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21/02/2019 | MONACO | N°17843

Monaco | Tribunal du travail, 21 février 2019, Madame s. C. c/ La SAM A


Abstract

Contrat de travail - Licenciement collectif pour motif économique - Validité du motif de licenciement (non) - Caractère abusif du licenciement (oui) - Dommages et intérêts

Résumé

La salariée, engagée en qualité de comptable, a été licenciée dans le cadre d'un licenciement collectif pour motif économique consécutif à la réduction du chiffre d'affaires de l'entreprise, à des perspectives de pertes significatives et à la suppression corrélative de son poste. Elle conteste la validité de son licenciement et l'estime abusif. L'employeur invoque la

sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise et la nécessité de la réorganiser mais ...

Abstract

Contrat de travail - Licenciement collectif pour motif économique - Validité du motif de licenciement (non) - Caractère abusif du licenciement (oui) - Dommages et intérêts

Résumé

La salariée, engagée en qualité de comptable, a été licenciée dans le cadre d'un licenciement collectif pour motif économique consécutif à la réduction du chiffre d'affaires de l'entreprise, à des perspectives de pertes significatives et à la suppression corrélative de son poste. Elle conteste la validité de son licenciement et l'estime abusif. L'employeur invoque la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise et la nécessité de la réorganiser mais il ne produit aux débats aucun bilan ou pièce comptable. Les documents produits ne permettent pas de rapporter la preuve de l'existence d'une menace pesant sur la compétitivité dans le secteur électro-fusion du groupe et de l'anticipation des risques destinée à sauvegarder la compétitivité de ce secteur d'activité. La rupture du contrat de travail n'est pas fondée sur un motif valable. L'intéressée peut ainsi prétendre à une indemnité de licenciement d'un montant de 5 350,46 euros (après déduction de l'indemnité de congédiement s'élevant à 10 232,73 euros).

L'employeur estime qu'il ne pouvait reclasser l'intéressée dans l'entreprise en raison du faible nombre de salariés restant et qu'il n'avait aucune obligation de rechercher un reclassement au sein du groupe. En procédant de la sorte, l'employeur a fait preuve d'une légèreté blâmable dans le cadre de l'exercice de son droit unilatéral de rupture, conférant incontestablement un caractère abusif au licenciement litigieux. Le préjudice moral en résultant est réparé par le versement à l'intéressée de dommages et intérêts dont le montant de 40 000 euros tient compte de son âge de 51 ans au moment de la rupture, de son ancienneté de treize années, de son évolution de carrière très honorable, de son investissement professionnel, de sa disponibilité, notamment lors du premier plan social de la société, et de sa perte de chance.

Motifs

TRIBUNAL DU TRAVAIL

JUGEMENT DU 21 FÉVRIER 2019

* En la cause de Madame s. C., demeurant X1 à TOUËT-DE-L'ESCARÈNE (06440) ;

Demanderesse, ayant primitivement élu domicile en l'étude de Maître Déborah LORENZI-MARTARELLO, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, puis en celle de Maître Patrice LORENZI, avocat-défenseur près la même Cour, et plaidant par Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice ;

d'une part ;

Contre :

* La société anonyme monégasque dénommée A, dont le siège social se situe X2 à MONACO, prise en la personne de son syndic liquidateur, Monsieur c. D. intervenant volontaire ;

Défenderesse, ayant élu domicile en l'étude de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Magali DALMASSO, avocat au barreau de Nice ;

d'autre part ;

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Vu la requête introductive d'instance en date du 30 juillet 2015, reçue le 3 août 2015 ;

Vu la procédure enregistrée sous le numéro 18-2015/2016 ;

Vu les convocations à comparaître par-devant le Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, suivant lettres recommandées avec avis de réception en date du 26 octobre 2015 ;

Vu les conclusions de Maître Déborah LORENZI-MARTARELLO, avocat-défenseur au nom de Madame s. C. en date des 18 avril 2016 déposées le 19 avril 2016 et 1er juin 2017, puis celles de Maître Patrice LORENZI, avocat-défenseur, en date des 1er février 2018 et 7 juin 2018 ;

Vu les conclusions de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur au nom de la SAM A, en date des 6 octobre 2016 et 6 avril 2017 ;

Vu les conclusions de Maître Hervé CAMPANA, avocat-défenseur au nom de Monsieur c. D. intervenant volontaire ès-qualités de liquidateur de la SAM A, en date des 11 janvier 2018 et 5 avril 2018 ;

Ouï Maître Delphine FRAHI, avocat au barreau de Nice pour Madame s. C. en sa plaidoirie ;

Vu les pièces du dossier ;

* * * *

Madame s. C. a été embauchée par la société anonyme monégasque A par contrat à durée indéterminée le 1er avril 2001 en qualité de comptable, avec un salaire de 1.550 euros brut par mois.

En 2010, la SAM A a procédé à un licenciement collectif pour motif économique et a licencié 110 salariés sur un total de 120.

Par courrier remis en main propre le 28 novembre 2014, Madame s. C. a été licenciée pour motif économique.

La salariée a contesté son licenciement par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 19 décembre 2014.

Par requête reçue au greffe le 3 août 2015, Madame s. C. a saisi le Tribunal du travail en conciliation des demandes suivantes :

* - sur la rupture du contrat de travail :

* - indemnité de licenciement : 16.321,12 euros, plafonnée à six mois de salaire, soit 13.567,68 euros,

* - dommages et intérêts : 85.000 euros,

* - autres demandes :

* * exécution provisoire,

* * frais et dépens,

* * intérêts au taux légal sur l'ensemble des sommes à compter de la requête.

Aucune conciliation n'ayant pu intervenir, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi devant le bureau de jugement.

Madame s. C. a déposé des conclusions les 19 avril 2016, 1er juin 2017, 1er février 2018 et 7 juin 2018 dans lesquelles elle reprend ses demandes, modifiant le montant de l'indemnité de licenciement à hauteur de 5.350,46 euros et sollicite encore de voir écarter des débats les pièces adverses n^os 1, 4 et 5 non accompagnées d'une traduction en langue française.

Elle soutient essentiellement que :

* - le chiffre d'affaires n'est pas révélateur de la santé financière d'une entreprise et ne peut à lui seul justifier des difficultés économiques,

* - la réduction du chiffre d'affaires de l'employeur n'a pas eu pour effet de rendre la société déficitaire,

* - seul le résultat net compte et en 2014, il est grandement bénéficiaire,

* - le résultat net n'a eu de cesse d'augmenter depuis la restructuration opérée en 2010 et 2011 et la suppression de certains postes,

* - le groupe a réalisé un chiffre d'affaires record en 2014,

- concernant la perte de la marque B :

* - plus aucun produit de la marque B n'est fabriqué par la SAM A depuis plusieurs années,

* - les lignes de fabrication ont été supprimées en 2010 et 2011 lors du plan de restructuration,

* - l'arrêt de la marque B a été suivi par la promotion d'une nouvelle marque et de nouveaux produits distribués par les autres sociétés du groupe,

* - le groupe a réalisé un chiffre d'affaires record en 2014 et 2015,

* - le transfert des deux postes comptables découle d'une volonté claire et non équivoque du groupe D de restructurer la SAM A pour réaliser de simples économies de gestion alors que la situation de celle-ci se trouve parfaitement saine,

* - toutes les fonctions comptables ont été transférées à MEZE en 2015,

* - le poste de Madame s. C. avait été transféré à cette entité en 2014,

* - les deux comptables ont été remplacées par Monsieur n. T. Comptable de la filiale de MEZE,

* - l'employeur a abandonné la motivation portée sur la lettre de licenciement pour y substituer le motif lié à la réorganisation en vue de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise,

* - la sauvegarde en question doit s'inscrire dans un contexte de difficultés économiques absent en l'espèce,

* - l'employeur ne s'explique pas sur la réorganisation intervenue et la nécessité de supprimer les deux postes de comptables à ce titre,

* - il s'agit d'un faux motif, l'employeur ayant volontairement trompé les salariés,

* - en maquillant la motivation du licenciement, l'employeur a cherché à nuire à la salariée, en l'empêchant d'apprécier la réalité du motif de son licenciement afin de l'empêcher de le contester ou du moins de rendre la contestation plus ardue,

- sur l'irrégularité de la procédure de licenciement :

* - en l'absence de délégués du personnel, l'ensemble du personnel a été convoqué à une réunion le 16 octobre 2014, mais aucune information sincère et suffisante n'a été fournie par l'employeur,

* - aucun support écrit n'a été remis, l'employeur se contentant de faire part aux salariés de sa volonté de supprimer le service compatibilité,

* - l'employeur n'a pas respecté son obligation de reclassement,

- sur la légèreté blâmable de l'employeur :

* - elle a une ancienneté de plus de douze ans et s'est grandement investie dans son travail,

* - elle a toujours donné satisfaction dans ses fonctions,

* - le comportement déloyal de l'employeur caractérise la faute et l'abus dans la mise en œuvre de la procédure de licenciement,

* - l'abus est d'autant plus caractérisé que l'employeur a fait pression sur les deux salariées du service comptabilité pour qu'elles signent une transaction avant la notification de leur licenciement,

* - elle a subi un préjudice tant matériel que moral considérable.

Monsieur c. D. ès-qualités de liquidateur de la SAM A a déposé des conclusions le 5 avril 2018 dans lesquelles il s'oppose aux prétentions émises à son encontre et fait essentiellement valoir que :

- sur la procédure de licenciement :

* - la société comportait huit salariés et n'avait pas l'obligation d'avoir de délégués du personnel,

* - elle devait uniquement informer les salariées et saisir la Commission,

* - l'Inspection du Travail a également été consultée sur le projet de licenciement et elle n'a fait aucune observation à ce titre,

* - la SAM A appartient à l'activité « électro-fusion » du groupe,

* - la division électro-fusion traversait des difficultés importantes remettant en cause sa compétitivité voir la pérennité de cette activité,

* - le résultat courant de cette activité était en constante chute,

* - elle connaissait elle-même des difficultés puisque même si ses résultats sur l'année 2014 n'étaient pas négatifs, sa situation nette négative sur l'ensemble de ses années d'exploitation était de - 6.803.247,78 euros,

* - la réorganisation s'imposait afin d'assurer une meilleure organisation et de sauvegarder la compétitivité voire même l'activité électro-fusion,

* - elle ne comportait que huit salariés de sorte que, au regard de la taille de la structure (six salariés), des compétences restantes (ingénieurs et commerciaux), aucun reclassement n'était envisageable,

* - aucun reclassement n'était possible au sein du groupe,

- sur le préjudice :

* - Madame s. C. n'apporte pas le moindre élément de preuve justifiant de son préjudice,

* - elle a retrouvé un emploi de comptable dès le mois de mars 2015 au sein de la SAM C.

SUR CE,

* Sur les pièces n os 1, 4 et 5 produites par le défendeur :

Madame s. C. en sollicite le rejet au motif qu'elles ne sont pas accompagnées d'une traduction en langue française.

Les pièces n^os 1 et 5 sont des documents du groupe D intégralement en langue anglaise sans aucune traduction en langue française, langue officielle en Principauté de Monaco.

Elles seront dans ces circonstances rejetées des débats.

La pièce n° 4 est un document de trois pages, dont seule la deuxième est en langue française, les deux autres étant en langue anglaise sans aucune traduction.

Dans ces circonstances, seule la deuxième page de ce document sera retenue et examinée par le Tribunal, les deux autres étant rejetées des débats.

* Sur la validité du licenciement :

En droit, la rupture du contrat de travail pour un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression d'emploi rendue nécessaire par l'existence effective de la restructuration de l'entreprise constitue un licenciement économique.

Si le Juge ne peut apprécier la pertinence de la décision prise par l'employeur, il lui appartient néanmoins de contrôler la réalité du motif économique, c'est-à-dire en l'occurrence de la nécessité économique de la réorganisation (difficultés économiques ou sauvegarde de la compétitivité) et de l'effectivité de la suppression du poste, dont la charge de la preuve revient à l'employeur.

Constitue un motif économique de licenciement, le motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression effective d'emploi consécutive à des difficultés économiques réelles et non passagères ou aux nécessités de restructuration de l'entreprise.

Il incombe ainsi à l'employeur, qui a la charge de la preuve de la réalité et de la validité du motif de la rupture, de démontrer par des éléments objectifs susceptibles de vérification par le Tribunal que le licenciement était fondé sur un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression de son emploi consécutive à une réorganisation de l'entreprise.

À cet égard, il doit matériellement établir la nécessité économique de la restructuration et l'effectivité de la suppression du poste.

Par ailleurs, le droit monégasque qualifie de licenciement économique collectif le licenciement d'au moins deux salariés fondé sur une cause économique commune et contraint l'employeur au respect de l'avenant n° 12 du 20 mars 1970 à la convention collective nationale du travail du 5 novembre 1945.

La lettre de licenciement en date du 28 novembre 2014 est ainsi libellée :

« Madame,

Lors de la réunion du personnel qui s'est tenue le 16 octobre dernier et à laquelle vous avez participée, nous vous avons informé des difficultés de la société.

Cette situation nous contraint à procéder à votre licenciement pour motif économique. Celui-ci est justifié par les éléments suivants : les difficultés économiques que traverse la société liées à une réduction du chiffre d'affaires en 2014 et à des perspectives de pertes significatives dues notamment à l'abandon progressif de la marque de distribution B. Nous évaluons aujourd'hui cette perte à 3 millions d'euros.

Ce motif nous a conduits à supprimer votre poste (...) ».

L'employeur n'étant pas lié par le motif énoncé dans la lettre de licenciement est en droit d'invoquer des griefs non mentionnés dans celle-ci à la condition que ceux-ci soient également à l'origine de la rupture.

L'employeur évoque dans ses écritures un motif différent de licenciement, à savoir « la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ; la réorganisation (ou restructuration) de l'entreprise pouvant constituer une situation propre à ouvrir la voie d'un licenciement économique. ».

Il appartient ainsi à l'employeur de démontrer que ce nouveau grief, non visé dans la lettre de rupture, aurait également été à l'origine du licenciement.

Les faits avancés par l'employeur pour démontrer la réalité de ce nouveau motif préexistent au licenciement et peuvent être rattachés au motif suivant visé dans la lettre de licenciement : « perspectives de pertes significatives dues notamment à l'abandon progressif de la marque de distribution B », de sorte qu'il doit être retenu, en sus du motif visé dans la lettre de rupture.

Il ne saurait y avoir une quelconque substitution de motif, seul un motif supplémentaire pouvant être avancé par l'employeur et non un nouveau en lieu et place de celui visé dans la lettre de rupture.

À cet égard, l'employeur, membre d'un groupe de sociétés, doit matériellement établir la nécessité économique de la restructuration - difficultés économiques ou sauvegarde de la compétitivité - dans le secteur d'activité du groupe auquel il appartient.

Il résulte des pièces produites par l'employeur que la SAM A fait partie de la division électro-fusion du groupe.

Ce faisant, la défenderesse verse aux débats un tableau en pièce n° 4, page 2 (seule traduite en langue française) qui fait état d'une augmentation du chiffre d'affaires de l'activité électro-fusion entre 2013 et 2014, soit respectivement 102 et 103 millions d'euros, ainsi qu'une augmentation du résultat d'exploitation, soit respectivement 7 et 8 millions d'euros, avec également une baisse du prix de revient passant de 95 à 94 millions d'euros.

C'est à la date de la rupture du contrat que doit s'apprécier la cause du licenciement. C'est à la date de notification du licenciement que doivent donc être constatées les difficultés invoquées par l'employeur.

Néanmoins, la nécessité pour l'employeur d'anticiper les difficultés lui permet de se prévaloir d'études prévisionnelles suffisamment sérieuses.

Il peut ainsi tenir compte de l'évolution postérieure au licenciement mais prévisible à la date de celui-ci, pour réorganiser valablement l'entreprise, à condition toutefois que la compétitivité de l'entreprise soit en cause. La réorganisation n'implique pas en effet l'existence de difficultés économiques actuelles mais une anticipation des risques.

Cependant, l'employeur invoque également les perspectives de pertes significatives dues notamment à l'abandon progressif de la marque de distribution B.

L'employeur doit ainsi justifier l'importance de la marque B au regard de l'activité générale de l'entreprise.

Il apparaît ainsi que les deux motifs sont liés et interdépendants, l'employeur évoquant les « difficultés rencontrées sur les marchés l'obligeant à arrêter la fabrication des produits distribués par la SAM A, comme les marques B et E » (pièce n° 7 de la défenderesse : lettre adressée à l'Inspection du Travail le 15 décembre 2014).

Ce faisant, l'employeur doit démontrer non seulement les difficultés rencontrées mais également la nécessité d'arrêter la fabrication et la distribution de la marque B, de même que l'importance de cette dernière dans l'activité de l'entreprise ainsi qu'il a été indiqué supra .

Force est de constater qu'aucun bilan ou pièce comptable n'est produit aux débats.

Le Tribunal doit dès lors apprécier la situation à l'aide de documents établis par l'employeur et dont il résulte une augmentation du chiffre d'affaires de l'activité électro-fusion du groupe entre 2013 et 2014, de même que le résultat d'exploitation (pièce n° 4 de la défenderesse page 2).

Ce même document vise également l'année 2015, au terme de laquelle une baisse du chiffre d'affaires et du résultat d'exploitation est mentionnée (respectivement 98 et 4 millions d'euros, avec un prix de revient identique à 2014).

Ce document constitue la page 2 de la pièce n° 4 produite par la SAM A. La première page n'étant pas traduite en langue française a été rejetée des débats, mais comporte une date, à savoir le 13 juillet 2016, de sorte que les chiffres portés sur l'année 2015 ne constituent pas une prévision à la date du licenciement mais un constat postérieur à la rupture du contrat de travail.

Le Tribunal relève encore que l'ensemble des documents produits par la défenderesse est postérieur au 28 novembre 2014, date du licenciement litigieux, à l'exception de la pièce n° 15 constituée par un procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la SAM A, en date du 31 mars 2014, et duquel il résulte que :

« L'assemblée générale extraordinaire a pris connaissance qu'au 31 décembre 2014, la situation nette négative de la société est de 6.803.247,78 euros.

Nonobstant cette situation elle décide la continuation de la société. ».

Aucun élément comptable n'étant produit, le Tribunal est dans l'impossibilité de vérifier la réalité de ce chiffre, alors, en outre, qu'il est fait état d'une situation avérée et non prévisionnelle au 31 décembre 2014 lors de l'assemblée générale du 31 mars 2014.

Il résulte de l'ensemble des explications développées supra que la défenderesse ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une menace pesant sur la compétitivité dans le secteur électro-fusion du groupe et de l'anticipation des risques destinée à sauvegarder la compétitivité de ce secteur d'activité.

En conséquence, il convient de considérer que la rupture du contrat de travail de la demanderesse n'est pas fondée sur un motif valable.

Madame s. C. était en droit de prétendre à une indemnité de licenciement dont le mode de calcul tel que figurant dans ses écritures n'est pas contesté par l'employeur et dont le montant s'élève à la somme de 5.350,46 euros (après déduction de l'indemnité de congédiement s'élevant à 8.217,22 euros), avec intérêt au taux légal à compter de la demande en justice reçue au greffe, soit le 3 août 2015.

* Sur le caractère abusif du licenciement :

Constitue un licenciement abusif l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister notamment dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ; qu'il appartient au salarié qui se prévaut du caractère abusif de la rupture d'en rapporter la preuve.

Il appartient à celui qui réclame des dommages et intérêts, de prouver outre le préjudice subi, l'existence d'une faute commise par l'employeur dans l'exercice de son droit de mettre fin au contrat de travail, laquelle peut consister dans l'allégation d'un motif de rupture fallacieux ou dans la précipitation, la brutalité ou la légèreté blâmable avec lesquelles le congédiement a été donné.

En application de l'article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963, toute rupture abusive du contrat de travail peut donner lieu à des dommages et intérêts.

Le licenciement qui ne repose pas sur un motif valable n'ouvre droit à la réparation du préjudice matériel en résultant que lorsque l'employeur a commis un abus dans la prise de décision, soit par exemple en invoquant des motifs fallacieux ou encore en prononçant la rupture malgré l'absence de tout fondement légal, ce qui ne s'avère pas être le cas en l'espèce.

L'analyse qui précède a permis de constater que le grief énoncé dans la lettre de licenciement s'est avéré infondé.

Pour autant, le motif fallacieux se caractérise par la fausseté du grief invoqué combinée à la volonté de tromperie et de nuisance de celui qui l'invoque.

S'agissant d'un motif non valable, il n'est pas, pour autant, automatiquement fallacieux.

Pour justifier un licenciement, le motif invoqué doit être valable, c'est-à-dire « présenter les conditions requises pour produire son effet » et par extension être « acceptable, admissible, fondé ».

Madame s. C. ne démontre pas avoir été licenciée pour un autre motif que celui contenu dans la lettre de rupture.

Un licenciement peut être considéré comme abusif (qu'il ait été reconnu valable ou non) si l'employeur a avancé pour le justifier un faux motif, c'est-à-dire un motif qui n'était pas le motif réel qui l'a conduit à prendre cette décision et qui voulait « tromper ».

Par ailleurs, le faux motif ne peut caractériser de facto l'abus de l'employeur ; à défaut, cela reviendrait à utiliser la notion française de « cause réelle et sérieuse ».

En effet, en droit français, un licenciement sans cause réelle et sérieuse (fondé sur un faux motif) est abusif et entraîne automatiquement l'allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

En droit monégasque, un licenciement fondé ou non sur des motifs valables peut ne pas être considéré comme abusif.

Eu égard à ces observations, le Tribunal relève que Madame s. C. ne démontre pas la volonté de nuire ou de tromper de l'employeur.

Dès lors, aucune faute de l'employeur ne peut ouvrir droit à l'indemnisation d'un préjudice matériel et financier résultant du licenciement.

Il est constant que la rupture du contrat de travail de la salariée s'inscrit dans le cadre d'un licenciement économique collectif.

La société défenderesse était donc tenue de respecter les dispositions de l'avenant n° 12 du 20 mars 1970 à la convention collective nationale du travail sur la sécurité de l'emploi, rendu obligatoire par l'Arrêté d'extension du 28 juillet 1970, pour tous les employeurs des entreprises industrielles et commerciales appartenant aux secteurs professionnels compris dans son champ d'application, et en particulier ses articles 11 et suivants, lesquels imposent à l'employeur :

Article 11 :

« Lorsqu'une entreprise est amenée à envisager un licenciement Collectif d'ordre économique, elle doit :

* - s'efforcer de réduire autant qu'il est possible le nombre des licenciements ;

* - utiliser les possibilités offertes à cet égard par une politique de mutations internes, soit à l'intérieur de l'établissement concerné, soit d'un établissement à un autre établissement de l'entreprise ;

* - mettre à l'étude les suggestions présentées par les délégués du personnel en vue de réduire le nombre des licenciements.

Dans la mesure où des solutions satisfaisantes ne pourraient intervenir au plan de l'entreprise, ou en l'absence de délégués du personnel, la Commission Paritaire de l'Emploi sera saisie dans le cadre de ses attributions précisées à l'article 3. ».

Article 17 :

« Les entreprises doivent rechercher les possibilités de reclassement susceptibles de convenir aux salariés dont le licenciement aura dû être décidé ainsi que les moyens de formation et de reconversion qui pourraient être utilisés par eux. Elles les feront connaître aux délégués du personnel intéressés. ».

L'entreprise occupant moins de dix salariés, elle n'avait aucune obligation d'avoir des délégués du personnel.

Or, l'information et la consultation sur le projet de licenciement collectif ne concerne que les délégués du personnel et eux seuls par application de l'avenant n° 12 à la convention collective nationale du travail.

L'employeur devait dans ces circonstances informer les salariés de l'entreprise, ce qui fut fait le 16 octobre 2016, Madame s. C. ne contestant pas la réunion avec Monsieur o. B. Directeur des Ressources Humaines, à cette date.

La Commission Paritaire de l'Emploi, instituée par les articles 1 à 5 de l'avenant n° 12, a pour tâche notamment, aux termes de l'article 3, d'examiner en cas de licenciements collectifs les conditions de mise en œuvre des moyens de reclassement et de réadaptation.

Il est indiqué notamment au sein de l'article 11 alinéa 3 que la Commission est saisie dans la mesure où des solutions satisfaisantes ne pourraient intervenir au plan de l'entreprise, ou en l'absence de délégués du personnel.

En l'espèce, ladite Commission n'a pas été saisie par l'employeur.

Enfin, l'article 17 de l'avenant n° 12 prévoit que « les entreprises doivent rechercher les possibilités de reclassement susceptibles de convenir aux salariés dont le licenciement aura dû être décidé ainsi que les moyens de formation et de reconversion qui pourraient être utilisés par eux. Elles le feront connaître aux délégués du personnel intéressés ».

L'employeur soutient qu'au regard de la taille de la structure dans laquelle il ne restait que six salariés et des compétences restantes (ingénieurs et commerciaux), aucun reclassement n'était envisageable.

Il ajoute qu'il n'avait aucune obligation de reclassement dans le groupe.

L'argumentation de la SAM A ne saurait être suivie par le Tribunal.

En effet, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, le périmètre du reclassement interne est le groupe et non pas seulement l'entreprise.

La recherche doit porter sur les emplois de même catégorie que celui occupé par le salarié menacé de licenciement, sur des emplois « équivalents ».

La recherche doit être sérieuse et loyale. Elle doit porter sur toutes les sociétés du groupe et non se limiter à certaines d'entre elles ; il faut une recherche effective des postes disponibles.

Cette recherche doit être individuelle et l'employeur doit produire les éléments démontrant qu'il a tout essayé pour reclasser le salarié.

À cet égard, il est constant que la SAM A fait partie d'un groupe (D) et qu'elle n'a pourtant nullement justifié de recherches de possibilités de reclassement au sein de ce groupe.

Ainsi, en agissant de la sorte, l'employeur a fait preuve d'une légèreté blâmable dans le cadre de l'exercice de son droit unilatéral de rupture, laquelle confère incontestablement au licenciement intervenu un caractère abusif.

Quant au préjudice invoqué, il est de principe que toute demande de dommages et intérêts formée du chef d'un abus dans les conditions de mise en œuvre de la rupture, et non d'un abus dans la prise de décision, ne peut être admise qu'en ce qui concerne le préjudice moral qui résulte du contexte ayant présidé à sa mise en œuvre, et ce, à l'exclusion du préjudice matériel qui serait résulté d'un licenciement abusif dans son principe.

Il apparaît que Madame s. C. a retrouvé un emploi de comptable en intérim à compter du mois de mars 2015, le dernier bulletin de salaire produit par la demanderesse concernant le mois de janvier 2016.

Le Tribunal relève que Madame s. C. ne justifie pas de sa situation professionnelle récente, aucun document n'étant produit (inscription Pôle Emploi avec une prise en charge, contrat de travail...).

Ainsi, la salariée, qui était âgé 51 ans au moment de la rupture, bénéficiant d'une ancienneté de treize années et huit mois a incontestablement subi un préjudice moral dans un contexte où elle avait connu une évolution de carrière très honorable, compte-tenu de son investissement professionnel ainsi que sa disponibilité indéniables, notamment lors du premier plan social de la SAM A, ainsi qu'une perte de chance, à l'exclusion du préjudice financier relatif à la perte de l'emploi qui ne pourrait découler que d'un motif illicite ou fallacieux.

Ces abus dans les conditions de mise en œuvre du licenciement ouvrent droit à la réparation du préjudice moral consécutif subi par cette salariée, qui sera correctement indemnisé par l'allocation d'une somme de 40.000 euros, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

* Sur l'exécution provisoire :

Les conditions requises par l'article 202 du Code de procédure civile pour que l'exécution provisoire puisse être ordonnée n'étant pas réunies en l'espèce la demande à ce titre ne pourra qu'être rejetée.

La SAM A représentée par son liquidateur Monsieur c. D. qui succombent, doit supporter les dépens du présent jugement.

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL DU TRAVAIL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et après en avoir délibéré,

Ecarte des débats les pièces nos 1 et 5 et les pages 1 et 3 de la pièce n° 4 produites par Monsieur c. D. és-qualités de liquidateur de la société anonyme monégasque A ;

Dit que le licenciement de Madame s. C. par la SAM A ne repose pas sur une cause valable et revêt un caractère abusif ;

Condamne la SAM A, représentée par son liquidateur Monsieur c. D. à payer à Madame s. C. les sommes suivantes :

* - 5.350,46 euros (cinq mille trois cent cinquante euros et quarante-six centimes) à titre d'indemnité de licenciement, déduction faite de l'indemnité de congédiement, avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2015 date de réception au greffe de la citation en conciliation ;

* - 40.000 euros (quarante mille euros) à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la SAM A, représentée par son liquidateur Monsieur c. D. aux entiers dépens du présent jugement ;

Composition

Ainsi jugé par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, Messieurs Émile BOUCICOT, Jean-François RIEHL, membres employeurs, Messieurs Gilles UGOLINI, Lionel RAUT, membres salariés, et prononcé en audience publique du Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco, au Palais de Justice, le vingt et un février deux mille dix-neuf, par Monsieur Michel SORIANO, Juge de Paix, Président du Bureau de Jugement du Tribunal du Travail, en présence de Messieurs Émile BOUCICOT, Jean-François RIEHL et Lionel RAUT, Monsieur Gilles UGOLINI étant empêché, assistés de Madame Sandrine FERRER-JAUSSEIN, Secrétaire en Chef.

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Synthèse
Numéro d'arrêt : 17843
Date de la décision : 21/02/2019

Analyses

Contrats de travail ; Rupture du contrat de travail


Parties
Demandeurs : Madame s. C.
Défendeurs : La SAM A

Références :

article 13 de la loi n° 729 du 16 mars 1963
article 202 du Code de procédure civile


Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2025
Fonds documentaire ?: tribunal-supreme.mc
Identifiant URN:LEX : urn:lex;mc;tribunal.du.travail;arret;2019-02-21;17843 ?

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