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06/06/2019 | MONACO | N°19286

Monaco | Tribunal du travail, 6 juin 2019, Monsieur i. S. c/ SARL MC TECH


Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 6 JUIN 2019

En la cause de Monsieur i. S., demeurant via X1à BORDIGHERA (18012 - Italie) ;

Demandeur, bénéficiaire de l'assistance judiciaire selon décision n° 27 BAJ 18 du 26 octobre 2017, ayant élu domicile en l'étude de Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat ;

d'une part ;

Contre :

La société à responsabilité limitée dénommée MC TECH, dont le siège social se situe c/o « Prime Office Center », 14 bis rue Honoré Labande à MO

NACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'app...

Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 6 JUIN 2019

En la cause de Monsieur i. S., demeurant via X1à BORDIGHERA (18012 - Italie) ;

Demandeur, bénéficiaire de l'assistance judiciaire selon décision n° 27 BAJ 18 du 26 octobre 2017, ayant élu domicile en l'étude de Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat ;

d'une part ;

Contre :

La société à responsabilité limitée dénommée MC TECH, dont le siège social se situe c/o « Prime Office Center », 14 bis rue Honoré Labande à MONACO ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat-défenseur ;

d'autre part ;

Le Tribunal,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 10 janvier 2018, reçue le 12 janvier 2018 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 41-2017/2018 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 22 janvier 2018 ;

Vu les conclusions de Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat au nom de Monsieur i. S. en date des 5 avril 2018 et 4 octobre 2018 ;

Vu les conclusions de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur au nom de la S.A.R.L. MC TECH, en date des 7 juin 2018 et 6 décembre 2018 ;

Vu les pièces du dossier ;

Monsieur i. S. a été embauché par la société à responsabilité limitée MC TECH en qualité de Plombier à compter du 1er septembre 2015, par contrat à durée déterminée, renouvelé par la suite à quatre reprises, puis en contrat à durée indéterminée à compter du 15 mars 2016.

Par courrier en date du 14 septembre 2017, le salarié a fait l'objet d'un licenciement pour faute grave, suite à une altercation s'étant déroulée le jour même avec son employeur.

Monsieur i. S. a contesté son licenciement par lettre en date du 18 septembre 2017.

Par requête en date du 10 janvier 2018, reçue au greffe le 12 janvier 2018, Monsieur i. S. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

* dire et juger que son licenciement est dépourvu de motif valable et abusif,

* condamner la S.A.R.L. MC TECH à lui payer les sommes suivantes :

* 537,95 euros au titre de l'indemnité de panier,

* 4.841,52 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 484,15 euros au titre des congés payés afférents au préavis,

* 968,30 euros au titre de l'indemnité de congédiement,

* 2.323,93 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

* 5.000 euros à titre de dommages et intérêts,

* dire et juger que les condamnations porteront intérêts à compter de la citation devant le bureau de conciliation,

* condamner la S.A.R.L. MC TECH aux dépens.

Aucune conciliation n'étant intervenue, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Monsieur i. S. a déposé des conclusions les 5 avril 2018 et 4 octobre 2018 dans lesquelles il fait essentiellement valoir que :

Sur le licenciement :

* le 14 septembre 2017, son employeur lui a demandé de réaliser une chape à base de ciment dans la salle de bains d'un client,

* il lui a répondu qu'il ne savait pas réaliser ce type de travaux qui relève de la compétence d'un maçon et non d'un plombier chauffagiste,

* l'employeur s'est alors mis à lui hurler dessus en adoptant une attitude agressive,

* il est sorti de l'atelier pour récupérer dans le véhicule de la société le chariot servant à transporter les sacs de ciment,

* l'employeur l'a suivi dans la rue, tout en continuant à lui crier dessus et a collé sa tête à deux centimètres de son visage,

* il a craint que la situation ne dégénère en affrontement physique et a quitté le chantier,

* le gérant de la société MC TECH est décrit comme un homme autoritaire qui n'accorde aucune écoute à ses salariés,

* l'employeur s'est en effet montré violent dans ses propos et dans son attitude, devant l'ensemble des salariés et le voisinage, et a adopté un comportement provocateur,

* l'attestation produite par l'employeur est non seulement nulle, mais elle ne correspond pas non plus à la réalité,

* compte-tenu de l'attitude de son employeur, il n'a eu d'autre choix que de quitter son poste afin d'éviter que la situation s'aggrave, ce qui ne saurait constituer un abandon de poste,

* l'employeur ne démontre aucunement les prétendues conséquences sur la bonne marche de l'entreprise,

* il n'est pas démontré qu'il a commis les dégradations constatées par le client sur un placard, ce qu'il conteste fermement,

* il n'a jamais fait l'objet de la moindre remarque depuis son embauche,

* il n'a pas été convoqué à un entretien préalable. Il lui a été indiqué lors de la présentation sur son lieu de travail à 8 heures qu'il avait été licencié pour faute grave,

* l'employeur a rédigé la lettre de licenciement le jour des faits, sans prendre le temps de la réflexion et sans lui laisser la possibilité de se justifier,

* depuis la rupture, il effectue des missions d'intérim, avec une rémunération inférieure à celle qu'il percevait auparavant,

Sur l'indemnité de panier :

* en contravention avec la Convention Collective du Bâtiment du 4 août 1987, l'employeur s'est abstenu de régler les indemnités de panier pour les chantiers se situant dans les zones éligibles à son paiement,

* il conteste l'affirmation de l'employeur, au surplus non démontrée, au terme de laquelle les salariés avaient pour consigne de rentrer déjeuner à l'atelier.

Il soulève également la nullité de l'attestation produite par la défenderesse en pièce n° 8.

La S.A.R.L. MC TECH a déposé des conclusions les 7 juin 2018 et 6 décembre 2018 dans lesquelles elle s'oppose aux prétentions émises à son encontre et sollicite reconventionnellement la somme de 1.500 euros en dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire.

Elle soulève encore la nullité de l'attestation produite par le demandeur en pièce n° 10. Elle soutient essentiellement que :

Sur le licenciement :

* Monsieur i. S. a refusé d'exécuter les instructions de son employeur,

* il ne lui a pas été demandé de réaliser une chape de ciment dans la mesure où le sol de la salle de bains concernée a été conservé dans son état existant, pour être simplement recouvert d'un nouveau carrelage,

* le demandeur devait réaliser un support permettant de poser de niveau le receveur de douche,

* cette mission correspondait parfaitement à la qualification de Monsieur i. S.

* le salarié a manifesté son refus dans des formes inacceptables, adoptant une attitude violente, agressive et outrancière,

* l'insubordination du demandeur est d'autant plus fautive que ce dernier a abandonné son poste sur le champ, laissant son véhicule de service au milieu de la voie publique,

* le client a reproché un retard du chantier, lequel est dû au départ de Monsieur i. S.

* le salarié a également détérioré un placard attenant à la salle de bain, étant le seul à intervenir sur le chantier,

* la lettre de licenciement a été envoyée à la fin de la journée du 14 septembre 2017, le salarié ne s'étant manifesté d'aucune façon après avoir abandonné son poste,

* les circonstances de la rupture ne procèdent que des propres agissements de Monsieur i.S.et sont exemptes de faute,

* le salarié ne produit aucune pièce démontrant la réalité de son préjudice,

Sur les indemnités de panier :

* les salariés partis en mission sur les chantiers reviennent chaque midi à l'atelier de la société afin de prendre leur déjeuner dans un local prévu à cet effet,

* ces déplacements s'effectuent sur le temps de travail et avec le véhicule de service,

* aucune indemnité de panier n'est dès lors due.

SUR CE,

Sur la nullité de l'attestation produite par la défenderesse en pièce n° 8

Aux termes de l'article 324 du Code de procédure civile, « l'attestation doit, à peine de nullité :

1° être établie par une personne remplissant les conditions requises pour être entendue comme témoin,

2° être écrite, datée et signée de la main de son auteur,

3° mentionner les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur, ainsi que l'existence ou l'absence de liens de parenté, d'alliance, de subordination ou d'intérêt avec les parties,

4° préciser si son auteur a quelque intérêt au procès,

5° indiquer qu'elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur sait qu'une fausse attestation l'exposerait aux sanctions prévues par l'article 103 du code pénal,

6° être accompagnée de tout document officiel, en original ou en photocopie, justifiant de l'identité de son auteur et comportant sa signature ».

La pièce n° 8 est constituée par une attestation établie par Monsieur T. Z. laquelle ne respecte pas les paragraphes 3 à 6 repris supra.

L'absence de ces mentions doit entraîner la nullité de l'attestation.

Sur la nullité de l'attestation produite par le demandeur en pièce n° 10

Le document produit en pièce n° 10 par Monsieur i. S. constitue incontestablement une attestation comme faisant état de faits destinés à éclairer le Tribunal.

Cette attestation ne respecte aucune des dispositions de l'article 324 du Code de procédure civile, entraînant ainsi son annulation.

Sur les indemnités de panier

L'article 31 de la Convention collective du Bâtiment prévoit :

« Attribution de l'indemnité de panier.

Les ouvriers travaillant sur des chantiers situés dans la zone d'application de l'indemnité de panier percevront le montant de cette indemnité.

L'indemnité de panier ne sera pas due si le repas de midi est assuré gratuitement par l'employeur. Zone d'application déterminée ainsi qu'il suit :

a) à l'est de la Principauté – au-delà de la limite représentée par le sentier appelé »des pêcheurs« reliant le chemin du bord de mer, à partir du lieu-dit de »la Vieille « aboutissant sur la basse corniche auprès la station »Azur« se continuant ensuite jusqu'à »l'avenue de Varavilla«, et enfin »l'avenue de Varavilla« elle-même jusqu'à son intersection avec la »moyenne corniche«,

b) à l'ouest de la Principauté - au-delà de la limite représentée par le chemin reliant le bord de mer à partir du lieu-dit »pointe des Douaniers« bordant ensuite, après avoir traversé la basse corniche, la propriété de la »Maison de repos du Cap-Fleuri« et venant se terminer sur la moyenne corniche,

c) en amont de la Principauté – au-delà d'une limite représentée par la »Route de la moyenne corniche«, le trottoir amont étant inclus dans la zone de paiement de l'indemnité ».

En vertu de l'article 1162 du Code civil, « celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ».

Monsieur i. S. sollicite à ce titre la somme de 537,95 euros et détaille dans ses écritures les chantiers concernés avec les jours pour lesquels l'indemnité de panier ne lui a pas été réglée.

Le Tribunal relève que l'employeur ne conteste pas la liste établie par le demandeur, mais soutient que tous les salariés devaient rentrer à l'atelier pour prendre leur déjeuner, sans pour autant justifier de cette allégation.

Monsieur i. S. produit en outre aux débats une attestation établie par Monsieur Davide A. ancien salarié de la S.A.R.L. MC TECH, de laquelle il résulte que l'employeur a toujours refusé de payer les indemnités de panier, malgré les demandes répétées des salariés.

Monsieur i.S.se verra dans ces circonstances attribué la somme de 537,95 euros à ce titre, avec intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2018, date de la réception au greffe de la requête introductive d'instance.

Sur la validité de la rupture

Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture et notamment de la faute grave alléguée.

La faute grave résulte de tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis.

Cette faute n'est pas nécessairement en fonction du préjudice qui en est découlé.

En l'espèce, Monsieur i. S. a été licencié par lettre du 14 septembre 2017 ainsi libellée :

« Monsieur,

Alors que ce matin, je vous indiquais que, dans le cadre d'un chantier pour lequel nous intervenons dans la salle d'un bain d'un client, nous devions préparer le support du nouveau receveur de douche (à base de mortier) afin de recevoir le dit receveur, vous avez manifesté votre mécontentement et répondu que ce n'était pas »votre boulot«.

Je vous rappelle que cette situation n'a rien d'inhabituel et fait partie de notre travail de plombier.

Alors que nous étions sur la voie publique, entre le véhicule et l'atelier, vous avez alors élevé la voix, et êtes devenu particulièrement agressif envers moi, dans les mots et dans les gestes, en m'interpelant par les mots suivants »quoi qu'est-ce qu'il y a ?«.

Je vous ai alors proposé de monter dans les bureaux de la société, afin d'éviter de rester sur la voie publique, devant mes employés et autre voisinage, vous m'avez rétorqué »Non, je me casse, je rentre chez moi !« tout en jetant violemment en l'air les clés du véhicule que j'ai dû rattraper au vol (...).

Après votre brusque départ, j'ai dû alors déplacer le véhicule afin d'aller le garer, et déprogrammer le chantier sur lequel vous deviez intervenir, ce qui va engendrer des retards dans l'exécution, et qui est fortement préjudiciable pour l'image de la société.

J'ai dû, par la même occasion, annuler une réunion de chantier très importante.

Dans ces conditions, votre comportement ne nous permet pas d'envisager la poursuite de votre contrat de travail.

Nous sommes donc au regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement immédiat pour faute grave... ».

L'employeur n'étant pas lié par le motif énoncé dans la lettre de licenciement est en droit d'invoquer des griefs non mentionnés dans celle-ci à la condition que ceux-ci soient également à l'origine de la rupture.

En l'espèce, l'employeur invoque dans ses dernières écritures la dégradation par Monsieur i. S. d'un placard attenant à la salle de bains sur laquelle ce dernier intervenait.

Il appartient ainsi à l'employeur de démontrer que ce nouveau grief, non visé dans la lettre de rupture, aurait également été à l'origine du licenciement.

Il n'en est rien en l'espèce puisque cette difficulté a été portée à la connaissance de la S.A.R.L. MC TECH par courrier du client en date du 15 septembre 2017, soit postérieurement à la lettre de licenciement, de sorte que l'employeur n'avait pas connaissance de ces dégradations lorsqu'il a procédé au licenciement de Monsieur i. S.

Il convient ensuite de reprendre les griefs reprochés au salarié dans la lettre de rupture :

Sur le refus d'exécuter les instructions de l'employeur

L'insubordination, le refus de collaborer constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement. Plus précisément, légitime la rupture du contrat, le refus d'exécuter les directives de l'employeur.

Le refus opposé par le salarié d'exécuter le travail pour lequel il a été embauché, d'accomplir une tâche entrant dans ses attributions, ou correspondant à sa qualification, permet à l'employeur de rompre le contrat de travail.

À l'inverse, le refus opposé par le salarié d'exécuter une tâche qui n'entre pas dans ses attributions ni ne correspond à sa qualification, ne saurait être un juste motif de congédiement.

En l'espèce, l'employeur reproche à Monsieur i. S. d'avoir refusé d'exécuter le support permettant de poser de niveau un receveur de douche, ce que ne conteste pas le salarié qui soutient qu'il s'agit de travaux de maçonnerie n'entrant pas dans ses compétences et ses attributions.

Monsieur i. S. a été embauché en qualité de Plombier, dont l'activité principale est l'installation, la réparation, l'entretien des équipements sanitaires (toilettes, salles de bains, etc.), ainsi que les canalisations de distribution de gaz, d'eau et d'évacuation (en acier, cuivre, PVC, etc.).

Il peut ainsi être amené à percer les murs pour faire passer la tuyauterie (eau, gaz, évacuations), puis reboucher les trous.

Il peut également être mobilisé pour réaliser des travaux mineurs de maçonnerie, pour faire passer les différents éléments de la tuyauterie ou procéder à d'ultimes réglages.

Le métier de maçon consiste notamment à mettre en œuvre des structures horizontales (fondations, chapes, dalles, planchers, etc.).

La mise en œuvre de chapes relève dès lors de la compétence du maçon et ne peut s'apparenter aux travaux de maçonnerie mineurs pouvant être réalisés par un plombier.

Le refus de Monsieur i.S.de réaliser une chape (quelle que soit sa dénomination et la nature du matériau utilisé) ne peut dès lors être considéré comme fautif.

Ce grief ne sera pas retenu.

Sur l'attitude agressive de Monsieur i. S. envers l'employeur

La S.A.R.L. MC TECH reproche à Monsieur i. S. un comportement inadmissible et une attitude outrancière.

Les altercations violentes, rixes, voies de fait, qui se produisent pendant le temps de travail ou à l'occasion du travail, entre salariés ou entre un salarié et le chef d'entreprise sont, le plus souvent, constitutives d'une faute privative des indemnités de rupture.

Cependant, compte-tenu des faits de l'espèce, la faute grave peut être rejetée. Il en est ainsi lorsque l'attitude de la victime des violences n'est pas exempte de tout reproche.

De même, les injures ou insultes du salarié à l'égard d'un autre membre de l'entreprise constituent, en général, des fautes graves, notamment lorsqu'elles sont violentes, graves, répétées, exprimées en présence de tiers, ou susceptibles d'avoir des répercussions importantes pour l'entreprise.

Force est de constater que l'employeur ne produit aux débats aucun élément susceptible de démontrer la réalité des fautes reprochées à Monsieur i. S.

Au contraire, le dossier du demandeur comporte une attestation établie par Monsieur Massimo L. ainsi libellée :

« Atteste par la présente que, en allant chez un de mes fournisseurs, avoir vu Mr S i.se faire »arracher des main « le chariot qu'il transportait et, de plus, la personne en question est venue coller sa tête contre celle de Mr i. Il s'est alors immédiatement retiré et lui a donné des clés en mains propres.

Les faits se sont passés à environ 8h00 du matin, le jour 14 septembre 2017, à rue des Martyrs de la Résistance à BEAUSOLEIL ».

L'employeur émet des doutes sur la véracité de ces déclarations alors que Monsieur Massimo L. n'a aucun intérêt dans le présent litige, qu'il ne connaît en aucune manière le gérant de la S.A.R.L. MC TECH, laquelle n'a pas déposé plainte pour fausse attestation.

Le témoignage de Monsieur Massimo L. sera dans ces circonstances retenu.

Le Tribunal relève à ce titre que le déroulement des faits relaté par celui-là diffère de la version figurant dans la lettre de rupture.

L'employeur n'apportant aucun élément contraire, ce grief ne sera pas retenu.

Sur l'abandon de poste

Il n'est pas contesté que Monsieur i. S. a quitté le chantier après l'altercation avec son employeur.

Sont constitutifs d'abandon de poste les sorties ou l'abandon des fonctions sans l'autorisation de l'employeur, soit pendant le temps de travail, soit avant la fin de la journée de travail.

L'abandon de poste sans qu'aucun motif valable n'ait été au préalable fourni à l'employeur, constitue, en principe, un juste motif de licenciement si ce n'est une faute grave.

La même solution peut être adoptée du fait des conséquences préjudiciables produites ou du grave préjudice que l'abandon de poste aurait pu causer, ou bien encore lorsque celui-ci apparaît comme une attitude de défi, une opposition à l'employeur.

Cependant, l'abandon de poste du salarié, qui trouve son origine dans un manquement de l'employeur à ses obligations, ne saurait constituer une cause de licenciement.

En l'espèce, il résulte des explications développées supra que le refus de Monsieur i.S.de réaliser des travaux de maçonnerie est parfaitement légitime, l'attitude de l'employeur, à la suite de ce refus, étant disproportionnée et inadaptée.

Il a en effet adopté une attitude provocatrice en venant coller sa tête contre celle du salarié, ce qui a contraint ce dernier à se retirer pour éviter que la situation ne s'envenime.

L'abandon de poste de Monsieur i.S.ne peut dès lors être considéré comme fautif.

Sur les conséquences pour l'entreprise du départ du salarié

L'employeur soutient avoir dû déplacer le véhicule de service, aucune conséquence sur le chantier ne pouvant être relevé à ce titre.

Il ajoute qu'il a dû déprogrammer le chantier sur lequel le demandeur intervenait du fait de son départ, ce qui a engendré des retards dans l'exécution.

Pour en justifier, la S.A.R.L. MC TECH produit un courrier de Madame DE G. en date du 15 septembre 2017, ainsi libellé :

« Monsieur le gérant,

Je reviens vers vous dans le cadre des travaux de plomberie que vous avez commencé dans ma salle de bain ce mardi 12 septembre, suite à mes appels le jeudi 14 et vendredi 15 septembre, constatant l'absence de votre ouvrier, j'ai bien pris note de vos difficultés avec votre ouvrier.

Cependant, il est inconcevable pour moi de rester dans cette attente et de ne pas pouvoir utiliser ma salle de bain.

Je vous joins également à ce courrier, quatre photos de la surprise que j'ai eu en ouvrant mon placard attenant à la salle de bain dans laquelle vous travaillez.

En effet, votre employé est passé à travers le mur et ainsi abimé l'intérieur de mon placard.

Je reste dans l'attente de vos explications et vous pris de faire le nécessaire afin de mettre un terme à cette situation.

Je vous prie d'agréer... ».

Il a été démontré supra que le départ de Monsieur i. S. du chantier n'était pas fautif, de sorte que les conséquences pouvant être liées à ce départ ne peuvent pas plus l'être ; l'employeur étant le seul responsable de cette situation.

Ce grief ne sera ainsi pas retenu.

Il résulte des explications développées supra que le licenciement de Monsieur i.S.ne repose pas sur une cause valable.

Conformément à l'article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968, Monsieur i. S. est en droit de prétendre à une indemnité de licenciement calculée comme suit :

* indemnité : 2.420,76 / 25 x 24 (nombre de mois d'ancienneté) = 2.323,93 euros, de laquelle il convient de déduire l'indemnité de congédiement d'un montant de 968,30 euros mise à la charge de l'employeur par le présent jugement, le mode de calcul n'étant pas contesté par ce dernier.

La somme devant revenir à Monsieur i.S.au titre de l'indemnité de licenciement s'élève à 1.355,63 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

L'employeur sera également condamné à payer au salarié la somme de 968,30 euros au titre de l'indemnité de congédiement prévue par l'article 1er de la loi n° 845 du 27 juin 1968, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

Monsieur i. S. peut également prétendre au versement de l'indemnité de préavis de deux mois soit 2.420,76 euros x 2 = 4.841,52 euros brut, outre l'indemnité de congés payés sur préavis représentant 1/10e de l'indemnité de préavis soit 484,15 euros brut, avec intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2018, date de réception au greffe de la requête introductive d'instance.

Sur le caractère abusif du licenciement

Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ; qu'il appartient au salarié qui se prévaut du caractère abusif de la rupture d'en rapporter la preuve.

Il appartient à celui qui réclame des dommages et intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné.

En application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts.

Le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision, soit par exemple en invoquant des motifs fallacieux ou encore en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal, ce qui ne s'avère pas être le cas en l'espèce.

Monsieur i.S.ne fait état d'aucun motif fallacieux justifiant l'indemnisation d'un quelconque préjudice financier.

Il invoque seulement la précipitation et la légèreté blâmable de l'employeur.

Les pièces du dossier montrent que le salarié a été licencié pour faute grave le jour même des faits, sans aucun entretien préalable.

Bien que la loi du for n'impose pas un entretien préalable, les circonstances du licenciement de Monsieur i. S. apparaissent éminemment critiquables et psychologiquement préjudiciables dans la mesure où le salarié n'a pas été en mesure d'apporter des explications sur les faits reprochés, lesquels ne constituent en aucune manière une faute (simple ou grave).

Les documents de fin de contrat sont tous datés du jour des faits, l'employeur ayant agi avec précipitation, alors qu'il a été démontré ci-dessus qu'il a eu un comportement provocateur et qu'il aurait ainsi dû, pour le moins, solliciter des explications de son salarié.

Monsieur i. S. n'a en outre jamais fait l'objet de la moindre observation sur la qualité de son travail pendant toute la relation de travail ; la S.A.R.L. MC TECH l'ayant, dans un premier temps, embauché en contrat à durée déterminée (renouvelé à quatre reprises), puis en contrat à durée indéterminée.

L'employeur a fait preuve d'une légèreté blâmable dans la mise en œuvre et la procédure de licenciement.

La rupture est par ailleurs intervenue de manière brutale, dans la mesure où Monsieur i. S. n'avait aucun moyen d'anticiper la décision de la défenderesse lorsque le licenciement lui a été notifié lorsqu'il a repris son travail le lendemain des faits, sans délai de prévenance ; ce qui confère au licenciement un caractère abusif.

Monsieur i. S. peut donc légitimement prétendre à la réparation du préjudice moral qui en est pour lui résulté et qui sera correctement indemnisé par l'allocation d'une somme de 5.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement.

Ce faisant, la S.A.R.L. MC TECH sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et condamnée aux dépens.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Prononce la nullité de l'attestation produite par la société à responsabilité limitée MC TECH en pièce n° 8 ; Prononce la nullité de l'attestation produite par Monsieur i. S. en pièce n° 10 ;

Condamne la S.A.R.L. MC TECH à payer à Monsieur i.S.la somme de 537,95 euros (cinq cent trente-sept euros et quatre-vingt-quinze centimes) au titre de l'indemnité de panier, avec intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2018, date de la réception au greffe de la requête introductive d'instance ;

Dit que le licenciement de Monsieur i. S. par la S.A.R.L. MC TECH ne repose pas sur une cause valable et revêt un caractère abusif ;

Condamne en conséquence la S.A.R.L. MC TECH à payer à Monsieur i. S. les sommes suivantes :

* 1.355,63 euros (mille trois cent cinquante-cinq euros et soixante-trois centimes) à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

* 968,30 euros (neuf cent soixante-huit euros et trente centimes) au titre de l'indemnité de congédiement, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

* 4.841,52 euros brut (quatre mille huit cent quarante et un euros et cinquante- deux centimes) à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés afférents à hauteur de 484,15 euros brut (quatre cent quatre-vingt-quatre euros et quinze centimes), avec intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2018 date de réception au greffe de la requête ;

* 5.000 euros (cinq mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

Déboute la S.A.R.L. MC TECH de sa demande reconventionnelle ;

Condamne la S.A.R.L. MC TECH aux dépens du présent jugement qui seront recouvrés conformément aux dispositions applicables en matière d'assistance judiciaire.

Composition

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Madame Anne-Marie MONACO, Monsieur Jean-Pierre DESCHAMPS, membres employeurs, Messieurs Marc RENAUD, Philippe LEMONNIER, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le six juin deux mille dix-neuf, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Jean-Pierre DESCHAMPS, Marc RENAUD et Philippe LEMONNIER, Madame Anne-Marie MONACO étant empêchée, assistés de Madame Christèle SETTINIERI, Secrétaire adjoint.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 19286
Date de la décision : 06/06/2019

Analyses

Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la validité des motifs invoqués à l'appui de sa décision de rupture et notamment de la faute grave alléguée. La faute grave résulte de tout fait ou ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail et des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible son maintien dans l'entreprise et exige son départ immédiat, ce, même pendant la durée du préavis. Cette faute n'est pas nécessairement en fonction du préjudice qui en est découlé. L'employeur n'étant pas lié par le motif énoncé dans la lettre de licenciement est en droit d'invoquer des griefs non mentionnés dans celle-ci à la condition que ceux-ci soient également à l'origine de la rupture.L'insubordination, le refus de collaborer constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement. Plus précisément, légitime la rupture du contrat, le refus d'exécuter les directives de l'employeur. Le refus opposé par le salarié d'exécuter le travail pour lequel il a été embauché, d'accomplir une tâche entrant dans ses attributions, ou correspondant à sa qualification, permet à l'employeur de rompre le contrat de travail. À l'inverse, le refus opposé par le salarié d'exécuter une tâche qui n'entre pas dans ses attributions ni ne correspond à sa qualification, ne saurait être un juste motif de congédiement.La S.A.R.L. MC TECH reproche à Monsieur i. S. un comportement inadmissible et une attitude outrancière. Les altercations violentes, rixes, voies de fait, qui se produisent pendant le temps de travail ou à l'occasion du travail, entre salariés ou entre un salarié et le chef d'entreprise sont, le plus souvent, constitutives d'une faute privative des indemnités de rupture. Cependant, compte-tenu des faits de l'espèce, la faute grave peut être rejetée. Il en est ainsi lorsque l'attitude de la victime des violences n'est pas exempte de tout reproche. De même, les injures ou insultes du salarié à l'égard d'un autre membre de l'entreprise constituent, en général, des fautes graves, notamment lorsqu'elles sont violentes, graves, répétées, exprimées en présence de tiers, ou susceptibles d'avoir des répercussions importantes pour l'entreprise.Sont constitutifs d'abandon de poste les sorties ou l'abandon des fonctions sans l'autorisation de l'employeur, soit pendant le temps de travail, soit avant la fin de la journée de travail. L'abandon de poste sans qu'aucun motif valable n'ait été au préalable fourni à l'employeur, constitue, en principe, un juste motif de licenciement si ce n'est une faute grave. La même solution peut être adoptée du fait des conséquences préjudiciables produites ou du grave préjudice que l'abandon de poste aurait pu causer, ou bien encore lorsque celui-ci apparaît comme une attitude de défi, une opposition à l'employeur. Cependant, l'abandon de poste du salarié, qui trouve son origine dans un manquement de l'employeur à ses obligations, ne saurait constituer une cause de licenciement.Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ; qu'il appartient au salarié qui se prévaut du caractère abusif de la rupture d'en rapporter la preuve. Il appartient à celui qui réclame des dommages et intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné. En application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts. Le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision, soit par exemple en invoquant des motifs fallacieux ou encore en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal, ce qui ne s'avère pas être le cas en l'espèce.

Contrats de travail  - Rupture du contrat de travail  - Responsabilité de l'employeur.

Contrat de travail - Licenciement abusif - Rupture abusive (oui) - Dommages-intérêts (oui).


Parties
Demandeurs : Monsieur i. S.
Défendeurs : SARL MC TECH

Références :

article 324 du Code de procédure civile
article 2 de la loi n° 845 du 27 juin 1968
article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963
article 1er de la loi n° 845 du 27 juin 1968
article 1162 du Code civil
article 103 du code pénal


Origine de la décision
Date de l'import : 18/07/2023
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2019-06-06;19286 ?

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