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25/02/2021 | MONACO | N°19666

Monaco | Tribunal du travail, 25 février 2021, Madame g. D. c/ La SAM K


Abstract

Procédure civile - Article 324 du Code de procédure civile - Attestation

Licenciement -  Caractère abusif de la rupture (oui) - Dommages et intérêts (oui)

Résumé

L'attestation qui ne mentionne pas la profession de son auteur méconnait les dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile et doit donc être annulée.

La salariée, engagée en qualité de responsable communication groupe, a été licenciée en application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963. Les écrits produits par l'employeur témoignen

t de la volonté de l'employeur de rompre le contrat de travail avant même la convocation à l'entre...

Abstract

Procédure civile - Article 324 du Code de procédure civile - Attestation

Licenciement -  Caractère abusif de la rupture (oui) - Dommages et intérêts (oui)

Résumé

L'attestation qui ne mentionne pas la profession de son auteur méconnait les dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile et doit donc être annulée.

La salariée, engagée en qualité de responsable communication groupe, a été licenciée en application des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963. Les écrits produits par l'employeur témoignent de la volonté de l'employeur de rompre le contrat de travail avant même la convocation à l'entretien préalable et constituent un aveu judiciaire. La proposition transactionnelle était destinée à éviter tout procès à venir et portait sur l'indemnisation des préjudices éventuels de la salariée, ce qui constitue une question de droit sur la réalité du caractère abusif de la rupture, qui doit être tranchée par le Tribunal, ce dernier disposant d'un pouvoir souverain à ce titre. Si la salariée soutient qu'elle a été licenciée en raison de son souhait de travailler depuis son domicile, les éléments produits établissent que l'employeur ne voit pas d'opposition de principe à la demande de la salariée, mais alerte cette dernière si son travail ne se fait pas correctement. Son refus initial d'un télétravail de 2 à 3 jours par semaine ainsi que cette alerte relèvent de son pouvoir de direction. Par ailleurs, l'intéressée ne démontre pas avoir subi une discrimination de ce fait et ne produit aucun argument quant à un quelconque motif fallacieux ayant précédé le licenciement. La volonté de l'employeur de licencier la salariée avant même la convocation à l'entretien n'est pas abusive, le Directeur des Ressources Humaines l'ayant simplement informée de l'intention de l'employeur de rompre son contrat de travail. Elle a toutefois été immédiatement dispensée de toute présence dans les locaux de l'entreprise, sans justification particulière alors que la rupture n'est intervenue que par un courrier postérieur de cinq jours à cette dispense d'activité. Le contexte dans lequel est intervenue cette dispense de présence dans l'entreprise est de nature en l'espèce à jeter le discrédit sur la salariée et à lui conférer en définitive un caractère abusif. La rupture présente dans ces circonstances un caractère abusif et vexatoire, justifiant l'octroi à l'intéressée de 20 000 euros de dommages et intérêts, en réparation du préjudice moral ainsi subi.

Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 25 FÉVRIER 2021

* En la cause de Madame g. D., demeurant X1 à BEAUSOLEIL (06240) ;

Demanderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Sophia BOUZIDI, avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

* La société anonyme monégasque dénommée K, dont le siège social se situe X2 à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Patricia REY, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, substituée et plaidant par Maître Clyde BILLAUD, avocat près la même Cour ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 20 mai 2019, reçue le 27 mai 2019 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 86-2018/2019 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 18 juin 2019 ;

Vu les conclusions de Maître Charles LECUYER, avocat-défenseur au nom de Madame g. D. en date des 11 juillet 2019, 16 janvier 2020 et 30 juin 2020 ;

Vu les conclusions de Maître Patricia REY, avocat-défenseur au nom de la S. A. M. K, en date des 14 novembre 2019, 9 juin 2020 et 21 octobre 2020 ;

Après avoir entendu Maître Sophia BOUZIDI, avocat au barreau de Nice pour Madame g. D. et Maître Clyde BILLAUD, avocat près la Cour d'appel de Monaco pour la S. A. M. K, en leurs plaidoiries ;

Vu les pièces du dossier ;

* * * *

Madame g. D. a été embauchée par la S. A. M. E en contrat à durée indéterminée, à compter du 1er février 2010, en qualité de Responsable Communication Groupe.

Le 31 janvier 2017, son contrat de travail a été transféré au sein de la société K (ci-après D., avec maintien de son ancienneté, de sa qualification et de sa rémunération.

Madame g. D. percevait en dernier lieu un salaire moyen mensuel brut de 4.600 euros pour un temps de travail hebdomadaire de 39 heures.

Au cours de l'été 2018, l'employeur a mis en place un système de télétravail.

Madame g. D. va ainsi en bénéficier à raison d'une journée par semaine dès le 1er décembre 2018.

Par courrier remis en main propre le 24 janvier 2018, la salariée a été invitée à se présenter à la Direction le 29 janvier 2018 pour un entretien et à quitter l'entreprise sans délai.

Madame g. D. a ensuite été licenciée par courrier du 29 janvier 2018 sur le fondement des dispositions de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 et dispensée d'exécuter son préavis.

Le conseil de la salariée écrivait à deux reprises à l'employeur, les 18 février et 14 mars 2019 pour dénoncer le caractère brutal et abusif de la rupture.

Par courrier en date du 20 mars 2019, la société D. proposait le versement d'une indemnité transactionnelle d'un montant de 13.000 euros en réparation forfaitaire définitive et irrévocable de tous dommages et préjudices, tout en considérant que le licenciement était parfaitement légitime.

Dans la mesure où l'employeur refusait de revoir ce montant à la hausse, Madame g. D. a refusé cette proposition.

Par requête en date du 20 mai 2019 reçue au greffe le 27 mai 2019, Madame g. D. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

* 46.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

* remise de l'attestation reprenant les informations d'assurance véhicule de Madame g. D. sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

* 2.500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance à remettre l'attestation reprenant les informations d'assurance véhicule de Madame g. D.

* frais et dépens.

Aucune conciliation n'ayant pu intervenir, le dossier a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.

Madame g. D. a déposé des conclusions les 11 juillet 2019, 16 janvier 2020 et 30 juin 2020 dans lesquelles elle fait essentiellement valoir que :

* sur le caractère abusif du licenciement :

* son travail a toujours donné entière satisfaction,

* c'est à peine en une journée qu'elle a appris la rupture de son contrat de travail,

* l'employeur ne l'a jamais avisée d'une quelconque difficulté,

* il l'a même inscrite dans des projets à moyen terme et sur la durée, jusqu'à quelques jours de son licenciement,

* le Directeur des Ressources Humaines lui indique déjà le 23 janvier 2018 que son licenciement lui sera notifié,

* la décision de rompre le contrat de travail est acquise et l'entretien du 29 janvier 2018 ne remplit pas son objectif premier, à savoir annoncer les intentions de l'employeur, entendre les observations du salarié et déclencher un délai de réflexion à l'issue duquel l'employeur valide ou invalide sa décision,

* la décision de la licencier était prise depuis un certain temps déjà,

* la brutalité de la rupture est ainsi caractérisée,

* elle est sommée de quitter l'entreprise à l'issue de l'entretien préalable dans l'attente de la notification de la décision de rupture,

* la véritable cause du licenciement réside dans sa demande de télétravail, laquelle ne devait pour autant pas impacter sa relation de travail, sa carrière, ni ses droits,

* elle avait sollicité de son employeur la possibilité de travailler à son domicile 2 à 3 jours par semaine,

* Monsieur R. lui a immédiatement répondu mais son souhait a été manifestement très mal accueilli,

* elle a compris qu'il n'était pas de son intérêt de maintenir sa demande et, sous la pression de son supérieur, elle a accepté de diminuer le temps de travail sollicité pour le passer à une journée par semaine,

* sa demande s'inscrivait pourtant dans le dispositif tel que décrit dans la charte diffusée par l'entreprise,

* alors qu'elle débutait le télétravail accordé au mois de décembre 2018, elle était licenciée sans préavis au mois de janvier 2019,

* en procédant ainsi, la société K a violé l'article 8 de la loi du 4 juillet 2016 qui impose aux employeurs d'accorder aux télétravailleurs les mêmes droits collectifs et les mêmes perspectives de carrière qu'un autre salarié qui ne serait pas en situation de télétravail,

* cette violation d'une disposition légale d'ordre public caractérise un détournement de dispositions d'ordre public et, en tout état de cause, une cause illicite au licenciement, caractérisant un abus dans la prise de décision de licencier,

* la cause réelle de la rupture est illégale puisqu'elle consiste en la sanction d'une salariée qui avait choisi de faire valoir son droit au télétravail,

* l'employeur n'a jamais contesté la réalité du préjudice qu'elle a subi, reconnaissant ainsi nécessairement le contexte brutal de la rupture,

* la proposition de versement d'une indemnité transactionnelle par l'employeur était bien une façon pour ce dernier de se libérer d'une contestation qu'il savait légitime et non pas de la gratifier d'une indemnité supra légale du fait de son ancienneté,

* le seul point de désaccord portait en définitive sur l'appréciation de son préjudice,

* sommée de quitter l'entreprise sur le champ, elle n'a pas été en mesure de remercier ses collègues, leur dire au revoir, ou même formaliser son départ dans un délai raisonnable compte-tenu du temps passé dans l'entreprise et du statut qu'elle y avait acquis,

* il appartiendra encore à l'employeur de démontrer que son licenciement ne cache pas en réalité un motif économique,

* à ce jour, elle n'a pas été remplacée malgré l'importance de ses fonctions,

* si la société K souhaitait réaliser une économie, il lui appartenait d'invoquer un motif économique et de respecter la procédure idoine,

* face à la difficulté de retrouver un emploi, elle s'est orientée vers une formation et se projette vers la recherche d'une nouvelle opportunité professionnelle,

* elle subit un préjudice matériel, mais également moral,

* sur la remise de l'attestation reprenant les informations d'assurance véhicule :

* depuis son départ, elle n'a eu de cesse de réclamer à l'employeur une attestation précisant qu'elle avait conduit un véhicule de fonction et n'avait connu aucun sinistre responsable,

* ce document était réclamé par son assureur,

* à défaut, elle était considérée comme un jeune conducteur, ce qui appliquait un bonus-malus au plus haut et des conditions d'assurance plus sévères,

* elle a simplement demandé une attestation de l'employeur mais pas de l'assurance de ce dernier,

* le refus de l'employeur dénote une volonté de lui nuire.

* La société K a déposé des conclusions les 14 novembre 2019, 9 juin 2020 et 21 octobre 2020 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et soulève la nullité de l'attestation produite par la demanderesse en pièce n° 19.

* L'employeur soutient essentiellement que :

* s'agissant d'un licenciement sans motif, le Juge n'a pas à en vérifier la cause,

* elle a réglé à la salariée l'intégralité des indemnités légales qui étaient dues,

* les documents sociaux ont été remis à Madame g. D.

* le licenciement ne saurait être qualifié de brutal alors qu'elle a pris la peine de prévenir la salariée du fait qu'elle recevrait une lettre de convocation à un entretien préalable,

* elle a pris le soin de convoquer la salariée à un entretien préalable, condition qui n'est pas requise en droit monégasque,

* le délai entre la convocation à l'entretien préalable et la tenue de cet entretien ôte tout caractère de soudaineté au licenciement,

* lors de l'entretien, Madame g. D. a été mise en mesure de s'expliquer,

* elle s'est donnée le temps de la réflexion pour prendre la décision de rompre le contrat de travail,

* contrairement à ce qu'indique Madame g. D. la décision de la licencier n'était nullement déjà prise,

* la loi monégasque n'impose aucun délai de réflexion entre l'entretien préalable et l'envoi de la notification de licenciement,

* elle a pour habitude de dispenser les salariés de l'exécution de leur préavis en cas de licenciement, ce qui leur permet de faciliter leur recherche d'emploi,

* la dispense de préavis est une manifestation du pouvoir de direction de l'employeur et n'est pas en soi une mesure vexatoire ni punitive,

* l'ancienneté de la salariée et la circonstance que cette dernière ait toujours donné satisfaction dans son travail ne suffisent pas à caractériser un abus,

* elle a également pour habitude de dispenser les salariés de présence dans l'entreprise entre la remise de la lettre de convocation à l'entretien préalable et l'entretien préalable, ce qui leur permet de préparer l'entretien à venir,

* Madame g. D. a conservé pendant la durée du préavis l'usage du véhicule société et du matériel informatique,

* la question du télétravail n'a pas à être abordée par le Tribunal dans la mesure où il n'y a pas lieu de se pencher sur les motifs qui ont pu conduire au licenciement,

* l'employeur est libre de faire droit ou non à toute demande émanant de l'un de ses salariés relative à une modification de son contrat de travail,

* elle avait ainsi préconisé à Madame g. D. un jour de télétravail par semaine. Cette dernière a néanmoins sollicité trois jours de télétravail,

* la direction a estimé que le télétravail allait entraîner des changements dans le fonctionnement de l'entreprise et qu'il était important de roder le système avant d'aller plus avant, et notamment sur le nombre de jours pouvant être accordés en télétravail,

* la demande de la salariée a été traitée au même titre que celles des autres employés et a été acceptée dans les mêmes conditions que les autres salariés de l'entreprise et conformément à la charte validée par la Direction du Travail,

* depuis le 1er octobre 2020, suite à la crise sanitaire, elle a élargi le dispositif du télétravail et ses employés bénéficient désormais de deux ou trois jours de télétravail par semaine,

* il n'existe aucun motif économique au licenciement de la demanderesse,

* le poste de Madame g. D. a été rapidement pourvu par Madame s. B. laquelle est toujours au sein de l'entreprise,

* la partie administrative de la communication a été attribuée à Madame c. M.

* le poste de réceptionniste anciennement occupée par Madame c. M. est désormais occupé par une personne supplémentaire, Madame c. V. depuis le début de l'année 2020,

* elle a ainsi les mêmes ressources en terme de personnel en matière de communication que précédemment,

* il n'y a eu aucune suppression de poste, aucune économie réalisée,

* la demanderesse ne produit aucune pièce venant établir l'existence d'un préjudice,

* Madame g. D. ne justifie d'aucune démarche de recherche d'emploi dans le domaine de la communication,

* les éventuelles difficultés pour retrouver un emploi ne sont pas de nature à caractériser un abus de l'employeur,

* la salariée ne démontre pas plus un quelconque préjudice moral,

* sur la demande relative à l'attestation d'information :

* elle n'a pas remis cette attestation parce qu'elle ne l'a pas et ne peut pas l'obtenir,

* la règle du coefficient réduction majoration (bonus/malus) ne s'applique pas sur les contrats flottes. La compagnie assurant sa flotte automobile n'est donc pas en mesure d'établir une telle attestation,

* rien ne démontre que le contrat d'assurance automobile produit par Madame g. D. est celui qu'elle a souscrit.

SUR CE :

* Sur la nullité de l'attestation produite par la demanderesse en pièce n° 19

La société défenderesse soutient que l'attestation litigieuse ne mentionne pas la profession de l'auteur, ni si ce dernier a quelque intérêt au procès.

Aux termes de l'article 324 du Code de procédure civile, « l'attestation doit, à peine de nullité :

* 1° être établie par une personne remplissant les conditions requises pour être entendue comme témoin ;

* 2° être écrite, datée et signée de la main de son auteur ;

* 3° mentionner les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur, ainsi que l'existence ou l'absence de liens de parenté, d'alliance, de subordination ou d'intérêt avec les parties ;

* 4° préciser si son auteur a quelque intérêt au procès ;

* 5° indiquer qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur sait qu'une fausse attestation l'exposerait aux sanctions prévues par l'article 103 du Code pénal ;

* 6° être accompagnée de tout document officiel, en original ou en photocopie, justifiant de l'identité de son auteur et comportant sa signature. ».

La pièce n° 19 est constituée par une attestation établie par Madame m. B T.

Il est admis que les mentions exigées par l'article 324 du Code de procédure civile ne doivent pas nécessairement être reproduites à l'identique de la rédaction dudit article et que certaines informations telles notamment que l'intérêt au litige et l'existence d'un lien de subordination peuvent s'apprécier par le contenu même de l'attestation.

De plus, l'alinéa 4 invoqué invite les auteurs d'une attestation à préciser s'ils ont « quelque intérêt au procès » ; il s'agit donc d'une précision à apporter lorsque cet intérêt existe, de sorte que l'absence d'une telle mention doit être entendue comme un défaut d'intérêt - ce d'autant qu'il n'est pas soutenu qu'un tel intérêt existerait en l'espèce - et ne peut être sanctionnée dès lors par la nullité de la pièce qui comporterait les mentions légales imposées.

Madame m. B T. n'a cependant pas mentionné sa profession en contravention avec le troisième paragraphe de l'article 324 du Code de procédure civile.

La mention de la profession de l'auteur d'une attestation est une condition de validité d'une attestation et son absence doit en entraîner la nullité.

Il convient dans ces circonstances de prononcer la nullité de l'attestation produite en pièce n° 19 par la demanderesse.

* Sur le caractère abusif de la rupture

En application de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, l'employeur dispose d'un droit unilatéral de résiliation lui permettant de congédier un salarié sans se référer de façon explicite ou implicite à un motif inhérent à la personne de celui-ci, et doit supporter les conséquences de sa décision de ne pas énoncer le motif de la rupture, en versant le montant de l'indemnité prévue par l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968.

L'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 n'instaurant pas, au profit de l'employeur, un droit discrétionnaire et absolu, il appartient au Tribunal du travail de vérifier le respect par l'employeur des droits et prérogatives du salarié d'une part, et les circonstances ayant entouré la résiliation, qui doivent être exemptes de tout abus d'autre part (cause illicite ou illégale, détournement des dispositions d'ordre public, intention de nuire, précipitation, brutalité, légèreté blâmable).

Toutefois, l'exercice par l'employeur de ce droit, sans que le salarié soit rempli de ses droits, est de nature à rendre la rupture fautive et à justifier l'octroi des dommages et intérêts prévus par l'article 13 de la loi n° 729, au même titre qu'une rupture revêtant une forme abusive (Cour de révision du 9 mai 2003 P c/ S. A. M. T).

Il appartient à Madame g. D. de rapporter la preuve, au soutien de sa demande en paiement de dommages et intérêts, de l'existence de l'abus commis dans l'exercice du droit unilatéral de rupture et du préjudice qui en est résulté.

Alors en effet que la preuve de l'abus dans le droit de licencier incombe au salarié qui s'en prévaut, la détermination de l'excès commis par l'employeur dans l'exercice du droit unilatéral de résiliation que lui reconnaît la loi relève en effet du pouvoir souverain d'appréciation des juridictions saisies et peut induire un contrôle indirect du motif de rupture à l'effet de déterminer si celui-ci est fallacieux, c'est-à-dire s'il procède d'une volonté insidieuse de tromperie ou s'il présente un caractère spécieux lui ôtant sa loyauté.

À ce titre, la jurisprudence monégasque considère que le licenciement fondé sur un faux motif ou un motif fallacieux constitue un abus. Par ailleurs la jurisprudence civile relative à l'abus de droit en caractérise également l'existence en l'absence de motif légitime à exercer le droit.

Pour autant le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.

La salariée invoque encore le caractère brutal de la rupture et considère que l'employeur a reconnu le caractère abusif de celle-ci, ainsi que le préjudice subi, en proposant une indemnité transactionnelle.

Elle estime que les déclarations de l'employeur quant à sa volonté de rompre le contrat de travail dès le 23 janvier 2019, soit avant toute convocation à l'entretien préalable, caractérisent un aveu judiciaire, au même titre que la proposition officielle d'une indemnité transactionnelle.

L'article 1203 du Code civil dispose que l'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son fondé de pouvoir spécial.

Par cette déclaration, la personne reconnaît comme devant être tenu pour avéré à son égard un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques.

L'aveu pour valoir en tant que tel, doit être univoque.

Dans ses premières écritures en date du 14 novembre 2019, la société K reconnaît le fait suivant (page 2, dernier paragraphe) :

« De façon informelle, le 23 janvier 2019, Madame g. D. a été informée par monsieur j. c. B. directeur des ressources humaines du groupe K de l'intention de l'employeur de rompre son contrat. ».

Dans ses conclusions ultérieures, l'employeur a réécrit ce paragraphe de la manière suivante :

« De façon informelle, le 23 janvier 2019, Madame g. D. a été informée par monsieur j. c. B. directeur des ressources humaines du groupe K de l'intention de l'employeur de la convoquer à un entretien préalable et que l'éventualité de rompre son contrat était envisagée par son employeur. ».

Il s'agit de toute évidence d'un aveu judiciaire quant à la reconnaissance par l'employeur de sa volonté de licencier Madame g. D. dès le 23 janvier 2019.

La proposition officielle d'une indemnité transactionnelle ne peut constituer un aveu judiciaire puisqu'elle procède d'une déclaration faite par une partie en dehors de l'instance, ce qui correspond à la définition de l'aveu extra judiciaire.

L'aveu constitue une reconnaissance par une personne partie à un procès de la véracité du fait ou de l'existence d'un acte que son adversaire invoque contre elle.

En outre, la déclaration d'une partie ne peut être retenue contre elle comme constituant un aveu que si elle porte sur des points de fait et non sur des points de droit qu'il incombe au Juge de trancher.

En l'espèce, la proposition transactionnelle était destinée à éviter tout procès à venir et portait sur l'indemnisation des préjudices éventuels de la salariée, ce qui constitue une question de droit sur la réalité du caractère abusif de la rupture, laquelle doit être tranchée par la présente juridiction ; le Juge disposant d'un pouvoir souverain à ce titre.

Il s'agirait pour l'employeur d'une reconnaissance de responsabilité qui ne saurait être retenue que par un Tribunal.

Il y a lieu en conséquence de statuer sur le caractère abusif du licenciement au regard des éléments produits aux débats par la demanderesse.

Si la mise en œuvre d'un licenciement sur le fondement de l'article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963 conduit le Tribunal du travail à ne pas s'interroger sur la validité de la rupture, en cas de paiement effectif de l'indemnité de licenciement, il n'en demeure pas moins qu'elle ne peut avoir pour objet de contourner les dispositions d'ordre public applicables en droit social et notamment les dispositions de l'article 8 de la loi n° 1.429 du 4 juillet 2016, aux termes desquels « Les télétravailleurs ont les mêmes droits collectifs, les mêmes possibilités de carrière et le même accès à l'information et à la formation que les autres salariés de l'employeur. ».

Madame g. D. soutient qu'elle a été licenciée en raison de son souhait de travailler depuis son domicile.

Les pièces produites par la salariée montrent que des échanges ont eu lieu avec l'employeur afin de déterminer le nombre de jours pouvant être accordés à celle-ci afin de travailler depuis son domicile.

La loi n° 1.429 du 4 juillet 2016 prévoit en son article premier, alinéa 3, que « le télétravail ne peut occuper plus des deux tiers du temps de travail du salarié. Celui-ci exécute sur le territoire monégasque la partie de son activité qui n'est pas sous forme de télétravail ».

Il résulte ainsi des échanges de courriels produits aux débats que Madame g. D. a demandé dans un premier temps de pouvoir travailler de son domicile 2 à 3 jours par semaine.

Cette requête n'a pas été acceptée par l'employeur, ce qui ne saurait lui être reproché eu égard aux dispositions de l'article 1er de la loi n° 1.429 dans la mesure où cela aurait entraîné une activité à l'extérieur du territoire monégasque supérieure aux deux tiers du temps de travail de Madame g. D.

Ce faisant, les parties ont convenu d'une seule journée de télétravail par semaine, et ce, à compter du 1er décembre 2018.

Madame g. D. soutient encore que son supérieur hiérarchique l'a découragée, allant jusqu'à lui indiquer que si elle persistait en ce sens, des conséquences pourraient en découler.

Il apparaît en effet que par mèl en date du 25 septembre 2018 à 16 h 46, Monsieur g. R. écrit à la salariée en ces termes :

« g.

Mes remarques :

* 1. Sur le principe je n'ai pas d'opposition mas je pense que 3 jours par semaine c'est énorme. Si on ajoute les congés et jours fériés tu ne serais plus qu'un jour par semaine au bureau.

* Pour quelqu'un en charge de la com externe et INTERNE c'est peu crédible.

* 2. Le fait que ton travail après 9 ans se soit installé dans une sorte de routine est compréhensible (sortie régulière de docs etc...) mais je pense que p. a remarqué cette routine

* Va à l'encontre de la valeur ajoutée du poste. Il n'a fait quelques allusions, notamment à Porquerolles, il faudra que tu songes à te renouveler si tu veux durer à mon avis.

* Il est possible que toi aussi tu ressentes de la lassitude, tout cela dépend un peu de ce que tu veux faire à terme.

* 3. Si les jours à Monaco n'a aucune visite particulière de la filiale, de managers ou de p. tu n'es pas la, ca n'est sans doute effectivement pas grave.

Si tu es absence quand p. est la ou une visite particulière, a mon avis ca te décrédibilisera rapidement.

Encore un fois chacun s'organise comme il veut, je n'ai pas d'opposition de principe, mais si c'est géré de façon non réaliste il ne faudra pas venir se plaindre des conséquences.

À toi de voir. ».

L'interprétation donnée par Madame g. D. à ce courriel ne saurait être retenue par le Tribunal, dans la mesure où Monsieur g. R. ne voit pas d'opposition de principe à la demande de la salariée, mais alerte cette dernière si son travail ne se fait pas correctement.

Là encore, dans le cadre de son pouvoir de direction, l'employeur peut alerter son salarié sur les conséquences d'un travail déficient, sans pour autant que cela puisse dégénérer en un chantage ou une menace.

Enfin, l'article 8 de la loi n° 1.429 invoqué par la demanderesse n'a en aucune manière été bafoué, Madame g. D. ne démontrant pas qu'elle n'a pu bénéficier des mêmes droits collectifs, des mêmes possibilités de carrière et du même accès à l'information et à la formation que ses collègues de travail.

Madame g. D. considère encore que la véritable cause du licenciement est économique.

Elle indique à ce titre qu'il « appartiendra à la société D. de démontrer en l'espèce que ce n'est pas le cas, et que le licenciement de Madame g. D. ne cache pas en réalité un motif économique. ».

Il convient de rappeler à la demanderesse que la charge de la preuve du caractère abusif de la rupture, et notamment du motif fallacieux, repose exclusivement sur le salarié.

Force est de constater que la demanderesse est défaillante dans l'administration de la preuve sur ce point.

Ce faisant, Madame g. D. n'apporte aucun argument quant à un quelconque motif fallacieux ayant précédé le licenciement.

La salariée invoque enfin le caractère brutal de la rupture et considère que l'employeur a reconnu le caractère abusif de celle-ci, ainsi que le préjudice subi, en proposant une indemnité transactionnelle.

Il a été retenu supra que la décision de l'employeur de rompre le contrat de travail litigieux avait été prise dès le 23 janvier 2019, alors que Madame g. D. n'avait pas encore reçu la lettre de convocation à l'entretien préalable.

Cependant, cette volonté ne saurait être déclarée abusive dans la mesure où le Directeur des Ressources Humaines a simplement informé la salariée de l'intention de l'employeur de rompre son contrat de travail.

Madame g. D. se verra ainsi remettre une lettre de convocation à un entretien préalable en vue de son licenciement éventuel, et ce pour le 29 janvier suivant.

L'employeur va ensuite licencier la demanderesse par lettre du 29 janvier 2019.

Madame g. D. a été dispensée de toute présence dans les locaux de l'entreprise dès le 24 janvier 2019, sans aucune justification particulière et alors que la rupture n'est intervenue que par courrier en date du 29 janvier 2019.

Ainsi, le contexte dans lequel est intervenue cette dispense de présence dans l'entreprise est de nature en l'espèce à jeter le discrédit sur la salariée et à lui conférer en définitive un caractère abusif.

La rupture présente dans ces circonstances un caractère abusif et vexatoire, justifiant l'octroi de dommages et intérêts à la salariée.

En définitive, les circonstances entourant ladite rupture sont dès lors abusives, justifiant l'allocation à Madame g. D. de dommages et intérêt en réparation de son préjudice moral.

En effet, il est de principe que toute demande de dommages et intérêts formée du chef d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, et non d'un abus dans la prise de décision, ne peut être admise qu'en ce qui concerne le préjudice moral qui résulte du contexte ayant présidé à sa mise en œuvre, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe.

En l'état de l'analyse qui précède et des éléments d'appréciation produits, le préjudice de Madame g. D. apparaît devoir être justement évalué à la somme de 20.000 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

* Sur les dommages et intérêts pour résistance abusive à la remise de l'attestation reprenant les informations d'assurance véhicule

Le Tribunal relève que cette demande n'est pas en lien avec le contrat de travail.

Il s'agit en effet d'une requête présentée par Madame g. D. à titre privée, destinée à son propre assureur pour calculer le montant de la police d'assurance de son véhicule personnel.

S'agissant d'un moyen de droit soulevé d'office par le Tribunal, il convient d'ordonner la réouverture des débats et d'inviter les parties à présenter leurs observations sur la recevabilité de ladite demande.

* Sur les dépens

Les dépens de la présente décision seront mis à la charge de la S. A. M. D. CORPORATE HOLDINGS LTD.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, par jugement mixte, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Prononce la nullité de l'attestation produite en pièce n° 19 par Madame g. D.;

Dit que le licenciement de Madame g. D. par la S. A. M. K est abusif ;

Condamne la S. A. M. K à payer à g. D. la somme de 20.000 euros (vingt mille euros) de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

Avant-dire-droit sur les dommages et intérêts pour résistance abusive à la remise de l'attestation reprenant les informations d'assurance véhicule ;

Ordonne la réouverture des débats et enjoins aux parties de présenter leurs observations sur le moyen de droit tenant à la recevabilité de ladite demande et la compétence de la présente juridiction à ce titre ;

Dit que les parties concluront sur ces points selon le calendrier suivant :

* - le VENDREDI 9 AVRIL 2021 Maître Christophe BALLERIO, pour le compte de Madame g. D.;

* - le MERCREDI 12 MAI 2021 Maître Patricia REY, pour le compte de la S. A. M. K ;

* - le JEUDI 10 JUIN 2021 pour plaidoiries ;

Condamne la S. A. M. K aux dépens de la présente décision ;

Composition

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Guy-Philippe FERREYROLLES, Jean-François MUFRAGGI, membres employeurs, Monsieur Jean-Pierre MESSY, Madame Alexandra OUKDIM, membres salariés, et lecture étant considérée comme donnée à l'audience publique, au Palais de Justice, le vingt-cinq février deux mille vingt et un, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Guy-Philippe FERREYROLLES, Jean-François MUFRAGGI, Jean-Pierre MESSY et Madame Alexandra OUKDIM, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire adjoint, le dispositif de la décision étant affiché dans la salle des pas perdus du Palais.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 19666
Date de la décision : 25/02/2021

Analyses

Procédure civile ; Rupture du contrat de travail ; Conditions de travail


Parties
Demandeurs : Madame g. D.
Défendeurs : La SAM K

Références :

article 8 de la loi n° 1.429 du 4 juillet 2016
loi n° 1.429 du 4 juillet 2016
article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968
article 1203 du Code civil
Article 324 du Code de procédure civile
article 103 du Code pénal
article 6 de la loi n° 729 du 16 mars 1963


Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2021-02-25;19666 ?

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