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27/06/2019 | MONACO | N°18270

Monaco | Tribunal du travail, 27 juin 2019, Madame a. S. épouse MC F. c/ La SAM A


Abstract

Procédure civile - Attestations de témoin - Nullité - Nouvelle attestation - Nullité - Contrat de travail - Licenciement - Condamnation pénale portant sur les faits motivant le licenciement  - Faute grave (oui) - Motif valable (oui) - Caractère abusif (non) - Procédure abusive - Salarié - Procédure abusive (oui) - Dommages et intérêt = 5 000 €

Résumé

Il n'est pas possible de confirmer une attestation déclarée nulle sans reprendre intégralement les propos y contenus dans une nouvelle attestation. L'attestation ne sera dès lors pas annulée mais

ne sera d'aucune utilité pour la solution du litige dans la mesure où elle ne comporte...

Abstract

Procédure civile - Attestations de témoin - Nullité - Nouvelle attestation - Nullité - Contrat de travail - Licenciement - Condamnation pénale portant sur les faits motivant le licenciement  - Faute grave (oui) - Motif valable (oui) - Caractère abusif (non) - Procédure abusive - Salarié - Procédure abusive (oui) - Dommages et intérêt = 5 000 €

Résumé

Il n'est pas possible de confirmer une attestation déclarée nulle sans reprendre intégralement les propos y contenus dans une nouvelle attestation. L'attestation ne sera dès lors pas annulée mais ne sera d'aucune utilité pour la solution du litige dans la mesure où elle ne comporte aucune déclaration de nature à éclairer le Tribunal sur les faits litigieux auxquels l'auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés.

Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture et notamment de la faute grave alléguée. La faute grave résulte de tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis. Cette faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est découlé.

Si le salarié est sanctionné pénalement par une juridiction répressive pour les mêmes faits que ceux reprochés dans la lettre de licenciement, le licenciement est valable par l'effet de l'autorité de la chose jugée par la juridiction pénale. La décision du juge pénal qui condamne un salarié est revêtue de l'autorité de la chose jugée et s'impose au juge civil pour l'appréciation du caractère valable du licenciement. Cependant, la décision du juge pénal ne s'impose au Tribunal du travail qu'en ce qui concerne la réalité des faits et leur imputabilité au salarié. En revanche, en présence d'une condamnation pénale portant sur les faits motivant le licenciement, les juges du fond conserve leur pouvoir d'appréciation sur le caractère de gravité de la faute, sans pour autant remettre en cause le licenciement lui-même. Les pièces nouvelles censées démontrer les allégations de la salariée sont contredites par les pièces de la procédure pénale, aucun élément probant n'étant de nature à remettre en cause les faits pour lesquels celle-ci a été licenciée puis condamnée pénalement. La salariée procède par voie d'affirmations en interprétant erronément certains documents. Le licenciement est déclaré valable.

Le faux motif ne peut caractériser de facto l'abus de l'employeur ; à défaut, cela reviendrait à utiliser la notion française de « cause réelle et sérieuse ». En droit français, un licenciement sans cause réelle et sérieuse (fondé sur un faux motif) est abusif et entraîne automatiquement l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. En droit monégasque, un licenciement fondé ou non sur des motifs valables peut ne pas être considéré comme abusif. Dans ces circonstances, la salariée est donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour licencient abusif.

La défenderesse sollicite la condamnation de la salariée pour procédure abusive. L'action en justice constitue l'exercice d'un droit et l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas, en soi, constitutive d'un abus, sauf démonstration d'une intention de nuire, d'une malveillance ou d'une erreur équipollente au dol. Il résulte de l'ensemble des explications développées supra que, à la suite des décisions pénales rendues à l'encontre de la salariée et notamment celle rendue par la Cour de révision lui refusant la reprise du procès pénale malgré les pièces nouvelles communiquées, celle-ci a, malgré ce, maintenu la présente procédure. La demanderesse a à ce titre considéré que ses demandes étaient fondées eu égard aux pièces nouvelles, alors que ces dernières n'ont pas été jugées suffisamment probantes par la Cour de révision. Madame a. MC F. n'a pu, de ce fait, se méprendre sur la portée de ses droits. L'employeur a dès lors été contrainte de supporter une procédure longue et injustifiée, lui occasionnant un préjudice moral et financier dont réparation lui est due. La salariée est condamnée à lui payer la somme de 5 000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 27 JUIN 2019

* En la cause de Madame a. S. épouse MC F., demeurant X1 à MONACO ;

Demanderesse, ayant primitivement élu domicile en l'étude de Maître Rémy BRUGNETTI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, puis en celle de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur près la même Cour et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'une part ;

Contre :

* La société anonyme monégasque dénommée A, dont le siège social se situe X2 à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu le jugement de sursis à statuer du Tribunal du Travail en date du 25 février 2010 ;

Vu les procédures enregistrées sous les numéros 35-2008/2009 et 59-2017/2018 ;

Vu les conclusions de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur au nom de Madame a. S. épouse MC F. en date des 23 novembre 2015 déposées le 25 novembre 2015, 4 mai 2017, 5 avril 2018 et 4 octobre 2018 ;

Vu les conclusions de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur au nom de la SAM A, en date des 14 juillet 2016, 5 octobre 2017, 17 mai 2018 et 6 décembre 2018 ;

Ouï Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco pour la SAM A, en sa plaidoirie ;

Vu les pièces du dossier ;

* * * *

Par jugement en date du 25 février 2010, auquel il convient de se référer pour un examen plus ample des faits de la cause et de la procédure, le Tribunal a ordonné un sursis à statuer jusqu'à ce qu'il ait été statué définitivement dans l'instance pénale diligentée par la société anonyme monégasque A à l'encontre de Madame a. S. épouse MC F.

Par requête en date du 29 mars 2018 reçue au greffe le même jour, Madame a. MC F. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

«* voir ordonner une expertise comptable aux frais avancés partagés par les parties, et désigner à cet effet tel expert-comptable qu'il appartiendra avec pour mission de :

* - se faire remettre tous documents nécessaires et de quelques natures que ce soit afin d'établir la matérialité du système de prime forfaitaire remboursable par compensation avec des dépenses à caractère personnel, ainsi que la matérialité des compléments de salaires et rémunérations de toutes sortes, non déclarées,

* - puis faire le compte exacte entre les parties depuis date non prescrite et à tout le moins depuis 2003, eu égard à la situation particulière de l'absence d'officialité des modes de rémunérations,

* voir ordonner une expertise dans le domaine informatique aux frais avancés partagés entre les parties et désigner à cet effet tel expert en informatique qu'il appartiendra avec pour mission de :

* - se rendre dans les locaux de la SAM A accéder à l'ensemble du système informatique de cette société et y relever toute suppression ou anomalie informatique ayant pu permettre de modifier les données relatives à Madame a. MC F.

* - se faire remettre l'ordinateur personnel sur lequel Madame a. MC F. travaillait au sein de la SAM A, examiner le contenu du disque dur, donner le compte rendu des fichiers relatifs à ses réclamations salariales et des mails y relatifs échangés avec Monsieur m. K. notamment durant les mois ayant précédé son licenciement,

* - se rendre auprès du serveur de la société F afin de se faire remettre la transcription ou copies des mails échangés avec Monsieur m. K. entre les mois de mars et mai 2008 relatifs à sa situation d'employée et à la déclaration intégrale de ses salaires,

* voir instaurer une mesure d'enquête auprès des employés de la SAM A afin de vérifier la réalité de la situation de dissimulation partielle ou totale des salaires et primes versés aux salariés de cette société,

* - donner acte dans ce cas à Madame a. MC F. de ce qu'elle se proposera de préciser ultérieurement les situations et identités des personnes qui seront entendues par voie d'enquête,

* voir ordonner une expertise financière et désigner à tel effet tel expert qu'il appartiendra avec pour mission de donner toutes précisions sur l'évolution du dollar US et de l'Euro entre 2004 et 2008 et ses incidences dans le domaine économique notamment sur la rémunération occulte et officielle des salariés de la SAM A et de Madame a. MC F. en particulier.».

Aucune conciliation n'ayant pu intervenir, le dossier a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.

Madame a. MC F. a déposé des conclusions les 23 novembre 2015, 4 mai 2017, 5 avril 2018 et 4 octobre 2018 dans lesquelles elle demande au Tribunal, dans le dernier état de ses écritures, de :

* «- allouer de plus fort à la concluante l'entier bénéfice de la convocation devant le bureau de jugement en date du 2 décembre 2008,

* - joindre les instances introduites à la requête de Mme a. MC F. sur convocation devant le Bureau de jugement du 2 décembre 2008 ainsi que sur convocation devant le Bureau de Jugement du 8 mai 2018,

* - allouer à la concluante l'entier bénéfice de ses conclusions en date du 5 février 2009, 29 juillet 2009, 23 novembre 2015 et 05 avril 2018 tenues ici pour entièrement répétées,

* - rejeter l'exception de nullité de l'attestation de Mme P.(Pièces nos 63 - 63 bis),

* - rejeter l'exception d'irrecevabilité des demandes qualifiées de nouvelles devant le bureau de jugement s'agissant d'expertises et mesures d'enquêtes sollicitées avant-dire-droit :

* - donner acte toutefois à la concluante de ce que, à seule fin d'éviter un quelconque risque d'irrecevabilité de ses demandes, elle a saisi le bureau de conciliation desdites demandes parallèlement au dépôt des présentes conclusions,

* - dire et juger que par application du principe de l'unicité de l'instance édicté par l'article 59 de la Loi n° 446 sur le Tribunal du travail il devra être sursis à statuer à la présente instance, dans l'attente de la convocation des parties dans l'instance à venir à une prochaine audience du bureau de jugement,

* - dire et juger que par application du même principe il devra être statué sur ces deux instances par un seul et même jugement après jonction desdites instances,

* SUR LE FOND :

* - dire et juger que le licenciement de Mme MC F. pour faute grave ne repose sur aucun motif valable,

* - dire et juger que ce licenciement survenu dans des circonstances particulièrement brutales et sur la base de faux motifs revêt incontestablement un caractère abusif,

* PAR VOIE DE CONSEQUENCE :

* - CONDAMNER la SAM A à payer à Madame a. MC F. les sommes suivantes :

° INDEMNITÉS RÉCLAMÉES :

* I- NON PAYÉES POUR 2007 :

- 52.679 euros, au titre de sommes dues pour l'année 2007,

* II-NON PAYÉES EN 2008 :

- 65.359 euros, au titre des sommes dues pour l'année 2008,

* III - INDEMNITÉS LÉGALES OFFICIELLES :

(sur base salaires déclarés de 6.718,07 euros),

- 13.436,14 euros, à titre d'indemnité de préavis (2 mois),

- 1.399,59 euros à titre de congés payés sur préavis,

- 1.343 euros à titre d'indemnités de congédiement,

- 28.048,24 euros à titre d'indemnité de licenciement (sous déduction de l'indemnité de congédiement),

- 11.196,66 euros au titre de 50 jours de congés payés,

Soit un total de : 54.080,63 euros,

* IV - INDEMNITÉS LÉGALES :

(sur la base de compléments de salaires payés mais non déclarés de 15.408,33 euros),

- indemnités de préavis (2 mois) : 30.816,66 euros,

- congés payés sur préavis : 3.210,06 euros,

- indemnité de congédiement : 3.081,66 euros,

- indemnité de licenciement : 64.329,78 euros (sous déduction de l'indemnité de congédiement),

- congés payés (50 jours) : 32.100,68 euros

Soit un total de : 130.457,18 euros,

* V-PRIMES (calculées sur 1 % du chiffre d'affaires de 2003 à 2008 selon contrat d'intéressement) :

2003 : 270.000 euros,

2004 : 290.000 euros,

2005 : 330.000 euros,

2006 : 360.000 euros,

2007 : 400.000 euros,

2008 : 440.000 euros,

Soit un total de 2.090.000 euros,

- 2.000.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

SOIT UN TOTAL GÉNÉRAL de 4.392.575,81 euros,

* VI - DEMANDES COMPLÉMENTAIRES :

- la rectification des bulletins de salaire depuis le 1er juin 2003, sur la base du salaire effectif total,

- la régularisation auprès des divers organismes sociaux, des cotisations sur sommes non déclarées depuis le 1er juin 2003, sous astreinte de 500 euros par jour de retard,

- dire que La dite somme représentant l'ensemble des condamnations qui seront prononcées à l'encontre de la SAM A, portera intérêts au taux légal depuis la date de la citation devant le bureau de conciliation soit le 30 octobre 2008 et jusqu'à complet paiement,

- ordonner l'exécution provisoire du paiement de l'équivalent de 50 % des condamnations à intervenir nonobstant appel et sans caution,

* * si le Tribunal l'estimait nécessaire :

- voir ordonner une expertise comptable aux frais avancés partagés par les parties, et désigner à cet effet tel expert-comptable qu'il appartiendra avec pour mission de :

- se faire remettre tous documents nécessaires et de quelques natures que ce soit afin d'établir la matérialité du système de prime forfaitaire remboursable par compensation avec des dépenses à caractère personnel, ainsi que la matérialité des compléments de salaires et rémunérations de toutes sortes, non déclarées,

- puis faire le compte exacte entre les parties depuis date non prescrite et à tout le moins depuis 2003, eu égard à la situation particulière de l'absence d'officialité des modes de rémunérations,

* * parallèlement, voir ordonner avant-dire-droit une expertise dans le domaine informatique aux frais avancés partagés entre les parties et désigner à cet effet tel expert en informatique qu'il appartiendra avec pour mission de :

- se rendre dans les locaux de la SAM A accéder à l'ensemble du système informatique de cette société et y relever toute suppression ou anomalie informatique ayant pu permettre de modifier les données relatives à Madame a. MC F.

- se faire remettre l'ordinateur personnel sur lequel Madame a. MC F. travaillait au sein de la SAM A, examiner le contenu du disque dur, donner le compte rendu des fichiers relatifs à ses réclamations salariales et des mails y relatifs échangés avec Monsieur m. K. notamment durant les mois ayant précédé son licenciement,

- se faire remettre l'ordinateur de Mme l. V. secrétaire de Monsieur K. examiner le contenu de son disque dur notamment toutes la correspondance de monsieur K. pouvant permettre d'éclairer le Tribunal sur le présent litige,

- se rendre auprès du serveur de la société F afin de se faire remettre la transcription ou copies des mails échangés avec Monsieur m. K. entre les mois de mars et mai 2008 relatifs à sa situation d'employée et à la déclaration intégrale de ses salaires,

* * subsidiairement et si le tribunal l'estimait nécessaire à la manifestation de la vérité, avant dire droit, instaurer une mesure d'enquête auprès des employés de la SAM A afin de vérifier la réalité de la situation de dissimulation partielle ou totale des salaires et primes versés aux salariés de cette société,

- donner acte dans ce cas à Madame a. MC F. de ce qu'elle se proposera de préciser ultérieurement les situations et identités des personnes qui seront entendues par voie d'enquête,

* * tout aussi subsidiairement, ordonner avant dire droit une expertise financière et désigner à tel effet tel expert qu'il appartiendra avec pour mission de donner toutes précisions sur l'évolution du dollar US et de l'Euro entre 2004 et 2008 et ses incidences dans le domaine économique notamment sur la rémunération occulte et officielle des salariés de la SAM A et de Madame a. MC F. en particulier,

- en tout état de cause :

* * DÉBOUTER la SAM A de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles et notamment de sa demande en dommages et intérêts,

* * CONDAMNER la SAM A aux entiers dépens distraits au profit de Maître Joëlle PASTOR-BENSA, avocat-défenseur, sous sa due affirmation. ».

Madame a. MC F. fait essentiellement valoir que :

* l'instance pénale a abouti à sa condamnation pour abus de confiance à une peine de cinq mois d'emprisonnement assortie du sursis et au paiement à la SAM A d'une somme de 48.138,42 euros à titre de dommages-intérêts pour son préjudice matériel,

* le Tribunal du travail conserve son total pouvoir d'appréciation du bien-fondé des demandes au regard des éléments factuels de la cause à la lecture des pièces du dossier dont certaines n'ont pu être portés à la connaissance des Juges répressifs,

* elle ne s'occupait que des ventes et des activités marketing et tous les employés sous sa responsabilité étaient en charge des activités de vente,

* contrairement à ce qui est soutenu par l'employeur, elle n'était pas le numéro deux de la société,

* seul un tiers de son salaire réel apparaissait de manière officielle, le surplus lui étant réglé via des transferts bancaires de sociétés offshores, directement sur un compte au nom des époux Mc F.

* elle a souvent contesté ce procédé et plus vigoureusement fin 2007- début 2008 ce qui lui a valu son limogeage brutal et injustifié et la rétention de son salaire en US dollars pendant six mois en 2007,

* contrairement aux affirmations de l'employeur, elle n'a jamais exercé une quelconque activité indépendante de consultant à l'égard d'une des sociétés du groupe C pouvant justifier le versement de sommes « au noir »,

* suite à la chute du dollar par rapport à l'euro, son revenu a chuté d'une moyenne totale de 90.000 euros entre 2003 et 2008,

* il était donc tout à fait logique que cette perte soit compensée par d'autres sources de revenus non officielles telles que primes et bonus, et ce, par la volonté de Monsieur m. K.

* les bonus annuels dont elle pouvait bénéficier lui étaient attribués par le biais de compensation avec des dépenses qu'elle effectuait avec les cartes de crédit de la société mises à sa disposition (voyages, articles personnels),

* cette utilisation ne constituait pas un détournement,

* il arrivait même que n'ayant pas « dépensé » un montant équivalent au bonus dont elle était bénéficiaire, un solde positif résiduel lui était attribué par son employeur par chèque aux fins de paiement du loyer de son appartement à Monaco, directement émis à l'ordre de l'agence immobilière mandataire du bailleur,

* il est inconcevable qu'elle ait pu utiliser à des fins personnelles la carte bancaire de la société sans y avoir été autorisée tout en sachant que ces dépenses seraient ensuite retraçables à partir des relevés de compte de la société dont elle n'était pas destinataire,

* la prise en charge par l'employeur des facturations de la société B concernant des voyages à titre personnel faisait bien partie des « arrangements » entre Monsieur m. K. et sa salariée imposés à celle-ci et ont donc toujours été faits avec son autorisation,

* ces dépenses à caractère personnel apparaissaient dans le grand livre général de la société,

* malheureusement, ces pièces n'ont été découvertes que postérieurement à l'issue du procès pénal,

* pendant toute la période litigieuse où elle a été accusée à tort d'avoir commis des actes frauduleux, Monsieur c. R. Directeur Financier, témoin à charge, se trouvait en arrêt maladie longue durée. Ce point n'a été découvert qu'après le rendu du délibéré par la Cour d'appel Correctionnelle. Monsieur c. R. ne pouvait donc constater les éléments dont il a fait état devant les enquêteurs puis devant les instances pénales puisqu'il était absent du bureau entre 2004 et 2007, période couverte par l'enquête pénale, sur de prétendus agissements d'abus de confiance,

* depuis son arrivée à Monaco en 1999, et alors que deux autres chefs de département travaillaient à Monaco à temps plein et étaient à 100 % non déclarés depuis 1996, elle s'est battue pour être le premier chef de département à Monaco à être partiellement déclarée,

* son licenciement a été décidé uniquement en réaction à sa demande de clarification de son mode de rémunération,

* les vérifications comptables de la société E qui ne peuvent être qualifiées d'audit sont sans pertinence puisque elles ont été effectuées dans un cadre relationnel et contractuel non précisé et sur de simples apparences comptables,

* ainsi que l'a reconnu Monsieur f. M. la société E ne s'est pas déplacé et a établi son rapport uniquement sur la base d'informations spécifiques qui lui ont été remises par le service comptabilité de la SAM A,

* de même que pour les frais de voyage et les frais de bouche personnels, l'utilisation du véhicule automobile D rentrait donc bien dans le cadre des accords contractuels comme avantage en nature non déclaré par l'employeur qui en tirait bénéfice sur deux plans, d'une part, non-paiement de cotisations aux caisses sociales et, d'autre part, il en tirait d'importants avantages fiscaux,

* ces avantages qui duraient depuis plusieurs années et imposés par l'employeur à sa salariée étaient soudainement présentés comme une situation nouvelle constitutive de faute lourde de la salariée,

* les manœuvres de l'employeur avaient pour seule finalité d'évincer une collaboratrice devenue soudainement gênante car désireuse de mettre un terme au système mis en place par Monsieur m. K. de versement d'une rémunération non déclarée sous des formes diverses,

* postérieurement aux décisions pénales, Monsieur f. M. Chef Comptable, est revenu sur ses déclarations, en confirmant le système mis en place par l'employeur et qu'elle a dénoncé,

* ce licenciement lui a causé un incommensurable préjudice puisqu'elle s'est retrouvée à la rue sans indemnités du jour au lendemain,

* ce licenciement a donc eu de très graves répercussions sur les plans économique et humain et lui a totalement ruiné sa vie et sa carrière professionnelle,

* dans le cadre de sa stratégie d'éviction, Monsieur m. K. avait désigné depuis plusieurs mois sa remplaçante à la tête de la Direction Ventes et Marketing en la personne de sa propre fille ma. K.

* la direction l'a obligée à former et préparer la fille du Président pour qu' elle prenne sa place à la Direction des Ventes pour laquelle elle avait tout donné en près de vingt années de travail acharné,

* elle n'a toujours pas retrouvé de travail dix ans après son licenciement,

* ayant vainement essayé de créer sa propre entreprise de croisières, elle a malheureusement échoué, du fait de la campagne de dénigrement orchestrée par Monsieur m. K. dans ce milieu professionnel très fermé.

La SAM A a déposé des conclusions les 14 juillet 2016, 5 octobre 2017, 17 mai 2018 et 6 décembre 2018 dans lesquelles elle demande au Tribunal, dans le dernier état de ses écritures, de :

«- voir débouter Madame MC F. de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

- voir écarter des débats l'attestation portant le numéro de pièce adverse 63 et 63 bis, versée au débat judiciaire par Madame a. S. épouse MC F. celle-ci étant non conforme aux dispositions de l'article 324-3, 4 et 5 du Code de procédure civile,

- voir dire et juger que les demandes de Madame a. S. épouse MC F. concernant une expertise comptable, une expertise dans le domaine informatique, ainsi qu'une mesure d'enquête, sont irrecevables pour ne pas avoir été soumises à la tentative de conciliation ne violation des dispositions de l'article 42 de la Loi n° 446 du 16 mai 1946,

- en tout état de cause, voir dire et juger qu'il n'appartient pas au Tribunal de se substituer à une partie dans l'administration de la preuve,

- vu l'arrêt rendu par la Cour d'appel correctionnelle en date du 18 novembre 2013,

- vu le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal selon lequel la décision du juge pénal s'impose aux juridictions civiles en charge du contentieux de l'exécution et de la rupture du contrat de travail, en ce qui concerne la réalité des faits et leur imputabilité au salarié,

- voir débouter Madame a. S. épouse MC F. de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,

- voir dire et juger que le licenciement pour faute grave est intervenu pour un motif valable et qu'il ne revêt aucun caractère abusif,

- voir condamner Madame a. S. épouse MC F. au paiement de la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- voir condamner Madame a. S. épouse MC F. aux entiers frais et dépens, dont distraction au profit de Maître Christophe SOSSO, avocat-défenseur sous sa due affirmation. ».

La SAM A soutient essentiellement que :

* suivant requête en date du 10 avril 2017, Madame a. MC F. sur le fondement des articles 508 et suivants du Code de procédure pénale, a cru devoir solliciter la reprise du procès pénal,

* par arrêt rendu le 27 novembre 2017, 1a Cour de révision a rejeté purement et simplement cette requête,

* comme l'ont relevé les juridictions pénales, il a été établi au cours de l'enquête que la rémunération de Madame a. S. épouse MC F. entre 2004 et 2007 était composée de la façon suivante :

* 6.097.96 euros par mois sur douze mois au titre d'un contrat de travail liant l'ancienne salariée à la SAM A,

* 120.000 dollars par an au titre d'un contrat de consultant liant l'ancienne salariée à la SAM A,

* 40.000 euros par an au titre de ce même contrat de consultant,

* à compter de janvier 2008, avait également été prévue une augmentation globale de 40.000 euros par an (35.000 euros au titre du contrat de consultant avec la SAM A et 5.000 euros au titre du contrat de travail avec la SAM A,

* le contrat de consultant existait bien et l'absence d'écrits ici est tout à fait indifférente,

* il ressort des pièces pénales du dossier que les Caisses Sociales de Monaco, sollicitées par les enquêteurs dans le cadre du dossier pénal et parfaitement informées des allégations de Madame a. S. épouse MC F. ont relevé qu' « aucun élément factuel n'a pu établir le versement des salaires dissimulés », cet organisme précisant même que le mode de rémunération de celle-ci ne pouvait les léser,

* il semblerait qu'en réalité, en 2008, ce soit Madame a. S. épouse MC F. qui ait tenté de dissimuler au fisc américain une partie de son salaire de consultant pour la SAM A, d'un montant de 120.000 USD annuel versée à sa demande sur le compte de son époux, en tentant de se faire octroyer par la SAM A l'autorisation de régler des dépenses personnelles avec la carte professionnelle de l'entreprise,

* il a été établi par l'instruction et reconnu par Madame a. S. épouse MC F. que celle-ci avait bien utilisé sans autorisation, la carte bancaire professionnelle que la société lui avait remise à des fins professionnelles, au titre de son contrat de travail et ce afin de s'acquitter de dépenses personnelles,

* de même, il a été établi et reconnu que celle-ci avait utilisé à des fins personnelles des avoirs émis au profit de la SAM A aux fins de prendre en charge par ladite société des frais de voyage personnel, alors même que ces fonds ne lui avaient été remis qu'au titre de son contrat de travail et pour l'usage lié à ce contrat,

* la demanderesse tente de contester la matérialité des fautes qui lui sont imputées en invoquant de prétendus accords occultes dont elle est bien incapable de démontrer l'existence,

* l'autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil qui veut que ce qui a été définitivement jugé par le juge répressif quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé s'impose au juge civil et ait effet à l'égard de tous, s'applique dans le présent litige,

* les faits reprochés à Madame a. S. épouse MC F. ont été révélés initialement par un audit mené par la société E, organe indépendant,

* en conclusion de cet audit effectué par la société E, il a été mis en évidence que Madame a. S. épouse MC F. s'était accordée des avantages personnels indus et non autorisés par la SAM A, au détriment de cette dernière,

* dans le cadre de la procédure pénale, les enquêteurs ont relevé le manque de collaboration de Madame a. S. épouse MC F. afin de fournir les justificatifs de ses allégations malgré les relances qui lui avaient été faites,

* Monsieur f. M. Chef Comptable chargé des dépenses des quatre Directeurs du Groupe en possession de cartes de crédit professionnelles, a confirmé ne pas avoir été informé concernant des avantages particuliers qui auraient pu avoir été consentis à la demanderesse et a précisé que celle-ci était la seule à ne pas présenter de justificatifs,

* la carte de crédit qui avait été mise à la disposition de Madame a. S. épouse MC F. aurait dû être utilisée concernant des dépenses à caractère strictement professionnel, sauf pour son bénéficiaire de rapporter la preuve d'une autorisation d'extension à d'autres dépenses, ce qui n'est absolument pas le cas en l'espèce,

* la salariée n'a jamais contesté le fait d'avoir utilisé cette carte à des fins personnelles et n'a jamais tenté de justifier les dépenses personnelles effectuées au moyen de cette carte,

* la prétendue compensation de la dévalorisation du dollar est une absurdité car entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2007 (période de prévention), le taux de change dollar/euro s'est globalement déprécié mais il s'est, d'une année sur l'autre, tantôt apprécié, tantôt déprécié ce qui rend totalement impossible l'explication inventée par la demanderesse,

* en tout état de cause, Madame a. S. épouse MC F. n'a jamais fourni le moindre début de preuve accréditant son explication,

* confrontée à la réalité des détournements qu'elle ne peut nier, la salariée a décidé, pour tenter d'échapper aux conséquences, d'inventer une créance sur la société à son profit pour justifier d'une prétendue « compensation » par le biais de dépenses personnelles,

* elle conteste toute manœuvre pour évincer la demanderesse de la société,

* en effet, une somme de 40.000 euros d'augmentation avait été accordée à Madame a. S. épouse MC F. en février 2008, soit peu de temps avant la découverte des faits délictueux,

* Madame ma. K. n'a pas remplacé Madame a. MC F. à la suite de son licenciement et ce n'est toujours pas le cas aujourd'hui.

SUR CE,

Il convient, conformément à l'article 59 alinéa 2 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, d'ordonner la jonction des instances portant les numéros 35 de l'année judiciaire 2008-2009 et 59 de l'année judiciaire 2017-2018, dès lors qu'elles découlent d'un même contrat de travail .

* Sur la nullité des attestations produites par Madame a. MC F. en pièces n os 63 et 63 bis :

La défenderesse soutient que ces attestations ne respecteraient pas les dispositions des paragraphes 3, 4 et 5 de l'article 324 du Code de procédure civile.

Aux termes de l'article 324 du Code de procédure civile, « l'attestation doit, à peine de nullité :

(...)

3° mentionner les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur, ainsi que l'existence ou l'absence de liens de parenté, d'alliance, de subordination ou d'intérêt avec les parties,

4° préciser si son auteur a quelque intérêt au procès,

5° indiquer qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur sait qu'une fausse attestation l'exposerait aux sanctions prévues par l'article 103 du Code pénal,

(...). ».

Les deux attestations ont été établies par Madame i. P. la seconde étant destinée à régulariser la première.

Il est admis que les mentions exigées par l'article 324 du Code de procédure civile ne doivent pas nécessairement être reproduites à l'identique de la rédaction dudit article et que certaines informations telles notamment que l'intérêt au litige et l'existence d'un lien de subordination peuvent s'apprécier par le contenu même de l'attestation.

De plus, l'alinéa 4 invoqué invite les auteurs d'une attestation à préciser s'ils ont « quelque intérêt au procès » ; il s'agit donc d'une précision à apporter lorsque cet intérêt existe, de sorte que l'absence d'une telle mention doit être entendue comme un défaut d'intérêt - ce d'autant qu'il n'est pas soutenu qu'un tel intérêt existerait en l'espèce - et ne peut être sanctionnée dès lors par la nullité de la pièce.

Par ailleurs, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, l'existence du lien de subordination peut s'apprécier par le contenu même de l'attestation.

En l'espèce, Madame i. P. indique ne plus faire partie de la SAM A depuis le 16 août 2012, ce qui induit nécessairement une absence de lien de subordination avec celle-ci.

Pour autant, le document ne précise pas si son auteur a ou n'a pas de liens de parenté, d'alliance ou de subordination avec les parties.

L'absence de ces mentions doit entraîner la nullité de l'attestation.

La pièce n° 63 bis est une nouvelle attestation reprenant l'ensemble des mentions exigées par l'article 324 du Code de procédure civile, dans laquelle l'auteur indique confirmer intégralement les termes de son attestation manuscrite établie le 7 septembre 2012.

Cependant, il n'est pas possible de confirmer une attestation déclarée nulle sans reprendre intégralement les propos y contenus dans une nouvelle attestation.

Cette attestation ne sera dès lors pas annulée mais ne sera d'aucune utilité pour la solution du litige dans la mesure où elle ne comporte aucune déclaration de nature à éclairer le Tribunal sur les faits litigieux auxquels l'auteur a assisté ou qu'il a personnellement constatés.

* Sur la validité de la rupture :

Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture et notamment de la faute grave alléguée.

La faute grave résulte de tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis.

Cette faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est découlé.

En l'espèce, Madame a. MC F. a été licencié par lettre du 4 juin 2008 ainsi libellée :

« Madame,

Par la présente, je vous informe de la rupture immédiate de votre contrat de travail pour faute grave.

En effet, la société E a été récemment missionné afin d'examiner les dépenses du service « Sales & Marketing » et d'assurer de l'absence d'anomalies en l'espèce.

Je viens d'être destinataire du rapport de ce cabinet suite à l'audit qui a été réalisé, ce rapport étant accablant et faisant part de diverses anomalies vous concernant.

Ainsi, il a été notamment constaté que vous utilisiez à des fins personnelles des voyages payés par la SAM A en faisant établir par la société B des factures ne correspondant pas à une prestation réelle.

Il m'a été confirmé que ceci s'apparentait à un détournement avec bien entendu des incidences en matière pénale.

Il a également été vérifié certaines de vos notes de frais et il a été constaté que vous faisiez rembourser des dépenses personnelles par le biais de la société et que vous vous accordiez des avantages personnels par l'intermédiaire de la société sans aucune justification.

Ces agissements liés à votre activité au sein de la société rendent impossible votre maintien dans l'établissement et perturbent bien évidemment le bon fonctionnement de l'entreprise.

Votre licenciement est donc effectif dès présentation de cette lettre, sans préavis, ni indemnité de rupture.

... ».

Il résulte de ce courrier que Madame a. MC F. a été licenciée pour des détournements commis au préjudice de l'employeur, lequel a déposé plainte le même jour.

Le 16 décembre 2010, Madame a. MC F. a été inculpée du chef d'abus de confiance, faux en écritures privées, de commerce ou de banque et usage de faux.

La salariée a été supplétivement inculpée le 4 octobre 2011 des mêmes chefs au vu de faits nouveaux dénoncés par la partie civile le 29 juillet 2011.

Par arrêt en date du 18 novembre 2013, la Cour d'appel de Monaco a :

* confirmé le jugement du Tribunal correctionnel du 29 janvier 2013 en ce qu'il a déclaré coupable Madame a. S. épouse MC F. des faits d'usage de faux,

* réformé le jugement du Tribunal correctionnel du 29 janvier 2013 en ce qu'il a relaxé Madame a. S. épouse MC F. du chef d'abus de confiance, ainsi que sur la répression et l'action civile,

statuant à nouveau,

* déclaré Madame a. S. épouse MC F. coupable des faits d'abus de confiance,

* condamné Madame a. S. épouse MC F. à une peine de cinq mois d'emprisonnement, assortie du sursis,

* condamné Madame a. S. épouse MC F. à verser à la SAM A une somme de 48.138,42 euros à titre de dommages et intérêts pour son préjudice matériel.

La Cour a considéré que :

« Attendu qu'il résulte dès lors de ces éléments que Madame a. S. épouse MC F. qui ne conteste pas la matérialité des faits qui lui sont reprochés, tels que précisés dans l'ordonnance de renvoi, a bien utilisé sans autorisation sa carte bancaire professionnelle pour s'acquitter de dépenses personnelles, utilisés dans le même but des avoirs émis au profit de la société et fait prendre en charge par cette dernière des frais de voyage personnels ; que ces fonds ne lui ayant été remis qu'au titre de son contrat de travail et pour l'usage lié à ce contrat, elle doit en conséquence être retenue dans les liens de la prévention d'abus de confiance.

* Sur les faits d'usage de faux.

Attendu que les premiers juges ont relevé à juste titre que Madame a. S. épouse MC F. a sciemment remis ou fait remettre à la comptabilité de son employeur six factures de voyages à l'entête de la société B pour justifier de dépenses dont elle sollicitait le remboursement ; que ces documents, portant la même date et le même numéro que les factures originales, mentionnaient cependant de manière succincte Madame a. S. épouse MC F. comme passager unique, alors que ces dernières mentionnaient d'autres passagers identifiés comme étant des proches ou des membres de sa famille ; que le format d'édition de ces documents était différent des dites factures ; qu'ils constituaient donc des faux intellectuels et matériels ; que si ces documents n'étaient pas destinés à être utilisés comme factures entre l'agence de voyages et l'employeur puisque le paiement était déjà réalisé, ils servaient de justificatifs de dépenses dans les rapports entre la prévenue et celui-ci pour permettre le passage desdites dépenses en comptabilité ; ce qu'ils étaient dès lors destinés ou aptes à servir à la preuve d'un droit ou d'un fait ayant un effet de droit au sens de l'article 90 du Code pénal ; que ces faux, établis en France, ne pouvaient être poursuivis en Principauté, à l'inverse de leur usage. ».

Si le salarié est sanctionné pénalement par une juridiction répressive pour les mêmes faits que ceux reprochés dans la lettre de licenciement, le licenciement est valable par l'effet de l'autorité de la chose jugée par la juridiction pénale. En d'autres termes, la décision du juge pénal qui condamne un salarié est revêtue de l'autorité de la chose jugée et s'impose au juge civil pour l'appréciation du caractère valable du licenciement.

Cependant, la décision du juge pénal ne s'impose au Tribunal du travail qu'en ce qui concerne la réalité des faits et leur imputabilité au salarié.

En revanche, en présence d'une condamnation pénale portant sur les faits motivant le licenciement, les juges du fond conserve leur pouvoir d'appréciation sur le caractère de gravité de la faute, sans pour autant remettre en cause le licenciement lui-même.

En l'espèce, il n'est pas contestable que les faits pour lesquels Madame a. MC F. a été licenciée ont également été retenus par la juridiction pénale pour aboutir à une condamnation de la salariée à une peine d'emprisonnement assortie du sursis.

Pour autant, la demanderesse reprend devant la présente juridiction la même argumentation que celle développée, tant devant le Tribunal correctionnel que devant la Cour d'appel, argumentation qui n'a pas convaincu.

Elle invoque par ailleurs des éléments nouveaux, lesquels ont été portés à la connaissance de la Cour de révision afin d'obtenir une reprise de son procès pénal. Un arrêt de cette juridiction a été rendu le 27 novembre 2017 rejetant la requête de Madame a. MC F. sous la motivation suivante :

« Attendu qu'au soutien de sa demande, Mme MC F. présente deux faits nouveaux, selon elle, le premier ayant trait au témoignage de M. c. R. absent de la SAM A entre 2004 et 2007, selon procès-verbal d'huissier en date du 3 mars 2017, qui a pourtant témoigné à charge contre elle alors qu'il n'était pas présent dans l'entreprise, le second ayant trait aux réponses faites à la suite d'une sommation interpellative de M. f. M. le 14 avril 2014, qui viendrait infirmer ses déclarations initiales.

Mais attendu que les pièces de la procédure viennent infirmer les constatations faites par l'huissier en date du 3 mars 2017 en ce sens que, selon les déclarations de M. f. M. M. R. de 2003 à 2010, remettait lui-même les enveloppes en espèces correspondant aux rémunérations occultes alors qu'il était supposé être en invalidité ; que la période d'invalidité du témoin se situant entre 2004 et 2007, celui-ci exerçait encore des fonctions au sein de la SAM A au moment des faits et pouvait donc témoigner valablement sur le fonctionnement de la société ; que les déclarations de M. f. M. à les supposer exactes, si elles établissent l'existence au sein de la SAM A, de rémunérations occultes, ne permettent pas à Mme MC F. de rapporter la preuve qu'elle aurait été autorisée à utiliser sa carte de crédit professionnelle pour payer des dépenses autres qu'à caractère strictement professionnel ; qu'il s'ensuit que les nouvelles pièces versées à l'appui de la requête de Mme MC F. ne peuvent constituer des éléments nouveaux au sens de l'article 508 du code de procédure pénale de nature à permettre une reprise du procès. ».

Force est de constater que les pièces nouvelles censées démontrer les allégations de Madame a. MC F. sont contredites par les pièces de la procédure pénale, aucun élément probant n'étant de nature à remettre en cause les faits pour lesquels celle-ci a été licenciée puis condamnée pénalement.

Madame a. MC F. procède par voie d'affirmations en interprétant erronément certains documents.

Le licenciement de la demanderesse sera dans ces circonstances déclaré valable.

Madame a. MC F. sera déboutée de sa demande au titre de l'indemnité de licenciement.

* Sur le caractère abusif du licenciement :

Madame a. MC F. ne développe aucune argumentation à ce titre, estimant que dans la mesure où le motif invoqué ne serait pas avéré, le licenciement serait automatiquement abusif.

Or, il a été démontré supra que le licenciement de Madame a. MC F. était valable.

En outre et à titre surabondant, il convient de rappeler que le faux motif ne peut caractériser de facto l'abus de l'employeur ; à défaut, cela reviendrait à utiliser la notion française de « cause réelle et sérieuse ».

En effet, en droit français, un licenciement sans cause réelle et sérieuse (fondé sur un faux motif) est abusif et entraîne automatiquement l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

En droit monégasque, un licenciement fondé ou non sur des motifs valables peut ne pas être considéré comme abusif.

Dans ces circonstances, Madame a. MC F. ne pourra qu'être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour licencient abusif.

* Sur les bonus :

Madame a. MC F. sollicite le versement de la somme de 20.000 euros à titre de bonus de fin d'année 2007.

La demanderesse soutient que ce « bonus variant entre 20.000 et 30.000 euros annuels a été versé sans discontinuer... par compensation de montant avec ses dépenses à caractère personnel, et ce, depuis son arrivée à Monaco en 1999. ».

Il résulte des décisions pénales rendues que le système de compensation entre les dépenses personnelles de la salariée et le bonus revendiqué n'est aucunement prouvé par Madame a. MC F.; et ce, d'autant plus que l'utilisation de fonds de la société pour des dépenses personnelles a été sanctionnée pénalement.

La salariée réclame également le paiement de la somme de 25.000 euros de bonus pour l'année 2008, basée sur les revenus de janvier à juin.

Le Tribunal ne peut que reprendre l'argumentation développée supra au titre du bonus pour l'année 2007.

Madame a. MC F. sera dans ces circonstances déboutée de ce chef de demande.

* Sur les deux mois de paiement en dollars non transférées en 2007 :

Madame a. MC F. sollicite la somme de 18.180 euros à ce titre, mais ne produit aucun élément permettant de démontrer l'obligation de la SAM A de payer ladite somme.

Elle sera dès lors déboutée de ce chef de demande.

* Sur les frais de conversion de US$ en euros :

Madame a. MC F. sollicite la somme de 7.634 euros.

Le Tribunal ne peut encore une fois que constater que la salariée est défaillante dans l'administration de la preuve quant à une quelconque obligation de l'employeur sur ce point.

Celle-ci sera dès déboutée de cette demande.

* Sur le salaire non déclaré pour 4 jours en juin :

Madame MC F. porte sa réclamation à ce titre à la somme de 2.045 euros sans apporter le moindre élément à l'appui, de sorte qu'elle en sera déboutée.

* Sur les primes :

Madame a. MC F. sollicite le paiement d'une somme de 2.090.000 euros à ce titre pour les années 2003 à 2008, calculée sur 1 % du chiffre d'affaires selon contrat d'intéressement.

Il n'est pas contestable qu'aucun écrit ne vient formaliser le paiement d'un quelconque bonus au bénéfice de la demanderesse.

Il appartient en conséquence à Madame a. MC F. de démontrer l'existence d'un bonus et l'obligation de paiement de l'employeur.

Là encore, Madame a. MC F. est défaillante dans l'administration de la preuve.

En effet, l'instruction pénale n'a en aucune manière mis en évidence l'existence d'une rémunération occulte au profit de la salariée.

Les différents salariés interrogés et notamment Messieurs f. M. et c. R. ont tous indiqué que Madame a. MC F. percevait un salaire fixe correspondant à ses fonctions au sein de la SAM A, outre une somme versée par la maison mère au titre de son intervention en qualité de consultante pour les entités américaines.

Les nouvelles pièces apportées aux débats par la demanderesse ne permettent en aucune manière de remettre en cause ce système de rémunération.

Bien plus, celle-ci n'apporte aucun élément quant au calcul de ce prétendu bonus et notamment sur le pourcentage par elle revendiquée sur le chiffre d'affaires.

Madame a. MC F. sera dans ces circonstances déboutée de sa demande en paiement subséquente.

Enfin, il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise (comptable et/ou informatique), l'organisation d'une expertise judiciaire n'étant pas destinée à pallier la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.

* Sur la demande reconventionnelle de la SAM A :

La défenderesse sollicite la condamnation de Madame a. MC F. au paiement d'une somme de 10.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.

L'action en justice constitue l'exercice d'un droit et l'appréciation erronée qu'une partie fait de ses droits n'est pas, en soi, constitutive d'un abus, sauf démonstration d'une intention de nuire, d'une malveillance ou d'une erreur équipollente au dol.

Il résulte de l'ensemble des explications développées supra que, à la suite des décisions pénales rendues à l'encontre de Madame a. MC F. et notamment celle rendue par la Cour de révision lui refusant la reprise du procès pénale malgré les pièces nouvelles communiquées, celle-ci a, malgré ce, maintenu la présente procédure.

La demanderesse a à ce titre considéré que ses demandes étaient fondées eu égard aux pièces nouvelles, alors que ces dernières n'ont pas été jugées suffisamment probantes par la Cour de révision.

Madame a. MC F. n'a pu, de ce fait, se méprendre sur la portée de ses droits.

La SAM A a dès lors été contrainte de supporter une procédure longue et injustifiée, lui occasionnant un préjudice moral et financier dont réparation lui est due.

Madame a. MC F. sera dans ces circonstances condamnée à lui payer la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.

* Sur les dépens :

Madame a. MC F. qui succombe, doit supporter les dépens de la présente instance ainsi que ceux réservés par la décision du 25 février 2010.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Ordonne la jonction des instances portant les numéros 35 de l'année judiciaire 2008-2009 et 59 de l'année judiciaire 2017-2018 ;

Prononce la nullité de l'attestation produite en pièce n° 63 par Madame a. S. épouse MC F.;

Dit que le licenciement de Madame a. S. épouse MC F. par la société anonyme monégasque A repose sur une cause valable et n'est pas abusif ;

Déboute Madame a. S. épouse MC F. de toutes ses demandes ;

Condamne Madame a. S. épouse MC F. à payer à la SAM A la somme de 5.000 euros (cinq mille euros) de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne Madame a. S. épouse MC F. aux dépens du présent jugement ainsi que ceux réservés par la décision du 25 février 2010 ;

Composition

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Virginia BUSI, Monsieur Anthony GUICHARD, membres employeurs, Messieurs Bruno AUGÉ, Jean-Pierre MESSY, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt-sept juin deux mille dix-neuf, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Anthony GUICHARD, Bruno AUGÉ et Jean-Pierre MESSY, Madame Virginia BUSI, étant empêchée, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire adjoint.

^


Synthèse
Numéro d'arrêt : 18270
Date de la décision : 27/06/2019

Analyses

Procédure civile ; Rupture du contrat de travail


Parties
Demandeurs : Madame a. S. épouse MC F.
Défendeurs : La SAM A

Références :

article 103 du Code pénal
article 508 du code de procédure pénale
Code de procédure pénale
article 90 du Code pénal
article 42 de la Loi n° 446 du 16 mai 1946
article 324-3, 4 et 5 du Code de procédure civile
article 324 du Code de procédure civile
article 59 alinéa 2 de la loi n° 446 du 16 mai 1946


Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2019-06-27;18270 ?

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