Abstract
Contrat de travail - Licenciement - Vol commis au préjudice de son employeur - Faute grave (non) - Motif valable (non) - Caractère abusif (non) -Mise à pied conservatoire - Nullité (oui)
Résumé
Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture et notamment de la faute grave alléguée. La faute grave résulte de tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis. Cette faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est découlé. Le vol ou le détournement de marchandises commis au préjudice de son employeur par un salarié constitue en principe une faute grave.
En l'espèce, les faits reprochés ne sont pas contestés par le salarié, qui cependant estime qu'ils ne peuvent justifier un licenciement. Le règlement intérieur prévoit que le vol commis au détriment de l'entreprise ou d'un membre du personnel constitue une faute grave entraînant la résiliation immédiate du contrat de travail sans préavis. Cependant, le Tribunal du travail conserve toute plénitude pour apprécier la faute reprochée et son degré de gravité. La validité du règlement intérieur ne saurait être contestée dans la mesure où il répond aux prescriptions prévues par les dispositions de la loi n° 711 du 18 décembre 1961 sur le Règlement Intérieur des entreprises. Le contrat de travail liant les parties stipule à ce titre que le salarié doit se conformer à tous les règlements et les normes de conduite applicables au sein de l'Hôtel et des Hôtels A.
Contrairement aux déclarations du salarié il ne s'agit pas de quelques viennoiseries mais d'un récipient rempli de petits pains au chocolat et de croissants. Cependant, il n'est pas contesté par l'employeur que ces produits (marchandises) sont d'abord à la disposition des clients, puis en cas de non-consommation, à la disposition du personnel qui doit les consommer sur place. À défaut, et conformément aux dispositions du Règlement Intérieur, les salariés doivent solliciter un bon de sortie auprès du chef du département, ce que le salarié a omis de faire. Cette simple omission ne saurait constituer une quelconque faute eu égard à la nature des produits concernés, qui étaient de toute évidence à la disposition du personnel (les viennoiseries devant en outre être jetées si elles n'étaient pas consommées par le personnel) et au caractère isolé de la faute. En outre, le kit brosse à dents est un produit mis à la disposition des clients dans les chambres de l'hôtel, de sorte que la version du salarié qui n'a aucunement accès aux chambres et selon laquelle il aurait trouvé ce kit par terre est recevable. Ce faisant, ce produit était dans ces conditions impropre à une réutilisation. Ainsi, l'employeur n'a subi aucun préjudice financier. Il n'a pas plus été apporté de trouble au bon fonctionnement ou à la réputation de l'hôtel. Par ailleurs, le salarié, qui avait onze ans et six mois d'ancienneté, n'avait fait l'objet d'aucune sanction antérieurement aux faits litigieux. L'employeur l'a repris en contrat à durée déterminée de mai 2005 à septembre 2012, date à laquelle il a bénéficié d'un contrat à durée indéterminée ; les quelques remarques sur ses évaluations antérieurement à la conclusion du contrat à durée indéterminée n'ayant pas été jugées suffisamment importantes par l'employeur. L'employeur ne saurait arguer qu'il était contraint de recourir à une telle mesure au risque de créer un précédent et d'ouvrir la porte aux agissements délictueux d'employés qui au motif de leur ancienneté et d'absence de fautes antérieures pourraient agir impunément. En effet, une telle affirmation de principe se trouve contredite par les circonstances de l'espèce et les compétences du salarié de sorte que la défenderesse pouvait faire usage d'autres mesures disciplinaires. Ces éléments, dans leur ensemble, permettent de considérer que les faits litigieux ne constituent pas une faute, a fortiori grave, de nature à justifier un licenciement. Le licenciement ne repose en conséquence ni sur une faute grave ni sur un motif valable. Conformément à l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, le salarié est en droit de prétendre à une indemnité de licenciement. Il convient également d'annuler la mise à pied conservatoire du 7 octobre 2016.
Le Tribunal relève que le salarié ne fait état d'aucun motif fallacieux justifiant l'indemnisation d'un quelconque préjudice financier. Dès lors, aucune faute de l'employeur ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement. Les pièces du dossier montrent que l'employeur a adressé un courrier en date du 7 octobre 2016 notifiant une mise à pied à titre conservatoire et convoquant le salarié à un entretien préalable fixé au 11 octobre 2016, et a adressé la lettre de licenciement le 13 octobre 2016, après avoir pris un délai de réflexion. Aucune faute ne peut dès lors être reprochée à l'employeur dans la mise en œuvre et les circonstances entourant le licenciement. Le salarié sera dans ces circonstances débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Motifs
TRIBUNAL DU TRAVAIL
JUGEMENT DU 19 SEPTEMBRE 2019
* En la cause de Monsieur n. Z., demeurant X1à NICE (06300) ;
Demandeur, ayant élu domicile en l'étude de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice ;
d'une part ;
Contre :
* La société anonyme monégasque dénommée A, dont le siège social se situe X2 à MONACO ;
Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;
d'autre part ;
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la requête introductive d'instance en date du 12 avril 2017, reçue le 18 avril 2017 ;
Vu la procédure enregistrée sous le numéro 81-2016/2017 ;
Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 16 mai 2017 ;
Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de Monsieur n. Z. en date des 7 décembre 2017, 7 juin 2018 et 10 janvier 2019 ;
Vu les conclusions de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur au nom de la S. A. M. A, en date des 5 avril 2018, 4 octobre 2018 et 14 mars 2019 ;
Après avoir entendu Maître Aurélie SOUSTELLE, avocat au barreau de Nice pour Monsieur n. Z. et Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco pour la S. A. M. A, en leurs plaidoiries ;
Vu les pièces du dossier ;
* * * *
Monsieur n. Z. a été embauché par la société anonyme monégasque A suivant contrat à durée déterminée du 9 mai 2005 au 31 octobre 2006 en qualité de Plongeur/Nettoyeur jour/nuit.
Plusieurs contrats à durée déterminée seront par la suite signés entre les parties :
* du 1er février 2007 au 30 septembre 2008,
* du 14 avril 2009 au 31 octobre 2010,
* du 16 mai 2011 au 30 septembre 2012.
À compter du 2 mai 2013, Monsieur n. Z. a été embauché en contrat à durée indéterminée.
Par lettre en date du 7 octobre 2016, remise en main propre le 9 octobre 2016, l'employeur a infligé à Monsieur n. Z. une mise à pied conservatoire. Ce dernier était également convoqué le 11 octobre suivant au bureau des ressources humaines afin d'envisager la suite à donner au contrat.
Par courrier en date du 13 octobre 2016, Monsieur n. Z. a été licencié pour faute grave.
Par requête en date du 12 avril 2017, reçue au greffe 18 avril 2017, Monsieur n. Z. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :
* annulation de la mise à pied conservatoire du 7 octobre 2016,
* indemnité de préavis : 4.350 euros,
* congés payés sur indemnité de préavis : 435 euros,
* indemnité de congédiement : 1.500 euros,
* indemnité de licenciement (après déduction de l'indemnité de congédiement) : 2.100 euros,
* dommages et intérêts pour licenciement abusif : 35.000 euros,
* délivrance d'un certificat de travail et attestation Pôle Emploi conformes (date de sortie 16 décembre 2016) sous astreinte de 20 euros par jour de retard,
* intérêts au taux légal,
* exécution provisoire.
Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.
Monsieur n. Z. a déposé des conclusions les 7 décembre 2017, 7 juin 2018 et 10 janvier 2019 dans lesquelles il demande au Tribunal dans le dernier état de ses écritures de :
* «- constater que la présente procédure est dirigée à l'encontre de la S. A. M. A,
* - dire et juger que le licenciement de Monsieur n. Z. ne repose pas sur une faute grave,
* - par conséquent :
* - annuler la mise à pied conservatoire du 7 octobre 2016,
* - condamner la S. A. M. A à lui régler la somme de 4 050.38 euros au titre de l'indemnité de préavis, outre les congés payés y afférents, soit 405.03 euros,
* - condamner la S. A. M. A à lui régler la somme de 1 451.38 euros au titre de l'indemnité de congédiement,
* - ordonner à la S. A. M. A de délivrer à Monsieur n. Z. un certificat de travail conforme portant comme date de sortie le 16 décembre 2016 et ce sous astreinte de 20 euros par jour de retard à compter du jugement prononçant ladite condamnation,
* - constater que le licenciement ne repose sur aucun motif valable,
* - par conséquent :
* - condamner la S. A. M. A à lui régler fa somme de 3 321,31 euros au titre de l'indemnité de licenciement, et après déduction de l'indemnité de congédiement la somme de 1 869.93 euros,
* - condamner la S. A. M. A à lui régler la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
* - débouter la S. A. M. A de ses demandes, fins et conclusions,
* - dire que la décision à intervenir sera exécutoire en toutes ses dispositions et que les sommes auxquelles la S. A. M. A sera condamnée devront être payées avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice pour le rappel de salaire et à compter du jugement qui sera rendu pour les autres,
* - condamner la S. A. M. A en tous les dépens distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation. ».
Monsieur n. Z. fait essentiellement valoir que :
* il n'a jamais reçu la moindre sanction depuis son entrée au sein de l'Hôtel A,
* il connaissait bien son travail, satisfaisait les clients et était ponctuel,
* le grief porte sur un kit de brosse à dents jetable, ainsi que de la viennoiserie qui auraient été sortis à des fins personnelles,
* il a été contrôlé à la sortie de l'établissement et a ouvert spontanément son sac,
* s'il est prévu que les marchandises sortant de l'hôtel doivent faire l'objet d'un bon de sortie, le terme « marchandise » s'entend comme des objets non destinés à être jetés, comme la viennoiserie non consommée par la clientèle et mise à disposition du personnel,
* le kit de brosse à dents correspond à un échantillon de l'hôtel mis à disposition des clients,
* le responsable de service l'a laissé partir avec les aliments,
* l'employeur n'a subi aucun préjudice,
* l'employeur a saisi un prétexte pour se séparer de lui,
* le licenciement repose sur un faux motif,
* à aucun moment, le 11 octobre 2016, il n'a été question d'un éventuel licenciement,
* il est inscrit à Pôle Emploi depuis le licenciement,
* il souffre depuis la rupture d'un syndrome anxio-dépressif caractérisé.
La S. A. M. A a déposé des conclusions les 5 avril 2018, 4 octobre 2018 et 14 mars 2019 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et sollicite reconventionnellement la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Elle soutient essentiellement que :
* depuis son embauche en contrat à durée indéterminée, Monsieur n. Z. n'a plus guère montré d'entrain, ni d'enthousiasme dans l'exécution de son contrat de travail,
* le vol de marchandises commis par un salarié au préjudice de l'employeur constitue une faute grave,
* Monsieur n. Z. ne conteste pas les faits mais les minimise en plaidant la modicité du prix des articles dérobés,
* Monsieur n. Z. n'a, à aucun moment, sollicité un bon de sortie pour les marchandises emportées, conformément au Règlement Intérieur,
* le demandeur a tenté jusqu'au dernier moment de dissimuler les marchandises emportées,
* les viennoiseries mises à la disposition des salariés alors qu'elles n'ont pas été consommées par la clientèle n'ont pas vocation à être emportées par les salariés hors de l'établissement,
* le salarié a été invité à s'expliquer sur son comportement,
* les états de service du salarié ne sont pas la cause de son licenciement,
* le prétendu état anxio-dépressif persistant a été constaté par un médecin généraliste qui n'est pas le plus à même de se prononcer sur cette maladie mentale désocialisante.
La défenderesse soulève également la nullité de l'attestation produite par Monsieur n. Z. en pièce n° 19.
SUR CE,
* Sur la nullité de l'attestation produite par Monsieur n. Z. en pièce n° 19
Aux termes de l'article 324 du Code de procédure civile, « l'attestation doit, à peine de nullité :
1° être établie par une personne remplissant les conditions requises pour être entendue comme témoin ;
2° être écrite, datée et signée de la main de son auteur ;
3° mentionner les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur, ainsi que l'existence ou l'absence de liens de parenté, d'alliance, de subordination ou d'intérêt avec les parties ;
4° préciser si son auteur a quelque intérêt au procès ;
5° indiquer qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur sait qu'une fausse attestation l'exposerait aux sanctions prévues par l'article 103 du Code pénal ;
6° être accompagnée de tout document officiel, en original ou en photocopie, justifiant de l'identité de son auteur et comportant sa signature. ».
L'employeur soutient que le document n'est ni daté, ni signé, et ne comporte pas toutes les mentions obligatoires exigées par l'article 324 du Code de procédure civile, en particulier celles prévues aux alinéas 2 et 5.
La pièce n° 19 est constituée par une attestation établie par Monsieur j-p. M. datée et signée conformément au deuxièmement de l'article 324 du Code de procédure civile.
Elle comporte également la mention prévue au cinquièmement du même article.
La demande en nullité de ce témoignage sera dans ces circonstances rejetée.
* Sur le motif de la rupture
Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture et notamment de la faute grave alléguée.
La faute grave résulte de tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis.
Cette faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est découlé.
En l'espèce, Monsieur n. Z. a été licencié par lettre du 13 octobre 2016 ainsi libellée :
« Monsieur Z.
En date du 6 octobre courant, lors de votre sortie de l'établissement à la fin de votre horaire de travail, l'agent de sécurité en poste a effectué un contrôle de vos sacs tel que prévu par notre règlement intérieur.
Il a constaté que vous aviez dans vos sacs des marchandises pour lesquelles vous n'aviez pas de bon de sortie tel que le prévoient nos procédures, ni même d'autorisation préalable de votre hiérarchie.
Vous étiez donc en train de sortie des marchandises de l'Hôtel à des fins personnelles.
À ce titre, votre comportement relève du vol de marchandises aux dépens de notre hôtel et constitue donc une faute grave.
Au regard de la situation, nous vous avons notifié votre mise à pied conservatoire afin de vous laisser un temps de réflexion. Nous vous avions fixé un rendez-vous le mardi 11 octobre 2016 afin de vous entendre sur ce sujet.
Au cours de notre entretien, qui s'est déroulé en présence de votre délégué du personnel, vous avez reconnu votre faute.
Après analyse de ce rendez-vous, force est de constater qu'aucun fait ne pouvant minimiser votre faute n'a été apporté, aussi nous sommes dans l'obligation de vous signifier votre licenciement pour faute grave en date du 15 octobre 2016... ».
Le vol ou le détournement de marchandises commis au préjudice de son employeur par un salarié constitue en principe une faute grave.
La faute entraînant des conséquences importantes sur le fonctionnement de l'entreprise, portant atteinte à l'image de marque de l'entreprise ou mettant en cause la réputation de l'entreprise justifie la rupture du contrat de travail.
En l'espèce, les faits reprochés ne sont pas contestés par le salarié, ce dernier estimant qu'ils ne peuvent justifier un licenciement.
Il résulte des dispositions du paragraphe 6 « Ordre et discipline », en son article 1, alinéa 2, du règlement intérieur de l'Hôtel A que :
« Il est à noter que la sortie de toute marchandise à l'extérieur de l'hôtel doit impérativement être justifiée par un bon de sortie dûment établi par le chef de département. ».
Le paragraphe 7 prévoit encore que le vol commis au détriment de l'entreprise ou d'un membre du personnel constitue une faute grave entraînant la résiliation immédiate du contrat de travail sans préavis.
Cependant, le Tribunal du travail conserve toute plénitude pour apprécier la faute reprochée et son degré de gravité.
La validité de ce règlement intérieur ne saurait être contestée dans la mesure où il répond aux prescriptions prévues par les dispositions de la Loi n° 711 du 18 décembre 1961 sur le Règlement Intérieur des entreprises.
Le contrat de travail liant les parties stipule à ce titre que le salarié doit se conformer à tous les règlements et les normes de conduite applicables au sein de l'Hôtel et des Hôtels A.
Dans le cas d'espèce, les faits sont décrits par Monsieur p. N. de la manière suivante :
« Lors de ma vacation du 6 octobre 2016 au pointeau du A à 16 h 23, j'ai contrôlé Monsieur Z. carte de service Z1. Il avait deux sacs, un en papier, l'autre en tissu noir . J'ai tout d'abord contrôlé le sac en papier qui était couvert par un journal, en retirant celui-ci, j'ai découvert un récipient en plastique avec un couvercle. Quand je l'ai retiré, j'ai constaté qu'il était rempli de petits pains au chocolat et de croissants.
J'ai aussitôt fait prévenir son responsable qui est arrivé rapidement au pointeau. Puis, j'ai contrôlé le sac à dos noir dans lequel il y avait un kit de brosse à dents que l'hôtel met à la disposition des clients.
En aucun cas, Monsieur Z. ne m'a signalé qu'il avait quelque chose à sortir de l'hôtel. C'est seulement lors du contrôle qu'il n'a dit que si ça posait un problème, il laissait tout ici .
Son responsable de service l'a laissé repartir avec les aliments et il a récupéré le kit hygiénique. ».
Ainsi, et contrairement aux déclarations de Monsieur n. Z. il ne s'agit pas de quelques viennoiseries mais d'un récipient rempli de petits pains au chocolat et de croissants.
Cependant, il n'est pas contesté par l'employeur que ces produits (marchandises) sont d'abord à la disposition des clients, puis en cas de non consommation, à la disposition du personnel qui doit les consommer sur place.
À défaut, et conformément aux dispositions du Règlement Intérieur, les salariés doivent solliciter un bon de sortie auprès du chef du département, ce que Monsieur n. Z. a omis de faire.
Cette simple omission ne saurait constituer une quelconque faute eu égard à la nature des produits concernés, qui étaient de toute évidence à la disposition du personnel (les viennoiseries devant en outre être jetées si elles n'étaient pas consommées par le personnel) et au caractère isolé de la faute.
En outre, le kit brosse à dents est un produit mis à la disposition des clients dans les chambres de l'hôtel, de sorte que la version de Monsieur n. Z. qui n'a aucunement accès aux chambres et selon laquelle il aurait trouvé ce kit par terre est recevable.
Ce faisant, ce produit était dans ces conditions impropre à une réutilisation.
Ainsi, l'employeur n'a subi aucun préjudice financier.
Il n'a pas plus été apporté de trouble au bon fonctionnement ou à la réputation de l'hôtel.
Par ailleurs, Monsieur n. Z. avait onze ans et six mois d'ancienneté (dont six ans et cinq mois en contrat saisonnier) et n'avait fait l'objet d'aucune sanction antérieurement aux faits litigieux. L'employeur l'a repris en contrat à durée déterminée de mai 2005 à septembre 2012, date à laquelle il a bénéficié d'un contrat à durée indéterminée ; les quelques remarques sur ses évaluations antérieurement à la conclusion du contrat à durée indéterminée n'ayant pas été jugées suffisamment importantes par l'employeur.
Au contraire, il apparaît que Monsieur n. Z. a toujours réalisé ses tâches de travail correctement, ce qui est souligné par Monsieur j-p. M. Cuisinier à l'Hôtel A, en ces termes :
« En tant que cuisinier nous travaillons en partenariat avec le service du stewarding où travaillait Mr Z. Le stewarding est un service primordial pour la cuisine, car si la vaisselle et le matériel ne sont pas propres ou bien rangés, nous avons le double de travail et cela se ressent aussi sur notre organisation.
Mr Z. a toujours fait consciencieusement son travail, avec minutie et organisation. Il venait régulièrement me voir pour savoir si nous avions besoin de matériel. Cela est appréciable car de plus en plus de service passe par un roulement d'extras livrés à eux-mêmes. ».
Bien plus, l'employeur ne saurait arguer qu'il était contraint de recourir à une telle mesure au risque de créer un précédent et d'ouvrir la porte aux agissements délictueux d'employés qui au motif de leur ancienneté et d'absence de fautes antérieures pourraient agir impunément.
En effet, une telle affirmation de principe se trouve contredite par les circonstances de l'espèce et les compétences de Monsieur n. Z. de sorte que la défenderesse pouvait faire usage d'autres mesures disciplinaires.
Ces éléments, dans leur ensemble, permettent de considérer que les faits litigieux ne constituent pas une faute, a fortiori grave, de nature à justifier un licenciement.
Le licenciement de Monsieur n. Z. ne repose en conséquence ni sur une faute grave ni sur un motif valable.
Conformément à l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, Monsieur n. Z. est en droit de prétendre à une indemnité de licenciement calculée comme suit :
* Indemnité : 2.025,19 / 25 x 41 (nombre de mois d'ancienneté) = 3.321,31 euros, de laquelle il convient de déduire l'indemnité de congédiement d'un montant de 1.451,38 euros mise à la charge de l'employeur par le présent jugement, le mode de calcul n'étant pas contesté par ce dernier.
La somme devant revenir à Monsieur n. Z. au titre de l'indemnité de licenciement s'élève à 1.869,93 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.
L'employeur sera également condamné à payer au salarié la somme de 1.451,38 euros au titre de l'indemnité de congédiement prévue par l'article 1er de la loi n° 845 du 27 juin 1968, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.
Monsieur n. Z. peut également prétendre au versement de l'indemnité de préavis de deux mois soit 2.025,19 euros x 2 = 4.050,38 euros brut, outre l'indemnité de congés payés sur préavis représentant 1/10ème de l'indemnité de préavis soit 405,03 euros brut, avec intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2017, date de réception au greffe de la requête introductive d'instance et exécution provisoire s'agissant de salaire et accessoires.
Il convient également d'annuler la mise à pied conservatoire du 7 octobre 2016.
* Sur le caractère abusif du licenciement
Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ; qu'il appartient au salarié qui se prévaut du caractère abusif de la rupture d'en rapporter la preuve.
Il appartient à celui qui réclame des dommages et intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné.
En application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts.
Le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision, soit par exemple en invoquant des motifs fallacieux ou encore en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal, ce qui ne s'avère pas être le cas en l'espèce.
S'agissant d'un motif non valable, il n'est pas, pour autant, automatiquement fallacieux.
Monsieur n. Z. ne démontre pas avoir été licencié pour un autre motif que celui contenu dans la lettre de rupture.
Un licenciement peut être considéré comme abusif (qu'il ait été reconnu valable ou non) si l'employeur a avancé pour le justifier un faux motif, c'est-à-dire un motif qui n'était pas le motif réel qui l'a conduit à prendre cette décision et qui voulait « tromper ».
Par ailleurs, le faux motif ne peut caractériser de facto l'abus de l'employeur ; à défaut, cela reviendrait à utiliser la notion française de « cause réelle et sérieuse ».
En effet, en droit français, un licenciement sans cause réelle et sérieuse (fondé sur un faux motif) est abusif et entraîne automatiquement l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
En droit monégasque, un licenciement fondé ou non sur des motifs valables peut ne pas être considéré comme abusif.
Eu égard à ces observations, le Tribunal relève que Monsieur n. Z. ne fait état d'aucun motif fallacieux justifiant l'indemnisation d'un quelconque préjudice financier.
Dès lors, aucune faute de l'employeur ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement.
Les pièces du dossier montrent que l'employeur a :
* adressé un courrier en date du 7 octobre 2016 notifiant une mise à pied à titre conservatoire et convoquant le salarié à un entretien préalable fixé au 11 octobre 2016,
* adressé la lettre de licenciement le 13 octobre 2016, après avoir pris un délai de réflexion.
Aucune faute ne peut dès lors être reprochée à l'employeur dans la mise en œuvre et les circonstances entourant le licenciement.
Monsieur n. Z. sera dans ces circonstances débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
* Sur la rectification du certificat de travail
Il convient d'ordonner, en tant que de besoin, la délivrance d'un certificat de travail rectifié portant la date de sortie au 16 décembre 2016 (expiration du préavis), dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement, la nécessité d'une mesure d'astreinte n'étant par ailleurs nullement établie
* Sur la demande reconventionnelle de la défenderesse
Les prétentions de Monsieur n. Z. étant fondées, la demande en dommages et intérêts présentée par la défenderesse pour procédure abusive ne saurait prospérer.
* Sur l'exécution provisoire
Les conditions requises par l'article 202 du Code de procédure civile pour que l'exécution provisoire puisse être ordonnée n'étant pas réunies en l'espèce la demande à ce titre ne pourra qu'être rejetée.
* Sur les dépens
La S. A. M. A, qui succombe, doit supporter les dépens du présent jugement.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,
Dit que le licenciement de Monsieur n. Z. par la société anonyme monégasque A n'est pas fondé sur un motif valable et n'est pas abusif ;
Annule la mise à pied conservatoire du 7 octobre 2016 ;
Condamne la S. A. M. A à payer à Monsieur n. Z. les sommes suivantes :
* - 1.869,93 euros (mille huit cent soixante-neuf euros et quatre-vingt-treize centimes), à titre d'indemnité de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision ;
* - 1.451,38 euros (mille quatre cent cinquante et un euros et trente-huit centimes) au titre de l'indemnité de congédiement, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision ;
* - 4.050,38 euros brut (quatre mille cinquante euros et trente-huit centimes) à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés afférents à hauteur de 405,03 euros brut (quatre cent cinq euros et trois centimes), avec intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2017 date de réception au greffe de la requête introductive d'instance, et ce, sous le bénéfice de l'exécution provisoire ;
Ordonne, en tant que de besoin, la délivrance par la S. A. M. A à Monsieur n. Z. dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, d'un certificat de travail rectifié portant la date de sortie au 16 décembre 2016 conforme à la présente décision ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la S. A. M. A aux dépens du présent jugement ;
Composition
Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Jean-François MUFRAGGI, Francis GRIFFIN, membres employeurs, Monsieur Thomas BONAFEDE, Madame Alexandra OUKDIM, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le dix-neuf septembre deux mille dix-neuf, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Francis GRIFFIN et Thomas BONAFEDE, Madame Alexandra OUKDIM et Monsieur Jean-François MUFRAGGI étant empêchés, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire adjoint.
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