25 novembre « tu seras donc bientôt de retour et je crois qu'il faut réfléchir ensemble pour préparer cela. Je te propose de se prendre un café un de ces jours (...). », puis le relançait le 3 décembre « je reviens comme convenu pour qu'on organise notre rdv demain matin. Je te propose un café vers 8 h 60 - 9h 00 à Nice ». Face à la proposition de Monsieur A.de se voir au bureau, il insistait pour qu'ils se parlent avant. Ce rendez-vous avait dès lors bien lieu dans un café à Nice, en dehors des locaux de la société, et même en dehors du territoire.

À cette occasion, il lui a été remis deux courriers :

* -        une convocation à un entretien préalable le 13 décembre à 16 h 30 dans les bureaux à Monaco,

* -        une dispense de présence à compter du 4 décembre 2017.

Ces deux courriers, signés pour ordre de Monsieur G. laissent entendre qu'il a mené la discussion « ainsi que j'ai eu l'occasion de vous en informer ce jour (...) », « faisant suite à notre entretien de ce jour », alors qu'elle l'a été par Monsieur I. Membre du Groupe Ressources Humaines.

Le 13 décembre 2017 à 19 h 32, Monsieur A. s'adressait aux membres du Pôle Ressources Humaines en ces termes :

«  Dans le courrier du 4 décembre 2017 il m'a été signifié la dispense de présence à compte du jour même ceci afin de me permettre de préparer au mieux notre entrevue du mercredi 13 décembre.

I. et moi nous sommes rencontrés ce jour, en dehors des locaux de B. contrairement à ce qui était prévu dans le courrier du 4 décembre.

Pouvez-vous me confirmer si la dispense de présence qui m'est appliquée se poursuit ou non.

Dans l'affirmative vous voudrez bien m'en fournir la ou les raisons.

Dans la négative je reprendrai mes fonctions de Program Director E. dès jeudi 14 décembre au matin.

Faute de réponse de votre part je reprendrai mes fonctions de Program Director E. dès jeudi 14 décembre au matin.

Je vous remercie de m'avoir remis à l'occasion de notre entrevue de ce jour le diplôme de la médaille du travail en bronze pour mes vingt années de collaboration au service du groupe C B. ».

Monsieur I. lui répondait le 14 décembre 2017 à 3 h 06 :

 

«   D'abord, pour répondre à ta question, je te confirme que la dispense de présence se poursuit. Cela te permettra de préparer l'entretien suivant, pour lequel on va t'envoyer une convocation prochainement.

Ensuite, sur ta remarque concernant le lieu de l'entretien du 13 décembre, je te rappelle que nous avons décidé ensemble de l'organiser à côté du bureau, dans un endroit sympa que tu as d'ailleurs choisi, et que j'ai précisé clairement que l'option initiale de le dérouler dans les locaux de B. reste parfaitement valable sauf accord commun d'en faire autrement. ».

Le 21 décembre 2017 à 9 h 06, Monsieur A. reprenait contact avec le Pôle Ressources Humaines afin de connaître l'évolution de la situation. Il indiquait notamment : 

«   Bonjour I.

Suite à ton précédent message je n'ai toujours pas reçu de convocation ni même le moindre message pas plus que d'appel téléphonique. Peux-tu m'éclairer sur la date de cette convocation ? (...) .

Je n'ai nullement besoin d'une dispense de travail pour préparer notre prochain rendez-vous.

Je renouvelle donc ma proposition de reprendre ma fonction de Programm Director E. dès à présent. Si ce n'est pas le souhait de l'entreprise je renouvelle ma demande d'une justification de cette mesure de dispense dont je fais l'objet. Mesure qui s'apparente davantage à une sanction sous forme de bannissement qu'autre chose.

Pour ce qui est du prochain rendez-vous je laisse l'entreprise le fixer.

Toutefois je souhaite clarifier les choses pour ce qui est de celui du 13 décembre par les éléments factuels suivants :

* -        Le courrier du 4 décembre que tu m'as remis ce jour-là indique que le rendez-vous aura lieu » en nos bureaux à Monaco «.

* -        Dans la journée du 13 tu m'as fait part de ton souhait de se voir en dehors des locaux de l'entreprise ce que j'ai accepté alors que j'avais des notes de frais à déposer et surtout que je me réjouissais de revoir mes collègues. Je te remercie d'ailleurs d'avoir bien voulu prendre lesdites notes de frais.

* -        Je t'ai proposé un endroit que tu as accepté.

Donc merci de ne pas laisser entendre autre chose que cela qui est la vérité. ».

Le 21 décembre 2017 à 9 h 26, il relançait sa hiérarchie relativement à sa proposition de réorganisation de service qu'il avait formulée le 23 novembre.

À 15 h 50, il recevait le mail suivant de Madame H. Manager Ressources Humaines : « Bonjour M.,

Le 13 décembre dernier, et conformément à la convocation à entretien préalable qui t'avait été remise en mains propres le 4 décembre, s'est tenu un entretien dont l'objet était de discuter de la suite réservée à ton contrat de travail, et durant lequel a été notamment évoquée l'éventualité d'une sortie de nos effectifs.

Pour ta parfaite information, sache que nous te transmettons ce jour, par courrier R.A.R. (...), la notification de ton licenciement au visa de l'Article 6 de la loi n° 729, dont tu trouveras copie du courrier en pièce jointe.

La 1ère présentation de ce courrier à ton domicile fixera le début de ton préavis de trois mois, dont tu es dispensé de l'exécution.

Tu es donc encore cette semaine en dispense de présence, et à compter de la 1ère présentation de ce courrier par voie postale tu seras en dispense de préavis et ce jusqu'au terme de celui-ci ».

La lettre de licenciement, datée du 21 décembre 2017 et présentée le 22 décembre était libellée dans les termes suivants :

«   Faisant suite à votre entretien préalable qui s'est tenu le mercredi 13 décembre 2017, nous sommes au regret de vous notifier par la présente votre licenciement au visa de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963.

Nous vous dispensons d'exécuter votre préavis, d'une durée de 3 mois courant à compter de la première présentation de ce courrier. Ledit préavis vous sera payé au mois le mois aux échéances habituelles de paye (...). »

L'enchaînement chronologique établi, qu'alors qu'il comptait revenir d'une absence pour maladie puis pour congés, Monsieur A. a été convoqué à un entretien le matin même de sa reprise, dans un café à Nice pour se voir remettre non seulement une convocation à un entretien préalable, mais également une dispense de présence.

Le motif de cette dispense, en l'absence de toute récrimination de l'employeur puis ultérieurement de confirmation de cette absence par la mise en œuvre d'une procédure de licenciement sans énonciation de motif, serait, selon les termes de l'employeur, la possibilité de préparer l'entretien du 13 décembre.

L'entretien, annoncé comme devant se dérouler dans les locaux de l'entreprise, a également eu lieu dans un café. Il n'a pas été mené par le décisionnaire de la mesure de licenciement.

À son issue, Monsieur A. a dû demander confirmation de sa situation. Il lui a alors été annoncé la tenue imminente d'un nouvel entretien, pour lequel il était toujours dispensé de présence.

Huit jours plus tard, l'employeur n'avait ni organisé quoi que ce soit, ni tenu informé Monsieur A. de sa situation, le contraignant à s'enquérir de son devenir. C'était alors qu'il lui était annoncé son licenciement.

L'employeur n'a pas seulement entretenu un espoir infondé pour son salarié, en lui faisant miroiter qu'un échange sur son avenir était encore possible, mais il n'a même pas pris la peine de l'informer dans un délai raisonnable de sa décision, le contraignant à venir lui-même aux nouvelles.

Plus encore, il a prétendu que la dispense de présence n'était pas une mesure d'éviction injustifiée de l'entreprise, mais une faveur afin de lui permettre de se préparer aux futurs échanges, alors que Monsieur A. avait développé sa vision de l'avenir de son programme dès le 23 novembre, mais surtout qu'aucun entretien n'aura lieu suite à celui du 13 décembre.

L'organisation d'un entretien n'a pas vocation à maintenir un salarié dans l'espoir de ne pas perdre son emploi, mais vise à ne pas le traiter avec brutalité.

Or, l'exclusion de l'invitation au repas de fin d'année adressée le 12 décembre démontre que l'employeur n'était pas en phase décisive de prise de décision, mais connaissait déjà le sort qu'il entendait réserver à son salarié. En outre, comme énoncé ci-dessus, l'employeur n'a pas contesté qu'il s'interrogeait sur le devenir de son salarié dès le début du mois de septembre 2017. D'ailleurs, le fait qu'il n'ait pas été tenu destinataire du projet de réorganisation, puisque l'employeur s'interroge sur la manière dont il a pu l'obtenir, est révélateur du fait qu'il n'était plus pris en compte dans l'avenir du groupe.

La décision de licenciement de l'employeur étant bien antérieure au 21 décembre 2017, la demande de communication du contrat de travail de Monsieur F. n'est pas nécessaire à la solution du litige et sera rejetée.

En outre, lors de l'entretien, le salarié doit pouvoir s'adresser à un interlocuteur disposant d'un niveau de responsabilité quant à la décision de rupture du contrat et d'un niveau hiérarchique en adéquation avec l'employé auquel il s'adresse.

L'annonce, à un employé qui attendait simplement de pouvoir s'expliquer avec sa hiérarchie sur ses propositions de réorganisation, par mail, après huit jours de silence, et alors qu'il était évincé de l'entreprise depuis trois semaines et que la décision était manifestement déjà prise depuis quelque temps, constitue manifestement une mise en œuvre abusive et vexatoire d'un licenciement.

Ce caractère vexatoire est accentué par la période de commission des faits, trois jours avant Noël, et la volonté manifeste de couper tous contacts entre le salarié et ses collègues en lui refusant la possibilité de se rendre dans les locaux pour le recevoir.

À ce sujet, il convient de rappeler que si Monsieur A. a nécessairement accepté que les rendez-vous se déroulent dans des cafés, puisqu'il s'y est rendu, ce n'est pas à lui de s'assurer de ce qu'il n'est pas traité de manière vexatoire, mais bien à son employeur de le traiter convenablement. Dès lors, la justification de Monsieur I. était, si ce n'est inappropriée, à tout le moins maladroite.

L'ancienneté de vingt ans de Monsieur A. accentue, s'il le fallait encore, la gravité de la faute commise par l'employeur, qui a traité un salarié qui lui a consacré toute sa carrière sans le moindre égard.

À ce sujet, la formulation des lettres du 4 décembre caractérise le peu de considération de l'employeur, qui ne prend même pas la peine de relater l'entretien avec exactitude, puisque ce n'est pas le Directeur des Ressources Humaines qui a pris la peine de les lui remettre, mais l'un de ses subalternes.

En ce qui concerne le préjudice subi par Monsieur A. seul sera réparé le préjudice moral qui résulte des circonstances dans lesquelles le licenciement a été mis en œuvre. En effet, l'ensemble des dommages matériels évoqués ne résulte pas de la brutalité, de la légèreté et du comportement vexatoire lors de la mise en œuvre du licenciement.

En revanche, la manière dont a été traité Monsieur A. a été particulièrement violente. Il a été traité, après vingt-deux ans de fonction en dernier lieu à un poste à haute responsabilité, avec une considération confinant au mépris par son employeur. Pour l'ensemble des considérations liées au caractère vexatoire du licenciement, il convient d'allouer à Monsieur A.la somme de 50.000 euros de dommages et intérêts.

Monsieur A.ne démontrant aucune urgence il n'y a pas lieu à ordonner d'exécution provisoire.

Chacune des parties succombant partiellement, elles conserveront la charge de leurs propres dépens.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

 

Rejette la demande de reconnaissance d'exécution déloyale du contrat de travail soutenue par Monsieur A. ;

Rejette la demande de paiement de part variable et de congés payés et indemnités y afférents ;

Rejette la demande de nullité du licenciement ;

Dit que le licenciement repose sur un motif valable ;

Dit que le licenciement a été mis en œuvre de manière abusive et vexatoire ;

Condamne la société anonyme monégasque B. à payer à Monsieur A.la somme de 50.000 euros (cinquante mille euros) de dommages et intérêts pour mise en œuvre abusive et vexatoire du licenciement ;

Rejette le surplus des demandes de Monsieur A. ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

Laisse la charge des dépens à chacune des parties ;

Composition

Ainsi jugé par Mademoiselle Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Diane GROULX, Monsieur Michel GRAMAGLIA, membres employeurs, Madame Agnès ORECCHIA, Monsieur Jean-Marie PASTOR, membres salariés, et lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique, au Palais de Justice, le premier avril deux mille vingt-deux, par Mademoiselle Cyrielle COLLE, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Mesdames Diane GROULX et Agnès ORECCHIA, Messieurs Michel GRAMAGLIA et Jean-Marie PASTOR, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 20426
Date de la décision : 01/04/2022

Analyses

M. A., embauché en 1996 par une société, avait en dernier lieu la fonction de directeur de programme, en contrat à durée indéterminée. Il a été licencié au visa de l'article 6 de la loi n° 679 par un courriel du 21 décembre 2017 le dispensant d'exécution de son préavis.En vertu de l'article 989 du Code civil, l'employeur doit exécuter le contrat de travail de bonne foi et veiller à fournir à ses salariés des conditions de travail permettant une bonne exécution de celui-ci. La loi monégasque n'exige pas l'organisation d'un entretien préalable au licenciement, n'entoure sa notification d'aucun formalisme particulier et aucune irrégularité de forme ne peut fonder une demande en nullité. Enfin, la loi n° 729 du 16 mars 1963 (art. 6 et 16) prévoient la possibilité pour l'employeur de disposer un droit unilatéral de résiliation lui permettant de licencier un salarié sans se référer, de façon explicite ou implicite, à un motif inhérent à la personne et que la nullité du licenciement ne peut être invoquée dans un arrêt maladie seulement si celle-ci en est la cause.Sur le cadre de l'exécution du contrat de travail, le Tribunal énonce qu'il convient de déterminer si, d'une part, l'employeur avait connaissance de réelles difficultés et si, d'autre part, il n'a pas apporté le soutien et les solutions nécessaires à son employé. Ce n'est que lors de son dernier entretien annuel que M. A. a fait part de difficultés concernant sa charge de travail alors que l'employeur soulignait les progrès effectués.  Dans le cadre d'un nouveau projet de management, la société a réduit le champ d'action du demandeur. La SAM B. a donc pris la mesure des difficultés du salarié et lui a apporté une solution adaptée dans un délai raisonnable. Aucune faute ne peut lui être reprochée.Sur le licenciement dans le cadre d'un congé maladie, sa nullité ne peut être invoquée car la maladie n'en n'est pas le motif. Dans le cadre de la contestation d'un licenciement, le Tribunal s'attache à examiner si l'employeur a respecté les droits et prérogatives du salarié. La lettre licenciant le demandeur fait état d'un motif inhérent à sa personne et l'absence de l'évocation d'un motif spécifique n'est pas en soi abusif. Son poste n'a pas été supprimé à la suite de son départ, ce n'est donc pas un licenciement économique et M. A. ne démontre pas que sa maladie aurait été une cause de licenciement puisqu'il a été déclenché après celle-ci. Sur les conditions de mise en œuvre du licenciement, le Tribunal s'attache à vérifier si l'employeur n'a pas commis un abus dans l'exercice de son droit de rompre le contrat en agissant de manière brutale, vexatoire ou blâmable. Le Tribunal considère que l'organisation d'un entretien n'a pas vocation à maintenir un salarié dans l'espoir de ne pas perdre son emploi, mais vise à ne pas le traiter avec brutalité. En l'espèce, un entretien a eu lieu après son congé maladie, il a été par la suite dispensé de présence dans l'entreprise et a dû s'enquérir lui-même de la réalité de son licenciement. Ainsi, l'annonce, à un employé qui attendait de pouvoir s'expliquer avec sa hiérarchie sur ses propositions de réorganisation, par mail, après huit jours de silence, et alors qu'il était évincé de l'entreprise depuis trois semaines et que la décision était déjà prise, constitue manifestement une mise en œuvre abusive et vexatoire d'un licenciement, notamment en lui refusant la venue dans les locaux pour le recevoir. De plus, l'ancienneté de 20 ans de M. A. met en relief la gravité de la faute commise par l'employeur et le peu de considération porté au salarié. Le Tribunal condamne la SAM B. à verser 50 000 € de dommages et intérêts à M.A. au titre du préjudice moral du fait de la mise en œuvre abusive et vexatoire du licenciement.

Contrats de travail  - Rupture du contrat de travail  - Responsabilité de l'employeur.

Contrat de travail - Conditions d'exécution du contrat de travail - Licenciement - Congé maladie - Nullité (non) - Motif valable - Conditions du licenciement - Caractère abusif (oui) - Caractère vexatoire (oui) - Préjudice moral - Dommages et intérêts (oui).


Parties
Demandeurs : M. A.
Défendeurs : SAM B.

Références :

Ordonnance n° 1857 du 3 septembre 1958
article 989 du Code civil
loi n° 729 du 16 mars 1963
article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2022-04-01;20426 ?

Source

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